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Date : 20160202


Dossier : T-1221-15

Référence : 2016 CF 115

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 2 février 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

XHEMAJL OSAJ

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Osaj demande à la Cour d’annuler la décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (division d’appel) de lui refuser l’autorisation d’interjeter appel d’une décision rendue par la division générale du même Tribunal (division générale). M. Osaj a réussi à faire valoir auprès de la division générale son admissibilité à des prestations d’invalidité versées au titre du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 [RPC]. Sa demande en autorisation d’interjeter appel ne contestait pas l’octroi des prestations d’invalidité, mais plutôt la date du début des versements. La division générale avait conclu qu’il était invalide depuis le 13 avril 2011, mais il maintient qu’il l’était devenu 17 mois plus tôt, lorsqu’il s’était blessé lors d’un accident survenu au travail le 27 novembre 2009.

[2]               La demande doit être accueillie pour les motifs suivants.

[3]               Le 27 novembre 2009, M. Osaj s’est blessé à la suite d’une grave chute survenue sur un lieu de travail; il n’est pas retourné travailler depuis.

[4]               La division générale a conclu qu’au sens du RPC, M. Osaj était devenu invalide le 13 avril 2011 :

[traduction]

[57] Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Cour conclut qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant avait une invalidité grave et prolongée en avril 2011, soit avant sa période maximale d’admissibilité, qui correspond au 31 décembre 2011. La Cour tire cette conclusion particulièrement à la lumière de l’évaluation du Dr Matthews qui, le 13 avril 2011, a signalé que l’appelant avait atteint un niveau de rétablissement maximal et était « invalide de façon permanente ».

[58]  En bref, la Cour conclut que selon la prépondérance des probabilités, l’appelant était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice depuis avril 2011. Cette conclusion de la Cour repose sur les évaluations et les rapports médicaux produits par les Drs Mihic, Matthews et Bringleson. La Cour fonde également sa conclusion sur le témoignage oral de l’appelant au sujet de son invalidité, qui était cohérent, franc et crédible.

[...]

[61]  La Cour conclut que l’appelant avait une invalidité grave et prolongée en avril 2011, moment où le Dr Matthews a signalé que l’appelant était « invalide de façon permanente ». Aux termes de l’article 69 du RPC, les versements commencent quatre mois après la date de l’invalidité. Les versements commencent en août 2011.

[5]               M. Osaj a affirmé que la division générale avait appliqué le mauvais critère lorsqu’elle avait conclu que son invalidité était devenue « grave » lorsqu’il avait atteint « un niveau de rétablissement maximal » et était devenu « invalide de façon permanente ». Dans cette affaire, comme en l’espèce, il a soutenu que ces concepts ne faisaient pas partie des critères relatifs à la gravité prévus au sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC, qui exigent plutôt qu’une invalidité rende une personne « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ».

[6]               La division d’appel a fait remarquer que la division générale avait établi le bon critère (aux paragraphes 7, 9, 40 et 58 de sa décision, et non pas aux paragraphes 52 et 57, comme l’a affirmé la division d’appel), et elle a également conclu que, lorsque la division générale avait fait référence aux concepts de « niveau de rétablissement maximal » et d’« invalide de façon permanente », elle ne s’était pas appuyée sur le critère relatif à la gravité énoncé précédemment, mais avait plutôt cité le vocabulaire utilisé dans les rapports médicaux à partir desquels la gravité avait été établie.

[7]               M. Osaj a également soutenu que la division générale avait négligé de fournir des motifs suffisants en ce qui concerne son choix de la date du début de l’invalidité. En particulier, il a souligné qu’il y avait d’autres éléments de preuve médicaux, notamment un rapport antérieur dans lequel le Dr Matthews indiquait que l’appelant était invalide bien avant avril 2011.

[8]               La division d’appel a noté la déclaration de la division générale selon laquelle elle avait examiné tous les rapports médicaux à sa disposition. Elle a soutenu que la division générale n’avait pas été déraisonnable lorsqu’elle avait établi que le 13 avril 2011 correspondait à la date du début de l’invalidité, conformément à la date signalée par le Dr Matthews.

[9]               La seule question soulevée consiste à déterminer s’il était raisonnable que la division d’appel conclue que M. Osaj n’avait pas réussi à invoquer un moyen d’appel ayant une chance raisonnable de succès.

[10]           Dans une large mesure, M. Osaj conteste la décision de la division d’appel pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels il a contesté la décision de la division générale. Premièrement, il soutient qu’il était déraisonnable que la division d’appel conclue que la division générale avait appliqué le bon critère en ce qui concerne la gravité. Deuxièmement, il affirme qu’il était déraisonnable que la division d’appel conclue que la division générale avait fourni des motifs suffisants pour avoir choisi le 13 avril 2011 comme date du début de son invalidité.

[11]           Tout comme le défendeur, j’estime que le critère que la Cour doit appliquer lors de l’examen des deux questions concerne le caractère raisonnable : voir les décisions Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, [2015] 3 R.C.F. 461 et Thibodeau c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 167.

[12]           Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34, établit les moyens d’appel permis pour interjeter appel d’une décision rendue par la division générale. Il n’est pas contesté que les motifs invoqués par M. Osaj comptent parmi ces motifs acceptés. Une demande doit être présentée pour interjeter appel d’une décision rendue par la division d’appel et, aux termes du paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »  Il est accepté que, dans le contexte actuel, le fait d’avoir une « chance raisonnable de succès » consiste à disposer de certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause.

[13]           Selon mon évaluation, les deux questions soulevées par M. Osaj sont interreliées, puisqu’on pourrait dire que, lorsque la division générale a déterminé que l’invalidité de l’appelant commençait le 13 avril 2011, elle s’est fondée sur un mauvais critère du fait qu’elle n’a pas expliqué le motif pour lequel, à la lumière de la preuve dont elle disposait, elle a choisi cette date plutôt qu’une date antérieure.

[14]           Tout comme le défendeur, j’estime que la division générale énonce le bon critère en ce qui concerne l’invalidité grave dans ses motifs, à savoir « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Par contre, la division d’appel n’a pas établi de façon convenable et raisonnable si c’est ce critère que la division générale a appliqué lorsqu’elle a conclu que M. Osaj avait une invalidité grave depuis le 13 avril 2011.

[15]           La division d’appel affirme que la division générale a choisi le 13 avril 2011 en fonction de la date évaluée par le Dr Matthews, et qu’il s’agissait d’un choix raisonnable compte tenu des autres éléments de preuve médicaux. Honnêtement, cette affirmation me semble illogique.

[16]           La division d’appel traite effectivement d’un rapport antérieur du Dr Mihic daté du 8 juin 2010 (au sujet duquel la division générale a déclaré qu’il [traduction] « donne du poids puisqu’il indique de façon honnête l’état de santé de l’appelant et la façon dont sa capacité à travailler est compromise » ) dans lequel le médecin a affirmé que [traduction] « le demandeur ne sera pas en mesure de reprendre une quelconque forme de travail temporaire ou permanent dans un avenir envisageable ». D’après la division d’appel, ce rapport diffère de celui rédigé en 2011 par le Dr Matthews, puisqu’il [traduction] « ne constitue pas une déclaration d’invalidité sans équivoque ». Selon moi, il est déraisonnable de considérer comme équivoque un avis médical indiquant que le patient est incapable de travailler, même à temps partiel, tout en laissant entrevoir la possibilité d’un rétablissement à un certain moment au-delà de l’avenir prévisible. La division d’appel n’explique pas la raison pour laquelle elle estime que l’avis du Dr Mihic ne concerne pas une invalidité grave ni ne précise la raison pour laquelle elle considère l’avis du médecin comme équivoque alors qu’il ne semble pas l’être à première vue.

[17]           Selon la division d’appel, la déclaration selon laquelle M. Osaj avait atteint « un niveau de rétablissement maximal » et était « invalide de façon permanente » est une déclaration d’invalidité sans équivoque, même si aucun des termes utilisés ne constitue un critère relatif à une invalidité grave. Cependant, la division d’appel n’a pas indiqué comment il est possible d’affirmer que le rapport que le Dr Matthews a rédigé en avril 2011 est sans équivoque, contrairement à celui datant du 1er février 2011, dans lequel le médecin a affirmé que [traduction] « les capacités physiques de M. Osaj Xhemail sont désormais réduites de façon grave et permanente; il a atteint un niveau de rétablissement maximal et est définitivement incapable de travailler ou de chercher un emploi; le pronostic à son égard demeure pessimiste  et il restera invalide à tout jamais ». Bien que les deux rapports du Dr Matthews ne soient pas identiques, le vocabulaire utilisé me semble tout aussi percutant dans l’un comme dans l’autre, et donc rien ne me permet de conclure que seul le dernier rapport constitue une « déclaration d’invalidité sans équivoque ».

[18]           Enfin, ni la division générale ni la division d’appel n’ont abordé la déclaration suivante figurant dans le rapport du Dr Matthews daté du 2 juin 2011 : [TRADUCTION] « M. Osaj a une invalidité permanente, et le pronostic à son égard est très pessimiste. Tout ce qui est susmentionné est en date du 16 juin 2010 » [Non souligné dans l’original.]  Force m’est de constater que juin 2010 coïncide avec la date du rapport du Dr Mihic, rapport que la division d’appel a jugé équivoque.

[19]           En bref, j’estime que la décision de la division d’appel est déraisonnable, puisqu’elle n’a pas évalué suffisamment et convenablement s’il était possible de soutenir que la division générale s’était trompée ou avait tiré une conclusion déraisonnable à l’égard de la date du début de l’invalidité de M. Osaj, à la lumière du rapport dont elle disposait et du bon critère à appliquer.

[20]           Aucune des parties n’a demandé les dépens. Aucuns dépens ne sont ordonnés.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande, sans dépens, et la demande en autorisation d’interjeter appel présentée par M. Osaj auprès de la division d’appel est retournée à cette dernière afin qu’un agent différent procède à un nouvel examen en tenant compte des motifs invoqués en l’espèce.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1221-15

 

INTITULÉ :

XHEMAJL OSAJ c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JANVIER 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 FÉVRIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Marie Chen

Jackie Esmonde

Pour le demandeur

 

Michael Stevenson

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Centre d’action pour la sécurité du revenu

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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