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Date : 20151203

Dossier : T‑146‑15

Référence : 2015 CF 1341

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

JOSE LUIS FIGUEROA

demandeur

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DU COMMERCE ET DU DÉVELOPPEMENT DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le 2 février 2015, Jose Luis Figueroa a déposé une demande d’ordonnance de mandamus en vue de contraindre le ministre des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement [le Ministre] à rendre une décision concernant la demande de certificat qu’il a présentée au titre de l’article 10 du Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur la lutte contre le terrorisme, DORS/2001‑360 [le Règlement]. Selon le paragraphe 2(1) du Règlement, le ministre peut recommander que le nom d’une personne figure sur la liste de l’annexe du Règlement s’il existe des motifs raisonnables de croire que cette personne s’est livrée à une activité terroriste. M. Figueroa a demandé un certificat attestant qu’il ne figure pas sur la liste de l’annexe II du Règlement.

[2]               Le ministre a rendu sa décision le 17 juillet 2015. C’est par une lettre portant la même date que William Crosbie, conseiller juridique du ministre, a informé M. Figueroa que sa demande de certificat était rejetée parce qu’il n’avait pas fait la preuve qu’il avait été confondu ou pouvait être confondu avec une personne inscrite sur cette liste. Ni ses comptes bancaires ni d’autres biens lui appartenant n’avaient non plus été gelés en raison d’une confusion de cet ordre.

[3]               Le ministre a déposé une requête écrite en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] en vue d’obtenir une ordonnance visant à rejeter la demande de M. Figueroa au motif qu’elle est théorique. M. Figueroa s’oppose à cette requête, mais il ne s’est pas opposé à son règlement sur la base d’observations écrites.

[4]               En règle générale, la Cour traite une requête par écrit à moins qu’elle ne puisse le faire correctement de cette manière (voir Federal Courts Practice, Thomson Reuters, Toronto, 2015, p. 829). La présente requête ne soulève pas de questions de crédibilité, et les questions en litige sont relativement simples. Je suis donc convaincu qu’il est possible de rendre une décision sur la base d’observations écrites.

[5]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande d’ordonnance de mandamus déposée par M. Figueroa en vue de contraindre le ministre à rendre une décision concernant sa demande de certificat est théorique. Ce n’est pas là un cas où la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher une question de nature théorique. De plus, le dossier n’est pas suffisamment étoffé pour permettre une analyse du bien‑fondé de la décision du ministre. La demande est donc rejetée.

II.                Contexte

[6]               Originaire du Salvador, M. Figueroa est arrivé au Canada avec son épouse en 1997. Ils ont trois enfants nés au Canada. En mai 1997, ils ont demandé, en vain, le statut de réfugiés au Canada.

[7]               En juin 2002, M. Figueroa et son épouse ont demandé le statut de résidents permanents à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Leur demande a été provisoirement acceptée en juillet 2004, ce qui a permis de surseoir à leur renvoi du Canada.

[8]               Après une entrevue avec l’Agence des services frontaliers du Canada en juillet 2009, M. Figueroa a été jugé interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [LIPR]. C’est parce qu’il a déjà été membre du Marti para la Liberación Nacional, opposé au régime militaire du Salvador, que M. Figueroa a été considéré comme s’étant livré à des activités terroristes ou ayant été membre d’une organisation se livrant à des activités terroristes.

[9]               Un rapport a été établi en vertu de l’article 44 de la LIPR, et une enquête a été prévue pour le 29 avril 2010. En mai 2010, M. Figueroa a été jugé interdit de territoire, et une ordonnance d’expulsion a été rendue contre lui. En août 2010, la Cour a rejeté sa demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

[10]           Dans une lettre datée du 28 juillet 2010, M. Figueroa, invoquant des motifs d’ordre humanitaire, a demandé à être exempté de l’interdiction de territoire en vertu de l’article 25 et du paragraphe 34(2) de la LIPR (abrogé en 2013 par la Loi accélérant le renvoi des criminels étrangers — projet de loi C‑43, qui a reçu la sanction royale le19 juin 2013).

[11]           Le 9 avril 2013, Mme Figueroa a obtenu le statut de résidente permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Mais, le 22 avril 2013, M. Figueroa a été informé que sa demande avait été rejetée. Il a déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision, qui a été accueillie en juillet 2014. Le juge Mosley a estimé que la décision n’était pas raisonnable parce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration n’avait pas tenu compte de la nature du conflit au Salvador et de la participation personnelle de M. Figueroa comme militant non combattant d’une réforme politique (Figueroa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 673).

[12]           Le 2 février 2015, M. Figueroa a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du refus du ministre de rendre une décision sur la demande de certificat qu’il a présentée au titre de l’article 10 du Règlement. Dans son avis de demande, M. Figueroa a demandé deux mesures de redressement : i) un bref de mandamus ordonnant au  ministre de délivrer un certificat en vertu de l’article 10 du Règlement pour confirmer que le nom du demandeur n’est pas inscrit à l’annexe II du Règlement; ii) avec l’autorisation de la Cour, [traduction] « un bref ou une ordonnance de certiorari afin de faire vérifier la légalité du refus [du ministre] de délivrer un certificat en vertu de l’article 10 du Règlement ».

[13]           Le 26 mars 2015, M. Figueroa a demandé, en vertu de l’article 317 des Règles, la transmission de documents dont le ministre était en possession. Il s’agissait de sept documents qui, selon le demandeur, avaient trait à sa demande de mandamus et de contrôle judiciaire, notamment d’une [traduction] « liste actuelle des noms inscrits à l’annexe II du Règlement ». Le 5 mai 2015, M. Figueroa a sollicité une ordonnance lui accordant l’autorisation de procéder à l’interrogatoire préalable de six employés du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement [MAECD].

[14]           Dans une décision datée du 22 mai 2015, le protonotaire Lafrenière a rejeté la demande de production d’un dossier certifié du tribunal, présentée par le demandeur en vertu de l’article 317 des Règles. Le protonotaire a fait remarquer qu’il était [traduction] « parfaitement incohérent de demander à la fois un mandamus fondé sur l’allégation qu’une décision n’a pas été rendue et un certiorari visant à faire annuler une décision qui a été rendue ». Il a donc conclu que ce n’était pas la légalité de la décision du ministre qui était en cause, mais seulement le fait que, selon le demandeur, il n’aurait pas rendu de décision (ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 22 mai 2015, citant Alberta Wilderness Association c Canada (Procureur général), 2013 CAF 190, paragraphes 38 à 40). Le protonotaire Lafrenière a également estimé que la production de documents ne pouvait pas être ordonnée dans le cadre d’une demande de mandamus et que M. Figueroa n’avait pas le droit de procéder à l’interrogatoire préalable des six employés du MAECD dont il avait mentionné les noms.

[15]           M. Figueroa a interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière. Dans une décision datée du 6 juillet 2015, la juge Gagné a souscrit à l’opinion du protonotaire Lafrenière selon laquelle la demande de M. Figueroa se limitait au mandamus et que l’article 317 des règles ne vise pas à ordonner la production de documents lorsqu’aucune décision n’a été rendue. Elle a également confirmé que M. Figueroa n’avait pas le droit de procéder à des interrogatoires préalables dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[16]           Le 20 juillet 2015, l’avocat du ministre a écrit à M. Figueroa pour lui demander de renoncer à sa demande de contrôle judiciaire puisque la question était désormais théorique en raison de la décision rendue par le ministrele17 juillet 2015. L’avocat du ministre a informé le demandeur que cela ne porterait pas atteinte à son droit de déposer une autre demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre.

[17]           N’obtenant pas de réponse à cette lettre, le 27 juillet 2015 le ministre a déposé la présente requête en vue d’obtenir le rejet de la demande de mandamus de M. Figueroa au motif qu’elle est théorique.

III.             Questions en litige

[18]           La requête du ministre soulève deux questions :

A.    La demande de mandamus de M. Figueroa devrait‑elle être rejetée au motif qu’elle est théorique?

B.     La Cour devrait‑elle se prononcer sur la légalité de la décision rendue par le ministre le 17 juillet 2015?

IV.             Analyse

A.                La demande de mandamus de M. Figueroa devrait‑elle être rejetée au motif qu’elle est théorique?

[19]           Il ne fait aucun doute que la demande d’ordonnance de mandamus de M. Figueroa est devenue théorique en raison de la décision rendue par le ministre le 17 juillet 2015.

[20]           Le critère du caractère théorique a été expliqué par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski c Canada, [1989] 1 RCS 342, [1989] ACS no 14, au paragraphe 16 [Borowski] et par la Cour dans Bago c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1299, au paragraphe 11. Ce critère à deux volets exige que la Cour décide i) si le litige concret entre les parties n’existe plus, de sorte que les questions soulevées sont devenues théoriques, et ii) dans l’affirmative, si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire.

[21]           Dans Borowski, le juge Sopinka fait remarquer, à la page 353, que la doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal puisse refuser de juger une affaire lorsqu’elle ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite et lorsque la décision du tribunal n’aurait aucune conséquence pratique pour les parties. La question essentielle qu’il y a lieu de se poser est celle de savoir s’il existe un « litige actuel » touchant ou susceptible de toucher les droits des parties.

[22]           La demande de mandamus de M. Figueroa est manifestement théorique puisque le ministre a maintenant rendu une décision. M. Figueroa prétend que le ministre ne s’est pas acquitté de l’obligation prévue par la loi selon laquelle il doit répondre à sa demande dans un délai de 15 jours. Quand bien même la plainte de M. Figueroa serait justifiée, il n’y a pas lieu d’y remédier, puisqu’une décision a maintenant été rendue. Une décision de la Cour concernant le retard du ministre n’aurait aucune conséquence pratique sur les droits des parties, et il ne convient donc pas que la Cour tranche cette question.

B.                 La Cour devrait‑elle se prononcer sur la légalité de la décision rendue par le ministre le 17 juillet 2015?

[23]           M. Figueroa ne souscrit pas à la décision rendue par le ministre le 17 juillet 2015. Mais la Cour n’a été saisie d’aucun dossier qui lui permettrait de déterminer si le ministre a commis une erreur susceptible d’un contrôle judiciaire en rejetant la demande présentée par M. Figueroa en vertu de l’article 10 du Règlement en vue d’obtenir un certificat.

[24]           Dans la présente demande, les éléments de preuve au dossier ont été assemblés sur la foi que M. Figueroa demandait une ordonnance de mandamus. Le protonotaire Lafrenière et la juge Gagné ont explicitement conclu que la demande de M. Figueroa se limite au mandamus. Aucun dossier certifié du tribunal n’a été produit en vertu de l’article 317 des Règles, et le ministre n’a pas non plus déposé de mémoire des faits et du droit portant sur le bien-fondé de la décision.

[25]           Si M. Figueroa souhaite contester officiellement la décision rendue par le ministre le 17 juillet 2015, il peut déposer une demande de contrôle judiciaire de ladite décision, accompagnée d’une demande de prorogation du délai prévu pour entamer la procédure.

V.                Conclusion

[26]           La demande d’ordonnance de mandamus est rejetée. Le ministre sollicite des dépens. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles peuvent présenter des observations écrites à la Cour, d’une longueur maximale de sept pages, dans les dix jours ouvrables suivant la date de la présente décision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande d’ordonnance de mandamus est rejetée au motif qu’elle est théorique. L’audience prévue pour le 7 décembre 2015, à 9 h 30, à Vancouver, est annulée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑146‑15

 

INTITULÉ :

JOSE LUIS FIGUEROA c LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DU COMMERCE ET DU DÉVELOPPEMENT DU CANADA

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JuGEment ET MOTIFS :

LE JUGE fothergill

DATE DES MOTIFS :

LE 3 DécembRE 2015

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Jose Luis Figueroa

le demandeur

 

Cheryl D. Mitchell

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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