Date : 20160223
Dossier : IMM-8340-14
Référence : 2016 CF 240
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 février 2016
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE : |
BALVIR SINGH |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] M. Balvir Singh (le « demandeur ») demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel dSIXe l’immigration (la « SAI ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada le 20 novembre 2014. Dans le cadre de cette décision, la SAI a rejeté l’appel du demandeur de la décision d’un agent du Haut‑commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, refusant la demande parrainée de résidence permanente de son épouse. La décision défavorable s’appuyait sur l’opinion de l’agent à savoir que le mariage entre le demandeur et son épouse, Gurpreet Kaur, n’était pas authentique au sens du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le « Règlement ») et vise l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi »).
[2] Le demandeur est sikh et est un citoyen de l’Inde, provenant de la région du Punjab. Il est arrivé au Canada en mai 2001 et a présenté une demande d’asile. Il s’est marié pour la première fois en août 2002. Grâce au parrainage de sa femme, il a obtenu le statut de résident permanent en mai 2006. Deux enfants sont issus de ce mariage. Le demandeur et sa première femme se sont ensuite séparés en raison de l’infidélité de cette dernière. Le divorce a été prononcé en juillet 2010.
[3] En février 2009, la famille du demandeur a approché une marieuse pour trouver une nouvelle épouse au demandeur qui a suggéré de le jumeler à sa femme actuelle. Le demandeur s’est rendu en Inde pour rencontrer sa femme et la famille de celle‑ci en février 2010. Le couple a consenti à l’union, ainsi que leur famille respective. Une cérémonie de fiançailles a eu lieu quelques jours plus tard et le demandeur est retourné au Canada le 28 février 2010.
[4] En novembre 2010, le père du demandeur est décédé. Le demandeur a épousé sa femme en Inde le 28 janvier 2011 et il est resté en Inde jusqu’au 25 mai 2011. Le demandeur a soumis une demande de parrainage pour son épouse le 5 août 2011.
[5] Le demandeur a visité l’Inde entre les mois de juillet et de septembre 2012. Sa fille est née en Inde en mai 2013. Le demandeur est retourné en Inde pour une visite de trois semaines en septembre 2014.
[6] Par une lettre datée du 16 mai 2012, la demande de résidence permanente de la femme du demandeur a été refusée compte tenu du fait que, conformément au paragraphe 4(1) du Règlement, son statut d’épouse n’est pas authentique, car le mariage visait l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.
[7] L’audience devant la SAI a eu lieu le 20 octobre 2014. La SAI a rejeté l’appel, car elle a conclu que le mariage n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut au Canada.
[8] La SAI a affirmé que l’authenticité du premier mariage du demandeur était un facteur pertinent pour déterminer l’authenticité de son mariage actuel. Le demandeur a été incapable d’expliquer de façon crédible pourquoi il est resté marié à sa première femme aussi longtemps et pourquoi il n’a pas confronté celle‑ci au sujet de sa paternité si elle était infidèle.
[9] La SAI s’est dite préoccupée du manque de questions de la famille de la seconde femme concernant le premier mariage du demandeur, en vue de s’assurer de la compatibilité du demandeur avec sa seconde femme. La SAI a conclu que les tentatives précédentes d’acquisition d’un statut du demandeur n’étaient pas authentiques et qu’il s’est rendu complice de tenter d’acquérir un statut pour sa femme par lieu d’un mariage non authentique.
[10] La SAI a indiqué que l’existence d’un enfant issu du second mariage ne suffisait pas pour dissiper les doutes au sujet du mariage.
[11] Les parties ont discuté des questions suivantes : la norme de contrôle applicable; l’éventualité d’une crainte raisonnable de partialité, car la SAI ne s’est prononcée qu’une fois en faveur d’un demandeur sur un total de 49 décisions publiées sur le site CANLII; une erreur révisable de la conclusion selon laquelle la femme n’est pas une épouse; et une erreur révisable de l’omission de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant issu du mariage.
[12] La question de la partialité pour ce qui est de l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Décision : Dang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1195, au paragraphe 32.
[13] La conclusion selon laquelle la femme n’est pas une épouse puisqu’elle n’est pas membre de la catégorie du regroupement familial est une question mixte de fait et de droit; elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Décision : Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 52 à 62. En outre, l’omission alléguée de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant issu du mariage comporte une question mixte de fait et de droit et elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Décision : Kanthasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44.
[14] Selon la décision Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, la norme de la « décision raisonnable » exige que les raisons permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et lui permettent de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles et acceptables.
[15] D’abord, je vais discuter de la question de la partialité. À cet égard, l’argument du demandeur repose sur les statistiques concernant le taux d’acceptation des demandes aux termes de la Loi par le commissaire de la SAI, selon lesquelles seule une décision rendue était favorable au demandeur.
[16] Je souscris aux observations du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « défendeur ») selon lesquelles de simples statistiques sur le taux d’acceptation des demandes d’un commissaire précis de la SAI ne démontrent pas qu’il y a eu partialité. Aucune méthodologie ne s’applique aux soi‑disant statistiques présentées par le demandeur. Je renvoie à la décision Es‑Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile Canada), [2013] 4 RCF 3, au paragraphe 45.
[17] Je conclus qu’aucune erreur révisable ne découle de la procédure selon laquelle la SAI a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant issu du mariage. Selon la décision Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 2 RCF 635, l’obligation de tenir compte de cette question ne s’applique que lorsque les preuves illustrent clairement qu’un demandeur se fonde sur l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre de l’évaluation des considérations humanitaires réalisée par la SAI. Après l’évaluation du dossier dans ce cas, il semble que la preuve est insuffisante pour démontrer que le demandeur se fonde sur l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre de l’évaluation de la demande de parrainage en cause.
[18] Cependant, je ne suis pas convaincue que la SAI a évalué de façon raisonnable la preuve qui a été présentée au sujet de l’authenticité du mariage du demandeur à son épouse actuelle.
[19] Selon l’examen des transcriptions, l’accent a été mis surtout sur les circonstances entourant le premier mariage du demandeur; aucune attention particulière n’a été accordée aux circonstances entourant ses fiançailles à sa femme actuelle et à la progression de leur relation conjugale. Je conviens que la SAI peut tenir compte des antécédents du demandeur en matière d’immigration. Décision : Khera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 632.
[20] En l’espèce, les arguments du demandeur concernant l’omission de la Commission de tenir compte des nuances qui différencient le mariage dans la culture sikhe sont justifiés. Par exemple, la question de la « compatibilité » du demandeur et de sa femme actuelle à laquelle font référence les paragraphes 26 et 29 de la décision faisant l’objet du contrôle.
[21] À la lumière des preuves que renferme le dossier certifié du tribunal, y compris les transcriptions de l’audience devant la SAI, je ne suis pas convaincue que les conclusions de la SAI concernant l’authenticité du mariage du demandeur satisfont à la norme du caractère raisonnable mentionnée précédemment.
[22] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAI est infirmée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour nouvel examen.
[23] Le demandeur sollicite les dépens s’il obtient gain de cause dans la demande de contrôle judiciaire. Selon l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés (DORS/93‑22), les dépens peuvent être adjugés dans les procédures de la demande de contrôle judiciaire en matière d’immigration auxquelles des « raisons spéciales » s’appliquent.
[24] Je ne suis pas convaincue que le demandeur a présenté des raisons spéciales justifiant l’adjudication des dépens et aucuns dépens ne seront adjugés.
[25] Le demandeur a proposé les questions à certifier suivantes :
1) La pertinence des antécédents d’immigration du parrain pour déterminer l’authenticité du mariage.
2) Le possible manque aux règles de l’équité procédurale de l’agent lorsqu’il a posé des questions au sujet du mariage précédent du parrain avant d’évaluer le mariage actuel, déconcertant ainsi le parrain et la personne parrainée et gênant leur capacité à répondre aux questions sur le mariage actuel.
3) Le caractère juridiquement applicable de la décision Gill c. Canada CF 122 [sic], qui établit une présomption de l’authenticité d’un mariage quand un enfant est issu de ce dernier.
4) L’obligation possible des agents et des commissaires de la SAI de tenir compte de l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché par la décision dans le cadre de l’évaluation de l’authenticité d’une relation.
[26] Compte tenu du critère pour la certification établi dans la décision Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2004], 318 NR 365 (CAF), soit « une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel », je ne suis pas convaincue que les questions proposées répondent au critère. Aucune question ne sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAI est infirmée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier et aucuns dépens.
« E. Heneghan »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-8340-14 |
INTITULÉ : |
BALVIR SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
TORONTO (ONTARIO) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 21 SEPTEMBRE 2015 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE HENEGHAN |
DATE DES MOTIFS : |
LE 23 FÉVRIER 2016 |
COMPARUTIONS
Pantea Jafari |
POUR LE DEMANDEUR |
Ada Mok |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Pantea Jafari Jafari Law Toronto (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR |
William F. Pentney, c.r. Sous‑procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR |