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Date : 20151201


Dossier : T‑2184‑14

Référence : 2015 CF 1331

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

P & S HOLDINGS LTD. ET ASSOCIATION UNIE DES COMPAGNONS ET APPRENTIS DE L’INDUSTRIE DE LA PLOMBERIE ET DE LA TUYAUTERIE DES ÉTATS‑UNIS ET DU CANADA, SECTION LOCALE 170

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA,

INTERNATIONAL HERBS

MEDICAL MARIJUANA LTD.

ET 8015376 CANADA LTD

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demanderesses occupent des locaux situés à Delta (Colombie‑Britannique). La défenderesse, International Herbs Medical Marijuana Ltd., a demandé une licence au ministre de la Santé autorisant la culture commerciale de marihuana à des fins médicales dans les locaux appartenant à la défenderesse 8015376 Canada Ltd. Cette propriété est voisine de la propriété occupée par les demanderesses.

[2]               Les demanderesses ont plusieurs inquiétudes concernant la construction d’une installation de production de marihuana à côté de leur propriété. En raison de ces inquiétudes, elles ont écrit au ministère de la Santé à plusieurs reprises pour lui demander de leur accorder la possibilité de présenter des observations contre la délivrance d’une licence autorisant la production de marihuana à des fins médicales à International Herbs. Le ministre n’a jamais répondu à leurs demandes, et le ministre n’a pas encore pris une décision définitive concernant la demande de licence d’International Herbs.

[3]               Dans la présente demande, les demanderesses sollicitent un jugement déclarant, suivant les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, qu’elles ont le droit d’être entendues au cours du processus de délivrance de licence relative à la production de marihuana à des fins médicales. Elles sollicitent également une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de les autoriser à participer au processus de délivrance de licence.

[4]               Pour les motifs suivants, je conclus que les inquiétudes des demanderesses portent essentiellement sur des questions relatives à la planification de l’aménagement du territoire et que les demanderesses ont le droit de participer au processus de zonage municipal, droit qu’elles ont exercé. Or, la loi ou la common law ne confère aux demanderesses aucun droit de participer au processus de délivrance de licence de marihuana à des fins médicales. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I.                   Les parties

[5]               P&S Holdings Ltd. est une société de la Colombie‑Britannique qui est propriétaire d’une propriété dont l’adresse est le 1658, chemin Foster, à Delta (Colombie‑Britannique) et ses bureaux y sont situés. L’Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie des États‑Unis et du Canada, section locale 170, est un syndicat dont les bureaux sont également situés à cet endroit. De plus, l’immeuble héberge un restaurant et une école de métiers, qui sont locataires de P&S. Aux fins des présents motifs, on appellera la propriété située au 1658, chemin Foster la « propriété des demanderesses ».

[6]               International Herbs Medical Marijuana Ltd. et 8015376 Canada Ltd. sont des sociétés affiliées. La société à numéro détient une propriété située au 1668, chemin Foster, qu’on appellera « installation proposée ». L’installation proposée est contiguë à la propriété des demanderesses. International Herbs loue des locaux à l’installation proposée, et il s’agit de l’entité qui souhaite obtenir une licence autorisant la production de marihuana à des fins médicales.

[7]               Le ministre de la Santé est le ministre responsable de la réglementation de la production de marihuana à des fins médicales au Canada.

II.                Demande de licence

[8]               En 2013, International Herbs a soumis une demande à Santé Canada pour devenir un « producteur autorisé », conformément au Règlement sur la marihuana à des fins médicales, DORS/2013‑119. Comme le prescrit le Règlement, la demande de licence était liée à une installation de production précise, notamment les installations situées au 1668, chemin Foster.

[9]               En décembre 2013, Santé Canada a informé International Herbs que sa demande de licence était de manière générale conforme et qu’une fois que l’installation de production serait achevée, Santé Canada organiserait une visite d’inspection avant l’octroi de la licence. Entre autres, l’inspection confirmerait que l’installation respecte les normes réglementaires applicables, y compris celles liées à la sécurité des aires de culture et d’entreposage, ainsi que celles liées au contrôle d’émissions et à la qualité de l’air.

[10]           Sur la foi de cette lettre, les promoteurs ont payé environ 3,5 M$ pour l’installation proposée et ils ont embauché divers experts pour aider International Herbs à respecter les normes réglementaires liées à la production commerciale de marihuana à des fins médicales.

[11]           International Herbs détient actuellement une approbation préliminaire de licence de Santé Canada pour exploiter l’installation de production, et elle prévoyait que l’installation serait prête pour l’inspection préalable à la licence vers le milieu de l’année 2015. Toutefois, elle a mis certains de ses plans en suspens jusqu’à l’issue du présent litige.

III.             Processus de planification municipale

[12]           En raison des préoccupations soulevées en ce qui concerne l’ancien régime réglementaire qui régissait la production et la vente de marihuana à des fins médicales, Santé Canada a annoncé en 2013 que les règles relatives à la production de marihuana à des fins médicales seraient modifiées à partir du 1er avril 2014.

[13]           La municipalité de Delta est l’administration municipale responsable de l’aménagement du territoire et du zonage pour la propriété des demanderesses et l’installation proposée. Au début de 2014, Delta a répondu à l’annonce de Santé Canada en adoptant un règlement interdisant la production de marihuana à des fins médicales sur toutes les propriétés relevant de sa compétence. Au cours de l’audience, on a expliqué que de nombreuses municipalités avaient adopté un tel règlement, vu qu’elles s’attendaient à des changements réglementaires, de manière à ce qu’elles puissent déterminer à quel endroit les installations autorisées de production de marihuana à des fins médicales seraient situées. L’incidence du nouveau règlement municipal était que la production de marihuana à des fins médicales à l’installation proposée ne serait plus permise à moins que la municipalité approuve des installations précises.  

[14]           La propriété des demanderesses et l’installation proposée font actuellement l’objet d’un zonage [traduction« Industrie lourde I2 ». Les propriétés peuvent servir actuellement d’industries de fabrication et de traitement et autorisent notamment les industries de brûlage de bois, les chenils, les usines de traitements de poissons, les abattoirs et les centres de recyclage et de collecte de contenants.

[15]           En mars 2014, International Herbs a présenté une demande de modification de zonage à la ville de Delta pour l’installation proposée afin de permettre la construction et l’exploitation d’une installation de production autorisée de marihuana à des fins médicales à cet endroit. Dans le cadre du processus de demande de modification de zonage, les locataires des propriétés avoisinantes ont été avisés de la demande de modification de zonage et une affiche a été placée à l’installation proposée pour informer le public de la modification de zonage proposée de la propriété.

[16]           Joe Shayler, le gestionnaire d’affaires du syndicat demandeur, a ensuite écrit à la ville pour lui faire part de la [traduction« forte opposition » du syndicat à la demande d’International Herbs. M. Shayler a notamment indiqué que la construction d’une installation de production commerciale de marihuana à des fins médicales à côté des bureaux du syndicat aurait des effets préjudiciables sur l’école de métiers et le restaurant situés au 1658, chemin Foster. Le syndicat a également fait part de ses préoccupations concernant la sécurité, et la possibilité d’augmentation du crime et de la circulation dans ce secteur.

[17]           Le 30 avril 2014, le conseil de Delta a reçu un rapport concernant l’installation de la part de la division de la planification et du développement communautaires de la ville. Le rapport a tenu compte des préoccupations exprimées par plusieurs voisins, y compris le syndicat, mais elle a souligné les exigences réglementaires qui régiront les questions de santé et sécurité à l’installation proposée. La division a conclu son rapport en recommandant que la demande de modification de zonage franchisse les étapes de première et deuxième lectures, et qu’une audience publique ait lieu à ce sujet.

[18]           Le 27 mai 2014, le conseil de Delta a tenu une audience sur la demande de modification de zonage et le syndicat était la seule partie présente qui s’opposait à la demande de modification de zonage. M. Shayler a présenté des observations orales et écrites au nom du syndicat à l’encontre de la modification de zonage.

[19]           Entre autres choses, le syndicat a indiqué qu’il était préoccupé par le fait que la construction d’une installation de culture de la marihuana à côté de ses bureaux aurait des effets préjudiciables sur la valeur des propriétés des demanderesses et l’inscription des élèves à l’école de métiers. Il a aussi mentionné que la présence d’une installation de production de marihuana à côté de ses bureaux irait à l’encontre des messages antidrogues envoyés par le syndicat à ses membres et ses élèves. Le syndicat avait également des préoccupations sur l’incidence qu’aurait une installation de production de marihuana sur les activités du restaurant situé dans les locaux des demanderesses et sur la sécurité publique (en raison de l’augmentation possible du crime et du flânage), la circulation, le stationnement, la qualité de l’air et les émissions d’odeur.

[20]           À la suite de l’audience publique, le conseil de Delta a décidé d’approuver la modification de zonage proposée, à condition que des restrictions soient enregistrées sur le titre de l’installation proposée. Ces restrictions exigeraient qu’International Herbs respecte le Règlement sur la marihuana à des fins médicales et imposeraient des exigences additionnelles concernant la réparation des dommages causés à l’environnement dans le cas où l’installation changerait de vocation. Une fois que ces restrictions seraient enregistrées au titre, la délivrance d’un permis de construction permettrait de commencer la construction de l’installation de production de marihuana.

[21]           Le 3 juillet 2014, l’avocat des demanderesses a écrit au ministre de la Santé l’informant de la nature de leurs préoccupations et de leur intérêt dans le processus de délivrance de licence. Les demanderesses ont demandé que la qualité de participantes leur soit reconnue relativement à la demande de licence d’International Herbs et elles ont demandé d’avoir l’occasion d’être entendues dans le cadre du processus de prise de décision administrative suivi par le ministre pour l’examen de la demande. N’ayant reçu aucune réponse à la lettre du 3 juillet 2014, l’avocat a envoyé d’autres lettres datées du 19 août 2014 et du 24 septembre 2014 dans lesquelles il réitérait la demande de participation des demanderesses. Ces lettres sont restées sans réponse et le 23 octobre 2014, les demanderesses ont introduit la présente demande.

IV.             La demande de contrôle judiciaire des demanderesses

[22]           Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demanderesses soulignent que le paragraphe 26(1)h) du Règlement exige que le ministre refuse une demande de licence lorsque la délivrance d’une telle licence risquerait de porter atteinte à la sécurité ou à la santé publique.

[23]           Bien qu’elles n’aient fourni aucune preuve à l’appui de cet argument, les demanderesses soutiennent que l’exploitation d’une installation de production de marihuana à l’installation proposée ferait obstacle à l’usage et la jouissance de la propriété des demanderesses et compromettrait la santé et la sécurité de ses membres, ses clients, ses agents, ses employés, ses enseignants et ses élèves. Par conséquent, les demanderesses affirment qu’elles ont le droit de participer au processus de délivrance de licence.

[24]           Selon les demanderesses, l’omission du ministre de répondre à leurs demandes de participation ou [traduction« d’entendre de quelque manière que ce soit… la façon dont leurs intérêts seraient susceptibles d’être touchés » par le processus de délivrance de licence constitue un refus ou une décision.

[25]           Par conséquent, les demanderesses sollicitent ce qui suit :

a.                   un jugement déclarant que, suivant les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, elles ont le droit d’être entendues sur la façon dont leurs intérêts pourraient être touchés par la délivrance d’une licence d’exploitation d’installation de marihuana à côté de leur propriété;

b.                  une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de leur reconnaître la qualité de participantes et de leur accorder la possibilité d’être entendues dans le cadre du processus de prise de décision administrative suivi par le ministre pour examiner la demande de licence d’International Herbs;

c.                   les dépens de la présente demande.

V.                Questions en litige

[26]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.                  Les demanderesses ont‑elles la qualité requise pour présenter la demande de contrôle judiciaire?

2.                  Les demanderesses ont‑elles un droit en vertu de la common law d’être entendues dans le cadre de la décision du ministre de délivrer une licence?

VI.             La question du caractère prématuré

[27]           Avant d’examiner le fond de la demande présentée par les demanderesses, je tiens à souligner que j’ai soulevé lors de l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire des demanderesses la question de savoir si cette demande ne serait pas prématurée, vu qu’aucune décision finale n’a été encore été prise par le ministre concernant la demande de licence d’International Herbs.

[28]           Aucune défenderesse n’a soulevé cette question dans son mémoire des faits et du droit. Par conséquent, les demanderesses n’étaient pas prêtes à débattre de cette question à l’audience. La Couronne a convenu que la présente demande est peut‑être prématurée, mais les demanderesses et les autres défenderesses m’ont prié de statuer sur le fond.

[29]           Étant donné qu’aucune défenderesse n’a soulevé la question du caractère prématuré dans son mémoire, et que les défenderesses, à l’exception de l’État, investiront une importante somme d’argent dans la construction d’une installation de production de marihuana au cours des prochains mois, je conclus qu’il est dans l’intérêt de la justice qu’une décision soit rendue quant à la nature et la portée des droits des demanderesses de participer au processus de délivrance de licence.

VII.          Le lien entre les deux questions en litige soulevées par les demanderesses

[30]           La première question que soulève la présente demande est liée à la qualité d’agir des demanderesses pour introduire la présente demande. Pour répondre à cette question, il faut savoir si elles sont « directement touché[es] » par le processus de délivrance de licence au sens du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Cette disposition permet à « quiconque directement touché par l’objet de la demande » de présenter une demande de contrôle judiciaire relativement à cet objet.

[31]           Pour que la Cour conclue qu’une personne est « directement touché[e] » par l’objet de la demande au sens du paragraphe 18.1 de Loi sur les Cours fédérales, la décision contestée doit directement toucher les droits de la partie, lui imposer des obligations prévues par la loi ou avoir un effet préjudiciable direct sur celle‑ci : Rothmans of Pall Mall Canada Ltd c Canada (Ministre du Revenu national), [1976] 2 CF 500, 67 DLR (3d) 505 (CAF). À cette étape de l’analyse, l’accent est mis sur l’incidence qu’aura la décision relative à la licence sur les droits et les intérêts des demanderesses.

[32]           La seconde question – soit celle de savoir si la common law reconnaît aux demanderesses le droit d’être entendues dans le cadre de la prise de décision du ministre de délivrer ou non une licence autorisant la production de marihuana à des fins médicales – dépend de nombreux facteurs, notamment la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, la nature du régime législatif et les termes de la loi applicables au ministre, l’importance de la décision pour les demanderesses, les attentes légitimes des demanderesses et les choix de procédure que le ministre fait luimême : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193.

[33]           Il est donc évident que ces deux questions ont beaucoup d’aspects en commun et qu’elles exigent un examen pour déterminer si la proximité de la propriété des demanderesses à l’installation proposée leur donne le droit de participer au processus de délivrance de licence.

[34]           Au cours de la présentation des observations des demanderesses, beaucoup de temps a été consacré à tenter de distinguer l’analyse à appliquer en lien avec la première question de celle à appliquer en lien avec la seconde question. À mon avis, la situation que doit examiner la Cour en l’espèce est semblable à celle que la Cour d’appel fédérale a examinée dans l’arrêt Irving Shipbuilding Inc. C Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 RCF 488. Dans cet arrêt, la principale question en litige était celle « de savoir si le sous‑traitant d’un soumissionnaire non choisi dans le cadre d’un contrat d’acquisition du gouvernement peut présenter une demande de contrôle judiciaire pour que soit examinée l’équité du processus d’attribution du contrat lorsque le soumissionnaire non choisi décide de ne pas intenter de poursuites », au paragraphe 1. Dans l’arrêt Irving Shipbuilding, la Cour devait également déterminer si les appelantes étaient « directement touché[es] » par l’attribution du contrat à un soumissionnaire différent de telle sorte qu’elles avaient qualité pour contester le processus d’approvisionnement.

[35]           S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Evans a déclaré que « la question de la qualité pour agir des appelantes devrait être tranchée, non dans l’abstrait, mais dans le contexte du motif de contrôle sur lequel elles s’appuient, soit le manquement à l’obligation d’équité procédurale ». Il a poursuivi en faisant observer que « si les appelantes ont droit à l’équité procédurale, elles doivent également avoir le droit de soumettre la question à la Cour afin de tenter d’établir que le processus [examiné] viole leurs droits procéduraux ». Ces deux citations sont tirées de l’arrêt Irving Shipbuilding, au paragraphe 28.  

[36]           On peut reprendre le même raisonnement ici.

[37]           Ceci étant dit, pour paraphraser les propos tenus par le juge Evans, si le ministre avait une obligation d’équité envers les demanderesses et qu’il avait délivré la licence de production de marihuana à International Herbs en violation de cette obligation, les demanderesses auraient été « directement touché[es] » par la décision contestée. En revanche, si les demanderesses n’ont pas droit à l’équité procédurale, le débat devrait être clos : Irving Shipbuilding, précité, au paragraphe 28.

[38]           Effectivement, les demanderesses ont convenu que si la Cour arrive à la conclusion qu’elles n’ont pas le droit de participer au processus de délivrance de licence, elles n’auraient pas qualité pour agir dans la présente affaire.

[39]           Les questions principales à trancher sont celle de savoir si le ministre avait une obligation d’équité procédurale envers les demanderesses qui donnait droit à ces dernières de participer au processus de délivrance de licence, et celle de savoir si le refus du ministre de permettre aux demanderesses de participer au processus de délivrance de licence constituait une violation de cette obligation.

VIII.       Norme de contrôle

[40]           Étant donné que la question de savoir si les demanderesses ont le droit de participer au processus de délivrance de licence comporte une question d’équité procédurale, les parties conviennent que la Cour doit décider si le processus suivi par le décideur satisfait au degré d’équité requis dans toutes les circonstances : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

IX.             Le droit relatif aux droits de participation

[41]           Les droits de participation peuvent être créés par une loi. Les demanderesses reconnaissent, toutefois, que le Règlement sur la marihuana à des fins médicales ne prévoit pas la possibilité pour des tiers comme les demanderesses de participer au processus de délivrance de licence. Par conséquent, le droit de participer au processus ne leur est pas accordé en vertu d’une loi.

[42]           Les demanderesses soutiennent toutefois que le fait que le Règlement demeure muet sur le droit de participation de parties dans leur situation ne met pas fin au débat. Citant l’arrêt Kane c Cons. d’administration de l’U.C.B., [1980] 1 RCS 1105, 110 DLR (3d) 311, de la Cour suprême, les demanderesses affirment que, pour que les règles de la common law relatives à l’équité procédurale soient abrogées, il faut un texte de loi exprès en ce sens ou que le droit à l’équité procédurale soit exclu par déduction nécessaire. Les demanderesses soutiennent qu’en l’absence d’une telle déduction, les règles de la common law relatives à l’équité procédurale s’appliquent par défaut.

[43]           Toutefois, comme la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Irving Shipbuilding, « l’obligation d’équité en common law n’est pas autonome, mais elle est imposée selon la situation particulière dans laquelle la décision administrative contestée a été prise » : précité, au paragraphe 45. Il est par conséquent nécessaire de tenir compte de la nature et de l’objet du régime législatif établi par le Règlement sur la marihuana à des fins médicales pour décider si les demanderesses ont le droit de participer au processus de délivrance de licence.

X.                La nature et l’objet du régime législatif

[44]           Un examen du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) joint au Règlement sur la marihuana à des fins médicales a permis de conclure que des préoccupations avaient été soulevées concernant l’ancien régime législatif qui permettait aux personnes de produire leur propre marihuana à des fins médicales. Certaines des préoccupations étaient liées à la santé et la sécurité publiques, notamment la préoccupation que la marihuana soit utilisée à des fins criminelles. D’autres préoccupations étaient liées à une qualité inégale du produit et des problèmes d’approvisionnement, et les risques que ces éléments posaient aux patients.

[45]           Dans le REIR, il était expliqué que l’adoption du Règlement sur la marihuana à des fins médicales visait à traiter la marihuana à des fins médicales comme tout autre médicament d’ordonnance en créant un processus de délivrance de licence pour la production commerciale et la distribution du produit afin d’assurer un approvisionnement constant de marihuana de haute qualité à un prix raisonnable produite dans un environnement sûr et sécuritaire.

[46]           À cette fin, le Règlement impose des conditions strictes sur la production commerciale de marihuana à des fins médicales. Par exemple, des normes de contrôle de la qualité ont été créées pour régir les questions comme la qualité de l’air et les émissions produites par les installations de production de marihuana, la sécurité de l’installation et d’autres éléments similaires. Les personnes participant au processus de production doivent également détenir des attestations de sécurité et être assujetties à des vérifications d’antécédents criminels.

[47]           Le processus de délivrance de licence prévoit également un rôle pour les autorités locales. Au paragraphe 38 du Règlement, il est prévu que le demandeur d’une licence de producteur autorisé fournisse un avis au corps policier et au service d’incendie locaux. En l’espèce, ces avis ont été donnés et il n’y a aucune preuve indiquant qu’une de ces autorités a exprimé des préoccupations concernant la délivrance d’une licence de production à International Herbs.

[48]           Il est révélateur que le paragraphe 38 du Règlement n’exige pas qu’un avis concernant la demande de licence de production marihuana proposée soit fourni aux propriétaires ou locataires de propriétés contiguës à l’installation proposée.

[49]           Afin de construire une installation de production de marihuana, le zonage de l’installation proposée doit permettre un tel usage, et le paragraphe 38 du Règlement exige également que le demandeur de licence de production fournisse un avis aux autorités municipales pertinentes. Une municipalité peut mettre fin au processus de délivrance de licence en refusant d’accorder un permis de construction pour une installation de production de marihuana à l’installation proposée, lorsque, par exemple, un voisin est en mesure de présenter des éléments de preuve étayant les effets préjudiciables éventuels de l’installation de production de marihuana sur le secteur en question.  

[50]           Gardant à l’esprit cette conception du processus réglementaire, j’examinerai ensuite la mesure dans laquelle le Règlement accorde un droit de participation aux intervenants.

XI.             Le Règlement exclut‑il implicitement les parties telles que les demanderesses du processus de délivrance de licence?

[51]           Rien dans le Règlement sur la marihuana à des fins médicales ne nie expressément le droit des tiers, comme les demanderesses, de participer. Le Règlement aborde toutefois expressément les droits de participation à ceux qui sont assujettis au Règlement.

[52]           Par exemple, le paragraphe 7 du Règlement accorde le droit d’être entendu à un demandeur qui se voit refuser une licence de produire de la marihuana à des fins médicales. Le paragraphe 33(3) du Règlement accorde à un producteur autorisé dont la licence est suspendue le droit de contester la suspension. De même, les articles 80 et 81 prévoient un droit de participation aux parties dont les permis d’importation ont été suspendus ou révoqués. Les articles 94 et 97 confèrent le droit d’être entendu aux personnes dont l’habilitation de sécurité a été suspendue ou refusée. L’article 113 offre aux patients dont l’inscription a été refusée par une installation de production de marihuana le droit d’être entendu, et l’article 117 confère des droits de participation aux patients dont l’inscription auprès d’une installation de production de marihuana a été annulée.

[53]           Le Règlement prévoit que son application peut avoir des effets préjudiciables sur différentes parties directement concernées par le processus de délivrance de licence, précisément les producteurs de marihuana à des fins médicales et leurs employés, et les patients qui se sont fait prescrire de la marihuana à des fins médicales. Un droit d’être entendu a été accordé à ces parties en lien avec les décisions qui ont une incidence directe sur elles. De tels droits de participation ne sont pas accordés à des personnes étrangères au processus de délivrance de licence comme les demanderesses, étant donné que le Règlement ne tient pas compte du rôle que de telles parties pourrait jouer dans le cadre du processus. Les personnes étrangères au processus de délivrance de licence sont donc exclues d’une participation au processus par déduction nécessaire.

[54]           Je tiens à souligner que j’ai conclu, dans une affaire qui portait toutefois sur l’ancien régime réglementaire, que les tierces parties au processus de délivrance de licence de production de marihuana à des fins médicales n’avaient pas qualité pour contester une décision en matière de licence : Ridgeview Restaurants Ltd. c Canada (Procureur général), 2010 CF 506, 368 FTR 255, au paragraphe 49, conf. par 2011 CAF 52, 451 NR 46.

[55]           Le jugement Ridgeview portait sur une demande de jugement déclaratoire, déposée par une entreprise propriétaire d’un restaurant, portant que la consommation de marihuana à des fins médicales n’est pas autorisée dans les restaurants; un jugement déclaratoire portant que Santé Canada ne possède pas le pouvoir d’autoriser une telle conduite; et une ordonnance afin d’interdire à Santé Canada de renouveler le permis du client l’autorisant à consommer de la marihuana à des fins médicales pour violation manifeste de ses modalités.  

[56]           Le procureur général avait demandé une ordonnance visant à radier l’avis de demande de Ridgeview, faisant notamment valoir qu’elle n’avait pas qualité pour présenter sa demande, car elle était étrangère au processus de délivrance de licence.

[57]           Pour faire droit à la requête du procureur général, j’ai jugé qu’un examen du processus réglementaire en question permettait de conclure que le restaurant était effectivement étranger au lien entre Santé Canada et le client, et que le régime réglementaire ne tenait pas compte du rôle que pouvaient jouer des tierces parties comme le restaurant. Toute décision prise par Santé Canada concernant la délivrance d’une licence à un client ne toucherait pas les droits du restaurant, ne lui imposerait pas des obligations prévues par la loi et n’aurait pas un effet préjudiciable direct sur celui‑ci. Pour arriver à cette conclusion, j’ai souligné que les problèmes que le restaurant avait rencontrés avec son client n’étaient pas une conséquence directe de la délivrance de l’autorisation de possession de marihuana au client, mais qu’ils découlaient plutôt du défaut du client de se conformer aux lois fédérales, provinciales et municipales.

[58]           Les demanderesses soutiennent qu’une distinction doit être établie entre le jugement Ridgeview et la présente affaire, car la question en litige dans ce jugement portait sur le fait que le client ne respectait pas les conditions de son autorisation de possession de marihuana à des fins médicales, alors que les préoccupations des demanderesses dans la présente affaire sont liées à la délivrance même d’une licence de production de marihuana. Il convient toutefois de souligner que bon nombre des préoccupations des demanderesses en l’espèce sont liées à la possibilité que les promoteurs ne respectent pas les conditions de leur licence de production de marihuana. Par exemple, aucun élément de preuve n’étaye que la construction d’une installation commerciale de production de marihuana à côté de la propriété des demanderesses aura des effets préjudiciables sur la qualité de l’air dans l’immeuble des demanderesses, dans la mesure où les demandeurs respectent les normes relatives à la ventilation et la filtration de l’air imposées par le Règlement. De plus, dans les deux affaires, les demanderesses tentaient de participer à un processus de délivrance de licence qui ne tenait pas compte du rôle que peuvent jouer les tierces parties.

[59]           Le Règlement actuellement en vigueur reconnaît l’importance de l’intérêt public dans le processus de délivrance de licence de production de marihuana. Les demanderesses renvoient au paragraphe 26(1)h) du Règlement qui prévoit que le ministre doit tenir compte des observations liées à la santé et la sécurité publiques de tierces parties.

[60]           Le paragraphe 26(1)h) du Règlement prévoit que le ministre doit refuser de délivrer une licence si cette délivrance risque de porter atteinte à la sécurité ou à la santé publiques. Les demanderesses affirment que, pour que le ministre s’acquitte des responsabilités que lui impose cette disposition, il doit entendre les parties sur les questions de santé et sécurité publiques liées à la construction d’une installation de production de marihuana.

[61]           Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, le Règlement tient expressément compte du rôle que jouent les experts locaux comme le corps policier et le service d’incendie en lien avec les questions de santé et sécurité publiques. Un tel rôle n’est pas prévu pour les tierces parties comme les demanderesses.

[62]           Le Règlement exige également qu’un avis concernant la demande de licence de production de marihuana soit fourni aux municipalités. Cela m’amène à examiner l’importance du processus de zonage, car il est lié aux intérêts des demanderesses.

XII.          L’importance du processus de zonage

[63]           Les demanderesses soutiennent qu’elles ne cherchent pas simplement à s’ingérer dans le processus de délivrance de licence, et que la construction d’une installation de production de marihuana à côté de leur propriété aura un effet préjudiciable sur l’usage de leur propriété. Elles devraient donc avoir le droit d’avoir un mot à dire quant à la délivrance d’une licence à International Herbs.

[64]           Selon les demanderesses, [traduction] « la production et l’emballage à grande échelle de marihuana dans un immeuble industriel situé très près d’un immeuble qui héberge une école, un restaurant et des bureaux constituent des activités commerciales nuisibles et offensantes susceptibles d’entraver les activités commerciales [des demanderesses] ».

[65]           Les demanderesses affirment notamment que le fait qu’une installation de production de marihuana soit la voisine des locaux du syndicat [traduction« tourne en dérision » le fait que le syndicat tente de promouvoir une culture sans drogue pour ses membres, et qu’une telle installation n’a pas sa place à côté d’une école de métiers fréquentée par des jeunes.

[66]           Les demanderesses soutiennent également que la culture de la marihuana à côté de leur propriété augmentera la possibilité d’activités criminelles, causera une odeur persistante dans les environs et compromettra la qualité de l’environnement dans le voisinage. De plus, le fait d’avoir une installation de production de marihuana à côté de leur propriété aura une incidence sur les revenus de location de P&S et nuira à la relation symbiotique des divers locataires de la propriété des demanderesses.

[67]           Il est toutefois important de souligner que les demanderesses ne se sont pas opposées à la délivrance d’une licence à cette société en particulier. Autrement dit, elles n’ont indiqué aucun motif pour expliquer pourquoi une licence de production de marihuana à des fins médicales ne devrait pas être délivrée précisément à International Herbs. Elles n’ont pas non plus fourni des renseignements ou présenté des observations laissant entendre qu’International Herbs ne serait pas un titulaire de licence approprié.

[68]           Les préoccupations des demanderesses sont plutôt de nature générale : c’est‑à‑dire, elles sont préoccupées par quiconque chercherait à construire une installation de production de marihuana à côté de leur propriété. Ainsi, les préoccupations des demanderesses ne sont pas réellement liées au processus de délivrance de licence de production de marihuana à des fins médicales en soi, mais elles sont plutôt liées à l’usage de la propriété adjacente. La compatibilité de l’usage est plutôt une question d’aménagement du territoire, et le moyen administratif offert aux demanderesses pour exprimer leurs préoccupations à cet égard était et demeure le processus de zonage municipal.

[69]           Comme les défenderesses l’ont souligné, la propriété des demanderesses est située dans un secteur destiné à un usage industriel intense. Par conséquent, si le propriétaire de la propriété adjacente à la propriété des demanderesses décidait d’y construire un abattoir, elles n’auraient aucun motif pour s’y opposer.

[70]           Dans la présente affaire, les demanderesses avaient le droit de participer au processus de zonage municipal et elles ont exercé leur droit. Elles avaient la possibilité de présenter toute preuve qu’elles jugeaient appropriée pour démontrer que la construction d’une installation de production de marihuana à des fins médicales à côté de leur propriété aurait sur elles et leur propriété un effet préjudiciable. Elles ont formulé certaines affirmations générales à cet égard, mais elles ont apporté très peu d’éléments de preuve pour étayer leurs demandes au conseil de Delta. (J’ajouterais que les demanderesses n’ont pas non plus fourni au ministre des éléments de preuve objectifs pour étayer leurs allégations relatives à l’effet préjudiciable.) Leurs allégations sont donc entièrement hypothétiques.

[71]           Par ailleurs, les demanderesses auront une autre occasion de participer au processus de zonage lorsque le règlement municipal définitif approuvant la modification de zonage propre à l’installation pour l’installation proposée sera examiné par la ville de Delta, où, elles pourront, je le répète, fournir des éléments de preuve concrets pour étayer leur objection à l’usage de l’installation proposée.

[72]           Cela ne signifie pas qu’il n’y aura jamais de cas où le ministre souhaiterait examiner les observations d’une tierce partie où, par exemple, une partie détient des renseignements concrets concernant un demandeur en particulier de licence de production de marihuana à des fins médicales qui pourraient remettre en question l’admissibilité du demandeur à détenir une licence. Le ministre n’a toutefois aucune obligation de le faire.

XIII.       Conclusion

[73]           Je conclus donc que les préoccupations des demanderesses sont liées essentiellement aux questions d’aménagement du territoire, et qu’elles ont eu et ont le droit de participer au processus de zonage municipal si elles ont des préoccupations concernant l’usage de la propriété voisine. Toutefois, la loi ou la common law ne confère pas aux demanderesses le droit de participer au processus de délivrance de licence de production de marihuana à des fins médicales.

[74]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, et les demanderesses devront payer des dépens aux défenderesses International Herbs et à la société à numéro, ainsi qu’à Sa Majesté.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elise Colas


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2184‑14

 

INTITULÉ :

P & S HOLDINGS LTD. ET L’ASSOCIATION UNIE DES COMPAGNONS ET APPRENTIS DE L’INDUSTRIE DE LA PLOMBERIE ET DE LA TUYAUTERIE DES ÉTATS‑UNIS ET DU CANADA, SECTION LOCALE 170 c  A MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, INTERNATIONAL HERBS MEDICAL MARIJUANA LTD. ET 8015376 CANADA LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 30 SEPTEMBRE ET 1er ET 2 OCTOBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er DÉCEMBRE 2015

 

ONT COMPARU :

David M. Aaron et

Bennet Arsenault

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Jon Khan

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

 

Evan A. Cooke

 

POUR LES DÉFENDERESSES

INTERNATIONAL HERBS MEDICAL

MARIJUANA LTD. ET 8015376 CANADA LTD.

 



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arsenault Aaron

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

For Les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

INTERNATIONAL HERBS MEDICAL

MARIJUANA LTD. ET 8015376 CANADA LTD.

 

 

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