Date : 20151118
Dossier : T-396-13
Référence : 2015 CF 1292
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2015
En présence de l’honorable juge Kane
ENTRE : |
LA CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA |
demanderesse/requérante |
et |
THE KENNEDY INSTITUTE OF RHEUMATOLOGY |
défendeur/intimé |
ET ENTRE : |
THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH, JANSSEN BIOTECH, INC., JANSSEN INC. ET CILAG GMBH INTERNATIONAL |
demanderesses reconventionnelles/intimées |
et |
LA CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA, CELLTRION HEALTHCARE CO. LTD. ET CELLTRION INC. |
défenderesses reconventionnelles/requérantes |
ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS
I. Aperçu
[1] Il s’agit d’un appel de l’ordonnance que la protonotaire Martha Milczynski a rendue le 15 janvier 2015 à la suite de la requête de la Corporation de soins de la santé Hospira (la Corporation Hospira), de Celltrion Healthcare Co. Ltd. et de Celltrion Inc. (collectivement, les appelantes) en vue de contraindre les intimés, le Kennedy Institute of Rheumatology et la Kennedy Trust for Rheumatology Research (Kennedy), à répondre à des questions auxquelles il a été refusé de répondre à l’interrogatoire préalable du représentant de Kennedy.
[2] Le litige sous-jacent est une action en invalidation de brevet. Les appelantes, les demanderesses dans l’action sous-jacente, sollicitent une déclaration portant que les revendications 1 à 42 du brevet canadien no 2 261 630 sont invalides et que le produit qu’elles proposent ne les contrefera pas. Les intimés, les défendeurs dans l’action sous-jacente, ont déposé une demande reconventionnelle et sollicitent une déclaration portant que les revendications du brevet sont valides et que les appelantes ont contrefait ce dernier ou le contreferont. Janssen Biotech Inc, Janssen Inc. et CILAG GmbH International, qui sont des licenciées ainsi que des distributrices et des fabricantes des licenciées (Janssen), sont des demanderesses reconventionnelles. Celltrion Healthcare Co Ltd et Celltrion Inc. sont des défenderesses reconventionnelles. La clôture des actes de procédure a eu lieu le 28 janvier 2014.
[3] Le 24 février 2014, la Cour a rendu une ordonnance de disjonction; les questions de responsabilité seront instruites avant la quantification des dommages-intérêts. L’ordonnance prévoit que l’étape de l’examen de la responsabilité inclura le droit des intimés à des dommages‑intérêts, qu’au cours de cette étape il n’y aura pas de communication de documents ou d’autres interrogatoires préalables portant uniquement sur les questions de quantification, et que le montant des dommages-intérêts sera réglé à l’étape de la quantification.
[4] L’interrogatoire préalable de monsieur Espinasse, le représentant de Kennedy, a eu lieu en mai 2014. Après deux jours complets, et avant la fin de l’interrogatoire, les intimés ont refusé que M. Espinasse recomparaisse. Il leur a été ordonné par la suite de faire comparaître ce dernier pendant deux jours de plus.
[5] Les appelantes ont déposé une requête en vue de contraindre les intimés à répondre à 354 questions qui ont été prises en délibéré ou auxquelles il a été refusé de répondre à l’interrogatoire préalable de M. Espinasse.
[6] La protonotaire Milczynski a entendu la requête les 10 et 11 septembre ainsi que les 1er et 2 octobre 2014 et elle a ordonné aux intimés de répondre à 19 des 354 questions auxquelles il avait été refusé de répondre ou qui avaient été prises en délibéré à l’interrogatoire préalable.
[7] Les appelantes portent maintenant en appel 85 décisions rendues dans le cadre de l’ordonnance.
[8] La Cour signale que l’interrogatoire préalable qui a donné lieu aux refus ainsi qu’à la requête ultérieure a duré deux jours (une période de deux jours de plus a été ordonnée par la suite). L’audition de la requête devant la protonotaire a duré elle aussi quatre jours. L’audition du présent appel a duré un jour. L’examen que la Cour a fait du dossier, y compris les actes de procédure, l’interrogatoire préalable et la transcription de l’audition de la requête, a duré plusieurs jours de plus. Bien qu’elle ait examiné le dossier en détail, la Cour n’a pas une connaissance aussi détaillée de toutes les questions en litige, de l’historique de l’instance et du contexte que celle que la protonotaire a acquise pendant les deux ans durant lesquels elle a géré la présente instance. La Cour a toutefois une connaissance suffisante des questions qui sont en litige dans le présent appel pour rendre une décision. Même s’il était justifié de procéder à un examen de novo, ce qui n’est pas le cas, cet examen nécessiterait nettement plus de temps qu’un seul jour d’audience et plusieurs jours d’examen supplémentaires. Ces observations font ressortir l’importance du principe de la proportionnalité en tant que facteur à prendre en considération dans le cadre de la gestion d’un litige complexe.
[9] L’audition de la requête devant la protonotaire a donné aux appelantes amplement l’occasion de formuler des observations sur la pertinence des questions pour lesquelles elles souhaitaient obtenir une réponse. Il ressort de la décision de la protonotaire que celle-ci a examiné de manière attentive les arguments des appelantes. Plusieurs de ces décisions sont fondées sur une mise en balance du degré de pertinence de la question ou de la demande et du fait qu’il serait onéreux d’obliger les intimés à fournir une réponse ou des documents, souvent dans des circonstances où ces derniers ont déjà indiqué qu’ils avaient fourni ce qu’ils possédaient, que les renseignements avaient été fournis par d’autres ou que les appelantes ne pouvaient pas expliquer davantage pourquoi les renseignements en question étaient pertinents. Il est arrivé à plusieurs reprises que la protonotaire encourage les appelantes à fournir une explication ou à donner des détails sur la raison pour laquelle une question était pertinente, mais, au lieu de le faire, elles ont préféré considérer que la question avait été rejetée.
[10] Il serait peu pratique de rédiger une décision de plusieurs centaines de pages en vue de traiter de chacune des questions qui a été refusée et de chacun des arguments que les appelantes ont invoqués en appel à l’égard de chacune de ces questions. L’ordonnance de la Cour, aussi longue qu’elle soit, ne peut traiter de chacun des arguments qu’ont invoqués les appelantes à propos des questions auxquelles, selon elles, il aurait fallu ordonner de répondre.
[11] Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.
II. L’ordonnance de la protonotaire
[12] Par une ordonnance datée du 15 janvier 2015, la protonotaire Milczynski a ordonné que l’on réponde, en partie au moins, à dix-neuf des questions, et elle a rejeté le reste de la requête. (Il y a de légères différences quant au nombre des questions qui ont été posées et refusées parce qu’il s’agissait, dans plusieurs cas, de questions à plusieurs volets.)
[13] La protonotaire a fait remarquer que les interrogatoires préalables ont pour objet de faire progresser l’affaire; ces interrogatoires doivent avoir pour but d’obtenir des éléments que la partie adverse a omis, de circonscrire les questions litigieuses et, grâce à la collecte des faits, de [traduction] « donner forme à la preuve contre laquelle la partie doit se défendre au procès, sans risque d’embuscade ou de surprise ».
[14] La protonotaire a ensuite signalé les principes qui régissent la portée des interrogatoires : les questions doivent être pertinentes, en ce sens qu’elles favorisent la cause d’une partie ou nuisent à celle de la partie adverse, il n’est pas nécessaire de répondre aux questions qui obligent à divulguer des renseignements privilégiés, à formuler des hypothèses ou à fournir une opinion juridique ou d’expert, et les questions vagues ou trop générales sont inappropriées. Elle a ajouté que même si les questions susceptibles de mener à une [traduction] « série de recherches » peuvent être pertinentes, il ne faut pas que ces questions s’écartent de la voie normale ou offrent peu de chances d’atteindre le résultat voulu. Enfin, elle a expliqué qu’il est nécessaire d’appliquer le principe de la proportionnalité : il n’est pas obligatoire de répondre à une question qui requiert des efforts excessifs ou coûteux si les renseignements à obtenir sont d’une utilité restreinte et ne favoriseront vraisemblablement pas la position juridique d’une partie.
[15] La protonotaire a conclu que, pour les motifs qu’elle a rendus de vive voix à l’audition de la requête, il n’était pas nécessaire de répondre à un grand nombre des questions. Elle a également conclu que de nombreuses questions avaient été réglées par le fait que les intimés avaient donné des réponses ou convenu de le faire.
III. Les questions en litige
[16] Les questions que soulève le présent appel sont les suivantes :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
2. La décision dans son ensemble doit-elle être révisée de novo?
3. Des décisions particulières doivent-elles être révisées de novo?
IV. La norme de contrôle applicable
[17] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique actuellement aux décisions discrétionnaires des protonotaires est celle qui a été établie dans l’arrêt Canada c Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425, 149 NR 273 (CAF) (Aqua-Gem).
[18] Dans l’arrêt Merck & Co. Inc. c (Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19, [2004] 2 RCF 459, autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée par [2004] CSCR no 80 (Merck), la norme de contrôle antérieurement établie dans l’arrêt Aqua-Gem a été reformulée : « [l]e juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. »
[19] Les protonotaires jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire du fait de leur rôle de gestionnaires d’instance; voir, p. ex., J2 Global Communications Inc. c Protus IP Solutions Inc., 2009 CAF 41, au paragraphe 16, 387 NR 135 (J2 Global) :
[16] Notre Cour a maintes fois réaffirmé qu’en raison de leur connaissance intime du procès et de sa dynamique, les protonotaires et les juges de première instance doivent pouvoir jouir d’une grande latitude dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en matière de gestion des instances (voir également les articles 75 et 385 des Règles des Cours fédérales). Comme notre Cour se tient loin de la mêlée, elle ne doit intervenir que pour empêcher des injustices flagrantes et pour corriger des erreurs graves et évidentes. Or, aucune erreur de cette nature n’a été démontrée en l’espèce. […]
[20] La Cour ne doit intervenir dans la décision d’un protonotaire que « dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé » (Bande de Sawridge c Canada, 2001 CAF 338, au paragraphe 11, [2002] 2 RCF 346 (Bande de Sawridge)). La Cour d’appel fédérale a précisé, dans l’arrêt Apotex Inc. c Merck & Co., 2003 CAF 438, au paragraphe 13, 28 CPR (4th) 491 (Apotex), que ce principe n’autorise pas le protonotaire à priver une partie du droit juridique d’obtenir, lors d’un interrogatoire préalable, que l’on réponde à des questions qui sont pertinentes pour les points soulevés dans les actes de procédure. Le protonotaire doit tenir compte de plusieurs aspects lors de l’interrogatoire préalable, dont la pertinence (au paragraphe 15). D’autres aspects ont été signalés au paragraphe 10 :
[…] La première considération est incontestablement la pertinence. Cependant, si un protonotaire ou un juge estime qu’une question est pertinente, il peut néanmoins refuser d’ordonner d’y répondre si la réponse n’est d’aucun secours à la position juridique de la partie qui interroge, s’il faudrait beaucoup de temps, d’efforts et de dépenses pour obtenir une réponse vraisemblablement de peu de valeur ou encore si la question fait partie d’une « recherche à l’aveuglette » de portée vague et étendue.
[21] Dans la décision Soderstrom c Canada (Procureur général), 2011 CF 575, 2011 DTC 5092 (Soderstrom), au paragraphe 10, le juge Paul Crampton a analysé à la fois le critère énoncé dans l’arrêt Aqua-Gem et le principe selon lequel la déférence s’impose à l’endroit des protonotaires, signalant que le principe énoncé dans l’arrêt J2 Global ne semble pas s’appliquer dans les cas où la question a une influence déterminante sur l’issue du principal :
[10] Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a conclu que les décisions rendues par les protonotaires dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire devaient être confirmées à moins qu’il soit justifié d’intervenir « pour empêcher des injustices flagrantes et pour corriger des erreurs graves et évidentes » (J2 Global Communications, Inc. c. Protus IP Solutions Inc, 2009 CAF 41, au paragraphe 16). Cependant, cette dernière conclusion ne semble viser que le second volet du critère énoncé ci-dessus, parce que la Cour d’appel dans cette affaire était d’accord avec le juge des requêtes pour affirmer que la question en cause n’avait pas une influence déterminante sur l’issue du principal (J2 Global Communications, précité, au paragraphe 15). Sur le fondement d’une décision encore plus récente de la Cour d’appel fédérale, il est clair que la Cour est encore tenue d’effectuer une révision de novo de la décision d’un protonotaire soulevant une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal (Apotex Inc c. Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, aux paragraphes 6 et 9).
[22] Les intimés soutiennent que le critère énoncé dans l’arrêt Aqua-Gem a fait l’objet de divers commentaires au sein de la Cour d’appel fédérale et qu’il semble y avoir un certain appui en faveur du fait de faire preuve de déférence envers la décision du protonotaire, même pour ce qui est des questions ayant une influence déterminante pour l’issue du principal (Apotex Inc. c Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, aux paragraphes 6 à 9, 91 CPR (4th) 307 (Bristol-Myers Squibb)) et du fait de suivre la norme de contrôle qui s’applique habituellement en appel et qui a été énoncée dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 (Housen), soit celle de l’« erreur de fait manifeste et dominante ».
[23] Dans la décision Fraser c Janes Family Foods Ltd., 2011 CF 569, aux paragraphes 11 et 12, 390 FTR 82, le juge Donald Rennie a fait référence à l’arrêt Bristol-Myers Squibb et a signalé que ce dernier exposait une « bonne raison de principe » pour appliquer la norme énoncée dans l’arrêt Housen, mais il a conclu que les commentaires qui y étaient faits constituaient une opinion incidente et s’appliquaient à la norme énoncée dans l’arrêt Aqua-Gem.
[24] Dans la décision Soderstrom, au paragraphe 12, le juge Crampton a lui aussi cité l’arrêt Bristol-Myers Squibb; il a conclu qu’étant donné que la décision du protonotaire avait une influence déterminante pour l’issue du principal, il était tenu de soumettre la décision à une révision de novo. Il a toutefois fait remarquer qu’il trouvait « intéressant l’avis selon lequel il faut faire preuve de retenue envers les décisions rendues par un protonotaire, et ce, même si ces décisions soulèvent une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal ».
[25] En l’espèce, les parties conviennent que la norme de contrôle actuellement en vigueur est celle qui est énoncée dans l’arrêt Aqua-Gem. Les intimés ont évoqué de bons arguments en faveur d’une innovation sur le plan de la norme de contrôle applicable, mais, selon moi, la présente affaire ne s’y prête pas. De plus, l’issue serait la même, que l’on applique le critère énoncé dans l’arrêt Aqua-Gem ou la norme de l’erreur manifeste et dominante.
V. La décision dans son ensemble est-elle manifestement erronée et y a-t-il lieu d’effectuer une révision de novo?
La position des appelantes
[26] Les appelantes sont d’avis que la décision de la protonotaire ne satisfait à aucun des deux volets du critère énoncé dans l’arrêt Aqua-Gem.
[27] La décision de la protonotaire révèle un manque de compréhension à l’égard d’éléments de preuve pertinents ainsi qu’une mauvaise appréciation des faits et, de plus, elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe de droit.
[28] Les appelantes soutiennent que, subsidiairement, ou de surcroît, la protonotaire a exercé irrégulièrement son pouvoir discrétionnaire à l’égard de sujets qui se rapportent à une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal.
[29] Les appelantes soutiennent que l’ordonnance ne traite pas de la raison pour laquelle les questions, de manière individuelle ou par catégorie, ont été rejetées. L’ordonnance fait référence à des motifs exposés de vive voix, mais un grand nombre de ceux-ci étaient [traduction] « inaudibles » dans la transcription. Il est difficile de savoir si les questions ont été rejetées parce qu’elles n’étaient pas pertinentes ou parce que, même si elles étaient pertinentes, elles étaient indûment onéreuses ou par ailleurs irrégulières.
[30] Les appelantes estiment que les intimés n’ont fourni aucune preuve que les questions étaient indûment onéreuses ou auraient exigé un temps, des efforts ou des frais excessifs, qui auraient été disproportionnés par rapport aux résultats. Il n’y a eu que des observations des avocats sur cette question, plutôt qu’un affidavit attestant en quoi ou pourquoi cela aurait été onéreux.
[31] Les appelantes soutiennent que le litige est compliqué, que les parties sont avisées et que les enjeux sont élevés, car la présente instance est liée au médicament le plus vendu au Canada. Ce fait ne devrait pas avoir d’incidence sur la portée de l’interrogatoire préalable, mais les intimés ne peuvent pas se plaindre du temps supplémentaire qu’exigerait la recherche des réponses ou des documents parce qu’ils ont les ressources voulues pour le faire.
[32] Les appelantes invoquent la Directive de pratique de la Cour fédérale, datée du 24 juin 2015 et intitulée « La gestion d’instance : Assurer la proportionnalité dans les litiges complexes en Cour fédérale », qui indique : « [l]es questions doivent recevoir une réponse à moins qu’elles soient manifestement irrégulières ou préjudiciables ou qu’elles nécessitent la divulgation d’une communication privilégiée ».
[33] Les appelantes soutiennent que la protonotaire a rendu une décision de nature générale, fondée sur l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), de façon à trouver une solution expéditive, sans tenir compte d’autres principes, dont le fait que l’on ne peut refuser de fournir des réponses à des questions qui sont pertinentes à l’égard d’un point soulevé dans les actes de procédure et que la justice ne peut être subordonnée à une question de célérité.
[34] Les appelantes allèguent que la protonotaire a commis plusieurs erreurs de droit et de fait.
[35] Les appelantes sont d’avis que la protonotaire a appliqué le mauvais critère de pertinence en demandant si un document était [traduction] « assez pertinent » plutôt que [traduction] « pertinent ». Elle a de plus commis une erreur en demandant des renseignements privilégiés, quelle était la stratégie du procès et de quelle façon des documents seraient utilisés au procès en tant que mesure de leur pertinence.
[36] Les appelantes signalent que le critère de la pertinence est celui de savoir si une chose mènera à des renseignements ou à une série de recherches qui permettront, directement ou indirectement, à une partie de favoriser sa cause ou de nuire à celle de son adversaire (Apotex Inc. c Bristol-Myers Squibb Company, 2007 CAF 379 au paragraphe 30, 162 ACWS (3d) 911). L’interrogatoire préalable a pour but d’informer la partie adverse de la preuve qu’elle doit réfuter. Les interrogatoires et la production de documents doivent comporter une certaine souplesse, et les questions pertinentes ne doivent être rejetées que si elles sont abusives. Les appelantes estiment que la protonotaire n’a pas appliqué la méthode de la « série de recherches »; elle a plutôt adopté une démarche étroite et a imposé irrégulièrement aux appelantes un fardeau plus lourd en leur demandant de faire part de la thèse de leur cause.
[37] Les appelantes soutiennent que la protonotaire a commis une erreur en admettant l’argumentation orale de l’avocat de Kennedy comme preuve du caractère onéreux et des efforts indus, plutôt qu’un affidavit attestant en quoi ou pourquoi une question serait onéreuse.
[38] Les appelantes allèguent également que la protonotaire a commis une erreur en n’exigeant pas que Kennedy réponde à une question parce que Janssen l’avait déjà fait et en n’exigeant pas que Kennedy aide l’avocat de la Corporation Hospira en l’orientant vers une réponse déjà donnée par Kennedy ou Janssen. Les appelantes soutiennent qu’une partie ne peut pas refuser de répondre à une question ou de produire un document parce qu’un codéfendeur a déjà répondu à la question ou produit le document (Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c Naeini (1998), 147 FTR 189, au paragraphe 22, 80 CPR (3d) 132 (Prot.) (Havana House)).
[39] Les appelantes sont d’avis que le témoin de Kennedy, M. Espinasse, était mal informé et mal préparé, ce qui a donné lieu à de nombreux refus et engagements. Les appelantes sont conscientes qu’elles auront la possibilité d’interroger M. Maini, qu’elles ont demandé au départ comme témoin, et qu’elles ont interrogé M. Baker, un représentant de Janssen.
[40] Les appelantes prétendent que Kennedy a fourni un affidavit de documents non établi sous serment qui manquait de détails au sujet des dates, des auteurs, des titres ou des descriptions de la majeure partie des 770 documents énumérés. Un affidavit assorti d’une table des matières a été produit par la suite, mais il est déraisonnable de s’attendre à ce que les appelantes fassent le tri nécessaire.
[41] Les appelantes contestent la prétention des intimés selon laquelle elles ont simplement posé les questions et omis de lire les documents fournis. Elles soutiennent qu’il leur faut encore poser des questions en vue de déterminer la pertinence de l’affaire.
La position des intimés
[42] Les intimés sont d’avis que le contexte est un aspect important dans l’appel. La protonotaire a assuré pendant plus de deux ans la gestion de ce litige prolongé dans le but de le faire avancer. Il y a eu plusieurs demandes d’interrogatoire préalable et de nombreuses décisions interlocutoires, dont plusieurs ont été ou sont actuellement portées en appel. Ils laissent entendre que les appelantes n’ont pas tenu compte des directives de la Cour et que leurs agissements sont abusifs et une source de gaspillage.
[43] Selon les intimés, on ne peut pas dire que les 85 questions en appel, sur plus de 500, ont une influence déterminante sur l’issue du principal. Des jours d’interrogatoire préalable supplémentaires sont prévus, ou ont déjà eu lieu, et si les questions auront bel et bien une influence déterminante, il y aura une autre occasion de les poser. De plus, il est rare que la décision faisant suite à une requête relative à un interrogatoire préalable soit déterminante pour l’issue du principal (Apotex Inc. c Warner-Lambert Co. LLC, 2011 CF 1136, au paragraphe 4, [2011] ACF no 1402 (QL) (Warner-Lambert)).
[44] Les intimés soutiennent que l’absence de motifs écrits pour chaque décision n’est pas une raison pour tenir une audience de novo. La transcription comporte effectivement des passages inaudibles ou manquant de clarté, mais les motifs formulés de vive voix et l’ordonnance écrite dénotent clairement dans l’ensemble que la protonotaire a appliqué à sa compréhension de l’affaire les principes juridiques qui concernent les requêtes relatives aux interrogatoires préalables et aux refus.
[45] Les intimés ajoutent que même si une question est pertinente, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de la rejeter parce que, par exemple, cette question serait contraignante ou causerait un préjudice, il existe d’autres moyens d’obtenir les renseignements demandés, ou la question est vague ou fait partie d’une « recherche à l’aveuglette » (Canada c Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120, au paragraphe 35, [2011] ACF No 515 (QL) (Lehigh Cement)).
[46] Les appelantes savaient que M. Espinasse serait le représentant des intimés. La requête des appelantes pour qu’un inventeur comparaisse comme témoin a été rejetée. Les inventeurs ont toutefois été interrogés par la suite.
[47] Les intimés ne sont pas d’accord pour dire que M. Espinasse était mal préparé. Nul n’aurait été capable de répondre aux questions inappropriées que les appelantes ont posées, et certaines d’entre elles évoquaient des faits anciens qu’il ne connaissait pas.
[48] Les intimés font également état de plusieurs échanges intervenus entre les appelantes et la protonotaire et dans le cadre desquels les appelantes n’ont pas présenté d’observations sur la raison pour laquelle les documents demandés étaient pertinents et ont simplement considéré la demande de la protonotaire comme un rejet de la question. Les intimés soutiennent par ailleurs que les appelantes ont préféré poser des questions plutôt que d’examiner les documents qui auraient fourni la réponse aux questions posées.
La décision dans son ensemble n’est pas manifestement erronée; la protonotaire n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.
[49] Aucune des questions posées dans le cadre de la requête relative à l’interrogatoire préalable n’aura vraisemblablement une influence déterminante sur l’issue du principal (Warner‑Lambert, au paragraphe 4). De fait, la norme applicable consiste à savoir si l’ordonnance de la protonotaire est manifestement erronée, en ce sens que celle-ci a fondé son pouvoir discrétionnaire sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits (Aqua-Gem, aux pages 462 et 463).
[50] Il incombe aux appelantes d’établir que la protonotaire s’est manifestement trompée et que la Cour se doit d’intervenir. Elles ne se sont pas acquittées de ce fardeau.
[51] Pour ce qui est des observations des appelantes selon lesquelles la protonotaire a appliqué le mauvais critère de la pertinence, a mal saisi les éléments de preuve pertinents, a fait une mauvaise appréciation des faits et n’a pas tiré de conclusions claires, les appelantes ne font que des références générales aux motifs exposés de vive voix.
[52] Les conclusions de la protonotaire sont claires, et la décision renvoie aux aspects et aux principes appropriés qui se trouvent dans la jurisprudence. Les appelantes n’ont pas établi que l’ordonnance de la protonotaire est fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.
[53] Comme il a été mentionné plus tôt au sujet de la norme de contrôle, la protonotaire se doit de prendre en considération la pertinence, mais même si une question est pertinente, celle-ci peut être refusée si, par exemple, elle n’est d’aucun secours pour la position juridique de la partie qui l’a posée, s’il faut dépenser beaucoup de temps, d’efforts et d’argent pour obtenir une réponse qui aura vraisemblablement peu de valeur ou encore si la question fait partie d’une « recherche à l’aveuglette » de portée vague et étendue (Apotex, aux paragraphes 10 et 13).
[54] La protonotaire n’a pas demandé ou examiné si les questions en litige étaient « assez pertinentes ». Cependant, si elle l’avait fait, elle n’aurait pas forcément commis une erreur. Le degré de pertinence d’une question est un facteur approprié (Apotex Inc. c Sanofi-Aventis, 2011 CF 52, au paragraphe 21, 383 FTR 37 (Apotex II)). Même la méthode de la série de recherches n’offre pas un moyen d’englober des questions qui, de près ou de loin, sont potentiellement pertinentes. Comme l’a fait remarquer la protonotaire, ce ne sont pas toutes les questions qui méritent une réponse.
[55] L’argument des appelantes selon lequel la protonotaire a commis une erreur en demandant des renseignements privilégiés, la stratégie du procès et la manière dont des documents seraient utilisés au procès en tant que mesure de la pertinence est également analysé ci-après, dans le cadre des observations formulées sur chacune des questions.
[56] La protonotaire n’a pas commis d’erreur en demandant aux appelantes de mieux expliquer pourquoi certaines questions ou certains documents étaient pertinents. Il leur incombait de fournir plus qu’une affirmation et, dans le cas de nombreuses demandes, elles ne l’ont pas fait.
[57] L’ordonnance de la protonotaire montre qu’elle a appliqué les principes résumés par le juge Yves de Montigny dans la décision Apotex II, aux paragraphes 16 à 21 :
[traduction]
[16] Selon l’article 240 des Règles, la personne soumise à un interrogatoire préalable doit répondre à toute question qui se rapporte à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure ainsi qu’à toute question concernant l’identité d’une personne, autre qu’un témoin expert, dont il est raisonnable de croire qu’elle a une connaissance d’une question en litige dans l’action.
[17] Le paragraphe 242(1) des Règles établit toutefois une série d’objections qu’il est possible de soulever lors d’un interrogatoire préalable si, par exemple, la question n’est pas pertinente ou si elle est déraisonnable ou inutile ou serait indûment onéreuse. La pertinence est une question de droit et non de discrétion. La question de savoir si un document « se rapporte » à un fait litigieux de l’affaire repose sur une interprétation raisonnable des actes de procédure. À cet égard, la partie qui exige la production d’un document doit démontrer que l’information contenue dans ce document peut directement ou indirectement faire avancer sa cause ou nuire à celle de l’opposante.
[18] Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a adopté le « critère des recherches » pour ce qui est des documents qui, peut‑on considérer, sont susceptibles de favoriser la cause d’une partie. En d’autres termes, la Cour doit déterminer s’il est raisonnable de conclure que la réponse à une question particulière pourrait inspirer la partie qui l’a posée à entreprendre des recherches qui pourraient soit favoriser sa cause soit anéantir celle de son adversaire : voir Apotex inc. Brystol-Myers Squibb Company, 2007 CAF 379, au paragraphe 30.
[19] Il est donc juste de dire que la Cour appliquera une norme de pertinence généreuse et souple pour déterminer s’il y a lieu de répondre à une question ou non. Lors de l’interrogatoire préalable, un degré appréciable de latitude sera autorisé, si une question se rapporte à des faits litigieux que soulèvent les actes de procédure. Au stade de l’interrogatoire préalable, la norme de pertinence est moins stricte qu’au procès, et tout doute quant au bien-fondé de la question sera résolu en faveur de la communication : voir Monit International Inc. c Canada (1999), 175 FTR 258; Glaxo Group Ltd. c Novopharm Ltd., [1998] ACF no 1808, au paragraphe 4 (CAF).
[20] Cela dit, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire résiduel de décider de ne pas obliger à produire des documents techniquement pertinents si cette production ne présenterait aucun avantage ou ne servirait pas à favoriser la cause d’une partie. Bien qu’il existe un large droit d’interrogation, il y a des limites à ce droit dans le cas d’un interrogatoire préalable, et la Cour ne permettra pas que le processus d’interrogatoire préalable serve à faire des recherches à l’aveuglette : voir Apotex Inc. c Merck & Co. Inc., 2004 CF 1038, au paragraphe 16; Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited, 2007 CF 1195, au paragraphe 19, conf. par 2008 CF 281; conf. par 2008 CAF 287, aux paragraphes 69 et 70; Pharmacia S.p.A. c. Faulding (Canada) Inc. (1999) 3 CPR (4th) 126, aux paragraphes 2 et 3 (CAF).
[21] Par ailleurs, le simple fait que l’on puisse considérer qu’une question est « pertinente » ne veut pas dire qu’il faut forcément y répondre. La pertinence doit être mise en balance avec des questions telles que le degré de pertinence, la mesure dans laquelle il est onéreux de fournir une réponse, la question de savoir si la réponse exige un fait, une opinion ou un point de droit, et ainsi de suite : GSC Technologies Corp. c Pelican International, 2009 CF 223, au paragraphe 11; AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2008 CF 1301.
[58] Dans l’arrêt Lehigh Cement, au paragraphe 35, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué aussi que la pertinence n’est pas le seul facteur à prendre en considération et qu’il est possible de rejeter une question après avoir soupesé d’autres facteurs :
[35] Lorsque la pertinence est établie, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser de permettre une question. Pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, il convient de soupeser la valeur possible de la réponse au regard du risque qu’une partie abuse du processus de communication préalable. Voir Bristol‑Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., au paragraphe 34. La Cour peut refuser d’autoriser une question pertinente lorsque la réponse exigerait trop d’efforts et de dépenses de la part de la partie à laquelle elle est posée, lorsqu’il y a d’autres moyens d’obtenir les renseignements sollicités ou lorsque la question fait partie d’une « recherche à l’aveuglette » de portée vague et étendue : Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438, 312 NR 273, au paragraphe 10; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2008 CAF 131, 166 ACWS (3d) 850, au paragraphe 3.
[59] Les appelantes font valoir que, dans la présente instance, les enjeux sont très importants et que c’est dans ce contexte qu’il convient d’évaluer la manière de trancher les questions qui sont en litige dans l’appel; il y a donc lieu d’interpréter de manière plus large la question de la pertinence. Je conviens que le contexte est important, mais le fait qu’il y ait des enjeux importants n’est pas le seul facteur contextuel et ils ne peuvent l’emporter sur d’autres principes bien établis.
[60] Par ailleurs, le corollaire est indéfendable, c’est-à-dire que si les enjeux ne sont pas aussi importants, la détermination de la pertinence serait moins importante ou la portée de cette dernière serait plus étroite.
[61] Il est évident que la protonotaire a peut-être déterminé que certaines des questions et des demandes étaient pertinentes, mais elle a aussi pris en compte les autres facteurs et, dans bien des cas, a conclu avec raison que le fait d’exiger une réponse avait une valeur disproportionnée, et ce, pour divers motifs, dont le fait que la demande était onéreuse ou vague ou que d’autres avaient déjà fourni les renseignements demandés.
[62] Pour ce qui est de l’observation des appelantes selon laquelle la protonotaire a commis une erreur en acceptant les observations formulées de vive voix par l’avocat de Kennedy comme preuve du caractère onéreux et d’efforts excessifs, plutôt que d’exiger un affidavit, elles n’ont cité aucune décision à l’appui du fait qu’il s’agit d’ une erreur. Il était loisible à la protonotaire d’accepter les explications des intimés à propos de l’effet onéreux de la production de documents particuliers dans le contexte de ce qu’elle savait sur l’affaire, au vu de l’expérience qu’elle avait acquise en gérant le litige. Dans le même ordre d’idées, les appelantes ne font état d’aucun principe juridique qui exige que la protonotaire ordonne aux intimés d’aider les appelantes en les orientant vers une réponse donnée antérieurement. La protonotaire a fait remarquer que les appelantes ne semblaient pas avoir lu de nombreux documents et que, au lieu de les lire, elles avaient simplement demandé aux intimés d’identifier des renseignements particuliers.
[63] Pour ce qui est de l’argument des appelantes selon lequel la protonotaire a commis une erreur en rejetant diverses questions parce que Janssen y avait déjà répondu, la décision Havana House, que les appelantes invoquent, n’étaye pas selon moi la thèse générale qu’elles avancent. Il était question dans cette décision de lacunes dans la production de documents et il y était fait référence à des circonstances dans lesquelles les documents avaient été produits par une autre source, c’est-à-dire une tierce partie. Dans la présente affaire, c’est une partie à l’instance -Janssen - qui a répondu aux questions. Kennedy avait clairement indiqué qu’elle avait fourni tout ce qu’elle avait en sa possession. De plus, même si Kennedy avait en main les documents, ce serait un gaspillage de ressources que d’exiger qu’elle fournisse des réponses ou des documents que les appelantes ont déjà en main. Même si les intimés ont des ressources suffisantes, ce n’est pas une raison pour les exploiter.
[64] Pour ce qui est de l’argument des appelantes selon lequel aucun motif n’a été fourni pour certaines décisions de la protonotaire parce que certains passages de la transcription étaient inaudibles, je ne suis pas d’accord pour dire que les passages inaudibles empêchent la Cour d’examiner les questions soulevées dans le cadre du présent appel. L’audition de la requête a duré quatre jours, le dossier est volumineux et la majeure partie de la transcription est audible. Par ailleurs, les appelantes étaient présentes et ont entendu les décisions de la protonotaire à mesure que la requête se déroulait. S’il y avait des exemples des motifs oraux non transcrits que les appelantes contestent, ces dernières auraient dû être capables d’en donner quelques-uns.
[65] Dans l’affaire Fehr c Robinson Diesel Injection Ltd, [1986] SJ No 179 (QL), 47 Sask R 12, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a traité d’une question semblable :
[traduction]
Quand je lis séparément la partie contestée de la transcription, je suis capable de déterminer le contenu et l’effet fondamentaux de la preuve. Cette partie de la transcription n’est liée qu’à la contre‑preuve de Robinson et, quand je lis cette partie de pair avec la partie précédente de la transcription, je suis convaincu de bien saisir la partie manquante de la transcription. Plus important encore, je suis persuadé, après avoir passé en revue les parties de la transcription qui entourent les parties inaudibles, que les éléments non transcrits n’auraient pas donné lieu à une décision différente. En bref, je ne suis pas persuadé que l’intérêt de la justice exige la tenue d’un procès de novo. La demande à cet effet est donc rejetée.
[66] L’absence de parties d’une transcription ou d’un dossier peut, dans certains cas, se répercuter sur le droit qu’a une partie de connaître les motifs d’une décision ainsi que sur la capacité de la Cour à déterminer si la décision est manifestement erronée, mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Les parties inaudibles de la transcription ont été entendues par les appelantes en personne, ces dernières n’ont pas donné d’exemples précis des erreurs alléguées et les parties inaudibles n’auraient vraisemblablement pas donné lieu à une décision différente.
[67] Pour ce qui est de l’observation des appelantes selon laquelle la protonotaire a appliqué erronément la Directive de pratique du 24 juin 2015 et n’a mis l’accent que sur l’aspect de la célérité, je signale qu’elles ont extrait sélectivement un élément précis de cette Directive (qui n’était pas en vigueur à l’époque de la requête ou de l’ordonnance de la protonotaire), sans faire référence à son objet général et aux principes connexes. La Directive de pratique a pour but de rehausser la proportionnalité dans les instances soumises à la Cour. Entre autres recommandations, elle propose d’imposer des limites à la communication préalable de documents, aux interrogatoires préalables oraux et aux requêtes en rejet afin de « s’assurer que les parties font une utilisation efficace et proportionnelle des ressources limitées des tribunaux ».
[68] Les appelantes n’ont fait référence qu’à la proposition selon laquelle il y a lieu de répondre aux questions, sauf si elles sont manifestement irrégulières ou préjudiciables ou si elles nécessitent la divulgation d’une communication privilégiée. S’appliquent tout autant les propositions suivantes :
- aucune requête en rejet ne sera entendue avant la fin de la communication préalable de documents et des interrogatoires préalables;
- le temps consacré est limité à une heure par journée d’interrogatoire préalable effectué par le représentant de chaque partie;
- les parties n’ayant pas gain de cause / les parties déraisonnables se verront imposer d’importantes sanctions;
- il ne sera pas permis de répondre à une question ultérieurement;
- le juge du procès tiendra compte des réponses fournies aux questions faisant l’objet d’une objection, si l’objection n’est pas retenue.
[69] La protonotaire n’a pas fait passer le facteur de la célérité avant celui de la nécessité d’évaluer la pertinence des questions et les autres facteurs. De plus, si la Directive de pratique du 24 juin 2015 avait été en vigueur au moment de la requête, les appelantes auraient pu aborder de manière nettement plus restreinte la question de la communication préalable de documents et des interrogatoires préalables.
VI. Y a-t-il des décisions précises de la protonotaire qui sont manifestement erronées?
[70] Comme il a déjà été mentionné, les appelantes ont porté en appel 85 des décisions de la protonotaire sur la requête en rejet et ont soulevé quelques arguments semblables et quelques arguments précis au sujet des décisions visées par le présent appel, et il est question ci-après de plusieurs d’entre elles.
[71] Le critère qui s’applique à chaque décision demeure celui de savoir si la protonotaire s’est manifestement trompée : a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits?
La catégorie 1 : La qualité pour agir et le droit à la réparation demandée
Les points nos 29, 30, 38, 40 et 41 de la requête
Les observations des appelantes
[72] Les appelantes soutiennent que la qualité pour agir de Janssen et son droit à une réparation se rapportent à l’issue du principal. On ne sait pas avec certitude quel type de licence a été accordé à une entité quelconque de Janssen qui fait valoir qu’elle est titulaire d’une licence à l’égard du brevet et qui se réclame de la brevetée. Les appelantes contestent la qualité pour agir des parties ainsi que l’existence de la licence et soutiennent que le type de licence est essentiel, particulièrement pour la question de la comptabilisation des profits. La protonotaire n’a pas tiré de conclusion claire quant à la pertinence de ces questions.
[73] La protonotaire a rejeté la question no 38, qui demandait à Kennedy de faire part de la nature des dommages - [traduction] « importants » - que causeront les actes de la prétendue contrefaçon, au motif qu’elle n’était pas pertinente à ce stade de l’instance et qu’elle ne le serait qu’au stade de la quantification. Les appelantes soutiennent que la protonotaire a fondé sa décision sur le mauvais principe parce que la question est axée sur la nature du préjudice subi, y compris la causalité et la proximité, et non simplement sur le montant de responsabilité. Il ne faudrait pas qu’elles soient prises par surprise au procès quand la nature des [traduction] « dommages importants » et son lien avec leurs actions seront divulgués.
[74] Les appelantes invoquent un argument semblable à propos des questions nos 40 et 41, qui demandaient à Kennedy de faire part de ce qu’elle savait et croyait quant à la façon dont les intimés subiraient des [traduction] « dommages irrévocables » si elles obtenaient gain de cause.
Les observations des intimés
[75] Les intimés sont d’avis que le critère relatif à la qualité pour agir est peu rigoureux et qu’il ressort de la propre preuve des appelantes que Kennedy et Janssen ont confirmé à maintes reprises qu’elles entretiennent une relation de brevetée et de licenciée. La transcription et l’ordonnance révèlent que ces questions ont été rejetées parce que la manière dont les intimés interprètent leur entente n’a rien à voir avec les questions qui se posent dans l’instance.
[76] Les informations relatives aux dommages qui sont pertinentes pour la première étape du procès ont déjà été produites (les données sur les ventes au Canada). Les questions de causalité et de proximité sont établies par les actes de procédure des appelantes, à savoir que leurs produits sont une version biosimilaire à ceux des intimés. Les appelantes n’ont fourni aucune preuve sur la pertinence des informations supplémentaires demandées et elles n’ont relevé aucune lacune dans les informations qui ont été produites.
La protonotaire n’a pas commis d’erreur
[77] Bien que les motifs de la protonotaire sur la question de la nature de la licence soient inaudibles, les intimés ont raison : le critère servant à établir la qualité pour agir est peu rigoureux et Kennedy et Janssen ont décrit à maintes reprises leur relation.
[78] La protonotaire n’a pas mal apprécié les faits ou fondé son pouvoir discrétionnaire sur un mauvais principe en concluant que la nature des dommages n’est pas pertinente au premier stade de l’instance, compte tenu de l’ordonnance de disjonction.
La catégorie 2 : Les transcriptions des dépositions faites dans des instances étrangères
Les points nos 45 et 53 de la requête
Les observations des appelantes
[79] Les questions en litige demandent que Kennedy produise les transcriptions de dépositions faites dans le cadre d’instances tenues aux États-Unis et au Royaume-Uni et que M. Espinasse a passées en revue en prévision de son interrogatoire préalable. Les dépositions en question étaient celles des inventeurs, MM. Maini et Feldmann, ainsi que celles de M. Espinasse dans les instances tenues aux États-Unis et au Royaume-Uni.
[80] Les appelantes soutiennent qu’étant donné que M. Espinasse s’est préparé à l’interrogatoire préalable en utilisant des preuves émanant d’une action antérieure, ces transcriptions sont manifestement pertinentes dans le cas de la présente instance. Les transcriptions d’autres instances doivent être produites si elles peuvent fournir des renseignements utiles qui aideront la Cour à déterminer les faits véritables (Ed Miller Sales & Rentals Ltd c Caterpiller Tractor Co., 1988 ABCA 282, au paragraphe 34, 22 CPR (3d) 290 (Ed Miller)).
[81] Les appelantes soutiennent en outre que la position du Canada au sujet de la production de documents d’un ressort à un autre a été résumée par le protonotaire Kevin Aalto dans la décision Gap Inc. c GAP Adventures Inc., [2011] ACF no 1582 (QL), 95 CPR (4th) 377 (Gap), où il a conclu que cette production devrait être guidée par les principes suivants : a) si le préjudice perçu à l’égard de la personne interrogée est presque inexistant, et si les informations concernent les mêmes questions ou des questions semblables et les mêmes parties ou des parties semblables, l’autorisation sera généralement accordée, b) l’ordonnance devrait être presque automatique, à la condition qu’il y ait un lien suffisant entre les deux actions, les parties, leurs intérêts et les questions qui les opposent, et c) la question générale consiste à savoir si la preuve fournie par le témoin à l’interrogatoire préalable tenu dans le cadre de l’action antérieure peut avoir une certaine incidence ou pertinence, directement ou indirectement, sur la preuve qu’il peut fournir dans le cadre de la seconde action.
[82] Les transcriptions ne sont pas une preuve d’expert et, malgré leur pertinence évidente, la protonotaire a rejeté les demandes [traduction] « sous réserve qu’il est loisible […] au moment approprié de demander les transcriptions […] pour mettre en doute le témoignage d’une personne ». Aux dires des appelantes, la protonotaire a fait abstraction du droit.
Les observations des intimés
[83] Les intimés sont d’avis que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en rejetant les demandes concernant les transcriptions d’instances étrangères. La Cour a conclu que les dépositions et les témoignages faits dans le cadre d’un procès tenu à l’étranger ne sont pas pertinents ou admissibles dans le cadre d’un procès au Canada et que l’on ne peut pas se fonder au Canada sur des admissions qui ont été faites dans ces instances (AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2011 CF 862 au paragraphe 6, [2011] ACF No 1071 (QL) (AstraZeneca); Apotex II, au paragraphe 66).
[84] Les intimés ajoutent que les transcriptions incluraient aussi une opinion d’expert, ce qui est irrecevable dans les instances canadiennes (Apotex II, au paragraphe 66). Les témoignages faits dans les autres instances ne peuvent servir qu’à mettre en doute le témoignage d’une personne, si ce dernier est contradictoire, comme la protonotaire l’a conclu.
[85] Les intimés soutiennent aussi que les appelantes invoquent à tort la décision Gap. Dans celle-ci, le protonotaire Aalto a conclu que la transcription d’un interrogatoire préalable canadien pouvait être utilisée dans le cadre d’une instance tenue aux États-Unis, mais [traduction] « à seule fin de mettre en doute le témoignage d’une personne, le cas échéant », en soulignant que les circonstances étaient exceptionnelles. Dans l’affaire Gap, il y avait des instances parallèles aux États-Unis et au Canada qui mettaient en cause les mêmes parties, et le procès était imminent. Dans la présente affaire, les parties aux instances tenues aux États-Unis et au Canada ne sont pas les mêmes, le droit américain sur les interrogatoires préalables est différent du droit applicable au Canada, et le procès n’est pas imminent.
[86] Les intimés signalent que les dépositions faites aux États-Unis comprenaient deux types de questions et de réponses : les questions auxquelles il faudrait également répondre au Canada, en soulignant que MM. Feldman et Maini seront interrogés (ou l’ont été) et que ces questions pourront leur être soumises directement au moment de leurs interrogatoires, et les questions qui seraient irrégulières au Canada, comme des preuves d’expert ou d’opinion, qui ont peut-être été admises aux États-Unis, où les règles sont différentes.
[87] Il y a un engagement implicite à ne pas utiliser l’interrogatoire préalable dans une autre instance, et les circonstances de l’espèce ne justifient pas que l’on déroge à ce principe.
[88] Les intimés soutiennent également que les appelantes n’ont relevé aucun secteur particulier dans lequel les transcriptions seraient pertinentes. La protonotaire a déclaré qu’une transcription pourrait devenir pertinente dans le but de mettre en doute le témoignage d’une personne et qu’une nouvelle demande pourrait être faite à ce moment-là. La protonotaire n’a pas commis d’erreur en tirant cette conclusion.
La protonotaire n’a pas commis d’erreur
[89] Dans l’arrêt Ed Miller, qu’invoquent les appelantes , la Cour d’appel de l’Alberta a conclu que l’on peut ordonner la production de transcriptions d’instances étrangères. La Cour d’appel a conclu que les [traduction] « interrogatoires préalables sont confidentiels, en ce sens qu’on ne peut pas s’en servir à une fin irrégulière. Cependant, cette mise en garde ne veut pas dire que les transcriptions sont protégées par un privilège » (au paragraphe 35). Aux paragraphes 34 et 39, la Cour d’appel a confirmé la décision de la Cour du Banc de la Reine, qui avait conclu ceci :
[traduction]
Je suis d’avis que l’affaire Abernethy c Ross (1985) 1985 CanLII 550 (C.A.C.-B.), 65 B.C.L.R. 142 (C.A.C.-B.) s’applique en l’espèce. La Cour a ordonné aux défenderesses de produire les transcriptions des interrogatoires préalables qu’elles avaient subis dans une autre action. La Cour a reconnu que les interrogatoires préalables effectués dans des actions antérieures ne pouvaient pas servir à des fins irrégulières, mais cela ne les protégeait pas par un privilège. Elle a refusé d’adopter une règle qui l’aurait empêchée d’apprendre ce qu’une partie avait déclaré sous serment dans le passé.
Je ne vois pas pourquoi ces mêmes principes ne s’appliqueraient pas en l’espèce. Les dépositions faites dans le cadre de l’action engagée aux États-Unis pourraient fournir des renseignements utiles qui aideraient la Cour à déterminer les faits véritables en l’espèce. À mon avis, cela ne veut pas dire qu’on utiliserait les documents à une fin irrégulière. Dans la mesure où ces documents sont peut-être pertinents pour la présente affaire, et seraient peut‑être utiles pour établir la vérité, il faudrait que la défenderesse les produise.
[90] Cependant, l’arrêt Ed Miller n’étaye pas l’opinion selon laquelle il est obligatoire de produire les transcriptions d’un interrogatoire préalable; il indique simplement que si ces transcriptions sont pertinentes et peuvent être utiles pour établir la vérité, il faudrait les produire.
[91] La décision Gap, sur laquelle les appelantes se fondent également, peut être distinguée de la présente espèce à plusieurs égards. Comme les intimés l’ont fait remarquer, il était question dans cette affaire de la production de la transcription d’interrogatoires préalables canadiens dans le cadre d’une instance tenue aux États-Unis. Les transcriptions avaient été admises peu avant la tenue du procès aux États-Unis, dans le but de mettre en doute le témoignage d’une personne, et non à des fins d’interrogatoire préalable. Les circonstances qui ont permis de déroger à l’engagement implicite de ne pas utiliser de preuves obtenues lors d’un interrogatoire préalable tenu dans une autre instance n’existent pas en l’espèce.
[92] Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour étaye la décision de la protonotaire selon laquelle les transcriptions faites dans les instances étrangères n’étaient pas pertinentes et qu’il n’était pas nécessaire de les produire.
[93] Dans la décision AstraZeneca, au paragraphe 6, le juge Roger Hughes a fait remarquer :
[6] […]
5. La juge Layden-Stevenson [dans Johnson & Johnson Inc v Boston Scientific Ltd, 2008 FC 552, 327 FTR 49] a fait remarquer avec raison que, dans un procès mené au Canada, on ne peut pas se fonder sur les admissions qui ont été faites dans un procès qui a eu lieu à l’étranger, expressément pour les besoins de ce seul procès. Elle a aussi fait remarquer à juste titre qu’on ne peut présumer d’emblée qu’un brevet étranger « correspond » à un brevet canadien et que la Cour doit être consciente des différences qui existent sur le plan de l’interprétation des revendications, qui est une question de droit.
[…]
[94] Dans la décision Apotex II, au paragraphe 66, le juge de Montigny a souligné lui aussi les principes applicables :
[traduction]
[66] Ces arguments ne sont pas convaincants. Tout d’abord, l’opinion d’expert qu’une personne a donnée dans un autre ressort n’est pas pertinente ou admissible au procès à l’égard des questions soumises à la Cour dans le cadre de la présente instance. Apotex a déjà demandé, par la voie d’une requête, que l’on produise de nombreux documents émanant de litiges tenus dans d’autres ressorts et notre Cour a considéré que cette production était inutile : Apotex Inc. c Sanofi-Aventis, 2010 CF 77, aux paragraphes 61 et 62. Deuxièmement, la déposition et le témoignage au procès que fait une personne dans un autre ressort ne sont pas pertinents ou admissibles au procès, à l’égard des questions qui sont soumises à la Cour dans le cadre de la présente instance : Novopharm Limited c Eli Lilly Canada, 2007 CF 1195, aux paragraphes 47 à 50; conf. par 2008 CF 281; conf. par 2008 CAF 287. Ce témoignage au procès et cette déposition ne pourraient servir qu’à mettre en doute le témoignage d’une personne au procès et, dans ce contexte, il n’est pas nécessaire de produire cette information à l’interrogatoire préalable. Troisièmement, l’opinion et le témoignage d’expert auraient été créés après le dépôt du brevet 777 et cela n’aurait pas été pertinent pour les questions d’évidence et de prédiction valable. Enfin, Apotex est en mesure d’obtenir le témoignage si l’information est publiquement disponible; si elle ne l’est pas, elle serait alors toujours soumise aux règles de la confidentialité, et sa production serait restreinte. Pour toutes ces raisons, je crois que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour rejeter cette demande.
[Non souligné dans l’original.]
[95] La décision de la protonotaire était fondée sur la jurisprudence de la Cour fédérale et non sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits.
La catégorie 3 : La validité
Les observations des appelantes
La catégorie 3B – L’antériorité : le point no 72 de la requête
[96] Les appelantes allèguent que le brevet était antériorisé et que, pour pouvoir se préparer au procès, elles ont besoin d’un fondement factuel pour l’affirmation de Kennedy selon laquelle l’art antérieur ne peut pas être invoqué à juste titre. La question demandait à Kennedy de faire part de ce qu’elle savait et croyait à propos de son allégation selon laquelle des documents particuliers ne constituaient pas une antériorité que l’on pouvait invoquer à juste titre.
La catégorie 3F – L’évidence : les points nos 100, 111 et 112, 115 à 119, 126 à 127, 140 à 142, 145 et 167 de la requête
[97] Les appelantes sont d’avis que les mesures concrètes des inventeurs qui se sont soldées par une invention sont un facteur pertinent dans l’analyse de l’évidence (Apotex Inc. c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, au paragraphe 70, [2008] 3 RCS 265). Les documents liés à la mise au point de l’invention, les plans de recherche, les rapports de comités consultatifs, ainsi que d’autres comptes rendus, récompenses et lettres sont donc tous pertinents.
[98] Pour ce qui est du point no 100 de la requête, la protonotaire a refusé que l’on produise l’annexe A de l’entente conclue entre Kennedy et Centocor, y compris le plan de recherche et le budget affecté aux recherches, non pas parce que ce document n’était pas pertinent, mais parce qu’il aurait été nécessaire de dépenser du temps, des efforts et des ressources pour l’obtenir. Rien ne prouve que sa production serait indûment onéreuse.
[99] Pour ce qui est des points nos 111 et 112 de la requête, la protonotaire a rejeté la demande de production des rapports annuels du Arthritis Research Council [ARC] parce qu’il s’agissait d’un [traduction] « projet factice ». Les rapports sont manifestement pertinents parce que les intimés en ont produit d’autres versions. La protonotaire a omis d’appliquer le critère consistant à savoir si les rapports mèneraient à une série de [traduction] « recherches » qui favoriserait la cause des appelantes.
[100] Pour ce qui est des points nos 115 à 118 et 126 de la requête, au sujet de la production des rapports du Kennedy Institute Advisory Board (point no 115 de la requête), des rapports de Centocor (points nos 116 à 118 de la requête) et des rapports annuels de Kennedy (point no 126 de la requête), les appelantes soutiennent que les raisons pour lesquelles la protonotaire a rejeté leur demande ne sont pas claires. Kennedy a produit des rapports annuels pour les années 1993, 1994 et 1997, mais pas pour 1995 et 1996. Ces rapports sont pertinents pour ce qui est de la manière dont les inventeurs ont conçu et caractérisé leur prétendue invention et de savoir s’ils ont rencontré des difficultés quelconques en arrivant à l’invention. Rien ne prouve que ces documents seront onéreux à produire.
[101] Pour ce qui est du point no 127 de la requête, qui a trait à la conception de l’invention, les appelantes souhaitent obtenir des documents portant sur les essais cliniques en vue de corroborer la réponse que Kennedy a donnée à propos de l’administration du médicament. La protonotaire n’a pas pris en compte la pertinence des questions par rapport à la question de savoir si l’invention revendiquée était évidente et elle n’a pas motivé le rejet de la question.
[102] Pour ce qui est des points nos 140 et 141 de la requête, qui se rapportent à des questions concernant la conception, les résultats, les conclusions, la correspondance et les documents portant sur l’étude sur la monothérapie T09, les appelantes soutiennent que ces renseignements sont également pertinents pour la question de l’évidence, ainsi que pour l’affirmation de Kennedy selon laquelle la prétendue invention n’a pas été réalisée directement ou avec difficulté.
[103] Pour ce qui est du point no 142 de la requête, qui concerne l’étude de la phase II, les appelantes font référence à une lettre d’un inventeur, datée de 1992, qui donne à penser que l’étude était envisagée. Elles soutiennent que la question de savoir si cette étude a été l’objet de discussions, si elle a été conçue, si elle a été menée ou si elle a été mise en œuvre est pertinente pour l’analyse de l’évidence. Les motifs enregistrés de la protonotaire sont inaudibles.
[104] Le point no 145 de la requête est lié à une ébauche de manuscrit de l’étude T14 dont il a été dit qu’il s’agissait d’une [traduction] « pièce jointe » à une lettre qui avait été communiquée. La lettre a été produite, mais pas la pièce jointe.
[105] Quant au point no 167 de la requête, qui a trait à des questions portant sur le lien entre l’art antérieur et les actes de procédure, les appelantes signalent que les intimés, dans leur défense modifiée, indiquent que [traduction] « [l]’art existant et les points de vue dominants amoindrissaient l’importance de l’invention [du brevet] ». La protonotaire a rejeté la demande de détails sur l’« art » en question parce que l’on cherchait à obtenir une preuve d’expert. Les appelantes signalent que 101 articles scientifiques ont été cités et qu’elles devraient savoir lesquelles amoindrissaient l’importance de l’invention. Elles ont besoin des détails relatifs à l’« art » en question pour connaître la preuve à réfuter, et ces détails sont pertinents pour la question de l’évidence.
La catégorie 3G – Le succès commercial de la prétendue invention : les points nos 175 à 179 de la requête
[106] Pour ce qui est des points nos 175, 176 et 177 de la requête, les appelantes signalent que la monographie du produit de Janssen (Remicade/infliximab) énumère neuf indications différentes, dont une seule est liée à une utilisation qui, d’après Kennedy et Janssen, n’est pas évidente (l’infliximab est un traitement d’appoint avec le méthotrexate en vue du traitement de l’arthrite rhumatoïde). Les appelantes allèguent que les intimés se fondent à tort sur le total des ventes du Remicade à titre d’indicateur de succès commercial, car huit des neuf indications ne sont pas liées au méthotrexate ou à l’arthrite rhumatoïde.
[107] Les appelantes soutiennent que Kennedy a mis en jeu la question du succès commercial et devrait être contrainte de produire ces documents. Le paiement de redevances est aussi un aspect pertinent pour la question du succès commercial, qui est pertinent pour la question de l’évidence. La protonotaire a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire de produire cette information parce que Janssen l’avait déjà produite.
[108] Pour ce qui est des points nos 178 et 179 de la requête, les appelantes soutiennent que la protonotaire a commis une erreur en refusant d’obliger les intimés à indiquer les récompenses que les inventeurs avaient reçues. Elles allèguent qu’elles ont besoin de savoir à quoi se rapportaient précisément les récompenses, y compris le fait de savoir si elles sont liées à cette invention ou à d’autres travaux, d’où leur demande de photographies des récompenses. Les appelantes font référence à l’action en invalidité connexe qui a été engagée aux États-Unis, et qui a conclu que l’inscription, sur la récompense concernant la découverte d’un traitement anti-TNF à titre de traitement efficace contre l’arthrite rhumatoïde et d’autres maladies auto-immunes, ne mentionne pas l’utilisation du méthotrexate à titre de traitement d’appoint.
[109] Elles ne sont pas disposées à croire Kennedy sur parole quand celle-ci affirme que les récompenses se rapportaient à cette invention.
La catégorie 3H – Des revendications d’une grande portée : les points nos 193, 194 et 198 à 201 de la requête
[110] Les appelantes plaident, entre autres allégations, que le brevet est invalide pour cause de portée excessive. Elles ont demandé les lettres échangées entre l’agent de brevets, Kennedy et les inventeurs sur ce que les inventeurs ont réalisé, ce qui est une question de fait, les communications des inventeurs au sujet de leur invention et si les inventeurs ont conçu cette dernière indépendamment des exemples du brevet.
[111] Les appelantes soutiennent que les lettres et les documents que se sont échangés les inventeurs au sujet de la mise au point d’une invention devraient être produits et que, dans le cadre d’un interrogatoire préalable, il est obligatoire de répondre aux questions portant sur le fond de discussions concernant un inventeur et la poursuite d’une demande de brevet (Foseco Trading AG c Canadian Ferro Hot Metal Specialties, Ltd (1991), 46 FTR 81, 36 CPR (3d) 35), décision citée avec approbation dans l’arrêt Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, au paragraphe 67, [2000] 2 RCS 1024 (Free World)).
Les questions « réglées » dans la catégorie 3
[112] Les points nos 90 à 94, 153, 189, 191, 192 et 202 de la requête ont été rejetés comme étant « réglés » parce que Janssen y avait répondu ou y répondra. Les appelantes soutiennent qu’étant donné que la protonotaire a refusé d’ordonner que Kennedy adopte les réponses de Janssen et que Kennedy identifie les documents en question, il n’y avait pas lieu de conclure que ces questions étaient réglées. L’un des objets d’un interrogatoire préalable est d’obtenir des admissions de la partie interrogée, Kennedy en l’occurrence, et cela est impossible s’il faut se fonder sur les réponses de Janssen. La protonotaire a commis une erreur en considérant que ces questions étaient réglées.
Les observations des intimés
[113] Les intimés sont d’avis que la protonotaire a pris en compte la pertinence de chacune des questions relatives à la validité et qu’elle les a rejetées à juste titre. Les questions étaient peu pertinentes, ont été réglées au stade de la requête ou étaient par ailleurs irrégulières parce que : a) elles étaient d’une portée excessive ou il aurait été onéreux d’y répondre, b) elles étaient redondantes, c) il y avait d’autres moyens d’obtenir les informations ou d) elles visaient à obtenir une opinion juridique ou d’expert.
[114] Les intimés signalent que, dans bien des cas, l’avocat des appelantes n’a pas répondu à la demande de la protonotaire de présenter des observations sur la raison pour laquelle la question était pertinente et que l’avocat a simplement indiqué qu’il [traduction] « la considérerait comme rejetée ».
[115] Les intimés indiquent que les points nos 72, 100, 126 et 127, 140 à 142, 145, 153, 175 et 177 de la requête sont des exemples de questions qui étaient d’une portée excessive et auxquelles il était onéreux de répondre.
[116] Les intimés soutiennent qu’il n’est pas nécessaire de répondre à des questions qui visent à obtenir des renseignements qui ont déjà été fournis (Merck & Co. Inc. c Apotex Inc., 2005 CF 582, au paragraphe 27.2, 273 FTR 160). Ils soulignent que les points nos 127, 140, 190 et 192 sont des exemples de questions redondantes. Le même raisonnement s’applique aux points réglés.
[117] Un grand nombre des questions demandaient que Kennedy fournisse des renseignements que Janssen avait déjà produits ou qu’elle était mieux placée pour fournir. Par exemple, Janssen a déjà produit les renseignements demandés dans les points nos 90 à 94. Même si les appelantes aimeraient que ces renseignements viennent de Kennedy, les intimés ont déjà indiqué qu’ils avaient produit la totalité des renseignements pertinents qui se trouvaient en leur possession, sous leur autorité et sous leur garde.
[118] Les intimés sont conscients qu’il n’y a pas lieu de refuser de répondre à une question parce qu’un codéfendeur y a déjà répondu; la Cour doit toutefois examiner qui en est le gardien approprié et quel est le moyen le plus proportionné d’obtenir les renseignements pertinents. Elles ne peuvent tout simplement pas produire ce qu’elles n’ont pas en main.
[119] La demande des appelantes au sujet du succès commercial à l’échelle mondiale a été réglée dans le cadre d’une ordonnance antérieure, qui l’a circonscrite à la production des documents liés au succès commercial à l’échelle du Canada. Janssen a fourni des renseignements sur le succès commercial obtenu au Canada. Kennedy a fourni des renseignements sur les récompenses et les distinctions que les inventeurs ont reçues pour le travail qu’ils ont accompli à l’égard de l’invention.
[120] Les intimés soutiennent que certaines questions, y compris celles qui étaient censément liées à l’antériorité et à l’évidence, sollicitaient une opinion juridique ou d’expert et ont été refusées à juste titre. Les points nos 72 et 167 demandaient que M. Espinasse indique quel était l’« art » qui amoindrissait l’importance du brevet. Ils signalent que la décision Sanofi-Aventis Canada Inc. c Apotex Inc. (3 juillet 2008), T‑161‑07, que les appelantes ont invoquée, est une ordonnance prononcée de vive voix par la juge Judith Snider et qu’elle n’a pas valeur de précédent. Les intimés signalent cependant que la juge Snider a souligné la distinction subtile qu’il y a entre les questions appropriées qui demandent de fournir des détails et les questions inappropriées qui demandent à une partie de faire part des faits qui étayent ses actes de procédure. La demande des appelantes porte sur les faits qui étayent ses actes de procédure et il s’agit d’une question inappropriée. Les intimés ajoutent qu’il ne convient pas de poser une question si sa réponse dépend d’une preuve d’expert ou en constitue une.
[121] Les intimés ajoutent que ces décisions sont équitables, car la protonotaire a rendu des décisions semblables sur leurs requêtes en rejet.
[122] Les intimés soutiennent en outre que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande des appelantes sur la correspondance interne entre Kennedy ou les inventeurs et l’agent de brevets de Kennedy à propos de la rédaction et de la poursuite du brevet. L’historique de la poursuite du brevet n’est pas un aspect pertinent pour son interprétation, pour l’interprétation d’une revendication ou pour la modification de la portée d’une revendication. Les affaires qu’ont invoquées les appelantes à l’appui de la prétention selon laquelle le fond des discussions entre Kennedy ou les inventeurs et l’agent de brevets peut être exigé au stade de l’interrogatoire préalable ont trait à des interactions publiques avec le Bureau des brevets (c’est‑à-dire, les « notes apposées au dossier ») plutôt qu’à des dossiers internes déposés auprès de l’agent de brevets.
[123] Pour ce qui est des points nos 111 et 112 de la requête, les intimés signalent que l’ARC est un organisme de bienfaisance sans lien de dépendance qui a accordé des fonds à Kennedy Trust en vue de mener des travaux de recherche. Les rapports annuels de l’ARC étaient publics à l’époque pertinente, mais Kennedy ne les a peut-être pas conservés dans ses archives, et elle n’était pas tenue de le faire. Kennedy Trust n’est pas l’ARC. La protonotaire a fait remarquer qu’il n’était pas nécessaire de chercher à maintes reprises des documents que Kennedy n’avait pas. Les intimés soutiennent que la protonotaire a demandé à juste titre pourquoi les appelantes avaient besoin des autres parties des documents, mais celles-ci ont simplement considéré que la demande avait été rejetée.
[124] Pour ce qui est des questions concernant le Kennedy Research Advisory Board, les intimés signalent que le second avocat avait posé les mêmes questions le jour précédent.
[125] Quant au point no 126, qui a trait aux rapports annuels de Kennedy, les intimés signalent qu’ils ont produit les rapports relatifs aux années 1993, 1994 et 1997 et qu’ils étaient à la recherche des autres années demandées. Depuis ce temps, le rapport relatif à 1995 a été fourni et le seul rapport qu’il reste à produire est celui qui s’applique à 1996, que Kennedy continue de chercher.
[126] Les intimés soutiennent qu’il est irrégulier de la part des appelantes d’inclure cela dans le présent appel. La Cour ne peut pas ordonner la production de documents qui sont impossibles à produire, pas plus qu’elle ne devrait ordonner la production de documents que Kennedy a convenu de produire.
La protonotaire n’a pas commis d’erreur
La catégorie 3B : Le point no 72 de la requête
[127] Les appelantes contestent le fait que la protonotaire a rejeté des questions liées à la raison pour laquelle les intimés ont indiqué que les documents énumérés dans la seconde déclaration modifiée n’étaient pas des antériorités qui pouvaient être invoquées à juste titre (point no 72 de la requête).
[128] Les appelantes ont invoqué la décision Hayden Manufacturing Co. c Canplas Industries Ltd., [1998] ACF No 1234 (QL), au paragraphe 16, 173 FTR 229, une décision du protonotaire Hargrave :
[16] En ce qui concerne l’antériorité, une invention ne doit pas avoir été couverte par un autre brevet ou une autre publication, car, dans un tel cas, elle ne jouirait pas de la nouveauté requise pour faire l’objet d’un brevet. Lorsqu’une partie conteste la nouveauté ou invoque l’antériorité, la partie adverse a le droit de savoir sur quelles parties des brevets antérieurs ou des publications elle se fonde, et ces renseignements doivent être précis : voir, par exemple, Dek-Block Ontario Ltd. c. Béton Bolduc (1982) Inc., une décision non publiée rendue le 20 mai 1998 par le juge Richard dans le dossier T-1334-97, aux pages 4 et 5. Le juge Richard a souligné, à cette occasion, que les questions de cette nature n’exigeaient pas l’interprétation d’un brevet et qu’elles étaient donc légitimes dans le cadre d’un interrogatoire préalable. J’ai examiné les questions de la présente catégorie à la lumière de la définition de l’évidence, en tenant compte du droit de la demanderesse en vertu de l’affaire Dek-Block et en me demandant s’il s’agissait de véritables questions complémentaires.
[129] En l’espèce, la protonotaire n’a pas mal apprécié les faits, ni fondé sa décision sur un mauvais principe. Elle a considéré que les questions visaient à obtenir les arguments juridiques des intimés sur la raison pour laquelle certaines des antériorités ne peuvent pas être invoquées ainsi que les faits étayant les actes de procédure des intimés. C’est elle qui est la mieux placée pour caractériser les questions et elle n’a pas commis d’erreur en le faisant.
La catégorie 3F – Le point no 167 de la requête
[130] Les appelantes ont également mis en doute quelles [traduction] « antériorités », aux dires des intimés, amoindrissaient l’importance de l’invention dans leur défense modifiée (point no 167 de la requête), ce qui est pertinent pour la question de l’évidence.
[131] Comme le signalent les intimés, les observations que les appelantes ont faites à la protonotaire sur cette question étaient brèves et la protonotaire a considéré de manière raisonnable que la question visait à obtenir une preuve d’expert en se fondant sur ces brèves observations. Il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard de la manière dont la protonotaire a caractérisé la question.
La catégorie 3G – Les observations concernant le succès commercial
[132] Comme il est dit dans la décision Équipements d’Érablière CDL Inc. c Ératube Inc., [2001] ACF No 265 (QL) au paragraphe 11, 107 ACWS (3d) 752 :
[11] Les deux questions impliquent la considération de la théorie du succès commercial. À ce sujet, la doctrine et la jurisprudence établissent bien que le succès commercial n’est pertinent que dans certains cas marginaux et qu’il ne peut servir de prétexte à des « expéditions de pêche » (voir Fox, Canadian Patent Law and Practice, 4e édition, Toronto, The Carswell Company Limited, aux pages 76 et 78, CAE Machinery Ltd. v. Fuji Kogyo Kabushiki Kaisha (21 janvier 2000), T-730-97 (C.F., 1re instance), Canadian Buttons Limited v. Patrician Plastic Co., 35 F.P.C. 87 et Edison and Swan Electric Light Co. v. Holland, (1889) 6 R.P.C. 243, à la page 277).
[Non souligné dans l’original.]
[133] La protonotaire n’a pas fondé sa décision sur un mauvais principe; elle a bien compris que l’analyse relative à l’évidence inclut de nombreux aspects et facteurs et nécessitera une preuve d’expert. Elle a dit de la demande générale qu’elle n’était pas pertinente à l’égard de la question de l’évidence, ou qu’elle l’était si peu que l’analyse de la proportionnalité ne l’étayait pas.
[134] Comme il a été mentionné plus tôt, les questions des appelantes sur le succès commercial à l’échelle mondiale ont été circonscrites au succès commercial à l’échelle du Canada par une ordonnance antérieure et ces renseignements ont déjà été fournis.
[135] À mon avis, le fait que les appelantes ne soient pas disposées à croire Kennedy sur parole quand elle dit que les récompenses se rapportaient à cette invention n’est pas une raison pour soutenir que la protonotaire a commis une erreur; cela étaye plutôt la nécessité de prendre en compte le principe de la proportionnalité.
La catégorie 3H – Des observations générales sur les revendications
[136] Dans l’arrêt Free World, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que le principe de la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier au Canada a été rejeté dans l’affaire Lovell Manufacturing Co. c Beatty Bros. Ltd. (1962), 23 Fox Pat. C. 112 (C. de l'É.) et que la Cour (la Cour fédérale) a confirmé l’irrecevabilité de ce type de notes aux fins de l’interprétation des revendications (au paragraphe 64).
[137] Au paragraphe 66, la Cour a pris acte des commentaires qui étayent la recevabilité de l’historique des poursuites engagées dans certaines circonstances en vue d’obtenir une interprétation uniforme des revendications, mais elle a adopté une approche plus restreinte :
[66] J’estime que, dans ces affaires, l’intention de l’inventeur renvoie à l’expression objective de cette intention dans les revendications du brevet, selon l’interprétation qui en est faite par une personne versée dans l’art, et non à des éléments de preuve extrinsèque comme des déclarations ou des aveux faits pendant l’examen de la demande de brevet. Autoriser la mise en preuve de tels éléments extrinsèques pour déterminer l’étendue d’un monopole compromettrait le rôle des revendications dans l’information du public et ajouterait à l’incertitude, tout en attisant le brasier déjà intense du contentieux en matière de brevets. La faveur dont jouit actuellement l’interprétation téléologique, qui assure la primauté de la teneur des revendications, paraît également incompatible avec l’ouverture de la boîte de Pandore que serait la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier. Lorsque des observations importantes lui sont présentées concernant la portée des revendications, le Bureau des brevets devrait exiger, si besoin est, qu’une modification soit apportée en conséquence aux revendications.
[67] Il ne s’ensuit pas que l’examen de la demande de brevet ne puisse jamais être pertinent pour une autre fin que celle de définir l’étendue du monopole accordé : Foseco Trading A.G. c. Canadian Ferro Hot Metal Specialties Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35 (C.F. 1re inst.), à la p. 47. Notre Cour ne se prononce toutefois pas à ce sujet, car la question n’est pas soulevée en l’espèce.
[Non souligné dans l’original.]
[138] La protonotaire n’a pas commis d’erreur en refusant d’ordonner la production des lettres que se sont échangées Kennedy, l’inventeur et le Bureau des brevets. Elle a appliqué les principes de la jurisprudence.
La catégorie 3G – Les questions « réglées »
[139] La protonotaire n’a pas mal apprécié les faits, ni fondé sa décision sur un mauvais principe de droit en concluant que plusieurs questions avaient été réglées, qu’on y avait déjà répondu ou que Janssen, la co-intimée, y avait répondu. La protonotaire a compris le contexte du litige, les interrogatoires préalables antérieurs et les interrogatoires préalables prévus, de même que le rôle que joue Kennedy en tant qu’organisme de bienfaisance, un rôle qui diffère de celui que joue Janssen à titre de licenciée, de distributrice et de fabricante. Ce serait un gaspillage de temps, d’efforts et d’argent que d’obliger Kennedy à fournir les mêmes renseignements que ceux qui ont déjà été fournis ou qu’une autre partie fournirait. Si les appelantes contestent les questions que l’on a considérées comme réglées, elles auront peut-être (et ont peut-être déjà eu) d’autres occasions de les réexaminer.
[140] De façon plus générale, en traitant des observations des appelantes sur les questions rejetées ou prises en délibéré par Kennedy à l’interrogatoire préalable, la protonotaire s’est livrée à l’analyse discrétionnaire de la proportionnalité. Elle n’a pas fondé sa décision sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits. Il ressort de la transcription de l’audition de la requête qu’elle s’est efforcée de donner aux appelantes une occasion de lui faire part de la raison pour laquelle la question était utile pour favoriser leur cause. Un grand nombre des cas dans lesquels les appelantes soutiennent que la protonotaire n’a pas donné de motifs clairs avaient trait à des passages inaudibles de la transcription, des passages pour lesquels les appelantes n’ont pas dit pourquoi, selon leur souvenir, les motifs étaient lacunaires. Les appelantes ont également [traduction] « considéré » les points comme rejetés sans donner plus de détails sur la pertinence de la question, comme la protonotaire les avait invitées à le faire, ce qui élimine le besoin de fournir des motifs. Dans d’autres cas, la protonotaire a souscrit à l’explication des intimés, à savoir qu’un document en particulier était impossible à trouver et, de ce fait, elle ne les a pas obligées à se lancer dans une recherche futile. Par exemple, les rapports annuels de Kennedy avaient été produits pour toutes les années, sauf une, et Kennedy s’est engagée à continuer de le chercher. Je conviens qu’il est futile d’exiger que les intimés continuent de chercher un document pour lequel elles ont déjà fait des efforts infructueux. Il est futile aussi de porter en appel la décision concernant les rapports déjà reçus.
La catégorie 4 – La particularisation des actes de procédure de Kennedy : les points nos 217, 221 à 223 et 225 de la requête
Les observations des appelantes
[141] Les appelantes sont d’avis que la protonotaire a commis une erreur en rejetant leur demande pour que les intimés indiquent à quel endroit, dans la monographie de produit d’Inflectra, figure la mention d’une thérapie d’appoint avec le méthotrexate pour le traitement de l’arthrite rhumatoïde (point no 222 de la requête).
[142] Selon les appelantes, la protonotaire a rejeté la question parce que le représentant devait lire et interpréter le document, et non pas parce qu’elle n’était pas pertinente. Elles soutiennent que cela est incompatible avec l’ordonnance de la protonotaire selon laquelle les intimés doivent répondre et dire où il est mentionné dans la monographie de produit du Remicade que ce dernier avait été approuvé à titre de traitement d’appoint avec le méthotrexate pour le traitement de l’arthrite rhumatoïde.
[143] Les appelantes soutiennent que les paragraphes que contient la défense modifiée sont des actes de procédure irréguliers et à vaste portée. Elles ont demandé des détails, dont le sens des mots [traduction] « en général » dans les actes de procédure. La protonotaire a rejeté la demande parce qu’elle a conclu que celle-ci nécessitait une preuve d’expert.
[144] Les appelantes soutiennent que la Cour a déjà décrété que les actes de procédure à vaste portée sont irréguliers et que la partie qui procède à l’interrogatoire est en droit de connaître la preuve à réfuter. La Cour a statué que les actes de procédure qui emploient le terme [traduction] « y compris » doivent préciser ce qu’il signifie (Doris Hosiery Mills Ltd. c Victoria’s Secret Stores Inc. (1994), 84 FTR 222, aux paragraphes 19 à 22, 58 CPR (3d) 62 (CF 1re inst.); Johnney Enterprises Co. Ltd. c Rui Royal International Corp. (1998), 144 FTR 265, aux paragraphes 26 à 31, 79 CPR (3d) 20 (Prot.)).
[145] Pour ce qui est des points nos 221, 223 et 225 de la requête, la protonotaire n’a pas fourni de motifs; l’énoncé [traduction] « selon la Cour, il n’y a rien de nécessaire à ordonner » ne traite pas de la pertinence de la question.
Les observations des intimés
[146] Les intimés sont d’avis que la demande relative à la monographie de produit d’Inflectra est un abus du processus d’interrogatoire préalable, car les renseignements demandés relèvent de la connaissance des appelantes. Il n’est pas incompatible avec l’ordonnance de la protonotaire que les intimés fassent état de renseignements figurant dans la monographie de produit du Remicade parce que cette ordonnance les obligeait à faire part de renseignements concernant leurs propres activités. Cette demande concernant l’Inflectra obligerait les intimés à faire part de renseignements concernant les activités des appelantes.
[147] Les intimés soutiennent de plus que les questions nécessitent une preuve d’expert et demandent des faits sur lesquels ils se fondent à l’appui d’actes de procédure particuliers.
[148] Pour ce qui est des actes de procédure à vaste portée, les intimés soutiennent qu’aucun principe fondamental n’indique que de tels actes de procédure sont irréguliers. Les décisions que les appelantes ont invoquées et dans lesquelles il a été conclu que les actes de procédure étaient irréguliers avaient trait aux activités de tierces parties et il a été jugé que ce serait inéquitable si un défendeur pouvait donner au procès de nouveaux exemples d’activités de tierces parties. En l’espèce, les actes de procédure à vaste portée ont trait au comportement des appelantes, un point qui sera analysé dans le cadre du processus d’interrogatoire préalable. Les intimés soutiennent également qu’étant donné que ces renseignements portent sur les propres activités des appelantes, cela ne circonscrira pas l’instance ou ne permettra pas aux appelantes de connaître la preuve à réfuter.
[149] La protonotaire n’a pas commis d’erreur dans la manière dont elle a appliqué le principe de la proportionnalité à ces points en particulier.
La protonotaire n’a pas commis d’erreur
[150] Les appelantes n’ont pas établi en quoi la protonotaire avait fondé sa décision sur un mauvais principe de droit ou sur une mauvaise appréciation des faits. Elles semblent reconnaître qu’il faudrait obtenir une preuve d’expert pour interpréter la monographie de produit. Par ailleurs, l’Inflectra est le produit des appelantes et il y a lieu de considérer que celles-ci savent déjà ce qui figure dans cette monographie.
La catégorie 5 – Le minimum de renseignements de base requis pour les documents : les points nos 239, 242, 253, 265 à 267, 269 et 270, 298, 300 à 302, 309, 319 à 323, 325, 330 et 340 à 351 de la requête
Les observations des appelantes
[151] Les appelantes ont posé plusieurs questions sur les auteurs des documents, leur destinataire, leurs dates et le fait de savoir si ces documents avaient été publiés et quand. Les questions ont été rejetées pour manque de pertinence, parce que les renseignements demandés ressortaient clairement du document en question ou que Kennedy avait déclaré qu’il lui était impossible de le trouver.
[152] Les appelantes soutiennent que l’affidavit de documents que les intimés ont produit manquait de renseignements de base et était donc carrément lacunaire. L’affidavit non établi sous serment était un [traduction] « salmigondis », qui dressait la liste de 770 documents, dont 576 n’étaient assortis d’aucun titre, d’aucune description ou d’aucune date. Les appelantes soutiennent que, sans ces renseignements, il leur est impossible de discerner l’importance, le degré de pertinence et l’utilité des documents pertinents. Les Règles exigent que les intimés fournissent ces renseignements, et la protonotaire a commis une erreur en rejetant ces questions.
[153] Les appelantes sont d’avis que lorsqu’une partie inscrit un document, ce dernier est donc pertinent et doit être produit dans son intégralité. Dans le même ordre d’idées, les documents redondants sont un fardeau pour les appelantes, et il aurait fallu les identifier. Il y avait de nombreuses ébauches d’un même document qu’il aurait fallu clairement dater ou marquer. Les appelantes ne devraient pas être tenues d’établir pourquoi elles avaient besoin de dates et d’autres détails.
[154] Les appelantes soutiennent qu’elles ne devraient pas avoir à parcourir la totalité des documents pour obtenir les renseignements fondamentaux. Même si les dates des documents pouvaient être inférées, il aurait fallu les fournir. Si les renseignements demandés sont clairs à la face même du document, comme l’affirment les intimés, ces derniers ne devraient pas refuser de les fournir.
Les observations des intimés
[155] Les intimés conviennent qu’un affidavit devrait énumérer la totalité des documents pertinents (Havana House, au paragraphe 22), mais, pour ce qui est des dates des documents et des études mentionnées dans le brevet, les faits l’ont emporté sur la demande. Les observations des appelantes font abstraction du fait qu’avant la date de la requête les intimés ont signifié un affidavit de documents, assorti d’une table des matières indiquant le titre, la date et le type de document. Cet affidavit indiquait les dates des documents, lorsque ces dates étaient connues. Il est manifestement onéreux d’obliger les intimés à retrouver les auteurs de documents, datant d’une vingtaine d’années dans certains cas, dans le but de vérifier les dates, compte tenu surtout du fait que les appelantes n’ont pas pu indiquer en quoi cela serait pertinent.
[156] Les intimés ajoutent que les détails que demandent les appelantes ne sont pas pertinents et que la demande de renseignements est abusive.
[157] Les intimés signalent que Kennedy a produit la totalité des documents qu’elle avait en sa possession. Janssen a réalisé les études à soumettre à la Federal Drug Administration des États‑Unis et elle a produit ces documents. Il n’y a aucune raison pour laquelle Kennedy posséderait même ces renseignements, car ce n’est pas elle qui a réalisé les trois études en question.
[158] À l’audition de la requête, Kennedy a expliqué qu’on avait fourni les données aux appelantes de la manière la plus utile possible. La protonotaire a ordonné aux appelantes d’examiner d’abord ce qui avait été produit et de poser ensuite des questions, si elles étaient pertinentes, au prochain interrogatoire préalable. Elle a fait remarquer avec raison qu’il était inutile de demander à Kennedy de chercher des documents qui avaient déjà été fournis.
[159] Les intimés soutiennent que la demande avait manifestement un caractère onéreux. Il ne servirait à rien de produire un affidavit pour indiquer en détail à quel point cela serait onéreux, le temps que cela exigerait ou de quelle façon ils devraient effectuer la recherche. Cela tombe sous le sens.
[160] La protonotaire n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il était inutile et contraire à l’alinéa 242c) des Règles de demander aux intimés d’examiner et de confirmer des renseignements qui figurent clairement dans le document en question.
[161] De plus, la protonotaire n’a pas commis d’erreur en appliquant le principe de la proportionnalité.
La protonotaire n’a pas commis d’erreur
[162] Même si l’affidavit de documents, non établi sous serment et non accompagné d’une table des matières, ne contenait pas tous les renseignements nécessaires, les intimés ont produit en fin de compte un affidavit assorti d’une table des matières et des détails qu’il était possible de fournir.
[163] La protonotaire n’a pas commis d’erreur en refusant d’ordonner aux intimés de chercher davantage ou de trouver des détails, comme des dates ou des sources de publication qu’il aurait été manifestement très onéreux à trouver. Dans le même ordre d’idées, les appelantes ne devraient pas s’attendre à recevoir des réponses à des questions qu’elles peuvent aisément obtenir en passant en revue les renseignements et les documents produits.
[164] Comme l’a fait remarquer la protonotaire, une fois que les appelantes auront passé en revue les renseignements, elles auront une autre occasion de poser d’autres questions au prochain interrogatoire préalable.
[165] La protonotaire a signalé qu’un grand nombre des questions étaient peu pertinentes et qu’un grand nombre des réponses aux questions des appelantes ressortaient clairement des documents. Dans d’autres cas, les appelantes n’ont pas pu ou n’ont pas voulu indiquer en quoi les renseignements auraient favorisé leur cause, ni répondu à la demande de la protonotaire pour qu’elles donnent de plus amples explications.
VII. Conclusion
[166] Les appelantes n’ont pas établi que la protonotaire s’est clairement trompée, en ce sens que la décision était fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits dans leur ensemble, ou à l’égard de questions précises. Dans sa décision, la protonotaire mentionne et applique les facteurs et les principes appropriés qui figurent dans la jurisprudence.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La présente requête est rejetée;
2. Les intimés auront droit à leurs dépens à l’égard de la présente requête, soit la somme de 6 500 $, indépendamment de l’issue de la cause.
« Catherine M. Kane »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DoSSIER : |
T-396-13 |
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INTITULÉ : |
LA CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA c THE KENNEDY INSTITUTE OF RHEUMATOLOGY ET THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH, JANSSEN BIOTECH, INC., JANSSEN INC. ET CILAG GMBH INTERNATIONAL c CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA, CELLTRION HEALTHCARE CO. LTD. ET CELLTRION INC.
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 7 juillet 2015
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ordonnance ET MOTIFS PUBLICS : |
LA juge KANE
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DATE DES MOTIFS : |
LE 18 novembRE 2015
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COMPARUTIONS :
Warren Sprigings
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POUR LES REQUÉRANTES (DEMANDERESSES) |
Andrew Skodyn Vanessa Park Thompson
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POUR LES INTIMÉS (DÉFENDEurS) |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sprigings Avocats 148, rue Norseman Toronto (Ontario)
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POUR LES REQUÉRANTES (DEMANDERESSES) |
Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP 130, rue Adelaide Ouest, Bureau 600 Toronto (Ontario) |
POUR LES INTIMÉS (DÉFENDEURS) |