Date : 20160105
Dossier : IMM-1432-15
Référence : 2016 CF 8
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2016
En présence de madame la juge Simpson
ENTRE : |
MASARU GENNAI ET MANAMI GENNAI |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire visant les mesures d’exclusion prises contre eux par une déléguée du ministre le 5 mars 2015. La demande a été présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[2] Les demandeurs sont des citoyens du Japon. Cependant, leur fils âgé d’un an est un citoyen du Canada. Les demandeurs ont vécu et travaillé à London, en Ontario, mais leurs permis de travail ont expiré en 2014. Le 4 mars 2015, ils sont revenus au Canada avec leur fils après un voyage au Japon. Ils ont alors été dirigés vers un responsable du contrôle secondaire de l’immigration afin d’obtenir des renseignements (le contrôle). À la suite du contrôle, l’agent d’immigration a conclu que les demandeurs étaient sans statut au Canada et a rédigé un rapport circonstancié au titre du paragraphe 44(1) de la LIPR (le rapport). Par la suite, les demandeurs ont été libérés à condition qu’ils reviennent le 5 mars 2015, à 18 h, pour qu’un délégué du ministre examine le rapport (l’examen).
[3] Le 5 mars, les demandeurs ont retenu les services d’un avocat (conseil). Le conseil leur a donné l’instruction d’informer le délégué du ministre, ce soir‑là, qu’ils avaient un conseil et que celui‑ci voulait participer à l’examen par téléconférence et présenter des observations pour leur compte.
[4] Lorsque les demandeurs se sont présentés pour leur examen, il leur a été dit que la déléguée du ministre n’était pas prête à les rencontrer et il leur a été demandé de revenir dans une heure. Ils sont revenus à 19 h et leur examen a eu lieu. Par la suite, la déléguée du ministre a pris les mesures d’exclusion contre les demandeurs (les mesures d’exclusion).
[5] Les demandeurs n’ont jamais informé la déléguée du ministre qu’ils avaient un conseil qui souhaitait participer à l’examen par téléphone.
[6] La déléguée du ministre a appris l’existence du conseil pour la première fois lorsque, après que les mesures d’exclusion furent prises, elle a reçu un message l’informant que le conseil des demandeurs avait téléphoné (le message). Le message a été pris par une personne que la déléguée du ministre a qualifiée de [traduction] « collègue ». Je suppose donc que c’est un autre agent qui a répondu à l’appel du conseil. Cependant, il n’y a aucun affidavit de cet agent et le texte du message n’a pas été déposé en preuve.
[7] Selon l’affidavit d’un interprète qui parle japonais, qui se trouvait avec le conseil, à son bureau, et qui a entendu les deux interlocuteurs pendant l’appel téléphonique acheminé à 19 h 40, le conseil a dit qu’il voulait présenter des observations. Il a été informé que l’agent responsable le rappellerait.
[8] La déléguée du ministre a terminé l’examen entre 20 h et 20 h 30, puis a pris les mesures d’exclusion. Après cela, elle a reçu le message. Elle a rappelé le conseil à 20 h 39 et l’a informé que les mesures d’exclusion avaient été prises.
I. Les concessions
[9] Malgré la multitude de questions soulevées dans l’exposé des arguments des demandeurs, le conseil des demandeurs a précisé que seules les questions énumérées ci‑dessous doivent être tranchées. Il a également précisé que les demandeurs reconnaissaient que les mesures d’expulsion étaient raisonnables.
II. Les questions en litige
1. Les demandeurs avaient‑ils droit à un conseil en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), c 11 (la Charte)?
2. Selon les principes d’équité, la déléguée du ministre était‑elle tenue d’informer les demandeurs de la possibilité de faire appel à un conseil conformément à l’article 5.7 du Guide ENF 6 du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (les lignes directrices), et était‑elle tenue d’entendre les observations du conseil?
A. Première question en litige — l’alinéa 10b) de la Charte
[10] À mon avis, la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’arrêt Dehghani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1933] 1 RCS 1053, aux paragraphes 39 à 42, est déterminante en l’espèce. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a affirmé que les inspections primaires et secondaires effectuées à l’entrée au Canada ne constituent pas une détention au sens de l’alinéa 10b) de la Charte. Toutefois, dans l’arrêt Dehghani, la Cour suprême du Canada n’a pas précisément tenu compte des contrôles secondaires, comme l’examen en l’espèce. Cependant, le défendeur fait valoir, et je suis d’accord avec lui, qu’il n’y a logiquement aucune raison d’établir une distinction entre l’examen et le contrôle en l’espèce, car l’objectif de l’examen consistait simplement à confirmer les faits recueillis pendant le contrôle. Par conséquent, les demandeurs n’ont pas été détenus et n’avaient pas droit à un conseil en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte.
B. Deuxième question en litige — l’équité
[11] Les demandeurs affirment que selon les lignes directrices, ils pouvaient légitimement s’attendre à être informés, avant l’examen, de la possibilité d’être représentés par un conseil pendant l’examen. Il est indubitable que les demandeurs n’ont pas été informés de cette possibilité. En outre, les demandeurs ont déclaré que selon les lignes directrices, le conseil aurait dû être autorisé à présenter des observations par téléphone avant que les mesures d’exclusion ne soient prises.
[12] Voici un extrait des lignes directrices :
5.7 Conseil Une personne n’a pas droit à un conseil lorsque sont prises les décisions relatives à une mesure de renvoi ou à l’admissibilité, à moins qu’elle ne soit détenue. Dans tous les cas, cependant, l’intéressé doit avoir la possibilité d’obtenir les services d’un conseil, à condition d’en assumer les coûts. [...] Dans les cas de personnes en liberté : L’agent doit informer l’intéressé qu’il a la possibilité de faire appel à un conseil avant de débuter l’entrevue. L’intéressé n’a pas le droit d’avoir son conseil présent durant l’entrevue. Toutefois, dans un souci d’équité procédurale, la présence du conseil devrait être autorisée par l’agent. Cependant, à tout moment de l’entrevue, si l’agent est d’avis que cela est justifié, il peut demander au conseil de quitter la pièce. [Je souligne] |
5.7 Counsel Persons do not have a right to counsel at removal order determinations and eligibility determinations, unless they are detained. In all cases, however, persons must be given the opportunity to obtain counsel at their own cost. … In released cases: Officers must inform persons of the possibility of retaining counsel prior to commencing the interview. They do not have the right to have counsel present during the interview. However, in the spirit of procedural fairness, officers should permit counsel’s presence. At any time during the interview, however, officers may require counsel to leave if they are of the opinion that such an action is warranted. [My emphasis] |
[13] La teneur de l’obligation d’équité varie en fonction des faits. À mon avis, on ne peut pas dire que le fait de ne pas tenir compte des lignes directrices et de ne pas informer les demandeurs qu’ils ont la possibilité de recourir aux services d’un conseil constitue un manquement à l’obligation d’équité dans le cas où les demandeurs avaient déjà sollicité les services d’un conseil.
[14] Plus préoccupant encore est le fait qu’au cours de l’appel téléphonique, le conseil a dit qu’il [traduction] « téléphonait pour présenter des observations ». Malheureusement, il manque de preuve à cet égard. L’agent qui a répondu à l’appel n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles le message n’avait pas été transmis à la déléguée du ministre avant la prise des mesures d’expulsion. J’estime qu’il incombe au défendeur d’expliquer les raisons pour lesquelles le message n’a pas été transmis rapidement à la déléguée du ministre. En l’absence d’explication, je tire l’inférence que les lignes directrices n’ont pas été prises en compte une deuxième fois le soir du 5 mars, lorsque l’agent qui a répondu à l’appel n’a pas, contrairement au libellé des lignes directrices, pris les mesures nécessaires pour autoriser « la présence du conseil ». Autrement dit, cet agent a omis de transmettre le message à la déléguée du ministre pendant l’examen.
[15] Je suis consciente du fait qu’il n’existe pas de droit à l’assistance d’un conseil garanti par la Charte et que les lignes directrices ne sont pas des dispositions contraignantes. L’obligation d’équité s’applique malgré tout pour les raisons suivantes :
i. les mesures d’expulsion ont entraîné des conséquences importantes pour les demandeurs (il leur est interdit de revenir au Canada pendant un an);
ii. les mesures d’expulsion ne peuvent pas faire l’objet d’un appel;
iii. selon les lignes directrices, l’équité exige la présence d’un conseil pendant un examen.
[16] À mon avis, il y a eu manquement à l’obligation d’équité. L’agent qui a pris le message aurait dû entreprendre les démarches nécessaires pour communiquer rapidement avec la déléguée du ministre afin que celle‑ci donne au conseil la possibilité de présenter des observations avant la prise des mesures d’expulsion. En outre, s’il était impossible de le faire pour une quelconque raison, une explication aurait dû être fournie.
[17] La dernière question à trancher est celle de la réparation appropriée. Les demandeurs affirment que l’absence de leur conseil leur a causé un préjudice, mais le conseil n’a fourni aucun élément de preuve sur les observations qu’il aurait présentées ni sur l’incidence que ces observations auraient pu avoir sur la décision de la déléguée du ministre lors de l’examen.
[18] J’ai conclu qu’en l’absence de toute preuve que les demandeurs ont subi un préjudice important et qu’en raison du fait qu’ils reconnaissent que les mesures d’expulsion étaient raisonnables, la demande ne sera pas accueillie.
III. Question proposée aux fins de certification
[19] Les demandeurs ont proposé que la question suivante soit certifiée :
[traduction]
Y-a-t-il détention au sens de l’alinéa 10b) de la Charte, lorsqu’une personne est renvoyée à un délégué du ministre afin que celui‑ci établisse le rapport circonstancié prévu à l’article 44 de la LIPR, afin de décider s’il convient de prendre une mesure de renvoi?
[20] À mon avis, pour les motifs énoncés ci‑dessus, la Cour suprême du Canada a tranché cette question dans l’arrêt Dehghani. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une question de portée générale.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. la question proposée n’est pas certifiée aux fins d’un appel.
« Sandra J. Simpson »
Juge
Traduction certifiée conforme
L. Endale
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-1432-15
|
INTITULÉ : |
MANAMI GENNAI ET MASARU GENNAI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 1ER DÉCEMBRE 2015
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE SIMPSON
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS : |
LE 5 JANVIER 2016
|
COMPARUTIONS :
RUI CHEN MATTHEW WONG
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POUR LES DEMANDEURS
|
DANIEL ENGEL
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Orange LLP Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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