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Date : 20151123


Dossier : IMM‑1117‑15

Référence : 2015 CF 1301

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

LHAM TASHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Lham Tashi a fondé sa demande d’asile sur sa crainte d’être persécuté en Chine du fait de son origine ethnique tibétaine. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté cette demande au motif que M. Tashi n’avait pas besoin de la protection auxiliaire du Canada, car il était né en Inde et avait donc droit à la citoyenneté indienne.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la Commission était raisonnable.

I.                   Contexte

[3]               Monsieur Tashi est né en Inde le 14 novembre 1985 de parents qui se sont enfuis en Inde lorsque le gouvernement chinois a pris le contrôle du Tibet en 1959. Monsieur Tashi est un citoyen de la Chine et n’a actuellement aucun statut juridique en Inde.

[4]               La loi indienne en matière d’immigration prévoit que les personnes nées en Inde entre 1950 et 1987 sont des citoyens indiens, peu importe la nationalité de leurs parents. Monsieur Tashi n’a jamais demandé la citoyenneté indienne, mais a expliqué qu’il connaît d’autres Tibétains nés en Inde qui ont vu leur demande de citoyenneté indienne rejetée. En outre, M. Tashi n’a pas de certificat de naissance prouvant qu’il est né en Inde. Cependant, il possédait un [traduction« certificat d’enregistrement pour les Tibétains » délivré par l’Inde, qui devait être renouvelé chaque année et qui est désormais expiré.

[5]               Monsieur Tashi est entré au Canada le 1er août 2012 muni d’un passeport indien délivré à son nom, qui, selon lui, était frauduleux. Monsieur Tashi a demandé l’asile, car il craignait d’être persécuté en Chine du fait de son origine ethnique tibétaine, de son rôle dans la défense de la liberté tibétaine et de son allégeance au dalaï‑lama.

[6]               Monsieur Tashi n’a pas demandé l’asile à titre de réfugié venant de l’Inde, bien qu’il dit craindre que l’Inde le renvoie en Chine, car son certificat d’enregistrement pour les Tibétains est expiré et il a entendu parler de plusieurs autres Tibétains dont le certificat n’a pas été renouvelé.

II.                La décision de la Commission

[7]               La Commission a souligné que l’alinéa 3(1)a) de la Citizenship (Amendment) Act, 2003 [loi de 2003 sur la citoyenneté (version modifiée)] de l’Inde dispose que chaque personne née en Inde entre le 26 janvier 1950 et le 1er juillet 1987 est un citoyen indien de naissance. Comme M. Tashi est né entre ces deux dates, la Commission a conclu qu’il avait droit à la citoyenneté indienne.

[8]               La Commission a conclu que la question à trancher consistait à savoir si l’obtention de la citoyenneté indienne relevait de la volonté de M. Tashi. La Commission a reconnu que dans la décision Wanchuk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 885, [2014] ACF no 900, la Cour a conclu que la réticence du gouvernement indien à octroyer la citoyenneté indienne aux Tibétains nés en Inde révèle que l’obtention de la citoyenneté indienne ne relève pas de la volonté des personnes se trouvant dans la même situation que M. Tashi.

[9]               La Commission a néanmoins estimé que la situation des Tibétains nés en Inde évoluait et que des éléments de preuve récents révélaient que le gouvernement indien était en voie de reconnaître la citoyenneté des personnes comme M. Tashi. Par conséquent, la Commission a estimé que l’obtention de la citoyenneté relevait en fait de la volonté de M. Tashi.

[10]           Compte tenu du fait que M. Tashi était un citoyen de l’Inde et qu’il n’a pas exprimé de crainte de persécution dans ce pays, sa demande d’asile a été rejetée.

[11]           M. Tashi fait valoir que les éléments de preuve sur lesquels s’est appuyée la Commission pour conclure que l’obtention de la citoyenneté indienne relevait de sa volonté n’étayent pas une telle conclusion et qu’en conséquence, la décision de la Commission était déraisonnable.

III.             Analyse

[12]           Dans l’arrêt Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126, [2006] 3 RCF 429, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une personne n’a pas le droit d’obtenir l’asile au Canada si elle peut, par de simples formalités, acquérir la citoyenneté dans un pays sûr ou si elle a la faculté de l’obtenir (aux paragraphes 19 à 23). Dans l’arrêt Williams, la Cour a ajouté que lorsque la citoyenneté d’un autre pays sûr peut être réclamée, le demandeur est censé entreprendre des démarches pour l’obtenir (au paragraphe 27).

[13]           La Cour s’est penchée à plusieurs reprises sur la possibilité pour les Tibétains nés en Inde d’obtenir la citoyenneté indienne, et elle a rendu des décisions divergentes sur la question de savoir si l’obtention de la citoyenneté indienne relève de la volonté des personnes se trouvant dans la même situation que M. Tashi. Trois décisions méritent une attention particulière.

[14]           Comme je l’ai souligné plus tôt, dans la décision Wanchuk, précitée, le juge O’Reilly a conclu que la réticence du gouvernement indien à octroyer la citoyenneté indienne aux Tibétains nés en Inde révèle que l’obtention de la citoyenneté indienne ne relève pas de la volonté des personnes se trouvant dans la même situation que M. Tashi.

[15]           Le juge Mosley a dû répondre à cette même question ultérieurement, dans la décision Tretsetsang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 455, [2015] ACF no 479. Bien que les faits examinés dans la décision Tretsetsang ne se distinguaient pas de ceux examinés dans la décision Wanchuk, le juge Mosley a refusé de suivre cette décision au motif que la Cour, dans la décision Wanchuk, n’avait pas appliqué adéquatement les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Williams (Tretsetsang, au paragraphe 21).

[16]           Pour tirer à cette conclusion, le juge Mosley a fait remarquer ce qui suit : « On s’attend à ce que les demandeurs [d’asile] prennent des mesures raisonnables pour obtenir ou exercer tout droit relatif à la citoyenneté dont ils disposent. Un droit qui est consacré dans la législation et qui a été reconnu par les tribunaux représente plus qu’une “simple possibilité”. » Il a conclu qu’« il n’y a rien de déraisonnable dans le fait de s’attendre à ce que le demandeur intente un recours en justice si son pays de nationalité tente de lui nier ses droits » (au paragraphe 31).

[17]           Lorsqu’il a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Tretsetsang, le juge Mosley a certifié la question suivante :

L’expression « pays dont elle a la nationalité », se retrouvant à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, inclut‑elle un pays dont le demandeur est citoyen mais où il pourrait rencontrer des obstacles quant à l’exercice des droits et privilèges reliés à la citoyenneté, tel le droit d’obtenir un passeport?

[18]           La juge Tremblay‑Lamer a examiné le débat jurisprudentiel dans la décision Dolma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 703, [2015] ACF no 735. La juge Tremblay‑Lamer, qui a adopté le raisonnement énoncé dans la décision Wanchuk, a conclu que le fait d’obliger les demandeurs d’asile à démontrer qu’ils ont demandé et se sont fait refuser la citoyenneté d’un pays donné « équivaudrait à restreindre la définition de réfugié prévue dans la Convention relative au statut des réfugiés [...] et à l’article 96 de la [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] » (au paragraphe 32).

[19]           Selon la juge Tremblay‑Lamer, « la question à se poser est de savoir si, selon les éléments de preuve dont disposait la Commission, il est permis de douter, après avoir examiné les lois, les pratiques, la jurisprudence et les politiques du pays de nationalité éventuelle, que l’obtention de la citoyenneté de ce pays ne soit pas considérée comme automatique ou comme relevant du pouvoir du demandeur, et non pas de savoir si celui‑ci a fait des démarches en ce sens et a été débouté ». Elle a ensuite expliqué que s’il en était autrement, « seraient exclues de la protection offerte aux réfugiés toutes les personnes qui n’ont pas déjà demandé la citoyenneté pour un certain nombre de raisons, y compris l’incapacité d’acquitter les frais relatifs à la demande ou aux procédures judiciaires découlant de celle‑ci » (au paragraphe 32).

[20]           La juge Tremblay‑Lamer a jugé que les éléments de preuve dont disposait la Commission dans l’affaire Dolma ne prouvaient pas que la demande de citoyenneté indienne présentée par la demanderesse serait accueillie, et a par conséquent conclu que l’obtention de la citoyenneté indienne était indépendante de la volonté de la demanderesse.

[21]           En l’espèce, la Commission a examiné les éléments de preuve concernant la réticence du gouvernement indien à octroyer la citoyenneté indienne aux Tibétains nés en Inde. Elle a conclu que la preuve à cet égard avait beaucoup évolué depuis que la décision Wanchuk avait été rendue, de sorte qu’elle n’était plus liée par la décision Wanchuk. Par conséquent, afin de décider si la décision de la Commission était raisonnable, il est nécessaire d’examiner les éléments de preuve pris en compte dans les affaires que la Cour a tranchées antérieurement, puis d’examiner les éléments de preuve supplémentaires sur lesquels s’est appuyée la Commission en l’espèce afin d’établir si ces éléments de preuve étayent la conclusion de la Commission, à savoir que la situation en Inde avait changé.

[22]           Malgré la clarté apparente du libellé de la Citizenship Act de l’Inde, le gouvernement indien refuse depuis toujours d’octroyer la citoyenneté aux Tibétains nés en Inde. Cependant, en 2009, la Haute Cour de Delhi a conclu qu’une personne d’origine tibétaine née en Inde en 1986 était une citoyenne indienne de naissance et pouvait obtenir un passeport indien. La Haute Cour a souligné qu’une personne qui est citoyenne indienne de naissance n’a pas besoin de demander la citoyenneté (Namgyal Dolkar v Government of India, Ministry of External Affairs, [2010] INDLHC 6118, CW 12179/2009 (22 décembre 2010)).

[23]           Dans la décision Wanchuk, le juge O’Reilly s’est penché sur l’incidence de la décision Dolkar, et a conclu que l’obtention de la citoyenneté indienne relevait de la volonté de M. Wanchuk, car la décision Dolkar s’appliquait uniquement à New Delhi, et non aux autres régions de l’Inde. En outre, aucun Tibétain né en Inde ne s’est vu accorder la citoyenneté indienne dans les trois années suivant la décision Dolkar. Enfin, avant de demander la citoyenneté indienne, il se peut que M. Wanchuk doive obtenir une lettre de non‑opposition de la part de l’autorité centrale tibétaine (ACT), le gouvernement tibétain en exil autoproclamé. La position officielle de l’ACT était qu’elle ne s’opposerait pas aux Tibétains qui demandent la citoyenneté indienne, mais en réalité, l’ACT hésitait à donner son approbation, car elle croyait que les Tibétains en Inde devraient y rester des réfugiés, de manière à les inciter à retourner un jour dans un Tibet indépendant.

[24]           Lorsque le juge Mosley a rendu la décision Tretsetsang, soit environ six mois après le prononcé de la décision Wanchuk, une seconde décision de la Haute Cour indienne avait été trouvée. Dans cette décision, qui provenait cette fois‑ci du Karnataka, la Haute Cour indienne a conclu qu’un Tibétain né en Inde pouvait, de plein droit, obtenir la citoyenneté indienne (Tenzin Rinpoche v. Union of India, Ministry of External Affairs, [2013] INKAHC, WP 15437/2013 (7 août 2013)). Il convient particulièrement de souligner que la cour qui a rendu la décision Rinpoche avait compétence sur la ville de Bengaluru, où habitait habituellement M. Tashi.

[25]           La juge Tremblay‑Lamer a rendu la décision Dolma deux mois après le prononcé de la décision Tretsetsang. Sa décision renvoie à la décision Dolkar, à la Réponse à la demande d’information (RDI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 15 août 2013, à un reportage publié dans un journal en 2012 et à une lettre provenant d’un représentant du dalaï‑lama.

[26]           La RDI de la Commission précise que [traduction« malgré la décision de la Haute Cour de Delhi, le pouvoir exécutif continue de traiter les Tibétains nés en Inde entre le 26 janvier 1950 et le 1er juillet 1987 comme des étrangers, et non pas comme des citoyens ». Ce document signale également qu’il existe un [traduction« écart important » entre le droit que cette cour a reconnu dans la décision Dolkar et la capacité des gens à faire réellement reconnaître ce droit. Les recherches que la Commission a elle‑même effectuées ont révélé qu’en réalité, [traduction] « les Tibétains vivant en Inde qui sont nés pendant la période pertinente sont toujours incapables d’obtenir officiellement leur statut de citoyen par de simples formalités ». La RDI faisait aussi référence à une politique non écrite de l’ACT consistant à refuser d’octroyer un certificat de non‑opposition aux demandeurs éventuels de la citoyenneté, ce qui constitue un autre obstacle pour les Tibétains nés en Inde qui souhaitent obtenir la citoyenneté indienne.

[27]           Selon la lettre du représentant du dalaï‑lama et le reportage, malgré le fait que des Tibétains nés en Inde aient obtenu gain de cause en cour, le gouvernement indien était toujours réticent à octroyer la citoyenneté aux personnes dans cette situation, et chaque personne souhaitant faire reconnaître sa citoyenneté indienne devait intenter sa propre action en cour, ce qui constitue un processus long et coûteux.

[28]           Les éléments de preuve ont porté la juge Tremblay‑Lamer à conclure que dans la décision Dolma, la Commission ne s’attachait « qu’aux droits juridiques à la citoyenneté et non pas à la réalité pratique et à la nécessité de faire reconnaître la citoyenneté par les autorités compétentes » (au paragraphe 40). En revanche, en l’espèce, la Commission a conclu que des éléments de preuve récents révélaient que le gouvernement indien était en voie de reconnaître la citoyenneté des personnes comme M. Tashi.

[29]           La question fondamentale consiste par conséquent à savoir si les nouveaux éléments de preuve sur lesquels s’est appuyée la Commission étayaient raisonnablement sa conclusion selon laquelle la situation en Inde a assez changé pour que l’obtention de la citoyenneté indienne relève désormais de la volonté de M. Tashi.

[30]           En l’espèce, la Commission a rendu sa décision avant que la Cour ne rende la décision Dolma. Par conséquent, l’analyse de la juge Tremblay‑Lamer n’a pas été prise en compte. Cependant, la Commission a examiné la décision Wanchuk de la Cour, et elle a expliqué les raisons pour lesquelles, à son avis, la situation avait sensiblement changé depuis le prononcé de la décision Wanchuk de sorte qu’elle n’était plus liée par cette décision.

[31]           Au début de son analyse, la Commission a mentionné que depuis le prononcé de la décision Wanchuk, le ministre de la Justice de l’Inde avait dit, en février 2014, à un groupe de Tibétains nés en Inde, que le gouvernement leur avait donné à la fois le droit de vote et le droit à la citoyenneté, et qu’ils pouvaient désormais s’inscrire comme citoyens de l’Inde. La Commission a jugé qu’il s’agissait d’un élément important, car c’était la première fois qu’un représentant du gouvernement indien reconnaissait que les Tibétains nés en Inde avaient droit à la citoyenneté aux termes de la Citizenship Act de l’Inde.

[32]           La Commission a aussi souligné que dans la décision Wanchuk, la Cour avait accordé peu d’importance à la décision Dolkar au motif que celle‑ci s’appliquait uniquement à New Delhi. Elle a mentionné que la décision Rinpoche avait été rendue depuis lors et qu’il s’agissait d’une décision judiciaire contraignante dans l’administration régissant Bengaluru, où avait habité M. Tashi. La Commission a reconnu que rien ne prouvait que le demandeur, dans la décision Rinpoche, avait finalement obtenu un passeport, mais que rien ne prouvait qu’il n’en avait pas obtenu un. La Commission a conclu qu’il serait hypothétique de supposer que c’était le cas.

[33]           Après le prononcé de la décision Rinpoche, la Commission électorale de l’Inde a ordonné à tous les territoires et États indiens d’inscrire les Tibétains nés en Inde sur les listes électorales afin de leur permettre de voter, le droit de vote étant un attribut de la citoyenneté. La Commission a conclu que des éléments de preuve portaient à croire que des Tibétains s’étaient réellement inscrits sur les listes électorales et révélaient que des centaines de Tibétains nés en Inde avaient voté à l’élection du 7 mai 2014 sur présentation d’une preuve qu’ils étaient nés en Inde pendant la période pertinente.

[34]           En outre, depuis que la décision Wanchuk a été rendue, les tribunaux indiens ont été saisis d’une autre affaire concernant les droits de citoyenneté des Tibétains nés en Inde. Dans la décision Phuntsok Topden v Union of India, [2014] INDLHC, WP 1890/2013 (16 décembre 2014), le gouvernement de l’Inde a reconnu que le demandeur dans cette affaire avait droit à la citoyenneté, car il était né en Inde pendant la période pertinente. La Commission a conclu que la reconnaissance du gouvernement dans la décision Topden était particulièrement importante.

[35]           Enfin, la Commission a signalé qu’un représentant de l’ACT, au cours d’une entrevue livrée au quotidien The Guardian, avait déclaré qu’« il appartient entièrement à chaque Tibétain de se réclamer ou non des droits conférés en vertu de toute loi indienne ».

[36]           La Cour ne disposait d’aucun de ces éléments de preuve lorsqu’elle a rendu la décision Wanchuk, et lorsqu’elle a rendu la décision Dolma, il semble qu’elle ne disposait d’aucun des éléments de preuve sur lesquels s’est appuyée la Commission pour conclure que la situation avait changé, outre la décision Rinpoche.

[37]           La Commission n’est pas liée par les décisions de la Cour lorsqu’elle dispose d’éléments de preuve différents lui permettant d’établir une distinction avec des conclusions antérieures de la Cour. La Commission est tenue de trancher la demande dont elle est saisie en fonction des faits propres à l’affaire qu’elle examine, notamment les derniers renseignements sur la situation dans le pays. Par conséquent, des éléments de preuve nouveaux ou différents peuvent porter la Commission à rendre une décision différente d’une décision de la Cour comportant des faits semblables.

[38]           C’est précisément ce qui s’est produit en l’espèce. Aucune décision que la Cour avait rendue jusqu’ici sur la question de savoir si l’obtention de la citoyenneté indienne relevait de la volonté de Tibétains nés en Inde ne reposait sur les mêmes éléments de preuve documentaire que ceux soumis à la Commission en l’espèce, et les éléments de preuve dont disposait la Commission en l’espèce étayaient raisonnablement la conclusion selon laquelle l’obtention de la citoyenneté indienne relevait désormais de la volonté de M. Tashi. 

[39]           Monsieur Tashi conteste la conclusion de la Commission; il soutient qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir la citoyenneté indienne, car il n’a pas de certificat de naissance indien. Rien ne prouve que M. Tashi a déjà tenté d’obtenir un certificat de naissance; or, il avait un certificat d’enregistrement pour les Tibétains, soit une carte d’identité délivrée par le gouvernement et confirmant qu’il est né en Inde pendant la période pertinente. Outre le témoignage vague et anecdotique livré par M. Tashi, le dossier ne comportait aucun élément établissant qu’il n’arriverait pas à faire renouveler son certificat d’enregistrement s’il retournait en Inde, et personne n’a porté à ma connaissance des éléments de preuve révélant que le certificat d’enregistrement pour les Tibétains serait refusé pour faire reconnaître la citoyenneté indienne.

[40]           Monsieur Tashi soutient également qu’il pourrait bien être tenu d’intenter une action en cour pour faire reconnaître son droit à la citoyenneté, et que la juge Tremblay‑Lamer a conclu dans la décision Dolma que cela signifiait que l’obtention de la citoyenneté indienne était indépendante de sa volonté. Cependant, le juge Mosley a tiré une conclusion contraire dans la décision Tretsetsang et il était loisible à la Commission de conclure raisonnablement, selon le dossier dont elle était saisie, que des éléments de preuve récents révélaient un assouplissement dans l’attitude du gouvernement indien à l’égard de la reconnaissance de la citoyenneté des Tibétains nés en Inde.

[41]           À ce sujet, M. Tashi soutient que le fait que la Commission électorale de l’Inde a reconnu le droit de vote des Tibétains nés en Inde ne signifie pas pour autant que le gouvernement reconnaît désormais que les Tibétains nés en Inde sont des citoyens de l’Inde de plein droit. Pour appuyer son affirmation, il signale que le gouvernement de l’Inde a contesté la décision de la Commission électorale de l’Inde. Cependant, la Commission a expressément reconnu la possibilité que différentes divisions du gouvernement indien adoptent des positions différentes à cet égard, mais a raisonnablement conclu que la tentative du gouvernement de contester la décision de la Commission électorale en mai 2014 devait être examinée eu égard à la concession que le ministre de la Justice a faite récemment dans la décision Topden.

[42]           Monsieur Tashi affirme également que la Commission a mal compris la preuve concernant un changement dans la position de l’ACT, car celle‑ci a toujours officiellement adopté une position impartiale en ce qui a trait au droit des Tibétains nés en Inde de demander la citoyenneté indienne. Cependant, bien que les décisions Dolkar, Rinpoche et Topden des cours indiennes ne le mentionnent pas explicitement, dans ces affaires, les demandeurs ont tous vraisemblablement pu obtenir une lettre de non‑opposition de la part de l’ACT, ce qui appuie le point de vue selon lequel l’ACT ne s’oppose plus autant que par le passé à la démarche des Tibétains nés en Inde qui tentent d’obtenir la citoyenneté indienne.

[43]           Monsieur Tashi minimise l’importance de la concession que le gouvernement a faite dans la décision Topden et signale que plus de deux ans après le prononcé de la décision Dolkar, le gouvernement de l’Inde hésite encore à octroyer la citoyenneté aux Tibétains nés en Inde, et les déclarations du ministre de la Justice n’ont donné lieu à aucune mesure concrète.

[44]           Cependant, en fin de compte, dans ses observations, M. Tashi conteste essentiellement le poids que la Commission a accordé aux éléments de preuve dont elle disposait au sujet de l’évolution de la situation en Inde pour les Tibétains nés dans ce pays. La Commission a évalué la preuve dont elle disposait et l’a comparée avec celle dont la Cour disposait lorsqu’elle a rendu la décision Wanchuk. Elle a conclu que M. Tashi est un citoyen indien de plein droit et qu’en raison des événements récents, la reconnaissance officielle de ce fait relève désormais de sa volonté. Il s’agissait d’une conclusion que la Commission pouvait raisonnablement tirer d’après le dossier qui lui a été présenté.

IV.             Conclusion

[45]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1117‑15

 

INTITULÉ :

LHAM TASHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 NOVEMBRE 2015

 

jugement ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rachel Hepburn Craig

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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