Date : 20151209
Dossier : T-1183-13
Référence : 2015 CF 1376
[TRADUCTION FRANÇAISE]
St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 9 décembre 2015 En présence de madame la juge Heneghan |
ENTRE : |
HERB C. PINDER JR., JOHN WEDGE ET TOM MOLLOY, FIDUCIAIRES DE LA FIDUCIE DE LA FAMILLE PINDER |
demandeurs/défendeurs |
et |
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET L’AGENCE PARCS CANADA |
défendeurs/demandeurs |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. INTRODUCTION
[1] Herb C. Pinder Jr., John Wedge et Tom Molloy (les « demandeurs »), fiduciaires de la fiducie de la famille Pinder (la « fiducie ») intentent un recours contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre de l’Environnement (le « ministre ») et l’Agence Parcs Canada (les « défendeurs ») concernant un différend découlant de l’emplacement d’une terrasse adjacente au chalet des demandeurs par rapport à la limite de propriété d’une parcelle de terrain louée aux demandeurs par les défendeurs. Le chalet est le seul élément d’actif de la fiducie.
[2] Les demandeurs ont déposé leur déclaration le 4 juillet 2013. La défense des défendeurs, datée du 8 août 2013, a été déposée le 16 septembre 2013.
[3] Une déclaration modifiée, datée du 5 août 2013, a été déposée par les demandeurs le 27 août 2013. Dans leur déclaration modifiée, les demandeurs cherchent à obtenir la réparation suivante :
Une déclaration que le bail des demandeurs (décrit ci-après) signé avec sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre de l’Environnement et l’Agence Parcs Canada, est en règle;
Une déclaration que le chalet des demandeurs ne contrevient pas au Règlement sur les chalets construits dans les parcs nationaux, DORS/79-398 (le « Règlement »);
Une déclaration que l’Agence Parcs Canada est précluse de déclarer que la terrasse des demandeurs contrevient au Règlement et aux conditions du bail;
Une injonction intérimaire et permanente empêchant les défendeurs de mettre fin au bail des demandeurs ou d’entreprendre tout autre recours que ce soit contre les demandeurs relativement à la construction ou à l’emplacement de la terrasse adjacente au chalet des demandeurs;
Des dommages-intérêts généraux de plus de 50 000 $ et des dommages-intérêts punitifs; et
Les dépens avocat-client.
[4] Dans la présente procédure, les défendeurs ont déposé une requête de jugement sommaire. Dans leur réponse à cette requête, les demandeurs ont déposé leur propre requête de jugement sommaire et, par ailleurs, demandent un procès sommaire.
II. CONTEXTE
[5] Les faits et détails suivants sont tirés des affidavits déposés par les parties, ainsi que des pièces liées aux affidavits et des transcriptions des contre-interrogatoires.
[6] Les demandeurs ont déposé les affidavits de M. Pinder et de Mme Rachelle Guerrero-Bennett, adjointe de l’avocat des demandeurs. Des extraits de l’interrogatoire préalable effectué par M. Alan Fehr sont joints au dernier affidavit.
[7] Les défendeurs ont déposé les affidavits de M. Terrence Schneider, administrateur de lotissement urbain du parc national du Canada de Prince Albert, ainsi que les affidavits de Mme Coralee Vaillancourt, agente immobilière de l’Agence Parcs Canada et de Mme Tenley Desroches, parajuriste aux cabinets des avocats des défendeurs. Les pièces liées à ces affidavits ont également été prises en compte comme source de renseignements factuels sur le contexte.
[8] Herbus Holdings Ltd., (le « preneur à bail ») a conclu un bail avec les défendeurs (les « donneurs à bail ») en date du 15 octobre 1948. Conformément aux conditions du bail, les demandeurs ont loué un lot dans une subdivision des terres du parc national du Canada de Prince Albert, en Saskatchewan, pour une période de quarante-deux (42) ans. Le paiement au ministre devait être versé le 1er avril de chaque année. Le bail et tout renouvellement subséquent sont assujettis à la réglementation liée au contrôle et à la gestion des parcs nationaux. Toute exemption au nom de la Couronne n’a pas force obligatoire à moins d’être signifiée par écrit.
[9] À l’expiration, le bail est renouvelable dans les mêmes conditions sous réserve d’un préavis écrit de six mois au ministre. Le bail a été renouvelé pour une autre période de quarante-deux ans le 16 mai 1988; il est calculé à compter du 1er avril 1988 et vient à expiration le 31 mars 2030. Le 1er janvier 1995, le preneur à bail a cédé le bail aux demandeurs pour une contrepartie de 100 000 $.
[10] Le 22 juillet 1994, la firme IKOY Architects Sask. Ltd. (« IKOY ») a fait parvenir des spécifications pour un chalet (le « chalet ») et une terrasse à Sandy Husulak, commis aux biens immobiliers, parc national du Canada de Prince Albert, aux fins « d’approbation en principe ». La firme IKOY a été retenue pour concevoir le chalet. Le 12 septembre 1994, IKOY a soumis des plans du chalet à Mme Husulak.
[11] Dans une lettre datée du 5 octobre 1994, G.M. Lancaster, administrateur de lotissement urbain du parc national du Canada de Prince Albert, a avisé les demandeurs qu’à l’exception de la couleur de la teinture, les plans proposés étaient conformes au Code national du bâtiment et aux lignes directrices sur le réaménagement des chalets; les plans ont été approuvés, sous réserve de l’acquisition d’un permis de construire. La lettre d’approbation ne concernait que le chalet et des éclaircissements étaient nécessaires concernant le bain thérapeutique.
[12] La construction du chalet s’est déroulée entre l’automne 1994 et le printemps 1995. Dans l’interrogatoire préalable du 18 novembre 2013, M. Pinder a admis avoir donné comme consigne à l’entreprise de construction de bâtir la terrasse sur la limite de la propriété. Dans son affidavit, il indique que cette décision a été prise à l’automne 1994 ou au printemps 1995. Son affidavit suggère que cette décision a été prise après que le permis de construire ait été accordé.
[13] Dans un mémoire daté du 23 juin 1995, L.R. MacGregor, inspecteur en bâtiment, indique que le chalet est conforme aux « exigences du CNB, du CNPI et de Parcs Canada ». Dans une lettre datée du 14 août 1995, Sandi Hicke, responsables des terrains et immeubles, parc national du Canada de Prince Albert, a avisé Herbus Holdings Ltd. que l’inspection finale était terminée et que l’aménagement était conforme au Code national du bâtiment et au Règlement sur les chalets construits dans les parcs nationaux, DORS/79-398 (le « Règlement »).
[14] Un arpentage du terrain a été effectué le 19 août 1997. Les relevés d’arpentage montrent que le côté sud de la terrasse s’étend jusqu’à la limite de la propriété.
[15] À l’automne 2005, la terrasse devait être réparée en raison de dommages subis. M. Pinder a profité des réparations pour prolonger la terrasse. Dans une lettre datée du 2 novembre 2005, M. Pinder a soumis à Coralee Vaillancourt, gestionnaire des baux, parc national du Canada de Prince Albert, un plan d’aménagement visant l’agrandissement de la terrasse sur le terrain. Il a joint à la lettre un chèque de 50 $ pour un permis d’aménagement.
[16] Le 8 novembre 2005, Mme Vaillancourt a avisé M. Pinder que la terrasse actuelle n’était pas construite conformément au plan d’aménagement du site approuvé et que la terrasse devait être rendue conforme aux exigences en effectuant les retraits nécessaires avant que l’agrandissement proposé puisse être envisagé. M. Pinder s’est senti insulté par cette demande et affirme qu’il s’agissait d’une tentative de la part de l’organisme de réglementation de l’obliger à abandonner l’approbation antérieure de la terrasse. Après réception de cette lettre, M. Pinder a demandé un avis juridique. Il a ensuite procédé à l’agrandissement des côtés est et ouest de la terrasse, en remplaçant le platelage et en réparant les pilotis endommagés. Il n’a pas effectué le retrait prévu de 1,2 mètre du côté sud de la terrasse.
[17] Au cours de l’été 2008, Mme Vaillancourt s’est rendue sur la propriété de M. Robert Leier, le voisin immédiat, afin de discuter d’un réaménagement proposé. À ce moment, M. Leier a fait part de son inquiétude à l’effet que la terrasse des demandeurs contrevenait au Règlement.
[18] M. Leier a communiqué avec Mme Vaillancourt et M. Schneider par téléphone le 23 octobre 2009 pour se plaindre de l’emplacement de la terrasse des demandeurs. Les employés de l’Agence Parcs Canada ont avisé M. Leier qu’un retrait de 1,2 mètre avait été approuvé pour la terrasse des demandeurs.
[19] Dans une lettre datée du 28 octobre 2009, M. Leier a exprimé l’opinion que la terrasse des demandeurs n’était pas conforme. Dans sa lettre de réponse datée du 7 décembre 2009, Mme Vaillancourt a avisé M. Leier que l’Agence Parcs Canada recevait des conseils juridiques afin de faire respecter le Règlement et les plans approuvés pour le site.
[20] Par la suite, les parties ont cherché à résoudre le litige. Selon une lettre de Terence Schneider, administrateur de lotissement urbain, datée du 7 décembre 2009, les parties se sont rencontrées au chalet des demandeurs le 6 septembre 2009. Dans cette lettre, le défendeur estime que bien qu’une inspection de la structure ait été effectuée, aucune inspection du site n’a été effectuée pour confirmer la conformité de la cour. Il note également que la terrasse a été reconstruite en 2005 sans approbation. Les parties ont continué à correspondre pendant toute l’année 2010. Dans une lettre datée du 6 novembre 2012, l’Agence Parcs Canada a fait parvenir aux demandeurs un avis selon lequel leur bail serait résilié si l’aménagement n’était pas conforme au plus tard le 1er juin 2013.
III. QUESTIONS EN LITIGE
[21] Les requêtes de jugement sommaire soulèvent les questions suivantes :
1. Quelle est la portée de l’enquête de la Cour dans une requête de jugement sommaire?
2. Y a-t-il une véritable question litigieuse?
3. Est-ce que la terrasse du demandeur est conforme au Règlement?
4. Si la terrasse n’est pas conforme, est-ce que les demandeurs sont admissibles à une réparation équitable?
5. Est-ce que la plainte pour diffamation et atteinte à la vie privée des demandeurs constitue une cause réelle?
IV. REQUÊTES ET OBSERVATIONS
A. Requête des défendeurs
[22] Dans leur requête de jugement sommaire, les défendeurs abordent trois questions. En premier lieu, ils avancent que la terrasse, telle qu’elle a été construite en 2006, n’est pas conforme à la largeur de cour latérale exigée en vertu du Règlement.
[23] En deuxième lieu, les défendeurs jugent que la doctrine de la préclusion n’a pas pour effet d’exonérer les demandeurs de leur obligation de se conformer au Règlement.
[24] Enfin, les défendeurs estiment que les allégations de diffamation, d’atteinte à la vie privée et de faute intentionnelle de la part de ses employés, comme le prétendent les demandeurs dans leur déclaration, ne constituent pas une cause réelle.
[25] Les défendeurs se basent sur les termes simples utilisés dans le Règlement, plus précisément les définitions de « cour » (yard), « cour latérale » (side yard) et « largeur de la cour latérale » (side yard width) pour faire valoir que la terrasse construite par les demandeurs n’est pas conforme. Ils notent que bien que le terme « saillie » (projection) ne soit pas défini, les mots « abstraction faite des saillies » (clear of projections) soutiennent l’interprétation prévue par les rédacteurs, soit distancer les structures, pour préciser l’objectif du Règlement. Ils jugent que l’objectif du Règlement est de protéger l’intégrité écologique du parc.
[26] Les défendeurs ajoutent que le cadre réglementaire vise à protéger l’intégrité écologique du parc; voir le paragraphe 8(2) de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32 (la « Loi sur les parcs nationaux du Canada »). Le Règlement a été établi en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada et, dans l’ensemble, porte sur l’établissement de limites en matière de construction.
[27] Les défendeurs estiment que le Règlement exige l’émission d’un permis de construire avant la construction d’une structure, comme une terrasse. L’absence de définition pour le terme « terrasse » ne limite pas l’application du Règlement. L’omission de M. Pinder d’obtenir un permis lorsqu’il a apporté des réparations à la terrasse contrevient aux articles 7 et 9 du Règlement.
[28] Les défendeurs font également valoir que le non-respect du Règlement ne peut être réparé par l’application des principes équitables, à la lumière de la décision rendue dans l’affaire Sand, Surf and Sea Limited c. The Minister of the Department of Transportation et al. (2005) 37 Admin. L.R. (4e) 146 (N.S.S.C.), confirmés par (2006), 48 Admin. L.R. 53 (N.S.C.A.).
[29] Les défendeurs font valoir que l’approbation d’une structure à usage non réglementaire en 1995 n’est pas pertinente pour déterminer la légalité des travaux effectués en 2006, sans permis d’aménagement. Ils estiment que les demandeurs ne disposent d’aucun recours équivalent en vertu de la doctrine de préclusion promissoire, à la lumière de la réglementation obligatoire. Les défendeurs s’appuient sur la décision rendue dans l’affaire Immeubles Jacques Robitaille c. la ville de Québec, [2014] 1 R.C.S. 784.
[30] Le troisième fondement invoqué par les défendeurs dans leur requête de jugement sommaire concerne l’allégation de dommages découlant de l’inconduite alléguée d’une employée de l’Agence Parcs Canada.
[31] Les défendeurs estiment qu’ils ont offert aux demandeurs de nombreuses occasions de se conformer au Règlement. Ils soutiennent que les autorités publiques ne peuvent être contraintes à accorder aux citoyens un droit à des usages non conformes en se basant sur la décision rendue dans l’arrêt Immeubles, précité au paragraphe 25.
[32] Les défendeurs se fondent également sur la décision rendue dans l’arrêt Sand, Surf and Sea, précité au paragraphe 63, dans lequel la cour a rejeté les allégations de mauvaise foi et d’inconduite du demandeur, y compris la prétention de négociation de mauvaise foi, à l’encontre du ministre responsable des transports et des travaux publics en Nouvelle-Écosse.
[33] Les défendeurs ajoutent que les demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour démontrer une conduite malveillante de la part des employés de l’Agence Parcs Canada. Une approche vigoureuse dans l’exercice des fonctions réglementaires ne justifie pas une action en justice; voir la décision rendue dans l’arrêt Sibeca c. Frelighsburg (Municipalité), [2004] 3 R.C.S. 304, aux paragraphes 23 et 26.
[34] En ce qui concerne les allégations de diffamation des demandeurs, les défendeurs soulignent que la diffamation est une cause d’action fondée sur de fausses déclarations « factuelles ». Aucun fait ne démontre que les déclarations de l’employée de l’Agence Parcs Canada étaient fausses ou pouvaient être interprétées de façon diffamatoire.
[35] Finalement, les défendeurs font valoir que les demandeurs n’ont pas démontré en fait ou en droit qu’une atteinte à la vie privée justifie une action en justice. Aucun document sur la propriété des demandeurs n’a été divulgué au voisin de M. Pinder.
[36] En conclusion, les défendeurs soutiennent que la seule véritable question litigieuse découlant de ces requêtes est l’interprétation du Règlement et que cette question peut être tranchée dans un jugement sommaire.
B. Requête des demandeurs
[37] En réponse à la requête de jugement sommaire soumise par les défendeurs, les demandeurs ont soumis leur propre requête, conformément aux règles concernant les jugements sommaires et les procès sommaires.
[38] De façon générale, les demandeurs font valoir que le Règlement ne fait nulle mention des terrasses. Bien que l’article 7 du Règlement exige un permis d’aménagement pour un chalet ou une dépendance, aucun de ces termes n’englobe les terrasses.
[39] Les demandeurs estiment que les défendeurs mettent l’accent sur la définition du terme « cour » comme excluant les terrains couverts par une structure. Or, ils affirment que la définition de « cour latérale » (side yard) ne fait nullement mention de « structures », mais bien de chalets, de dépendances et de saillies.
[40] Ils soutiennent qu’une terrasse ne fait pas partie intégrante d’un chalet, d’une dépendance ou d’une saillie et qu’elle n’est donc pas prise en compte dans le calcul de la largeur de la cour latérale.
[41] Les demandeurs estiment que la définition de « dépendance » (accessory building) dans le Règlement désigne un bâtiment ou une structure situés sur un lotissement pour chalet, mais qui ne fait pas partie du chalet. La définition de « largeur de la cour latérale » utilise les mots « dépendance principale » (main accessory building) et ce terme n’est pas défini. Ils soutiennent que l’utilisation du terme « dépendance » dans certaines parties du Règlement et du terme « dépendance principale » dans d’autres parties montre que les rédacteurs considéraient que différents bâtiments et différentes structures étaient appropriés aux limites des terrains des chalets. Le terme « dépendance principale » est utilisé pour déterminer la largeur des cours latérale et arrière.
[42] Les demandeurs soutiennent également que la terrasse n’est pas considérée comme une « dépendance ». Selon l’alinéa 6(1)b) du Règlement, la « dépendance » doit se trouver à au moins cinq mètres du chalet. Ils avancent que si une terrasse est considérée comme une « dépendance », toutes les terrasses sur le site seraient alors non conformes.
[43] Dans un même ordre d’idée, les demandeurs estiment que le mot « principale » est également important. Ils suggèrent qu’une « dépendance principale » désigne un garage, un hangar à bateau ou une remise.
[44] Les demandeurs font valoir que le terme « saillie » n’englobe pas les terrasses, qu’une saillie est un élément qui s’avance à partir d’une structure principale de plus grande taille, comme un avant-toit.
[45] Les demandeurs soutiennent que le Règlement n’exige pas de permis pour la construction d’une terrasse. Ces permis sont plutôt exigés pour les chalets et les dépendances.
[46] De même, ils soutiennent que même si un permis était requis pour construire une terrasse, les travaux effectués en 2005 étaient des réparations, qui sont assujetties à l’article 9 du Règlement.
[47] Les demandeurs avancent que la terrasse supplémentaire construite du côté est du chalet est une structure autonome distincte et qu’il s’agit d’une question distincte de la terrasse qui fait l’objet du litige actuel.
[48] Les demandeurs affirment que les travaux effectués du côté sud étaient limités au remplacement de la surface. Ils soutiennent que l’allégation des défendeurs, selon laquelle la terrasse a été entièrement reconstruite, n’est pas fondée.
[49] Dans le cas où il serait établi que la terrasse est assujettie au Règlement, les demandeurs soumettent un autre argument. Selon eux, les défendeurs ne sont pas en droit de mettre fin à leur bail en raison de l’exemption précédente à l’obligation de retrait de la cour latérale, accordée lorsque le chalet a été approuvé dans une lettre datée du 14 août 1995. En se fondant sur la décision de l’arrêt Maracle c. Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 R.C.S. 50, au paragraphe 13, ils soutiennent que la confirmation par l’Agence Parcs Canada, en 1995, qu’elle n’obligerait pas le retrait de la cour latérale lors de l’approbation de l’aménagement donne lieu à une préclusion promissoire.
[50] Les demandeurs se fondent également sur la décision rendue dans l’arrêt Forbes c. Caledon (Town) (2009), 57 M.P.L.R. (4e) 19 (Cour supérieure de justice de l’Ontario), dans laquelle la cour affirmait que la ville n’était pas en droit de faire observer un règlement administratif en raison de la représentation faite antérieurement par la ville de ce qui constitue un cas de conformité. Les demandeurs soutiennent que l’application du Règlement n’est pas obligatoire.
[51] Les demandeurs se sont également fondés sur la décision rendue dans l’arrêt Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281, où la Cour suprême du Canada a conclu que des pouvoirs moindres ou un exercice plus restreint du pouvoir discrétionnaire pour les représentants de niveaux inférieurs étaient plus susceptibles d’être assujettis à une préclusion promissoire. Ils avancent que dans le cas présent, il est question d’un faible pouvoir discrétionnaire.
[52] Les demandeurs soutiennent également que l’Agence Parcs Canada n’est pas seulement un organisme de réglementation, mais constitue également une partie dans une relation commerciale de par son statut de donneur à bail. Ils soutiennent que bien que le bail soit assujetti au Règlement, la clause 8 du bail envisage l’exemption par le ministre d’une dérogation au bail.
[53] Les demandeurs font valoir que la lettre datée du 14 août 1995 constitue une exemption qui lie maintenant l’Agence Parcs Canada. Ils soutiennent qu’ils se sont fiés à l’inspection et à l’approbation de la propriété par l’Agence Parcs Canada, à leur détriment, et qu’ils doivent maintenant composer avec des relations tendues avec leurs voisins et la possibilité de perdre leur propriété si leur bail est résilié.
[54] Les demandeurs soutiennent que cette situation a porté atteinte à l’intégrité de M. Pinder et que les relations de la famille avec ses voisins sont maintenant tendues en raison des allégations des défendeurs.
[55] Les demandeurs affirment également que la conduite fautive des défendeurs leur donne droit à des dommages-intérêts généraux et à des dommages-intérêts punitifs, ainsi qu’à des dépens avocat-client. Ils font référence aux maintes réfutations par l’Agence Parcs Canada de l’approbation du chalet et de la terrasse dans une lettre datée du 14 août 1995, à ses allégations que la terrasse a été modifiée après l’inspection effectuée en juin 1995 et à l’invocation par les défendeurs d’un projet de Règlement qui n’était pas en vigueur comme fondement factuel à la faute intentionnelle des défendeurs.
C. Réponse des défendeurs à la requête des demandeurs
[56] En réponse aux arguments des demandeurs concernant l’interprétation et l’application du Règlement, les défendeurs affirment que l’exercice de l’autorité du ministre dans le litige actuel est principalement une question de droit public. Le bail n’est pas une question purement contractuelle, puisqu’il est assujetti à la Loi sur les parcs nationaux du Canada et au Règlement, en se fondant sur la décision rendue dans l’arrêt Sunshine Village c. l’Agence Parcs Canada et Sa Majesté la Reine du chef du Canada (2014), 457 R.C.F. 119 (C.F.).
[57] Quant aux arguments des demandeurs concernant la préclusion, les défendeurs répliquent que le fait qu’ils n’aient pas donné suite à chacune des infractions au Règlement ne donne pas lieu à une préclusion à l’égard des demandeurs, en se fondant sur la décision rendue dans l’appel Polai c. the Corporation of the City of Toronto, [1973] R.C.S. aux paragraphes 38 à 41, où la cour a déterminé que la non-application d’un règlement administratif ne constitue pas une défense de la non-conformité.
V. DISCUSSION ET PROCÉDURE
[58] Les requêtes des parties pour jugement sommaire sont régies par les articles 215 et 216 des Règles des Cours fédérales. L’article 215 stipule que la Cour peut trancher les questions de fait et de loi dans une requête.
[59] Lorsque des requêtes concurrentes sont soumises pour jugement sommaire, la Cour évalue chacune séparément, en déterminant le fardeau qui repose sur chacune des parties requérantes. Selon la décision rendue dans l’arrêt Collins c. Sa Majesté la Reine, [2014] D.T.C. 5066 (C.F.), il incombe à la partie requérante dans chaque requête de montrer qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse. La partie intimée n’a pas à réfuter les allégations.
[60] Il est difficile de démontrer l’absence de véritables questions litigieuses; voir la décision rendue dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Lameman, [2008] 1 R.C.S. 372, au paragraphe 11.
[61] Un jugement sommaire ne doit être rendu que dans les cas les plus clairs. Dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, [2014] 1 R.C.S. 87, la Cour suprême du Canada a commenté l’émission d’un jugement sommaire dans le contexte des Règles de procédure civile de l’Ontario, comme suit :
[49] Il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête en jugement sommaire. Ce sera le cas lorsque la procédure de jugement sommaire (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.
[62] Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a commenté l’application de l’arrêt Hryniak à une requête de jugement sommaire conformément aux Règles. Au paragraphe 11 de l’affaire Manitoba c. Canada, 2015 C.A.F 57, le juge Stratas a émis le commentaire suivant :
Je reconnais que l’arrêt Hryniak est pertinent en ce qui a trait aux questions qui se posent à nous en matière de jugements sommaires, mais à mon sens, il l’est uniquement dans la mesure où il nous rappelle certains des principes présents dans nos propres règles. L’arrêt n’a pas d’incidence réelle sur la procédure à suivre et les normes à appliquer par la Cour fédérale lorsqu’elle est saisie d’une requête en jugement sommaire au titre du paragraphe 215(1) des Règles.
[63] Conformément au paragraphe 215(1) des Règles, la Cour rendra un jugement sommaire en l’absence d’une véritable question litigieuse. Selon les défendeurs, l’interprétation du Règlement est la seule véritable question à trancher dans la requête de jugement sommaire soumise. Ils soutiennent, comme susmentionné, que les autres allégations avancées par les demandeurs relativement à la diffamation, à l’atteinte à la vie privée et à la faute intentionnelle commise ne soulèvent aucune véritable question litigieuse et devraient être rejetées sommairement à ce stade.
[64] Pour leur part, les demandeurs souhaitent un jugement sommaire, conformément à l’article 215. Ils se fondent sur le paragraphe 215(3), soutenant que si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question litigieuse, elle peut trancher cette question par voie de procès sommaire, conformément à l’article 216.
[65] Dans l’arrêt Teva Canada Limited c. Wyeth LLC (2011), 99 C.P.R. (4e) 398 (C.F.), appel accueilli pour d’autres motifs (2012) 431 N.R. 342 (C.A.F), le juge Hughes a examiné une requête de procès sommaire au paragraphe 34, en établissant les conditions dans lesquelles un procès sommaire est approprié, comme suit :
[34] Dans le cas présent, j’estime qu’un procès sommaire est une façon de procéder appropriée afin d’assurer un règlement juste, rapide et moins coûteux des questions soumises à la Cour. Ma décision est fondée sur les motifs suivants :
a. les questions sont clairement définies et, bien qu’il soit possible que la résolution des questions ne résolve pas chaque question en litige, il s’agit de questions importantes, ce qui signifie que leur résolution permettra de régler le litige, ou ce qui en reste, plus rapidement ou entre des parties agissant de bonne foi;
b. les faits nécessaires pour régler les questions sont décrits clairement dans la preuve;
c. la preuve n’est pas controversée et il n’y a aucun problème de crédibilité; et
d. les questions de loi, bien qu’elles soient nouvelles, peuvent être réglées aussi facilement maintenant qu’elles l’auraient été au terme d’un procès complet.
[66] Les autres facteurs pertinents consistent à déterminer si le procès prendra un temps considérable, s’il existe un risque important de perte de temps et d’effort, quels seront les coûts d’un procès complet par rapport aux montants réclamés, si des contre-interrogatoires ont été effectués et si un procès sommaire aboutirait à des procédures fragmentaires; voir les décisions rendues dans les arrêts Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Can. (2010), 87 C.P.R. (4e) 412 et Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Maple Leaf Sports & Entertainments, 2010 CF 731.
[67] D’abord, je vais discuter de la requête des défendeurs. Les défendeurs soulèvent quatre questions, soit l’interprétation et la portée du Règlement ainsi que les allégations de diffamation, d’atteinte à la vie privée et de faute intentionnelle de la part des demandeurs.
[68] Je suis convaincue que la première question abordée par les défendeurs constitue une cause réelle nécessitant une interprétation législative. Toutefois, à la lumière de la réponse des demandeurs aux arguments des défendeurs et de la propre requête de jugement sommaire et de procès sommaire des demandeurs, la question peut être tranchée selon la disposition de ces requêtes, puisque les demandeurs ont soulevé la même question d’interprétation et de portée, mais d’un autre point de vue.
[69] Les dispositions suivantes de la Loi sur les parcs nationaux du Canada sont pertinentes à la présente instance :
2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi. |
2. (1) The definitions in this subsection apply in this Act. |
« intégrité écologique » L’état d’un parc jugé caractéristique de la région naturelle dont il fait partie et qui sera vraisemblablement maintenu, notamment les éléments abiotiques, la composition et l’abondance des espèces indigènes et des communautés biologiques ainsi que le rythme des changements et le maintien des processus écologiques. |
“ecological integrity” means, with respect to a park, a condition that is determined to be characteristic of its natural region and likely to persist, including abiotic components and the composition and abundance of native species and biological communities, rates of change and supporting processes. |
8. (1) Les parcs, y compris les terres domaniales qui y sont situées, sont places sous l’autorité du ministre; celui-ci peut, dans l’exercice de cette autorité, utiliser et occuper les terres domaniales situées dans les parcs. |
8. (1) The Minister is responsible for the administration, management and control of parks, including the administration of public lands in parks and, for that purpose, the Minister may use and occupy those lands. |
(2) La préservation ou le rétablissement de l’intégrité écologique par la protection des ressources naturelles et des processus écologiques sont la première priorité du ministre pour tous les aspects de la gestion des parcs. |
(2) Maintenance or restoration of ecological integrity, through the protection of natural resources and natural processes, shall be the first priority of the Minister when considering all aspects of the management of parks. |
[70] Les dispositions suivantes du Règlement sont en cause :
2. Dans le présent règlement, |
2. In these Regulations, |
« dépendance » désigne une construction ou un bâtiment situé sur un lot mais ne faisant pas partie du chalet; (accessory building) |
“accessory building” means a building or structure on a cottage lot that does not form part of the cottage; (dépendance) |
« chalet » désigne un bâtiment aménagé de façon à pouvoir y dormir, y faire la cuisine, y manger et possédant des installations sanitaires; (cottage) |
“cottage” means a building with facilities for sleeping, cooking, eating and sanitation; (chalet) |
« cour latérale » désigne la partie du terrain qui s’étend de la limite latérale du terrain à la partie la plus rapprochée d’un chalet ou d’une dépendance principale, abstraction faite des saillies; (side yard) |
“side yard” means that area of a lot between the side lot line and the nearest part of a cottage or main accessory building, clear of projections; (cour latérale) |
« largeur de la cour latérale » désigne la distance, mesurée horizontalement, entre le point le plus rapproché de la limite latérale du terrain et la partie la plus rapprochée d’un chalet ou d’une dépendance principale, abstraction faite des saillies; (side yard width) |
“side yard width” means the distance measured horizontally from the nearest point of the side lot line toward the nearest part of a cottage or main accessory building, clear of projections; (largeur de la cour latérale) |
« cour » désigne la surface qui, à l’intérieur des limites de propriété d’un lot, n’est pas couverte par un bâtiment ou une autre construction; (yard) |
“yard” means the land contained within the property lines of a cottage lot that is not covered by a building or other structure. (cour) |
5. (1) Les chalets construits, modifiés, reconstruits ou agrandis après l’entrée en vigueur du présent règlement doivent être conformes aux spécifications suivantes: |
5. (1) Every cottage erected, altered, reconstructed, added to or enlarged after the coming into force of these Regulations shall comply with the following requirements: |
c) la largeur de la cour latérale non contiguë à une rue doit être d’au moins deux mètres; |
(c) the side yard width not abutting a street shall be at least two metres; |
6. Les dépendances construites, modifiées, reconstruites ou agrandies après l’entrée en vigueur du présent règlement doivent être conformes aux spécifications suivantes: |
6. Every accessory building erected, altered, reconstructed, added to or enlarged after the coming into force of these Regulations shall comply with the following requirements: |
b) la dépendance doit (i) se trouver à au moins cinq mètres du chalet, abstraction faite des saillies, et (ii) être, abstraction faite des saillies, à au moins |
(b) the accessory building shall be located (i) at least five metres from the cottage, clear of all projections, (ii) clear of all projections, at least |
(A) un mètre des limites du terrain, si elles sont situées dans une cour latérale ou arrière qui ne donne pas sur une rue, ou |
(A) one metre from the lot lines, if it is located in that portion of a side or rear yard that does not abut on a street, or |
7. (1) Sous réserve de l’article 9, il est interdit de construire, de modifier, de reconstruire, d’agrandir, de démolir, de déménager, ou de déplacer sur le même lot, un chalet ou une dépendance, ou d’en réparer la charpente, avant que le directeur ne délivre un permis d’aménagement à cette fin. |
7. (1) Subject to section 9, no person shall erect, alter, reconstruct, repair the structure of, add to, enlarge, demolish, remove from a cottage lot or relocate on the same cottage lot a cottage or an accessory building unless a development permit for that purpose has first been issued by the superintendent. |
9. Il n’est pas nécessaire d’obtenir un permis d’aménagement pour les réparations d’entretien normal d’une dépendance ou d’un chalet situé sur un lot, si elles ne concernent pas la charpente, n’en augmentent pas les risques d’incendie ou n’en modifient pas considérablement l’aspect extérieur. |
9. No development permit is required for repairs made in the course of normal maintenance of a building on a cottage lot that would not affect the structural integrity or susceptibility to fire of a cottage or an accessory building or substantially change its exterior appearance. |
[71] La Cour suprême a affirmé à plusieurs reprises que l’objectif de l’interprétation législative consiste à discerner l’intention du législateur en interprétant les termes des dispositions visées d’après une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble; voir la décision dans l’arrêt Ré: Sonne c. Fédération des associations de propriétaires de cinémas du Canada, [2012] 2 R.C.S. 376, au paragraphe 31, citant Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.
[72] La terrasse est le principal fait ayant donné lieu à la présente instance et aux présentes requêtes de jugement sommaire et, dans le cas des demandeurs, à la requête de jugement sommaire. Les défendeurs soutiennent que la terrasse n’est pas conforme au Règlement. La détermination de la conformité nécessite une interprétation du Règlement.
[73] La terrasse a été initialement construite en 1994-1995. Elle a été agrandie et réparée en 2005-2006. La deuxième question consiste à déterminer si les travaux effectués en 2005 et 2006 nécessitaient un permis.
[74] La Loi sur les parcs nationaux du Canada ne fournit pas de définition du mot « terrasse ». Dans le Canadian Oxford Dictionary, 2e édition, le mot « terrasse » (deck) se définit comme suit :
6 any floor or platform, esp. the floor of a pier or a platform for sunbathing (plancher ou plateforme, plus particulièrement le plancher d’une jetée ou une plateforme servant à prendre des bains de soleil). 7 N Amer. a level unroofed area, usu. of wooden planks, adjoining a house to provide an outdoor seating space (zone non couverte et plane, généralement faite de planches de bois, adjacente à une maison et offrant un espace pour s’asseoir à l’extérieur).
[75] La principale définition en cause dans le Règlement est celle du terme « largeur de la cour latérale ». Pour en faciliter la consultation, la définition est fournie ci-dessous :
2. Dans le présent règlement, |
2. In these Regulations, |
« largeur de la cour latérale » désigne la distance, mesurée horizontalement, entre le point le plus rapproché de la limite latérale du terrain et la partie la plus rapprochée d’un chalet ou d’une dépendance principale, abstraction faite des saillies; (side yard width) |
“side yard width” means the distance measured horizontally from the nearest point of the side lot line toward the nearest part of a cottage or main accessory building, clear of projections; (largeur de la cour latérale) |
[76] Les demandeurs soutiennent qu’une terrasse est une saillie (projection), ce qui l’exempte du Règlement, plus particulièrement les articles 5, 6 et 7, qui définissent les exigences relatives au retrait pour les chalets et les dépendances, et l’obligation d’obtenir un permis d’aménagement avant d’amorcer toute construction touchant un chalet ou une dépendance. Les demandeurs se fondent sur les mots « abstraction faite des saillies » dans la définition de « largeur de la cour latérale ».
[77] Selon la définition de « largeur de la cour latérale », la distance est mesurée entre le point le plus rapproché de la limite latérale du terrain et la partie la plus rapprochée d’un chalet ou d’une dépendance principale, abstraction faite des saillies.
[78] La terrasse fait-elle partie du chalet ou d’une autre structure? La terrasse fait-elle partie du chalet, ou s’agit-il d’une dépendance principale?
[79] Le terme « dépendance » est défini comme suit :
2. Dans le présent règlement, |
2. In these Regulations, |
« dépendance » désigne une construction ou un bâtiment situé sur un lot mais ne faisant pas partie du chalet; (accessory building) |
“accessory building” means a building or structure on a cottage lot that does not form part of the cottage; (dépendance) |
[80] Dans le Règlement, le terme « chalet » est défini comme suit :
2. Dans le présent règlement, |
2. In these Regulations, |
« chalet » désigne un bâtiment aménagé de façon à pouvoir y dormir, y faire la cuisine, y manger et possédant des installations sanitaires; (cottage) |
“cottage” means a building with facilities for sleeping, cooking, eating and sanitation; (chalet) |
[81] Il m’apparaît évident que la terrasse n’est pas un chalet. Selon moi, la terrasse n’est pas une dépendance non plus. Bien qu’il s’agisse d’une « structure », ce n’est pas un bâtiment selon la définition du dictionnaire; voir le Canadian Oxford Dictionary, 2e édition, qui définit le terme comme suit :
1 a permanent fixed structure forming an enclosure and providing protection from the elements etc. (e.g. an office building, school, house, etc.) [structure permanente fixe formant une enceinte et assurant une protection contre les éléments (c.-à-d. édifice à bureaux, école, maison, etc.)]
[82] Selon moi, la terrasse est une structure dont le principal objectif est de permettre de mieux profiter du chalet. Elle est subordonnée à l’usage du chalet, qui est principalement d’accueillir les résidents. La terrasse n’est utile qu’en lien avec une structure principale, qui est le chalet.
[83] Selon les photographies jointes comme pièces de l’affidavit de Terrence Schneider, fait sous serment le 2 octobre 2014, la terrasse est contiguë au chalet; il n’y a pas d’espace apparent entre le chalet et la terrasse. La terrasse fait, à toutes fins pratiques, partie intégrante du chalet.
[84] Bien que physiquement, la terrasse fasse partie du chalet, dans la mesure où elle fait saillie, sa seule fonction utile est de faire partie du chalet. Selon moi, la terrasse n’est pas une saillie et, par conséquent, elle n’est pas concernée par l’exception accordée aux saillies, comme les avant-toits, par exemple.
[85] Dans le Oxford English Dictionary, 2e édition, le mot « saillie » (projection) est défini comme suit :
III. 5. a. The action of placing a thing or part so that it sticks our stands out, or projects beyond the general line or surface; the fact or condition of being so placed as to project (Action de placer un objet ou une pièce de façon qu’elle fasse saillie ou qu’elle soit projetée au-delà de la ligne générale ou de la surface; fait ou état d’être placé de façon à faire saillie).
…
c. concr. Anything which projects or extends beyond the adjacent surface; a projecting part (Tout élément qui fait saillie ou se prolonge au-delà de la surface adjacente; partie qui déborde).
[86] Si la terrasse est une « dépendance principale » et ne fait pas partie intégrante du chalet, le résultat est le même. Elle n’est pas exclue du calcul de la largeur de la cour latérale.
[87] Même s’il s’agissait d’une saillie, je considérerais la terrasse comme non conforme. J’estime que les mots « abstraction faite des saillies » signifient que les saillies doivent être exclues du calcul de la largeur de la cour latérale.
[88] Dans l’interprétation du Règlement, il faut tenir compte des versions anglaise et française. L’article 13 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.), est libellé comme suit :
13. Tous les textes qui sont établis, imprimés, publiés ou déposés sous le régime de la présente partie dans les deux langues officielles le sont simultanément, les deux versions ayant également force de loi ou même valeur. |
13. Any journal, record, Act of Parliament, instrument, document, rule, order, regulation, treaty, convention, agreement, notice, advertisement or other matter referred to in this Part that is made, enacted, printed, published or tabled in both official languages shall be made, enacted, printed, published or tabled simultaneously in both languages, and both language versions are equally authoritative. |
[89] Dans l’arrêt R c. Daoust, [2004] 1 S.C.R. 217, au paragraphe 28, la Cour suprême du Canada formule le commentaire suivant sur l’interprétation des textes législatifs bilingues :
... S’il y a ambiguïté dans une version de la disposition et pas dans l’autre, il faut tenter de concilier les deux versions, c’est-à-dire chercher le sens qui est commun aux deux versions : Côté, op. cit., p. 413. Le sens commun favorisera la version qui n’est pas ambiguë, la version qui est claire : Côté, op. cit., p. 413-414; voir Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, p. 614; Kwiatkowsky c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] 2 R.C.S. 856, p. 863.
[90] La portée des mots « largeur de la cour latérale » dépend de la signification donnée aux mots « abstraction faite des saillies ».
[91] Les défendeurs soutiennent que les terrasses sont des « saillies » et que l’expression « abstraction faite des saillies » signifie que la distance doit être mesurée du point d’extrémité de la saillie jusqu’au point le plus rapproché de la limite latérale du terrain.
[92] Les demandeurs font valoir que les terrasses ne sont pas des « saillies ». De même, ils soutiennent que la version française du Règlement, « abstraction faite des saillies », est claire. La distance doit être mesurée entre la partie la plus rapprochée d’un chalet ou d’une dépendance principale et le point le plus rapproché de la limite latérale du terrain.
[93] Selon le Le Robert & Collins Dictionnaire Français-Anglais, 8e édition, les mots « abstraction faite » sont définis comme suit :
… Faire ~ de to set ou leaving aside, to disregard; En faisant ~ ou ~ faite des difficultés setting aside ou leaving aside ou disregarding the difficulties.
[94] Dans le LaRousse Dictionnaire Français-Anglais, 1re édition, les mots « abstraction faite de » sont définis comme suit :
… ~ faite de apart from, leaving aside
[95] Dans le LaRousse Dictionnaire Français-Anglais, 1re édition, le mot « saillie » est défini comme suit :
Nf 1. [d/un mur, d’une montagne] ledge; [d’un os] protuberance… 2. CONSTR projection …
[96] Le Le Robert & Collins Dictionnaire Français-Anglais, 8e édition, définit le terme « saillie » comme suit :
Nf 1. (= aspérité) projection …
[97] La définition courante en anglais et en français de l’expression « largeur de la cour latérale » (side yard width) exclut les saillies. Par conséquent, la largeur de la cour latérale doit être mesurée entre la partie la plus rapprochée d’un chalet, d’une dépendance principale ou d’une saillie et le point le plus rapproché de la limite latérale du terrain.
[98] Selon les éléments de preuve présentés, la terrasse s’étend jusqu’à la limite latérale du terrain du côté sud. Physiquement, il n’y a aucun espace inoccupé entre le chalet et la limite latérale sud. La terrasse n’est pas conforme à l’alinéa 5a) du Règlement, qui exige un retrait de deux mètres.
[99] La question suivante consiste à déterminer si les travaux effectués en 2005 et 2006 nécessitaient un permis. Selon ma décision précédente, la réponse est « oui ». Je fais référence au paragraphe 7(1) et à l’article 9 du Règlement, qui décrivent les circonstances dans lesquelles un permis est requis. En gros, un permis est requis pour la construction et la réparation des chalets.
[100] Les demandeurs soutiennent que les travaux effectués étaient des travaux d’entretien normaux effectués sur un bâtiment construit sur un lotissement pour chalet et qu’ils font donc partie des exemptions indiquées à l’article 9 du Règlement. L’article 9 du Règlement est libellé comme suit :
9. Il n’est pas nécessaire d’obtenir un permis d’aménagement pour les réparations d’entretien normal d’une dépendance ou d’un chalet situé sur un lot, si elles ne concernent pas la charpente, n’en augmentent pas les risques d’incendie ou n’en modifient pas considérablement l’aspect extérieur. |
9. No development permit is required for repairs made in the course of normal maintenance of a building on a cottage lot that would not affect the structural integrity or susceptibility to fire of a cottage or an accessory building or substantially change its exterior appearance. |
[101] Selon moi, compte tenu du fait que les réparations effectuées ont affecté l’intégrité structurelle de la terrasse et du chalet, l’article 9 ne s’applique pas. Les réparations étaient rendues nécessaires par le fait que les pilotis, qui soutiennent la terrasse et le chalet, s’étaient déplacés. Il est clair que l’intégrité structurelle du chalet et de la terrasse était touchée.
[102] Est-ce que la doctrine de préclusion peut s’appliquer pour empêcher les défendeurs de mettre fin au bail?
[103] Selon moi, la réponse à cette question réside dans la décision de l’arrêt Immeubles, précité, où la Cour a déclaré qu’une préclusion ne peut être invoquée comme défense en cas d’utilisation non conforme. Quoi qu’il en soit, la préclusion ne peut être appliquée aux autorités publiques lorsqu’une promesse faite par l’autorité publique était illégale ou contraire à des dispositions législatives claires; voir l’arrêt Immeubles, précité, aux paragraphes 21 et 30. Les articles 5, 7 et 9 du Règlement sont des dispositions claires et obligatoires et les défendeurs ne sont pas autorisés à consentir à une structure non conforme.
[104] Finalement, il reste à répondre aux arguments des défendeurs concernant les allégations de diffamation, d’atteinte à la vie privée et de faute intentionnelle soumises par les demandeurs. Les défendeurs soutiennent qu’à la lumière des éléments de preuve présentés, aucune de ces allégations ne constitue une cause réelle.
[105] Je suis convaincue que l’allégation de diffamation n’est pas fondée. Cette allégation exige une preuve, selon la prépondérance des probabilités, que les propos reprochés étaient diffamatoires, en ce sens qu’ils seraient susceptibles de nuire à la réputation des demandeurs aux yeux d’une personne raisonnable, et que ces propos ont été publiés, ce qui signifie qu’ils ont été communiqués à au moins une personne autre que les demandeurs; voir la décision de l’arrêt Grant c. Torstar Corp., [2009] 3 R.C.S. 640, au paragraphe 28.
[106] Une fois que le demandeur a fait la preuve des éléments requis, le fardeau est transféré aux défendeurs, qui doivent se défendre contre les allégations. La défense avancée par les défendeurs dans la présente procédure est que les allégations faites par les représentants de l’Agence Parcs Canada étaient, pour l’essentiel, véridiques. Selon les éléments de preuve fournis, j’estime que les allégations faites par l’Agence Parcs Canada étaient véridiques.
[107] Les demandeurs présentent une allégation d’atteinte à la vie privée et réclament des dommages. À l’heure actuelle, la loi ne reconnaît pas de délit en common law pour les atteintes à la vie privée. Certaines provinces ont établi des lois assurant un droit d’action en cas d’atteinte à la vie privée; je fais référence à la Privacy Act, R.S.B.C. 1996, ch. 373; à la Loi sur la protection de la vie privée, C.C.S.M., ch. P125; à la Privacy Act, R.S.N.L. 1990, ch. P-22 et à la Privacy Act, R.S.S. 1978, ch. P-24.
[108] Récemment, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu le délit d’intrusion dans la solitude dans sa décision rendue dans l’arrêt Jones c. Tsige (2012), 108 O.R. (3d) 241. Les demandeurs n’ont pas démontré que leur demande de dommages pour atteinte à la vie privée relève de la compétence des tribunaux. En d’autres termes, ils n’ont pas démontré l’existence d’une cause d’action reconnue pour atteinte à la vie privée.
[109] Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’une véritable question litigieuse relativement à cette allégation, si bien que la requête de jugement sommaire soumise par les défendeurs en réponse à cette allégation est accordée.
[110] Quant à l’allégation de faute intentionnelle commise par des employés des défendeurs, cette allégation semble relever du délit d’abus de pouvoir dans une charge publique. Ce délit requiert la preuve qu’un fonctionnaire a adopté une conduite délibérée et illégale en sa capacité de fonctionnaire et qu’il était conscient que sa conduite était illégale et susceptible de causer un tort aux défendeurs; voir la décision dans l’arrêt Fiducie Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263, au paragraphe 23.
[111] Je ne suis pas convaincue que les éléments de preuve soumis par les demandeurs établissent cette cause d’action. Les défendeurs bénéficient de la maxime omnia praesumuntur rite et solemniter esse donec probetur in contrarium. En l’absence d’une preuve du contraire, les actions d’un fonctionnaire sont présumées être correctes; voir la décision dans l’arrêt J.R. Moodie Co. c. le ministre du Revenu national, [1950] 2 D.L.R. 145, au paragraphe 158 (C.S.C.). Les demandeurs n’ont pas démontré que leur allégation de faute intentionnelle constitue une véritable question litigieuse.
[112] Par conséquent, la requête des défendeurs est accordée avec dépens et la requête des demandeurs est rejetée.
JUGEMENT
[113] LA COUR accueille la requête des défendeurs avec dépens et rejette la requête des demandeurs.
« E. Heneghan »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1183-13 |
INTITULÉ : |
HERB C. PINDER JR., JOHN WEDGE ET TOM MOLLOY, FIDUCIAIRES DE LA FIDUCIE DE LA FAMILLE PINDER c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET L’AGENCE PARCS CANADA |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Saskatoon (Saskatchewan) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 27 mai 2015 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE HENEGHAN |
DATE : |
Le 9 décembre 2015 |
COMPARUTIONS :
Douglas Hodson |
Pour les demandeurs/défendeurs |
Marlon Miller |
Pour les défendeurs/demandeurs |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M.L.T. WESTERN CANADA’S LAW FIRM Partenaire Saskatoon (Saskatchewan) |
Pour les demandeurs/défendeurs |
MINISTÈRE DE LA JUSTICE Avocat Saskatoon (Saskatchewan) |
Pour les défendeurs/demandeurs |