Date : 20151204
Dossier : IMM‑8464‑14
Référence : 2015 CF 1346
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2015
En présence de monsieur le juge Annis
ENTRE : |
TAHIRA YASMIN |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la LIPR ou la Loi], d’une décision d’un agent d’immigration du Haut‑Commissariat du Canada [l’agent] par laquelle a été refusé le statut de résident permanent aux demandeurs en tant que membres de la catégorie des candidats des provinces. Les demandeurs veulent obtenir l’annulation de cette décision et le renvoi de leur demande à un autre agent pour nouvel examen.
[2] La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.
I. Le contexte
[3] La demanderesse principale, Tahira Yasmin, de nationalité pakistanaise, s’est vue délivrer un certificat par la province de la Saskatchewan au titre d’une demande de visa de résidente permanente en tant que membre de la catégorie des candidats des provinces, au motif qu’elle pourrait acquérir ce statut en raison de sa capacité à réussir son établissement économique au Canada aux termes de l’article 87 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR ou le Règlement].
[4] Les responsables du Programme des candidats de la Saskatchewan [le PCS] ont conclu que la demanderesse principale avait fait la preuve de sa capacité à réussir son établissement économique en Saskatchewan, compte tenu du faible taux de chômage de la province et de l’offre de plus de 14 000 emplois, dont beaucoup se trouvaient dans le champ d’études et d’expertise de la demanderesse.
[5] Ils se sont également appuyés sur le fait que la demanderesse principale avait obtenu une offre d’emploi à temps plein d’un employeur qui avait vérifié qu’elle avait les compétences requises pour exercer les fonctions du poste proposé, à savoir caissière dans une station‑service.
[6] Après échange de courrier avec le PCS et expédition d’une lettre d’équité aux demandeurs, l’agent chargé d’appliquer le paragraphe 87(3) a substitué ses propres critères à ceux du PCS. Il a conclu que, pour être considérés comme aptes à réussir leur établissement économique, les demandeurs doivent pouvoir obtenir un emploi au Canada et être déjà dotés des aptitudes, du niveau d’instruction et de l’expérience professionnelle qui leur permettront de trouver un emploi.
[7] Compte tenu des critères ci‑dessus, l’agent a conclu que la demanderesse ne possédait pas les compétences linguistiques en anglais dont elle aurait besoin pour remplir les fonctions de caissière.
[8] Ce refus est la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
II. La décision contestée
[9] L’agent a fait remarquer que les demandeurs avaient suffisamment de fonds pour s’établir, mais il a conclu que ce n’était pas en soi un indicateur suffisant de leur capacité à réussir leur établissement économique.
[10] Il a tenu compte de la lettre de l’employeur prospectif, qui indiquait, entre autres considérations, que les aptitudes linguistiques de la demanderesse principale étaient équivalentes à celles d’autres de ses employés exécutant correctement leurs tâches. L’agent n’en a pas moins conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’une caissière ait au moins des aptitudes linguistiques de niveau moyen en anglais pour travailler à Saskatoon. Compte tenu des plus récents résultats de la demanderesse au test de l’International English Language Testing System [IELTS], ses aptitudes étaient inférieures au niveau de base pour la compréhension orale et atteignaient le niveau de base pour la lecture, l’écriture et l’expression orale, de sorte qu’elle ne possédait pas le niveau de maîtrise de l’anglais qui convenait.
[11] L’agent a expliqué à la demanderesse principale qu’étant donné son niveau de compétence linguistique en anglais, il n’était pas convaincu qu’elle pourrait remplir les fonctions de caissière.
III. Les dispositions légales
[12] Les dispositions utiles de l’article 87 du RIPR, DORS/2002‑227, en vigueur au moment de l’instance sont les suivants :
87. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des candidats des provinces est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.
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87. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the provincial nominee class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada. |
(2) Fait partie de la catégorie des candidats des provinces l’étranger qui satisfait aux critères suivants :
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(2) A foreign national is a member of the provincial nominee class if
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a) sous réserve du paragraphe (5), il est visé par un certificat de désignation délivré par le gouvernement provincial concerné conformément à l’accord concernant les candidats des provinces que la province en cause a conclu avec le ministre;
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(a) subject to subsection (5), they are named in a nomination certificate issued by the government of a province under a provincial nomination agreement between that province and the Minister; and
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b) il cherche à s’établir dans la province qui a délivré le certificat de désignation. |
(b) they intend to reside in the province that has nominated them.
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(3) Si le fait que l’étranger est visé par le certificat de désignation mentionné à l’alinéa (2)a) n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut, après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat, substituer son appréciation aux critères prévus au paragraphe (2). |
(3) If the fact that the foreign national is named in a certificate referred to in paragraph (2)(a) is not a sufficient indicator of whether they may become economically established in Canada and an officer has consulted the government that issued the certificate, the officer may substitute for the criteria set out in subsection (2) their evaluation of the likelihood of the ability of the foreign national to become economically established in Canada.
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(4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent. |
(4) An evaluation made under subsection (3) requires the concurrence of a second officer.
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IV. La question en litige
[13] La présente demande soulève la question de savoir si l’évaluation de l’agent était raisonnable quant au statut de résident permanent de la demanderesse principale dans le cadre du Programme des candidats des provinces.
V. La norme de contrôle
[14] La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9).
VI. Analyse
[15] Au cours de l’audience, la question de l’interprétation qu’il convenait de donner à l’exigence selon laquelle il faut faire la preuve de sa capacité à réussir son établissement économique au Canada a été abordée. La demanderesse a pour sa part renvoyé à la décision Rezaeiazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 761 [Rezaeiazar], où, au paragraphe 77, le juge Russell a analysé comme suit le sens de cette expression en vertu de l’alinéa 85(3)b) :
[77] Cette situation m’amène à la question des rapports entre le système d’attribution de points et l’autonomie économique. La demanderesse affirme que, pour répondre aux exigences nécessaires pour être admis au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés, elle doit satisfaire aux exigences prévues à l’alinéa 85(3)b) du Règlement en ce qui concerne le nombre de points requis en plus de démontrer qu’elle peut réussir son établissement économique au Canada, autrement dit, qu’elle peut devenir autonome sur le plan économique dans un délai raisonnable après son arrivée au Canada. Compte tenu du fait que la demanderesse dépasse déjà de trois points le nombre de points minimum requis, la seule question à laquelle il faut répondre à son avis est celle de savoir s’il existe une autre condition à laquelle elle doit répondre pour démontrer qu’elle peut réussir son établissement économique dans la profession pour laquelle elle est qualifiée.
[Non souligné dans l’original]
[16] Selon le critère appliqué dans la décision Rezaeiazar eu égard à la capacité de la demanderesse à « devenir autonome sur le plan économique dans un délai raisonnable après son arrivée au Canada » et compte tenu de la lettre de l’employeur indiquant que d’autres employés aux insuffisances linguistiques semblables pouvaient faire leur travail, je crois juste de conclure que la demanderesse serait capable de réussir son établissement économique dans un délai raisonnable après son arrivée au Canada.
[17] L’agent n’a pas appliqué de critère fondé sur l’acquisition raisonnable des compétences utiles dans un délai raisonnable après l’arrivée des demandeurs au Canada : il exigeait plutôt qu’ils fassent la preuve qu’ils [traduction] « [étaient] en mesure d’obtenir un emploi au Canada et [possédaient] déjà les aptitudes, le niveau d’instruction et l’expérience professionnelle les rendant aptes à trouver un emploi » [Non souligné dans l’original].
[18] Je suis convaincu que l’agent a appliqué la définition qui convenait de la notion de « capacité à réussir son établissement économique » aux fins du paragraphe 87(3) du Règlement. J’estime que les circonstances desquelles le juge Russell a eu à juger doivent être différenciées de celles de l’espèce. Dans la décision Rezaeiazar, la demanderesse dépassait « déjà […] le nombre de points minimum requis », et ses aptitudes, son niveau d’instruction et son expérience professionnelle n’étaient donc pas en cause.
[19] On peut comprendre que le Règlement exige que les personnes arrivant au Canada pour y occuper un emploi possèdent déjà les aptitudes, le niveau d’instruction et l’expérience professionnelle nécessaires pour exécuter leurs tâches. Sinon, l’attribution du statut de résident permanent dépendrait de résultats aléatoires ultérieurs. Une fois accepté comme résident permanent dans le cadre du Programme, l’étranger conserve son statut, même s’il s’avère qu’il n’est pas apte à remplir les fonctions du poste prévu ou s’il quitte la province pour vivre ailleurs au Canada.
[20] Il est donc raisonnable, du point de vue de la politique applicable, que l’idée que se fait un employeur du succès à venir d’une personne au poste qu’il propose ne l’emporte pas sur la conclusion objective raisonnable qu’un demandeur inapte à exécuter les tâches du poste offert ne sera pas en mesure de participer suffisamment au marché du travail au Canada pour subvenir à ses besoins.
[21] En conséquence, j’accueille l’interprétation implicite qu’a faite l’agent de l’exigence de réussir son établissement économique, à savoir que les demandeurs doivent faire la preuve à leur arrivée au Canada qu’ils possèdent déjà les aptitudes, le niveau d’instruction et l’expérience professionnelle qui leur permettront de trouver un emploi.
[22] En foi de quoi, je rejette également l’argument de la demanderesse comme quoi, en faisant appel à des considérations dont le PCS n’avait pas tenu compte, l’agent avait fondé sa décision sur des facteurs non pertinents. L’agent a reconnu qu’il convenait de faire preuve de déférence à l’égard des facteurs pris en considération dans la désignation des membres de la catégorie des candidats des provinces. Il n’en demeure pas moins qu’en vertu du paragraphe 87(3) du RIPR, c’est au ministre qu’il incombe de déterminer si la demanderesse principale peut être économiquement autonome. En conséquence, on peut raisonnablement s’attendre à ce que celle‑ci doive faire la preuve qu’elle est capable de remplir les fonctions du poste offert, lequel suppose de pouvoir communiquer et de posséder les compétences linguistiques nécessaires à l’exécution des tâches de l’emploi.
[23] Quant au fond de la décision de l’agent, j’estime par ailleurs raisonnable de conclure que, pour un poste dont le degré de complexité des tâches va de simple à modéré, la demanderesse principale devrait au moins posséder des compétences linguistiques moyennes en anglais. Elle ne possédait en fait que des compétences « extrêmement limitées » en matière de compréhension orale et seulement des compétences de base en matière de lecture, d’écriture et d’expression orale. Le deuxième test a révélé que ces compétences s’étaient légèrement améliorées.
[24] Il faut dire aussi que, malgré l’assertion de l’employeur qui se dit disposé à garder des employés bien qu’ils ne possèdent pas les compétences nécessaires parce qu’il y a pénurie de travailleurs susceptibles de remplir ces fonctions, il n’a pas expliqué comment quelqu’un peut faire le travail de caissier s’il ne comprend pas les clients et comment il peut fournir des services, tenir des registres ou rédiger des rapports s’il n’a que des compétences de base en lecture, écriture et expression orale.
[25] Je suis également d’accord avec la conclusion de l’agent lorsqu’il estime que, même si l’employeur affirme que les exigences linguistiques de l’emploi « ne sont pas élevées », cela n’explique pas comment la demanderesse principale serait capable de remplir ses fonctions si elle ne possède que des compétences minimales, voire inférieures au minimum, en anglais, sauf apprentissage en cours d’emploi.
[26] L’idée que se fait un employeur du succès à venir d’une personne au poste qu’il propose ne l’emporte pas sur la conclusion objective raisonnable qu’un demandeur inapte à exécuter les tâches du poste offert ne sera pas en mesure de participer suffisamment au marché du travail au Canada pour subvenir à ses besoins.
[27] J’estime également que la décision Sran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 791, invoquée par les demandeurs et où la Cour a jugé que l’agent avait appliqué les critères relatifs à la catégorie des travailleurs qualifiés, doit être différenciée dans la mesure où rien ne laisse entendre ici qu’une compétence linguistique n’est pas un facteur pertinent dans la capacité à remplir les fonctions d’un poste, qu’il s’agisse ou non par ailleurs d’un facteur d’évaluation des travailleurs qualifiés selon la CNP.
[28] Compte tenu de la déférence due au décideur, notamment à sa prérogative d’appliquer ses propres dispositions légales s’il estime qu’il y a un problème d’interprétation, je considère que la preuve versée au dossier suffit à justifier la conclusion de l’agent, à savoir que la demanderesse ne possède pas de compétences linguistiques suffisantes en anglais pour remplir les fonctions de caissière. À ce titre, la décision relève des issues possibles et acceptables susceptibles d’être justifiées au regard des faits et du droit.
VII. Conclusion
[29] La demande est rejetée, et aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande est rejetée, et aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.
« Peter Annis »
Juge
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM‑8464‑14
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INTITULÉ : |
TAHIRA YASMIN ET MUNAYAR HUSSAIN RANA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 24 NovembRE 2015
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JUGEMENT ET MOTIFs : |
LE JUGE ANNIS
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DATE : |
LE 4 DÉCEMBRE 2015
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COMPARUTIONS :
Mme Aisling Bondy |
pour la demanderesse
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M. Daniel Engel |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Aisling Bondy Avocate Toronto (Ontario)
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pour la demanderesse
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William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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