Date : 20150916
Dossier : T‑843‑15
Référence : 2015 CF 1077
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2015
En présence de monsieur le juge Hughes
ENTRE : |
PRUDENTIAL STEEL ULC ET ALGOMA TUBES INC. |
demanderesses |
et |
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, BOLY PIPE CO. LTD., BORUSAN MANNESMANN BORU SANAYI VE TICARET A.Ş., CANTAK CORPORATION, CHUNG HUNG STEEL CORPORATION, CONTINENTAL CORPORATION, ENCANA CORPORATION, EVRAZ INC. NA CANADA, LE GOUVERNEMENT DU VIETNAM, GVN FUELS LIMITED/MAHARASHTRA SEAMLESS LIMITED, HALLMARK TUBULARS LTD., HLD CLARK STEEL PIPE CO. INC., HYUNDAI HYSCO CO., LTD., ILJIN STEEL CORPORATION, IMCO INTERNATIONAL STEEL TRADING INC., IMEX CANADA INC., INTERPIPE UKRAINE LLC, JINDAL SAW LTD., NEXSTEEL CO., LTD., NORTH AMERICAN INTERPIPE LTD., PANMERIDIAN TUBULAR, PT CITRA TUBINDO TBK, PROTO TUBULARS INC., PUSAN PIPE AMERICA INC., SEAH STEEL CORPORATION, SHIN YANG STEEL CO., LTD., STAR INTERNATIONAL OIL HOLDINGS LTD., TENSION STEEL INDUSTRIES CO., LTD., THAI OIL PIPE CO., LTD., WESTCAN OILFIELD SUPPLY LTD. |
défendeurs |
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] Les demanderesses ont déposé la présente requête visant l’obtention d’une ordonnance interlocutoire afin de suspendre la nouvelle enquête annoncée par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) au sujet de fournitures assujetties à l’enquête no NQ‑2014‑002 en attendant la décision découlant de la demande sous‑jacente visant à obtenir une ordonnance de l’ordre de l’interdiction et/ou de l’injonction pour empêcher cette nouvelle enquête ainsi que d’autres réparations.
[2] Pour les motifs qui suivent, je rejette la requête avec dépens.
I. CONTEXTE
[3] Les demanderesses/parties requérantes sont des entreprises qui, entre autres, fabriquent fournitures tubulaires au Canada. Les activités des défendeurs ont trait à l’importation au Canada de « fournitures tubulaires pour puits de pétrole » en provenance de neuf pays différents. Les défendeurs, hormis le procureur général, ont des activités semblables. Le procureur général représente l’ASFC, laquelle s’occupe, entre autres, de l’application de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, LRC (1985), c S‑15 (LMSI).
[4] Lorsque des marchandises de pays étrangers sont importées au Canada, certains droits sont appliqués. L’un des facteurs entrant en ligne de compte pour déterminer ces droits est le prix apparent que l’importateur a payé pour obtenir ces marchandises. Le prix doit être communiqué à l’ASFC, et, si celle‑ci estime que le prix apparent est plus bas que nécessaire (les mots « sous‑évaluer » ou « dumping » peuvent être utilisés), elle peut tenir une enquête en vertu de la LMSI, puis fixer un « prix normal » dans le but de déterminer les droits applicables. Selon les dispositions de la LMSI, une révision est possible dans certains cas et un contrôle judiciaire par la Cour d’appel fédérale dans d’autres.
[5] En l’espèce, les défendeurs et des tiers, hormis le procureur général, ont, du 1er janvier 2013 au 31 mars 2014, importé au Canada des fournitures tubulaires pour puits de pétrole (FTPP) en provenance de neuf pays différents. L’ASFC a fait enquête ‑ l’enquête no NQ‑2014‑002 ‑ à cet égard. Le 3 mars 2015, le président de l’ASFC a rendu une décision après constatation que, aux termes de l’alinéa 41(1)a) de la LMSI, il y avait eu dumping concernant certaines de ces marchandises. Un exposé des motifs de cette décision a été publié le 18 mars 2015.
[6] Le 2 avril 2015, le Tribunal canadien du commerce extérieur a conclu, conformément au paragraphe 43(1) de la LMSI, que le dumping de ces marchandises en provenance de certains de ces pays n’avait pas fait subir de préjudice au secteur industriel canadien, mais menaçait de le faire. Les motifs ont été publiés le 17 avril 2015, suivis d’un rectificatif le 21 avril 2015.
[7] Certaines des parties visées par ces décisions ont demandé à la Cour d’appel fédérale de procéder au contrôle judiciaire de la décision du président de l’ASFC. Plus particulièrement, SeAH Steel Corporation a déposé une demande relativement au dossier de la Cour no A‑178‑15; Evraz Inc. a déposé une demande relativement au dossier de la Cour no A‑182‑15; et les demanderesses en l’espèce, Prudential Steel ULC et Algoma Tubes Inc., ont déposé une demande relativement au dossier de la Cour no A‑186‑15. Les avocats m’informent que toutes ces demandes sont contestées et en sont à l’étape de l’examen de la preuve et des questions de procédure. Aucune demande n’a été formulée à l’égard de la détermination d’une date et d’un lieu d’audience à l’égard de l’une ou l’autre de ces demandes.
[8] Le 4 mai 2015, l’ASFC a délivré un avis indiquant qu’une nouvelle enquête était en cours pour [traduction] « pour actualiser les valeurs normales et les prix à l’exportation de certaines FTPP en provenance » des neuf pays antérieurement mis en cause. Les marchandises visées par la nouvelle enquête étaient entre autres certaines fournitures tubulaires pour puits de pétrole ayant fait l’objet de l’enquête no NQ‑2014‑002. Le 22 mai 2015, les demandeurs ont déposé la présente demande afin de faire interdire la tenue de cette nouvelle enquête. Le 3 juin 2015, les demanderesses ont déposé la requête examinée en l’espèce pour obtenir essentiellement la même réparation à titre interlocutoire.
II. LA PREUVE
[9] Les demanderesses/parties requérantes ont déposé un affidavit à l’appui de leur requête, celui de Shauna Cant, une « étudiante embauchée pour l’été » (probablement une stagiaire en droit) employée par le cabinet de leurs avocats. Cet affidavit fournit certains renseignements chronologiques et, à titre de pièces à l’appui, certains documents relatifs à la requête. Il faut souligner que l’auteure de l’affidavit ne permet pas de conclure à l’existence d’une question sérieuse d’un préjudice irréparable ou d’apprécier la prépondérance des inconvénients. Madame Cant n’a pas été contre‑interrogée sur son affidavit.
[10] En réponse, le procureur général a déposé l’affidavit de Dean Pollard, agent principal du programme des enquêtes à l’ASFC, qui fournit certains renseignements chronologiques de l’affaire et énonce certaines politiques de l’ASFC concernant les nouvelles enquêtes. Monsieur Pollard n’a pas été contre‑interrogé sur son affidavit. Le dossier certifié du Tribunal a également été versé au dossier.
[11] La défenderesse Jindal Saw Ltd. a déposé l’affidavit de James Peter Clarke, président d’un cabinet d’experts‑conseils la représentant. Le document fournit certains renseignements chronologiques et appuie la procédure applicable aux nouvelles enquêtes, considérée comme [traduction] « une solution réaliste pour une entreprise d’exportation comme Jindal ». Monsieur Clarke n’a pas été contre‑interrogé.
[12] Les défenderesses Interpipe Ukraine LLC et North American Interpipe Ltd. ont déposé l’affidavit de Daniel Hohnstein, avocat au cabinet les représentant. Cet affidavit fournit des renseignements chronologiques et de l’information concernant d’autres nouvelles enquêtes tenues de temps à autre par l’ASFC. Ces demanderesses ont également déposé l’affidavit de Melissa Beck, vice‑présidente des opérations chez North American Interpipe, où l’on peut lire, au paragraphe 14, que l’entreprise subirait un préjudice important si la nouvelle enquête devait être suspendue. Ni M. Hohnstein ni Mme Beck n’ont été contre‑interrogés sur leurs affidavits.
[13] Les défenderesses Borusan Mannesmann et Imco International ont déposé l’affidavit d’Oguzhan Kuscuoglu, directeur des ventes à l’exportation chez Borusan, qui fournit des renseignements chronologiques et des éléments de preuve concernant le préjudice que ces entreprises subiraient si la nouvelle enquête devait être suspendue. Elles ont également déposé l’affidavit de Nezil Bosut, président d’Imco, qui explique que l’entreprise subirait un préjudice si la nouvelle enquête devait être suspendue. Ni M. Kuscuoglu ni M. Bosut n’ont été contre‑interrogés sur leurs affidavits.
[14] Chacune des demanderesses/parties requérantes et les défendeurs susmentionnés ont déposé des dossiers de requête, dont les affidavits susmentionnés et les pièces à l’appui, et des observations écrites. Toutes et tous étaient représentés par des avocats devant la Cour. La représentante des défenderesses Borusan Mannesmann et Imco International a comparu par téléphone en raison de limitations de mobilité temporaires.
III. PRINCIPES FONDAMENTAUX RÉGISSANT LES INJONCTIONS INTERLOCUTOIRES
[15] Toutes les parties citent et invoquent l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, dans lequel la Cour suprême du Canada énonce les exigences fondamentales dont la Cour doit tenir compte lorsqu’elle est saisie d’une demande de réparation comme celle de l’espèce. Ces exigences requièrent :
1. que l’existence d’une question sérieuse à juger dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente soit établie;
2. que l’existence d’un préjudice irréparable en cas de refus de la réparation soit établie;
3. que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’octroi de la réparation demandée.
[16] Le juge Stratas, de la Cour d’appel fédérale, a rappelé ce critère dans l’arrêt Janssen Inc. c Abbvie Corp., 2014 CAF 112, à l’égard d’une demande de suspension et il a ajouté, aux paragraphes 14 et suivants, que les trois conditions doivent être remplies et, au paragraphe 19, que chacun des volets du critère ajoute un élément important et aucun d’entre eux ne saurait être facultatif.
[17] Dans l’arrêt RJR‑MacDonald (page 338), la Cour suprême ajoute une exception à la règle générale selon laquelle un juge ne doit pas procéder à un examen approfondi sur le fond lorsque le résultat de la requête interlocutoire équivaut en fait au règlement final de l’action, comme c’est le cas en l’espèce.
IV. PUIS‑JE CONNAÎTRE DE LA PRÉSENTE AFFAIRE?
[18] L’activité faisant l’objet de la demande sous‑jacente et de la présente requête est essentiellement réglementée par la LMSI. À l’article 62, la Loi prévoit que certains appels doivent être entendus par la Cour d’appel fédérale. L’article 76 dispose qu’une demande de contrôle judiciaire concernant une ordonnance ou une conclusion rendue par le Tribunal canadien du commerce extérieur doit être adressée à la Cour d’appel fédérale. Suivant l’article 96.1, une demande de contrôle judiciaire concernant certaines ordonnances, conclusions ou décisions rendues par le président de l’ASFC en vertu de l’alinéa 41(1)a) doit être adressée à la Cour d’appel fédérale.
[19] En bref, c’est à la Cour d’appel fédérale et non à la Cour fédérale qu’il faut, selon la LMSI, adresser les demandes et appels concernant des décisions, ordonnances et conclusions rendues en vertu de la LMSI. La Cour fédérale n’est mentionnée nulle part dans la Loi.
[20] Dans le jugement Toyota Tsusho America Inc. c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CF 78, la juge Tremblay‑Lamer, de notre Cour, a rejeté l’argument selon lequel la Cour fédérale était compétente quand la question concernait un « processus suivi par l’ASFC ». Selon elle, le mécanisme de révision et d’appel prévu dans la LMSI est complet et prive la Cour fédérale de compétence. Voici ce qu’elle écrit aux paragraphes 18 à 20 de l’exposé des motifs :
18 Le demandeur soutient que la Cour a compétence pour juger sa demande de contrôle judiciaire parce qu’elle ne vise pas la décision de l’ASFC comme telle, mais plutôt l’iniquité du [traduction] « processus suivi par l’ASFC ». Selon la demanderesse, les questions relatives à l’équité procédurale ne peuvent pas être examinées dans le cadre de la procédure d’appel instituée par la LMSI et, par conséquent, peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire. À l’appui de cette affirmation, elle renvoie à la décision rendue par la Cour dans Toshiba International Corp. c. Canada (Sous‑ministre du Revenu national, Douanes et Accise) (1994), 81 F.T.R. 161, [1994] A.C.F. no 998.
19 Les précédents sur lesquels les défendeurs s’appuient ne sont pas applicables, parce que le mécanisme d’appel institué par la Loi sur les douanes diffère de celui prévu à la LMSI dans la mesure où le libellé de la disposition privative de la première loi est beaucoup plus explicite que celle de la seconde, ce qui donne à penser que le législateur n’avait pas l’intention de retirer à la Cour sa compétence pour contrôler des décisions en vertu de cette seconde loi.
20 Je ne suis pas d’accord. À mon avis, le mécanisme de révision et d’appel prévu à la LMSI est complet et, en l’adoptant, le législateur a clairement exprimé son intention de retirer à la Cour sa compétence pour contrôler les décisions prises en vertu de cette loi. Ce mécanisme est semblable à celui institué par la Loi sur les douanes et les différences entre le libellé des dispositions privatives des deux lois ne sont pas importantes. Les dispositions privatives de la LMSI (paragraphes 56(1) et 58(1)), qui prévoient que les décisions des agents des douanes sont « définitives » sont suffisamment claires. La seule façon de faire « annuler » une telle décision est suivre la procédure énoncée dans la LMSI même.
[21] En appel, la juge Sharlow, prononçant à l’audience la décision au nom du tribunal (2010 CAF 262), a déclaré ce qui suit au paragraphe 3 au sujet de la décision de la juge Tremblay‑Lamer :
(…) nous souscrivons à sa conclusion en grande partie pour les motifs qu’elle a exposés
[22] L’avocat des demanderesses fait une distinction entre la présente espèce et l’affaire GRK Fasteners, à laquelle je renverrai ultérieurement compte tenu du fait que dans cette affaire les demanderesses étaient des entreprises d’importation, alors que, en l’espèce, il s’agit de fabricants nationaux, ce qui les place dans une position différente à l’égard des dispositions de la LMSI.
[23] L’annonce par l’ASFC qu’elle procédera à une nouvelle enquête du prix normal attribué aux marchandises en question et la question de savoir si cette nouvelle enquête doit être suspendue sont en jeu dans la présente demande et dans la présente requête.
[24] Il est évident que rien n’est prévu dans la LMSI concernant la question de savoir si l’annonce d’une nouvelle enquête par l’ASFC peut être contestée ou faire l’objet d’un contrôle judiciaire et devant quel tribunal. Selon les demanderesses, le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7, c’est la Cour fédérale qui a compétence. Le procureur général fait valoir que l’article 18.2 de la Loi prévoit qu’il est possible d’obtenir une réparation de la nature d’une suspension interlocutoire uniquement en attendant le règlement de la demande sous‑jacente devant la Cour fédérale et non en attendant quelque autre mesure comme le règlement d’une demande devant la Cour d’appel fédérale.
[25] L’avocat d’Interpipe estime que la décision de procéder à une nouvelle enquête échappe complètement à tout contrôle judiciaire. Autrement dit, la question de savoir si l’annonce d’une nouvelle enquête par l’ASFC est susceptible de contrôle soulève‑t‑elle une question sérieuse?
[26] Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales dispose que la Cour fédérale a compétence pour décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto contre tout office fédéral. Le paragraphe 18.1(2) prévoit un délai pour le dépôt d’une demande de réparation de ces ordres, mais seulement si une décision ou une ordonnance a été rendue. L’article 18.2 permet à la Cour fédérale de prendre des mesures provisoires.
[27] Il ne fait aucun doute que, concernant l’ASFC, nous avons affaire à un « office fédéral ». Aucune partie n’a soulevé la question de savoir si la demande a été déposée dans le délai imparti, et il semble qu’elle ait été déposée rapidement. La question qui se pose est celle de savoir si l’annonce d’une nouvelle enquête par l’ASFC peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire et donner lieu à une réparation de l’ordre de ce que prévoit le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Si tel est le cas, c’est la Cour fédérale qui a compétence, et cette compétence n’est pas annulée par l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales ni par une quelconque disposition de la LMSI. Par conséquent, je me demanderai si une question sérieuse a été soulevée à cet égard, en partant du principe que j’ai compétence, puis j’examinerai le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients.
V. LE STATU QUO
[28] Une injonction interlocutoire ou provisoire a généralement pour effet de préserver le statu quo jusqu’à ce que la Cour rende sa décision définitive quant au fond.
[29] En l’espèce, il a été conclu que certaines marchandises importées de certains pays ont été « sous‑évaluées ». Certains droits ont donc été imposés aux importateurs. Selon les données, l’importation a été réduite d’environ quatre‑vingt‑un pour cent.
[30] La Cour d’appel fédérale a été saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la part des demanderesses et de quelques‑uns des défendeurs. Nous ne savons pas quand ces affaires seront entendues, et aucune demande n’a encore été déposée pour fixer une date d’audience. L’issue de ces demandes ne peut être anticipée.
[31] Une nouvelle enquête est en cours. Les avocats semblent s’entendre pour dire qu’il sera terminé le 14 décembre 2015. Cette nouvelle enquête pourrait donner lieu à un nouveau calcul des droits pour la période en cause dans la décision antérieure ou pour une autre période. Là encore, l’issue ne peut être anticipée.
[32] On ne sait pas encore quand la demande sous‑jacente à la présente requête sera entendue. Rien au dossier ne permet de penser qu’on a tenté d’obtenir une date pour l’instruction de cette demande.
VI. LA QUESTION SÉRIEUSE
[33] Comme nous l’avons vu en ce qui concerne l’arrêt RJR‑MacDonald, lorsque le règlement d’une requête telle que la présente permet de régler la question soulevée dans la demande sous‑jacente, la Cour doit procéder à une analyse plus approfondie de la question sérieuse.
[34] Selon les demanderesses, il existe une question sérieuse pour deux raisons. La première est que, en effet, une nouvelle enquête compromettra les demandes de contrôle judiciaire dont la Cour d’appel fédérale est actuellement saisie. Je rappelle à cet égard une partie des observations écrites des demanderesses :
[traduction]
42. … l’ASFC dit employer un processus administratif discrétionnaire qui n’a aucun fondement en droit et d’une façon qui contredit l’objet du mécanisme de contrôle judiciaire clair que le législateur a prévu aux articles 96.1 et 41.1 de la LMSI concernant les contestations judiciaires des décisions finales.
43. Les demanderesses affirment que la décision de l’ASFC de procéder à une nouvelle enquête à ce stade‑ci constitue un usage déraisonnable de ses pouvoirs résiduels en vertu de la LMSI. Elles font également valoir que la décision de procéder à une nouvelle enquête à un moment où les méthodologies de l’ASFC sont en cours d’examen devant la Cour d’appel fédérale constitue un abus de procédure et une tentative malvenue de protéger les méthodologies erronées qu’elle emploie pour calculer les valeurs normales et les marges de dumping contre un processus de contrôle judiciaire prévu par la loi.
[…]
47. L’ASFC emploie maintenant le processus de nouvelle enquête administrative en même temps que la procédure de contrôle judiciaire en dépit du conflit évident entre les deux.
[…]
50. Le conflit entre la procédure de contrôle judiciaire prévue par la LMSI et le processus de nouvelle enquête de l’ASFC est une question sérieuse à juger par la Cour. Dans le cadre de la demande, la Cour sera invitée à décider si l’ASFC peut procéder à une nouvelle enquête en même temps qu’une demande de contrôle judiciaire a cours en vertu de la LMSI. Cela pourrait avoir pour effet de contourner le pouvoir de surveillance de la Cour d’appel fédérale prévu par la loi en remplaçant les valeurs normales accompagnant la décision définitive de l’ASFC par des valeurs normales découlant de la nouvelle enquête, à l’égard de laquelle les demanderesses ne peuvent présenter une demande de contrôle judiciaire.
[35] Les demanderesses font valoir un deuxième argument à l’appui de l’affirmation qu’il existe une question sérieuse, à savoir que l’ASFC a commencé une nouvelle enquête, contredisant ainsi ses propres lignes directrices. Je rappelle le paragraphe 51 des observations écrites des demanderesses :
[traduction]
51. Une deuxième question sérieuse est soulevée dans la demande, à savoir si l’ASFC peut entreprendre une nouvelle enquête contredisant ainsi ses propres lignes directrices. Comme nous l’avons souligné ci‑dessus, les nouvelles enquêtes n’ont aucun fondement juridique. Cela dit, l’ASFC a publié un mémorandum D énonçant des lignes directrices. Celles‑ci indiquent les conditions préalables à une nouvelle enquête. Étant donné que deux mois seulement se sont écoulés entre la décision définitive et le début de la nouvelle enquête, on ne peut pas dire que les facteurs prévus justifient le réexamen de l’enquête :
a) le volume des importations de marchandises en cause et les changements relatifs de volume;
b) les nouveaux produits ou modèles ou le nombre de nouveaux exportateurs;
c) le nombre de demandes de révision ou de réexamen;
d) les renseignements, provenant du marché, sur les niveaux généraux des prix dans l’industrie ou le pays d’exportation;
e) les observations formulées par le plaignant, les exportateurs et les importateurs, ainsi que par le gouvernement du pays exportateur, selon le cas.
Mémorandum D, par. 1 [MMR, onglet 2R]
[36] Concernant la première raison, il convient de faire une distinction entre une nouvelle enquête, qui est par nature un processus d’examen, et une révision, qui est la décision susceptible de découler de ce processus d’examen. Ce processus ne porte pas atteinte à des droits, n’impose pas d’obligations juridiques, ni ne cause de préjudice. Ces conséquences ne résultent que d’une décision ou d’une révision. Cette affaire est semblable à celle de l’Administration portuaire de Toronto, où celle‑ci avait publié certains bulletins annonçant l’octroi de « créneaux » à l’aéroport de l’île de Toronto. Aux paragraphes 28 à 30 de l’arrêt Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347 (auquel ont souscrit les juges Létourneau et Dawson), le juge Stratas s’est exprimé comme suit :
28. La jurisprudence reconnaît qu’il y a de nombreuses situations où, en raison de sa nature ou de son caractère, la conduite d’un organisme administratif ne fait pas naître le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.
29. Une de ces situations est celle où la conduite attaquée dans une demande de contrôle judiciaire n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ni d’entraîner des effets préjudiciables : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, (2009), 86 Admin. L.R. (4th) 149.
30. De nombreuses décisions illustrent ce type de situation : p. ex., 1099065 Ontario Inc. c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 47, 375 N.R. 368 (lettre d’un fonctionnaire proposant des dates de réunion); Philipps c. Canada (Bibliothécaire et Archiviste), 2006 CF 1378, [2007] 4 R.C.F. 11 (lettre de politesse envoyée en réponse à une demande de révision); Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Ministre du Revenu national, [1998] 2 C.T.C. 176, 148 F.T.R. 3 (1re inst.) (une décision anticipée ne constitue qu’une opinion ne liant pas son auteur).
[37] Le jugement GRK Fasteners c Procureur général du Canada, 2011 FC 198, où le juge O’Reilly, de notre Cour, a conclu ce qui suit au paragraphe 24, est pertinent :
24. Gardant ces considérations à l’esprit, je dois conclure que les conclusions de la nouvelle enquête menée par l’ASFC ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire. Une nouvelle enquête, par définition, est une étape préliminaire du processus susceptible de conduire à l’imposition d’un droit. Une nouvelle enquête peut conduire à une décision ou à une nouvelle décision dont il peut être fait appel au TCCE, puis à la Cour d’appel fédérale.
[38] Je conclus en conséquence que la Cour n’a pas compétence suivant les articles 18 ou 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour accorder la réparation demandée relativement à la nouvelle enquête.
[39] Quant à la deuxième raison, à savoir si l’ASFC a respecté ses propres lignes directrices lorsqu’elle a entrepris la nouvelle enquête, le procureur général défendeur a fourni un dossier certifié du Tribunal contenant une note de service au directeur général Brent McRoberts. Cette note de service atteste que les facteurs énoncés dans les lignes directrices (D14‑1‑8) de l’ASFC ont été pris en considération et appliqués : voir les pages 2, 3 et 4 de la note de service. Je ne suis pas convaincu que les lignes directrices n’ont pas été respectées et appliquées.
VII. LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE
[40] Les demanderesses n’ont pas produit d’éléments de preuve établissant l’existence d’un préjudice irréparable, seulement les observations des avocats. Je rappelle certaines de ces observations dans leur intégralité :
[traduction]
ii) La perpétuation de valeurs normales incorrectes entraîne un préjudice irréparable.
62. Dans sa décision définitive, l’ASFC a fixé des valeurs normales à l’aide d’une méthodologie erronée pour certains exportateurs des marchandises en cause. Les demanderesses et le secteur d’activité national subissent actuellement un préjudice parce que ces valeurs incorrectes ne leur garantissent pas la protection intégrale prévue par la LMSI contre le dumping. Cette méthodologie est actuellement contestée devant la Cour d’appel fédérale.
63. L’un des principaux objets d’une nouvelle enquête est d’établir des valeurs normales pour les nouveaux exportateurs et les nouveaux modèles de marchandises.
Mémorandum D, paragraphe 1 [MMR, onglet 2R]
Guide LMSI, paragraphes 4.14.2.1 et 4.15.5.1., pages 291, 295 et 296
[MMR, onglet 2S]
64. Comme la nouvelle enquête a eu lieu avant que l’ASFC reçoive des directives de la Cour d’appel fédérale pour modifier sa méthodologie erronée, l’Agence perpétuera la même situation pour un plus grand nombre d’exportateurs et un plus grand nombre de marchandises.
65. Cela permettra à un plus grand nombre de marchandises en cause de pénétrer le marché canadien selon des valeurs erronées à la baisse. Ces marchandises à bas prix priveront encore plus de leurs ventes les producteurs nationaux comme les demanderesses et multiplieront les ventes perdues, les parts de marché perdues et les bénéfices perdus pour les demanderesses. Même si les valeurs normales établies dans le cadre de la nouvelle enquête devaient être révisées par l’ASFC après mesure de renvoi par la Cour d’appel fédérale, le secteur d’activité national aura déjà subi un préjudice. On ne peut récupérer une vente perdue à l’aide d’une modification apportée rétroactivement à la méthodologie de l’ASFC.
66. Ces pertes seraient particulièrement dommageables pour les demanderesses à un moment où le secteur d’activité est extrêmement vulnérable parce que, comme l’a constaté le Tribunal canadien du commerce extérieur, les importations de produits à prix de dumping représentent « une menace nettement prévue et imminente de dommage sensible », notamment parce que de « faibles cours du pétrole exacerbent la menace d’une brusque hausse des importations de marchandises à bas prix provenant des pays visés et amplifie l’effet de ces marchandises sur le marché ».
Fournitures tubulaires pour puits de pétrole, NQ‑2014‑002, paragraphe 268 et 270 [MMR, onglet 21]
67. C’est au cours des quatrième et premier trimestres de chaque année qu’on enregistre le plus de ventes de FTPP au Canada. La publication de nouvelles valeurs normales par l’ASFC au cours de cette période souligne le risque de préjudice important qui peut être causé aux demanderesses.
Fournitures tubulaires pour puits de pétrole, NQ‑2014‑002, paragraphe 251 [MMR, onglet 21]
iii) Le préjudice est irréparable parce qu’il n’existe pas de mécanisme d’indemnisation.
68. Il n’existe aucun moyen d’indemniser les demanderesses de la perte de leurs ventes et de leur part du marché. Les marchandises en cause importées seront irrévocablement autorisées à pénétrer le marché canadien. La LMSI prévoit un mécanisme pour empêcher le dumping injuste de marchandises dès la frontière. Une fois les marchandises entrées au Canada, il n’y a aucun moyen de les retirer du marché ou de récupérer les ventes perdues en raison de prix excessivement bas.
69. La LMSI constitue un système de réglementation des prix. Il n’y a pas entre les demanderesses et les exportateurs étrangers ou les importateurs canadiens de cause d’action qui permettrait aux premières de récupérer leurs pertes. La LMSI impose des mesures antidumping pour corriger les prix, mais elle ne prévoit pas d’indemnisation du secteur d’activité national par les exportateurs étrangers ou les importateurs canadiens qui profitent de valeurs normales incorrectes.
70. Cela signifie nécessairement que le préjudice financier subi par le secteur d’activité national en raison de la perpétuation de valeurs normales erronées constitue un « préjudice irréparable ».
[41] Chacune des défenderesses Jindal Saw, Interpipe Ukraine, North American Interpipe, Borusan Mannessman et Imco International Steel a déposé un affidavit indiquant qu’elle subirait un préjudice si la nouvelle enquête devait être suspendue. Les auteurs de ces affidavits n’ont pas été contre‑interrogés.
[42] Dans une autre affaire du groupe d’arrêts Janssen jugés par la Cour d’appel fédérale, soit Janssen Inc. c Abbvie Corp., 2014 CAF 176, le juge Stratas a écrit que les affirmations générales ne peuvent servir à prouver l’existence d’un préjudice irréparable et que les hypothèses, les conjectures et les affirmations discutables non étayées par les preuves n’ont aucune valeur probante. Il a expliqué ce qui suit aux paragraphes 44 à 46 :
44 Indépendamment de la possibilité qu’a Janssen d’introduire une requête en vertu de l’article 399 pour clarifier toute ambiguïté – ce qui n’est pas encore chose faite –, il y a lieu de rejeter la requête en sursis que Janssen a présentée devant notre Cour pour une autre raison. La preuve de préjudice irréparable présentée par Janssen est insuffisante. Janssen n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisamment circonstanciés concernant les actions, les activités, les plans ou les communications qui ont été ou qui seront touchés par l’ambiguïté de l’injonction.
45 Des généralités ne peuvent établir un préjudice irréparable. Elles ne prouvent essentiellement rien :
Il est beaucoup trop facile pour ceux qui demandent un sursis dans une affaire comme celle‑ci d’énumérer diverses difficultés, de les qualifier de graves, puis, au moment de préciser le préjudice qui risque d’en découler, d’employer des termes généraux et expressifs qui ne servent pour l’essentiel qu’à affirmer – et non à prouver à la satisfaction de la Cour – que le préjudice est irréparable.
(Première Nation de Stoney c. Shotclose, 2011 CAF 232, au paragraphe 48.) Par conséquent, « [l]es hypothèses, les conjectures et les affirmations discutables non étayées par les preuves n’ont aucune valeur probante » : Glooscap Heritage Society c. Canada (Revenu national), 2012 CAF 255, au paragraphe 31.
46 « [I]l faut [plutôt] produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » : Glooscap, précité, au paragraphe 31. Voir également Dywidag Systems International, Canada, Ltd. c. Garford Pty Ltd., 2010 CAF 232, au paragraphe 14; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, 268 N.R. 328, au paragraphe 12; Bureau du surintendant des faillites, précité, au paragraphe 17.
[43] Étant donné que les demanderesses n’ont pas produit d’éléments de preuve et compte tenu du caractère conjectural du préjudice irréparable invoqué par l’avocat des demanderesses, je ne suis tout simplement pas convaincu que les demanderesses subiront ou sont susceptibles de subir un préjudice irréparable si le réexamen de l’enquête a lieu. Par contre, les éléments de preuve incontestés produits par plusieurs des défendeurs attestent qu’ils subiront un préjudice irréparable si une injonction est accordée. J’estime que les demanderesses n’ont pas prouvé qu’un préjudice irréparable leur sera causé si une injonction n’est pas accordée.
VIII. LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS
[44] Tout comme dans le cas du préjudice irréparable, les demanderesses n’ont pas produit d’éléments de preuve étayant leurs affirmations selon lesquelles la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’octroi d’une suspension. Je rappelle ce que l’avocat des demanderesses a déclaré dans les observations écrites :
[traduction]
iv) La prépondérance des inconvénients penche en faveur d’une suspension.
71. Le troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR‑MacDonald exige que la Cour détermine laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse la suspension en attendant une décision sur le fond.
RJR‑MacDonald, page 342, paragraphe 67 [LCJ, vol. 1, partie B, onglet 12 (voir MMR, onglet 8, pour les extraits utiles)]
72. La suspension de la nouvelle enquête comporte peu d’inconvénients pour l’ASFC. Il ne s’agirait, pour l’ASFC, que de reporter la tenue de la nouvelle enquête jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit réglée sur le fond, ce qui représenterait un délai correspondant approximativement à l’échéance normale prévue dans la politique de l’Agence pour les nouvelles enquêtes. Comme nous l’avons expliqué, le mémorandum D de l’ASFC recommande par défaut d’entreprendre une nouvelle enquête à la date anniversaire de la décision définitive.
Mémorandum D, paragraphe 3 [MMR, onglet 2R]
73. Les valeurs normales actuelles sont relativement nouvelles puisqu’elles ont été publiées le 3 mars 2015. Dans bien des cas, la nouvelle enquête n’a lieu que des années après la décision définitive. Par exemple, dans les trois autres cas de FTPP ayant fait l’objet d’une nouvelle enquête le 4 mai 2015, Seamless Casing a fait l’objet d’un premier réexamen de l’enquête quatre ans après la décision définitive. De même, l’actuelle nouvelle enquête est la première pour FTPP 1 comme pour Pup Joints, soit cinq ans et trois ans respectivement après la décision définitive.
Affidavit de Mme Cant, paragraphe 23 [MMR, onglet 2]
74. La LMSI prévoit un mécanisme permettant de contester les valeurs normales après une décision définitive : demander un contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale en vertu de l’article 96.1. Le fait que les demanderesses aient eu recours au mécanisme prévu par la loi pour contester les valeurs normales ne peut être considéré comme un « inconvénient ». Les tentatives des demanderesses pour exercer un droit prévu par la loi donnent à penser qu’il convient de permettre la suite de la procédure plutôt que de la supplanter par un processus administratif entamé par l’ASFC.
75. De plus, la suspension demandée ne concerne qu’une nouvelle enquête concernant les neuf pays, de sorte qu’elle peut facilement être distinguée des trois nouvelles enquêtes de FTPP liées à la Chine, annoncées le 4 mai 2015. Il n’y a guère, voire pas du tout, de chevauchement d’information entre ces autres nouvelles enquêtes et les nouvelles enquêtes concernant les neuf pays. Les exportateurs étrangers sont nécessairement différents entre les FTPP II et des trois autres cas où seule la Chine est impliquée. Par ailleurs, la nouvelle enquête en est à ses premiers stades, et l’ASFC n’a pas dû y consacrer beaucoup de ressources jusqu’ici. Le retard découlant d’une suspension concorderait avec l’échéance normale de ce genre de procédure de l’ASFC selon le mémorandum D et le Guide LMSI.
Mémorandum D, paragraphe 2 [MMR, onglet 2R];
Guide LMSI, paragraphe 4.15.3, pages 291 et 292 [MMR, onglet 2S];
Avis de nouvelle enquête [MMR, onglet 2A]
76. L’avantage de la mise à jour de valeurs normales établies depuis deux mois, dans un contexte où beaucoup d’autres valeurs normales restent les mêmes pendant plusieurs années, ne l’emporte pas sur le préjudice irréparable que subiraient les demanderesses si la tenue de la nouvelle enquête est permise.
77. Les circonstances de la présente requête sont le genre de « circonstances spéciales » où la Cour doit intervenir en dépit du processus administratif en cours. En l’espèce, c’est l’acte même de limiter la nouvelle enquête qui ne convient pas. La Cour n’a pas à déterminer si elle peut permettre que la nouvelle enquête soit terminée avant d’intervenir, parce qu’il ne s’agit pas d’un cas où il existerait « au terme des procédures, un autre recours approprié ». Aucune issue possible de la nouvelle enquête ne saurait rendre valable la décision de l’ASFC de l’entreprendre.
Groupe Archambault Inc. c Cmrra/Sodrac Inc., 2005 CAF 330, paragraphes 6 et 7 [MMR, onglet 5].
[45] Les demanderesses n’ont pas proposé de fournir un engagement à l’égard des dommages‑intérêts. Leur avocat fait valoir que ce genre d’engagement n’est pas nécessaire dans des affaires qui comme celle‑ci relèvent de la réglementation. L’avocat d’Interpipe estime qu’un engagement aurait dû être proposé. Je n’ai pas à décider si un engagement est « nécessaire », mais il aurait dû être proposé « si nécessaire ».
[46] Il se peut que la Cour d’appel fédérale rende ultérieurement à l’égard des demandes dont elle est actuellement saisie un jugement et formule des motifs qui pourraient modifier les principes à partir desquels les prix normaux doivent être établis. Si l’ASFC procède à une révision avant le prononcé de ce jugement et de ces motifs, il se peut qu’une nouvelle décision soit justifiée, assortie de coûts juridiques et inconvénients supplémentaires. Si une nouvelle décision est rendue seulement après la publication de ce jugement et de ces motifs, l’avocat du procureur général promet que, dans la mesure où la Cour d’appel fédérale abordera la question de la méthodologie, celle‑ci entrera en ligne de compte dans la nouvelle décision. L’ASFC fera de même. Peut‑être cela présentera‑t‑il certains inconvénients, mais je suis d’avis qu’ils ne le seront pas au point de justifier une suspension de la nouvelle enquête.
IX. CONCLUSION ET DÉPENS
[47] En conclusion, je suis d’avis que les demanderesses n’ont pas prouvé, compte tenu des trois volets du critère énoncé dans RJR‑MacDonald, que la Cour devrait suspendre la nouvelle enquête. La requête est rejetée, avec des dépens de 2 500 dollars en faveur du procureur général et des autres groupes de défendeurs ayant comparu devant moi.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE ce qui suit :
1. La requête est rejetée.
2. Le procureur général et chacun des groupes de défendeurs ayant comparu devant moi ont droit à des dépens à raison de 2 500 dollars chacun.
« Roger T. Hughes »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
DOSSIER : |
T‑843‑15
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INTITULÉ : |
PRUDENTIAL STEEL ULC AND ALGOMA TUBES INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, BOLY PIPE CO. LTD., BORUSAN MANNESMANN BORU SANAYI VE TICARET A.Ş., CANTAK CORPORATION, CHUNG HUNG STEEL CORPORATION, CONTINENTAL CORPORATION, ENCANA CORPORATION, EVRAZ INC. NA CANADA, LE GOUVERNEMENT DU VIETNAM, GVN FUELS LIMITED/MAHARASHTRA SEAMLESS LIMITED, HALLMARK TUBULARS LTD., HLD CLARK STEEL PIPE CO. INC., HYUNDAI HYSCO CO., LTD., ILJIN STEEL CORPORATION, IMCO INTERNATIONAL STEEL TRADING INC., IMEX CANADA INC., INTERPIPE UKRAINE LLC, JINDAL SAW LTD., NEXSTEEL CO., LTD., NORTH AMERICAN INTERPIPE LTD., PANMERIDIAN TUBULAR, PT CITRA TUBINDO TBK, PROTO TUBULARS INC., PUSAN PIPE AMERICA INC., SEAH STEEL CORPORATION, SHIN YANG STEEL CO., LTD., STAR INTERNATIONAL OIL HOLDINGS LTD., TENSION STEEL INDUSTRIES CO., LTD., THAI OIL PIPE CO., LTD., WESTCAN OILFIELD SUPPLY LTD.
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 15 SEPTEMBRE 2015
|
ORDONNANCE MOTIFS PRONONCÉS PAR : |
LE JUGE HUGHES
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DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS : |
LE 16 SEPTEMBRE 2015 |
COMPARUTIONS :
Geoffrey Kubrick |
POUR LES DEMANDERESSEs |
Peter Nostbakken et Andrew Gibbs |
POUR LE DÉFENDEUR PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
Golsa Ghamari |
POUR LA DÉFENDERESSSE JINDAL SAW LTD.
|
Mandy Aylen et Gerry Stobo |
POUR LES DÉFENDERESSES INTERPIPE UKRAINE LLC et NORTH AMERICAN INTERPIPE INC.
|
Victoria Bazan |
POUR LES DÉFENDERESSES borusan mannessman boru et IMCO INTERNATIONAL STEEL TRADING INC.
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McMillan LLP Avocats Ottawa (Ontario)
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POUR LES DEMANDERESSEs
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William F. Pentney, c.r. Sous‑procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
HazloLaw Avocats commerciaux Ottawa (Ontario)
|
POUR LA DÉFENDERESSE JINDAL SAW LTD. |
Borden Ladner Gervais Avocats Ottawa (Ontario) |
POUR LES DÉFENDERESSES interpipe unkraine llc et NORTH AMERICAN INTERPIPE INC.
|
Victoria Bazan Avocate Toronto (Ontario) |
POUR LES DÉFENDERESSES borusan mannessman boru et IMCO INTERNATIONAL STEEL TRADING INC. |