Dossier : T‑2036‑14
Référence : 2015 CF 1259
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2015
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE : |
SUPERSHUTTLE INTERNATIONAL, INC. |
demanderesse |
et |
FETHERSTONHAUGH & CO. |
défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. INTRODUCTION
[1] Supershuttle International, Inc. (la demanderesse) interjette appel de la décision rendue le 30 juillet 2014 par l’agent d’audience Andrew Bene (l’agent) de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) au nom du registraire des marques de commerce (le registraire).
II. CONTEXTE
[2] La demanderesse est une personne morale qui offre des services de transport terrestre en partance et à destination d’aéroports situés dans différentes villes à l’extérieur du Canada. Par l’entremise du site Internet de l’entreprise, « www.supershuttle.com », des personnes se trouvant au Canada peuvent effectuer des réservations et acheter des billets pour recourir aux services de navette qu’elle offre à l’étranger.
[3] Le 14 mars 1995, la demanderesse a présenté une demande d’enregistrement de sa marque de commerce SUPERSHUTTLE (la marque) qui se fondait sur un emploi projeté au Canada, de même que sur l’emploi et l’enregistrement de cette marque aux États‑Unis en liaison avec les services suivants : « services de transport terrestre de passagers d’aéroport ».
[4] Le registraire a initialement rejeté la demande au motif que la marque donnait une description claire ou une description fausse ou trompeuse. Cette décision a été infirmée en appel dans Supershuttle International Inc. c Canada (Registraire des marques de commerce) (2002), 218 FTR 306, où la Cour a ordonné que la marque fasse l’objet d’une publication. Après le dépôt de la déclaration d’emploi, le 21 novembre 2003, la marque a été enregistrée le 15 décembre 2003 sous le numéro LMC597571.
[5] Le 14 février 2012, à la demande de Fetherstonhaugh & Co. (la défenderesse), le registraire a délivré, en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi), un avis qui enjoignait à la demanderesse de fournir une preuve que la marque avait été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis.
[6] Dans sa décision, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas employé la marque au Canada à l’égard des services précisés dans l’enregistrement, au sens des articles 4 et 45 de la Loi. L’agent n’a pas été convaincu que la demanderesse avait exécuté au Canada les « services de transport terrestre de passagers d’aéroport » visés par l’enregistrement; il a par conséquent tranché que la marque devait être radiée du registre des marques de commerce.
[7] L’agent a souligné que la demanderesse était tenue de démontrer que la marque avait été employée en liaison avec les services spécifiés dans l’enregistrement, à savoir les « services de transport terrestre de passagers d’aéroport », entre le 14 février 2009 et le 14 février 2012. Bien que, dans une instance fondée sur l’article 45 de la Loi, le critère de preuve soit relativement peu exigeant, l’agent a fait remarquer que suffisamment de faits devaient être présentés pour établir l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les services visés par l’enregistrement.
[8] En réponse à l’avis délivré en vertu de l’article 45, la demanderesse a déposé l’affidavit souscrit le 10 août 2012 par Mme Judy Robinson, vice‑présidente des Affaires réglementaires. Pour les besoins de la présente demande de contrôle judiciaire, voici les faits pertinents établis par l’affidavit de Mme Robertson :
• Supershuttle offre à quelque 8 millions de passagers des lignes aériennes de partout dans le monde des transports terrestres à destination et en provenance d’aéroports situés aux États‑Unis et en France;
• Supershuttle n’a exploité aucune camionnette au Canada au cours de la période pertinente;
• environ 1 200 camionnettes aux États‑Unis affichent la marque;
• autour de 19 millions de Canadiens ont visité le site Web de Supershuttle au cours de la période pertinente;
• au moins 61 000 Canadiens ont fait des réservations pour des services de transport au cours de la période pertinente;
• des voyagistes canadiens recourent à Supershuttle dans le cadre des voyages organisés qu’ils proposent aux Canadiens en offrant à plus de 10 000 d’entre eux des bons de transport prépayés;
• les services de Supershuttle ont fait l’objet de publicités dans le magazine US Airways et sur les sites Internet de voyage Expedia et Orbitz.
[9] Sur la foi de la preuve produite par Mme Robinson, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas [traduction] « de véhicules sur la route » au Canada durant la période pertinente. Toutefois, les services avaient été annoncés au Canada et utilisés par les Canadiens. L’agent devait donc trancher la question de savoir si cela était suffisant pour constituer un emploi de la marque au sens des articles 4 et 45 de la Loi.
[10] En se fondant sur la jurisprudence de la Cour fédérale, l’agent a conclu que la publicité faite au Canada concernant les services sans que ceux‑ci soient disponibles en sol canadien ne suffisait pas à établir l’emploi. En effet, la demanderesse n’a exploité aucune fourgonnette assurant des services de navette aéroportuaire au Canada durant la période pertinente. Elle a soutenu que l’agent d’audience devait, d’une part, interpréter de manière large l’expression « services de transport terrestre de passagers d’aéroport », et d’autre part, reconnaître que les services visés par l’enregistrement comprenaient des [traduction] « services de réservation et de vente de billets de transport terrestre pour passagers d’aéroport », puisque les Canadiens étaient en mesure d’effectuer des réservations.
[11] L’agent a rejeté cet argument et écarté la décision Société Nationale des Chemins de Fer Français SNCF c Venic Simplon‑Orient‑Express Inc., (2000) 9 CPR (4e) 443, invoquée par la demanderesse au soutien de ce dernier.
[12] Dans la décision Orient Express, précitée, le juge McEwan a rejeté l’appel interjeté à l’encontre de la décision du registraire, qui avait déterminé que la formulation « services de voyage, nommément des services de transport de passagers par train » englobait des services tels que « la vente des billets de train et les réservations de places dans un train ». Or en l’espèce, l’agent n’était pas convaincu que la décision Orient Express a eu pour effet d’infirmer les jugements rendus dans Marineland c Marine Wonderland & Animal Park Ltd., [1974] 2 CF 558 et Motel 6 Inc. c No 6 Motel Limited, (1982) 127 DLR (3d) 267, en ce qui a trait à l’exécution des services au Canada. Il s’est dit d’avis que dans Orient Express, la Cour, après l’avoir jugée raisonnable, avait tout simplement maintenu la conclusion du registraire concernant une description de services particulière dans le contexte d’une preuve d’emploi donnée.
[13] L’agent a cité un passage de la décision rendue dans Motel 6, précitée, où il est déclaré, à la page 278, que le fait de « recevoir et de confirmer des réservations de chambres de motel aux États‑Unis ne constitu[e] pas un emploi de cette marque au Canada en liaison avec des services de motel » qui soit conforme au concept de l’« emploi » selon le droit canadien des marques de commerce.
[14] L’agent a établi une distinction en ce qui a trait à la conclusion tirée dans Orient Express, car dans cette affaire, les services visés par l’enregistrement avaient d’emblée été décrits comme des « services de voyage ». Dans la mesure où, en l’espèce, la demanderesse n’assurait pas de « services de transport terrestre de passagers d’avion » au Canada, mais permettait seulement aux Canadiens de faire des réservations les concernant, les services visés par l’enregistrement n’étaient pas exécutés au Canada. L’agent a jugé que les services de navette aéroportuaire différaient des services d’un commerce de détail, compte tenu de la possibilité d’utiliser ces derniers sans quitter son foyer.
[15] Étant donné que l’enregistrement ne faisait pas mention de « services de réservation », l’agent a conclu que la marque ne saurait être maintenue au registre simplement parce que de tels services étaient effectivement offerts au Canada. Même si la marque avait fait l’objet de publicités au Canada et y était connue, cela ne constituait pas un emploi de la marque au Canada en liaison avec les services visés par l’enregistrement, car l’entreprise n’offrait pas de services de transport terrestre au Canada.
[16] À la lumière de cette analyse, et conformément au paragraphe 63(3) de la Loi, l’agent a donc conclu que la marque devait être radiée du registre.
III. Analyse et décision
[17] La demanderesse soulève deux questions. Premièrement, l’agent a‑t‑il commis une erreur en interprétant le terme « emploi » à l’article 4 de manière à conclure que les activités de la demanderesse au Canada au cours de la période pertinente, c’est‑à‑dire du 14 février 2009 au 14 février 2012, ne constituaient pas un emploi de cette marque en relation avec les services visés par l’enregistrement? Deuxièmement, une marque de commerce est‑elle « employée » au Canada en rapport avec des services si une étape essentielle de l’exécution de ces services, notamment l’offre d’un avantage aux consommateurs, est réalisée au Canada?
[18] De l’avis de la défenderesse, la question en litige tient à la norme de contrôle applicable. Elle fait valoir que, pour peu que la norme de contrôle appropriée soit appliquée, la décision de l’agent ne devrait pas être modifiée.
[19] Quant à elle, la demanderesse soutient que la question de savoir si une marque de commerce peut être considérée « employée » au Canada en liaison avec des services si une étape essentielle de l’exécution de ceux‑ci est effectuée au Canada est une question de droit qui peut être isolée des faits de l’espèce, et qui est par conséquent susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. À cet égard, la demanderesse se fonde sur les décisions Suzuki Motor Corporation c Hayabusa Fightwear Inc. (2014), 122 CPR (4th) 1, aux paragraphes 25 et 39; Canadian Council of Professional Engineers c REM Chemicals Inc. (2014), 125 CPR (4th) 245, au paragraphe 22, et Ministry of Commerce, Industry & Tourism (Republic of Cyprus) c Producteurs Laitiers du Canada et al. (2010), 393 FTR 1, au paragraphe 29.
[20] À titre subsidiaire, la demanderesse fait valoir que, si la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable, alors la décision en cause n’est pas raisonnable.
[21] Selon la défenderesse, la jurisprudence a établi qu’en l’absence de nouveaux éléments de preuve en appel, la norme de contrôle applicable à la décision du registraire est celle de la décision raisonnable. Elle soutient qu’il s’agit là de la norme de contrôle appropriée, vu l’expertise du registraire pour ce qui est de déterminer ce qui constitue un « emploi » d’une marque de commerce dans le cadre de procédures fondées sur l’article 45, et compte tenu du fait que la présente demande soulève une question mixte de fait et de droit. La défenderesse s’appuie sur les décisions Brasseries Molson c John Labatt Ltée (C.A.), [2000] 3 RCF 145, au paragraphe 51; Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., [2006] 1 RCS 772, au paragraphe 40; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, [2012] 2 RCS 283, au paragraphe 71; Alliance Laundry Systems LLC c Whirlpool Canada LP (2014), 129 CPR (4th) 416, au paragraphe 13; et Spirits International B.V. c BCF S.E.N.C.R.L. et al. (2012), 432 NR 319, au paragraphe 10.
[22] Il est bien établi que, lorsqu’aucune preuve nouvelle n’est déposée, la norme de contrôle applicable à un appel formé en vertu de l’article 56 de la Loi est celle de la décision raisonnable. Je renvoie aux décisions suivantes : Gouverneur Inc. c The One Group LLC, 2015 CF 128, au paragraphe 18; Ridout & Maybee LLP c HJ Heinz Co. Australia Ltd. (2014), 454 FTR 135, aux paragraphes 27 et 28; et Alliance Laundry, précitée, au paragraphe 13.
[23] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême, se penchant sur la notion du caractère raisonnable, a affirmé ce qui suit au paragraphe 47 :
[…] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[24] En outre, au paragraphe 48, la Cour suprême a expliqué en ces termes la notion de déférence :
[…] C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit.
[25] À mon sens, il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’examen, par l’agent, de la preuve d’« emploi » de la marque, mais aussi de son interprétation des services visés par l’enregistrement et de son application des dispositions de la Loi aux faits afin de déterminer si la marque était « employée » au Canada en liaison avec les services précisés dans l’enregistrement. Les questions soulevées dans des instances fondées sur l’article 45, y compris les questions liées à l’« emploi » au sens du paragraphe 4(2) de la Loi, relèvent tout à fait du domaine d’expertise de l’agent.
[26] La demanderesse fait valoir que, du fait de l’exécution au Canada des services de réservation, la marque avait été « employée » au Canada. Elle souligne également que la marque apparaissait sur son site Web lorsque les Canadiens y réservaient des services de transport en partance et à destination d’aéroports situés aux États‑Unis et en Europe. De son point de vue, non seulement les réservations à l’avance procurent un avantage aux consommateurs canadiens, mais elles sont un aspect essentiel des services qu’elle offre.
[27] La demanderesse soutient que, compte tenu de la conclusion tirée dans Orient Express, précitée, selon laquelle la prestation au Canada de services de réservation concernant des trains exploités en Europe constituait une prestation de « services de voyage, nommément un service de transport de passagers par train » au Canada, il était erroné de la part de l’agent de conclure que sa marque n’était pas utilisée au Canada relativement à des « services de transport terrestre offerts aux passagers dans les aéroports ». Par ailleurs, la demanderesse mentionne la décision rendue par le registraire dans Advantage Car & Truck Rentals c Advantage Rent‑A‑Car, Inc. (2003), 27 CPR (4th) 342, page 345 (COMC), où la décision Orient Express, précitée, est invoquée, et où il a été jugé que des marques associées à des activités de location de véhicules ayant exclusivement lieu aux États‑Unis étaient employées au Canada en liaison avec des [traduction] « services de location et de location à bail d’automobiles ».
[28] La demanderesse ajoute également que l’agent a erronément interprété de manière restrictive les services associés à la marque et posé comme exigence la présence de navettes aéroportuaires au Canada. Elle allègue que l’agent a n’a pas tenu compte de la jurisprudence indiquant qu’il faut donner une interprétation large au mot « services » et qu’il suffit que les consommateurs canadiens tirent un avantage d’une activité pour que cette activité puisse être considérée comme un service. Cette activité peut par ailleurs être accessoire aux services visés par l’enregistrement.
[29] La demanderesse affirme que, dans la mesure où la procédure prévue à l’article 45 a pour objet d’éliminer du registre le « bois mort », ce que la marque n’est pas, l’interprétation restrictive des services a mené à une conclusion déraisonnable.
[30] Enfin, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en s’appuyant sur l’affaire Motel 6, précitée, qui selon elle diffère de l’espèce. Elle fait remarquer que l’agent a abrégé le passage tiré de cette décision en éliminant du même coup un contexte important quant à la façon dont les réservations en question étaient effectuées, à savoir par téléphone. Par ailleurs, dans cette affaire, la propriétaire de la marque concernée n’avait au Canada aucun agent ou établissement ni aucun service de réservation; les clients devaient téléphoner ou écrire au Motel 6 d’un endroit donné pour effectuer une réservation. La demanderesse soutient également que, dans cette affaire, la partie demanderesse avait cherché à obtenir la radiation de la marque du registre en invoquant des droits antérieurs plutôt qu’en recourant à la procédure prévue à l’article 45, dans le cadre de laquelle la seule question qui se pose est celle de savoir si la marque est assimilable à du « bois mort ».
[31] La demanderesse affirme que, contrairement à l’affaire Motel 6, précitée, son mode de réservation faisait en sorte que les consommateurs canadiens voient la marque en consultant son site Internet depuis le Canada.
[32] La défenderesse soutient pour sa part que la décision respecte la norme de la décision raisonnable, qu’elle est transparente et intelligible et qu’elle appartient aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit. À son avis, l’agent n’a commis aucune erreur dans son analyse fouillée de la jurisprudence et sa conclusion selon laquelle les Canadiens ne pouvaient recourir aux services de transport terrestre sans quitter le Canada. Elle affirme en outre que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir qu’il y avait lieu d’infirmer la décision, quelle que soit la norme de contrôle applicable, y compris celle de la décision correcte.
[33] La défenderesse avance que la décision Orient Express, précitée, ne portait pas sur une question de droit inextricable, mais qu’elle avait été tranchée en fonction des faits particuliers à l’instance fondée sur l’article 45. En outre, elle souligne la différence qui existe entre les services en litige dans cette affaire, c’est‑à‑dire des « services de voyage, nommément des services de transport de passagers par train » et les services en cause en l’espèce, à savoir des « services de transport terrestre offerts aux passagers dans les aéroports ». Les services dont il est question dans la présente affaire ne sont pas simplement décrits en tant que « services offerts aux passagers dans les aéroports » : il est également précisé qu’il s’agit de « transport terrestre ».
[34] La demanderesse ajoute que, malgré les opinions incidentes formulées par notre Cour dans Kraft Ltd. c Canada (Registraire des marques de commerce), [1984] ACF no 181, 1 CPR (3d) 457 (CF 1re inst.), qui laissaient entendre qu’il n’y avait aucune distinction entre les services principaux, accessoires ou secondaires, cette affaire ne traitait pas d’une marque de commerce utilisée en liaison avec des services accessoires ou secondaires aux services décrits dans l’enregistrement, ni d’un cas où de tels services n’étaient pas offerts au Canada.
[35] La défenderesse fait également valoir que l’agent a explicitement et raisonnablement traité des décisions abordant le principe des services accessoires, y compris les décisions Kraft, Orient Express et TSA Stores, Inc c. Canada (Registraire des marques de commerce), [2011] ACF no 319, 91 CPR (4th) 324, au paragraphe 17.
[36] En l’espèce, la défenderesse fait remarquer qu’aucune preuve n’atteste l’existence d’une commercialisation ou d’une publicité faite directement auprès des Canadiens, et souligne également l’absence de véritables activités au Canada, au‑delà de la seule acceptation de réservations pour des services fournis ailleurs. Elle fait valoir que, d’après les éléments de preuve soumis, l’agent a raisonnablement conclu que les services concernés devaient être offerts au Canada.
[37] Récemment, dans la décision Alliance Laundry, précitée, la juge Bédard a passé en revue les principes applicables à la procédure fondée sur l’article 45 et à un appel interjeté à l’encontre d’une décision prise sous le régime de celui‑ci. Les instances fondées sur l’article 45 de la Loi ont un caractère sommaire et administratif; elles visent à éliminer efficacement le « bois mort » du registre; voir la décision Philip Morris Inc. c Imperial Tobacco Ltd. et al., [1987] ACF no 26, 13 CPR (3d) 289, à la page 293 (CF 1re inst.).
[38] Dans de telles instances, l’inscrivant n’a pas à s’acquitter d’un lourd fardeau de preuve, et un affidavit apportant des éléments de preuve suffisants répondra habituellement à l’exigence en matière de preuve d’emploi au cours de la période de trois ans visée; voir les décisions Phillip Morris, précitée, et HJ Heinz, précitée.
[39] L’article 45 exige de l’inscrivant qu’il prouve que sa marque de commerce a été employée au cours des trois ans précédant la date de l’avis en liaison avec chacun des produits ou chacun des services que spécifie l’enregistrement. Étant donné que les « services » ne sont pas définis dans la Loi, ils doivent généralement être interprétés de manière libérale, et aucune distinction ne doit être établie entre les services principaux, accessoires ou secondaires, pourvu que les Canadiens tirent un avantage de l’activité; voir la décision TSA Stores, précitée, aux paragraphes 16 et 17. Toutefois, cette interprétation libérale n’est pas illimitée.
[40] Si le fait que des personnes voient une marque de commerce sur un écran d’ordinateur au Canada est susceptible d’établir l’emploi de cette marque, il n’en demeure pas moins que les services visés par l’enregistrement doivent être exécutés au Canada; UNICAST SA c South Asian Broadcasting Corporation Inc., 2014 CF 295, aux paragraphes 44 à 48; Express File Inc. c HRB Royalty Inc., [2005] ACF no 667, 39 CPR (4th) 59, au paragraphe 20.
[41] Mais surtout, comme l’a affirmé la Cour dans Express File, précitée, au paragraphe 23, « il est largement reconnu que l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec un service doit être apprécié au cas par cas ».
[42] Comme je l’ai mentionné précédemment, la norme de la décision raisonnable commande qu’une décision satisfasse aux critères de transparence, de justification et d’intelligibilité. Ces éléments doivent être évalués en fonction de la preuve produite, mais aussi des critères juridiques et de la jurisprudence applicable.
[43] Une décision n’est pas déraisonnable du simple fait qu’une autre issue aurait été possible; Je me réfère ici à l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, où la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 59:
[…] Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.
[44] Eu égard à la preuve dont il disposait, je suis d’avis que la conclusion de l’agent était raisonnable. Celui‑ci a appliqué la jurisprudence pertinente, et il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir. L’appel est rejeté avec dépens en faveur de la défenderesse.
JUGEMENT
La cour statue que l’appel est rejeté avec dépens en faveur de la défenderesse.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie‑Marie Bissonnette, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T‑2036‑14
|
INTITULÉ : |
SUPERSHUTTLE INTERNATIONAL, INC. c FETHERSTONHAUGH & CO.
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 20 AVRIL 2015
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE HENEGHAN
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS : |
LE 6 NOVEMBRE 2015
|
COMPARUTIONS :
Mark L. Robbins
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Brian Isaac
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
BERESKIN & PARR LPP/S.E.N.C.R.L., s.r.l. Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
SMART & BIGGAR Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|