Date : 20151030
Dossier : DES-7-08
Référence : 2015 CF 1232
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
LE JUGE S. NOËL
I. Introduction
[1] M. Mahjoub demande à la Cour de le mettre en liberté et de lever l’ensemble des conditions de mise en liberté auxquels il est soumis, à l’exception des conditions habituelles, par exemple les suivantes :
1. M. Mahjoub doit avoir une bonne conduite et ne pas troubler l’ordre public.
2. M. Mahjoub doit signaler tout changement d’adresse.
3. Le passeport et les titres de voyage de M. Mahjoub demeurent en la possession de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). Il lui est interdit de demander la délivrance d’un passeport ou d’un titre de voyage et il doit se conformer aux présentes conditions.
[2] La requête visant à obtenir la levée, l’annulation et la modification des conditions de la mise en liberté est présentée en vertu du paragraphe 82(4) et de l’alinéa 82(5)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[3] L’ordonnance précisant les conditions de mise en liberté déjà établie est jointe à l’annexe A.
[4] Les défendeurs (les ministres) estiment que toutes les conditions déjà existantes devraient être maintenues pour neutraliser le danger que représente M. Mahjoub, et ce, à deux exceptions près. La première condition qu’ils acceptent de modifier est mineure : préciser l’endroit exact où M. Mahjoub doit se présenter chaque semaine à l’ASFC (condition n° 4). La seconde condition qu’ils acceptent de modifier concerne l’utilisation d’un téléphone mobile (condition n° 11). Les ministres expliquent qu’un téléphone mobile doit être muni d’une carte SIM pour fonctionner normalement, mais craignent que cette carte ne permette d’accéder à Internet. Ils proposent donc d’offrir à M. Mahjoub un téléphone mobile muni d’une carte SIM, mais d’établir des mesures de sécurité et des contrôles appropriés pour assurer une surveillance adéquate.
A. Un bref historique des procédures et des contrôles de la détention et des conditions de mise en liberté
[5] M. Mahjoub, un ressortissant égyptien, est né en avril 1960. Il est arrivé à Toronto, ici au Canada, à la fin de décembre 1995. Il était muni d’un faux passeport de l’Arabie saoudite. Il a présenté une demande d’asile qui a été accueillie par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 24 octobre 1996. Le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) a commencé à s’intéresser à lui en 1996. Par suite de l’enquête menée par le SCRS, il a fait l’objet d’un certificat délivré par les ministres en juin 2000, et il a été arrêté le 26 juin 2000.
[6] Le juge Nadon de la Cour fédérale du Canada (tel était alors son titre) a conclu le 5 octobre 2001 que le certificat qui avait été délivré était raisonnable[1]. Dans les motifs de son ordonnance, le juge a fait observer que M. Mahjoub avait avoué s’être parjuré lorsqu’il avait affirmé ne pas connaître une certaine personne. Le juge Nadon a écrit qu’il ne croyait pas l’explication que M. Mahjoub avait donnée pour avoir menti et a ajouté que M. Mahjoub avait menti sur un certain nombre de sujets (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Mahjoub, 2001 CFPI 1095 (la décision de 2001 du juge Nadon (octobre)), aux paragraphes 57, 58, 68 et 70).
[7] La juge Eleanor Dawson, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, a rejeté à deux reprises (en 2003 et en 2005) les demandes présentées par M. Mahjoub en vue d’obtenir sa mise en liberté. Dans sa première décision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Mahjoub, 2003 CF 928 (la décision de 2003 de la juge Dawson (juillet)), au paragraphe 76), la juge Dawson s’est fondée sur les conclusions tirées par le juge Nadon dans la décision susmentionné au sujet des mensonges. Lors de son second contrôle de la détention, la juge Dawson a refusé de faire droit à la demande de mise en liberté, parce qu’elle ne croyait pas que les conditions de mise en liberté pouvaient neutraliser le danger que représentait M. Mahjoub. Elle a ajouté qu’elle n’était pas convaincue que l’on pouvait se fier à M. Mahjoub pour respecter les conditions discutées à l’époque (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Mahjoub, 2005 CF 1596 (la décision de 2005 de la juge Dawson (novembre)), au paragraphe 101).
[8] Le 15 février 2007, M. Mahjoub a fait l’objet d’une mise en liberté assortie de sévères conditions, notamment surveillance électronique, détention à domicile, surveillance physique, dépôt d’un cautionnement, interdiction d’accès à tout dispositif de communication, etc. (Mahjoub c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 171 (la décision de 2007 du juge Mosley (février))).
[9] Le 23 février 2007, la Cour suprême du Canada a déclaré inconstitutionnel le régime régissant la délivrance de certificats de sécurité et a suspendu pour un an l’effet de sa déclaration d’invalidité pour permettre au législateur fédéral de modifier la LIPR (voir Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350 (Charkaoui no 1)).
[10] Un nouveau régime de certificats de sécurité, prévoyant notamment l’intervention d’avocats spéciaux, est entré en vigueur en février 2008. Les ministres ont signé un nouveau certificat de sécurité à l’encontre de M. Mahjoub le 22 février 2008.
[11] La juge Layden‑Stevenson, qui était la juge désignée chargée de cette nouvelle instance en certificat de sécurité avant sa nomination à la Cour d’appel fédérale, a rendu deux décisions sur les conditions de mise en liberté à la fin décembre 2008 et en mars 2009. Dans sa première décision, elle a modifié une des conditions de mise en liberté prévue par une ordonnance précédente (datée du 11 avril 2007). Dans sa seconde décision, elle a fait observer que le fait que M. Mahjoub avait insisté sur le respect à la lettre des conditions de sa mise en liberté avait nui aux efforts faits par l’ASFC pour répondre aux besoins de sa famille (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Mahjoub, 2009 CF 248 (la décision de 2009 de la juge Layden‑Stevenson (mars)), au paragraphe 150).
[12] Une dizaine de jours après le prononcé des motifs de l’ordonnance de la juge Layden‑Stevenson, deux des cautions de M. Mahjoub, son épouse et son gendre, se sont désistés comme cautions. Par conséquent, M. Mahjoub a accepté d’être réincarcéré le 18 mars 2009.
[13] Il a de nouveau été mis en liberté sous condition le 30 novembre 2009 par le juge Blanchard, le nouveau juge désigné chargé de présider la seconde instance visant le certificat de sécurité (Mahjoub (Re), 2009 CF 1220 (la décision de 2009 du juge Blanchard (novembre))).
[14] En réponse à une nouvelle demande visant à faire lever la plupart des conditions de la mise en liberté, le juge Blanchard a modifié certaines conditions, notamment l’obligation pour M. Mahjoub de porter un dispositif de repérage GPS (voir Mahjoub (Re), 2011 CF 506 (la décision de 2011 du juge Blanchard (mai))).
[15] Dans les deux exposés successifs de motifs d’ordonnance datés respectivement du 1er février 2012 et du 7 janvier 2013, le juge Blanchard a à nouveau levé certaines conditions et en a considérablement modifié d’autres après avoir conclu que la menace que posait M. Mahjoub avait diminué (voir Mahjoub (Re), 2012 CF 125 (la décision de 2012 du juge Blanchard (février)), aux paragraphes 66 et 90 à 93; Mahjoub (Re), 2013 CF 10 (la décision de 2013 du juge Blanchard (janvier))). Dans sa dernière décision, au paragraphe 47, le juge Blanchard a exprimé ses préoccupations quant au fait de s’assurer que M. Mahjoub ne communique pas avec des terroristes et ne reprend pas contact avec des terroristes.
[16] Le 25 octobre 2013, le juge Blanchard a rendu ses motifs du jugement et son jugement au sujet du caractère raisonnable du certificat de sécurité (voir Mahjoub (Re), 2013 CF 1092 (la décision de 2013 du juge Blanchard (octobre) ou la décision sur le caractère raisonnable)). Il a conclu ce qui suit :
[traduction]
[618] Voici un résumé de mes conclusions précédentes concernant la crédibilité des différents comptes rendus de M. Mahjoub :
a) M. Mahjoub a menti lorsqu’il a nié connaître M. Marzouk, M. Khadr, M. Jaballah ou leurs noms d’emprunt. Plus précisément, au cours de sa quatrième entrevue, en octobre 1998, il a nié connaître M. Khadr malgré le fait qu’il avait admis le contraire lors d’une entrevue précédente. Lorsqu’on lui a signalé qu’il avait habité chez les Elsamnah, les beaux-parents de M. Khadr, un autre fait qu’il n’avait pas dévoilé aux autorités canadiennes, il a alors admis connaître M. Khadr.
b) M. Mahjoub a menti lorsqu’il a nié avoir déjà employé un nom d’emprunt. J’ai conclu que l’explication de M. Mahjoub au sujet de la façon dont il en était venu à employer le nom d’emprunt « Ibrahim », lorsqu’il avait admis cette utilisation, n’était pas crédible, pour les motifs exposés ci‑dessus, au paragraphe 539.
c) L’explication de M. Mahjoub selon laquelle il n’a pas fourni au Service les noms des personnes qui le connaissaient sous le nom d’emprunt Ibrahim, parce qu’il craignait que les autorités égyptiennes ne ciblent ces personnes et lui-même, n’était pas crédible, ainsi que je l’ai expliqué ci‑dessus au paragraphe 540.
d) M. Mahjoub a omis de dévoiler aux autorités canadiennes la véritable nature de son travail et de son employeur à la ferme Damazine lorsqu’il se trouvait au Soudan, mentionnant uniquement qu’il avait été employé comme ingénieur agricole à la ferme. Cette omission est un autre élément qui affaiblit sa crédibilité.
e) L’explication que M. Mahjoub a donnée au sujet du fait qu’il avait quitté la ferme pour aller acheter et vendre des produits au marché n’était pas crédible, eu égard au salaire qu’il touchait probablement à l’époque comparativement au salaire moyen au Soudan, comme je l’ai expliqué ci-dessus aux paragraphes 484 à 486 et 490.
[619] À mon avis, les omissions et mensonges susmentionnés de M. Mahjoub visent à constamment dissimuler des faits qui pourraient le rattacher à des terroristes notoires, à des activités terroristes ou à des entreprises, comme Althemar, dont les liens avec le terrorisme sont connus. Le fait que M. Mahjoub était prêt à mentir au sujet de l’utilisation de noms d’emprunt est particulièrement troublant. L’utilisation de noms d’emprunt est bien connue dans le milieu du terrorisme et permet de dissimuler la véritable identité des individus concernés.
[620] Dans ces conditions, les omissions et mensonges susmentionnés de M. Mahjoub m’incitent à conclure que le compte rendu innocent qu’il a fait de certains événements et activités au Soudan ainsi qu’au Canada n’est pas crédible. Cette conclusion appuie les allégations des ministres.
[…]
iii. La période des voyages de M. Mahjoub
[623] Les voyages que M. Mahjoub a faits au Soudan en septembre 1991 coïncident avec le déplacement d’éléments de l’AJ et d’Al-Qaïda vers ce même pays. Le départ de M. Mahjoub du Soudan vers le Canada coïncide avec l’exode de ces éléments du Soudan vers l’ouest et vers d’autres pays du monde musulman. Je reconnais qu’au cours de cette période, les organisations terroristes se cherchaient une base à l’étranger et leurs membres se sont dispersées à différents endroits, notamment en Europe et en Amérique du Nord. Je conclus que la période des voyages de M. Mahjoub appuie l’allégation des ministres selon laquelle M. Mahjoub était membre de l’AJ.
iv. Les contacts de M. Mahjoub avec des terroristes
[624] Plusieurs personnes avec lesquelles M. Mahjoub a des liens jouent un rôle important dans le milieu terroriste. M. Mahjoub entretient en effet depuis longtemps des liens étroits avec M. Al Duri, M. Khadr et M. Marzouk. Certains de ces individus jouaient encore un rôle manifestement actif chez les militants de l’AJ et dans le milieu d’Al-Qaïda connexe lorsque M. Mahjoub était en contact avec eux. Le recours fréquent à des noms d’emprunt, à des mensonges et à des omissions pour dissimuler ces liens aux autorités montre la nature terroriste de ces contacts. Je conclus que ces contacts appuient les allégations des ministres quant à l’appartenance de M. Mahjoub à l’AJ et au VOC. De plus, M. Mahjoub XXXXXXXXXXXXXXXXXXX a composé un numéro de téléphone associé au VOC.
v. Le souci de protection du secret de M. Mahjoub
[625] Certains éléments de preuve montrent que M. Mahjoub s’est préoccupé à l’occasion du secret entourant le terrorisme lorsqu’il se trouvait au Canada. Ainsi, l’utilisation de tactiques pour déjouer la surveillance lorsqu’il faisait des appels téléphoniques ou qu’il était suivi par le Service, l’emploi de noms d’emprunt et le manque de coopération dont il a fait preuve à l’endroit des autorités canadiennes correspondent au comportement d’une personne qui cherche à dissimuler ses activités et ses contacts. Je suis d’avis que ce comportement appuie les allégations des ministres en ce qui concerne l’appartenance de M. Mahjoub à l’AJ et au VOC.
vi. Les éléments de preuve directs confirmant ou niant le fait que M. Mahjoub est un terroriste et un membre du conseil de la Shura du VOC.
[626] Tel qu’il est mentionné ci-dessus, les éléments de preuve directs concernant les allégations des ministres selon lesquelles M. Mahjoub est membre du VOC et du conseil de la Shura de celui-ci, ou membre de l’AJ, sont les suivants :
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
c) XXXXXXXXXXXXXXXXX [certains éléments de preuve classifiés]
d) une conversation interceptée.
J’ai conclu que les rapports [classifiés] XXXXXXXXXXXXX n’étaient pas suffisamment convaincants pour appuyer l’allégation des ministres concernant l’appartenance; cependant, j’ai aussi conclu que XXXXXXXXXXXXXX [un élément de preuve indiquant que M. Mahjoub était un dirigeant de l’AJ] et le fait que M. Mahjoub s’est lui-même décrit comme un « membre » dans le contexte du procès des rapatriés de l’Albanie appuient l’allégation d’appartenance.
c) Conclusion sur l’appartenance
[627] Après examen global de la preuve, et sur le fondement d’inférences justifiées et raisonnables, je conclus que les ministres ont établi qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub est membre de l’AJ et de son sous-groupe, ou groupe dissident, le VOC.
[628] À cet égard, je me fonde sur les conclusions précédemment exposées, dont les suivantes :
a) L’AJ et le VOC existaient en tant qu’organisations terroristes aux époques pertinentes;
b) M. Mahjoub était en contact au Canada et à l’étranger avec des terroristes membres de l’AJ et du VOC;
c) M. Mahjoub a utilisé des noms d’emprunt pour dissimuler ses contacts avec des terroristes;
d) M. Mahjoub a dissimulé de manière malhonnête aux autorités canadiennes ses contacts avec des terroristes;
e) M. Mahjoub a occupé un poste de très haut niveau dans l’organisation de ben Laden, auprès de terroristes au Soudan, alors que les principaux chefs terroristes se trouvaient dans ce pays;
f) M. Mahjoub a dissimulé de manière malhonnête aux autorités canadiennes la nature de son travail à la ferme de Damazine;
g) M. Mahjoub s’est rendu au Soudan et il en est sorti en même temps que des membres de l’AJ et d’Al-Qaïda;
h) XXXXXXXX [Certains éléments de preuve directs] concernant l’appartenance de M. Mahjoub à l’AJ et des conversations interceptées de M. Mahjoub étayent l’allégation des ministres.
[629] Pour arriver à ma décision, je me suis aussi fondé sur les inférences suivantes, concernant les déplacements et les activités de M. Mahjoub :
a) M. Mahjoub était en contact avec des terroristes;
b) M. Mahjoub avait une relation étroite et de longue date avec un certain nombre de ces terroristes;
c) M. ben Laden avait placé sa confiance en M. Mahjoub en raison de ses liens avec les milieux extrémistes islamiques;
d) M. Mahjoub était au courant de l’entraînement au maniement des armes dispensé par Al-Qaïda à la ferme de Damazine et il était complice de cette activité;
e) Ce n’est pas par coïncidence si M. Mahjoub s’est rendu au Soudan et en est sorti en même temps que des membres de l’AJ.
[630] Je suis convaincu que, même en l’absence des éléments de preuve directs XXXXXXXXXXX et de la conversation interceptée, ma décision demeurerait la même.
[631] Compte tenu des conclusions qui précèdent, je suis convaincu que M. Mahjoub avait un lien institutionnel avec l’AJ et qu’il a participé sciemment aux activités de cette organisation. Malgré la minceur des éléments de preuve péremptoires et dignes de foi rattachant explicitement M. Mahjoub au VOC, je suis convaincu que la preuve établit un lien institutionnel avec l’aile de l’AJ dirigée par M. Al Zawahiri et une participation consciente aux activités de celle-ci, qui s’est finalement rangée du côté d’Al-Qaïda et a poursuivi ses activités militantes après que de nombreux membres de l’AJ eurent déclaré un cessez-le-feu. J’ai conclu que cette aile était probablement connue sous le nom du VOC, du moins à une certaine période de son existence. M. Mahjoub avait des liens avec cette aile de l’AJ et avec Al-Qaïda dans le cadre de son emploi chez Althemar, de ses voyages et de ses contacts avec des terroristes au Canada. Ces liens sont demeurés actifs pendant de nombreuses années. M. Mahjoub a participé sciemment à ces réseaux dans le cadre du rôle, passif ou actif, qu’il a joué lors de l’entraînement au maniement des armes à la ferme de Damazine, ainsi que dans le cadre des contacts qu’il a maintenus avec des individus qui étaient des terroristes actifs liés à M. ben Laden ou à M. Al Zawahiri. Bien que l’appartenance réelle au groupe n’ait pas été établie au moyen d’une preuve du fait que M. Mahjoub a juré allégeance à celui-ci, cette preuve n’est pas nécessaire dans le contexte d’une instance visant le certificat de sécurité. Je suis convaincu que les liens et la participation de M. Mahjoub cadrent avec l’interprétation large et libérale que doit recevoir le mot « membre » aux fins de l’application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.
[632] Compte tenu des éléments de preuve susmentionnés qui sont mis en relief dans ma conclusion ainsi que des principes de droit commentés dans la section des présents motifs qui porte sur le cadre juridique, je suis d’avis que les ministres ont établi l’existence de motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub était membre de l’AJ et de son sous-groupe, ou groupe dissident, le VOC. En conséquence, les ministres ont satisfait aux exigences de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.
[633] Étant donné que les exigences énoncées à l’article 34 de la LIPR sont disjonctives, ma conclusion susmentionnée est déterminante quant au caractère raisonnable du certificat. En conséquence, compte tenu de la conclusion susmentionnée, je suis d’avis que le certificat de sécurité délivré contre M. Mahjoub au titre du paragraphe 77(1) de la LIPR est raisonnable.
[…]
[668] Au cours des années 1996 et 1997, pendant lesquelles le nombre de terroristes associés aux groupes en litige a semblé augmenter considérablement au Canada, et au cours de la période de 1998 à 2000, après l’adhésion de l’AJ au Front islamique dirigé par Al-Qaïda et le prononcé d’une fatwa contre les Américains et leurs alliés, M. Mahjoub a maintenu des contacts depuis le Canada avec des terroristes, présumés ou réels, que ce soit au Canada ou à l’étranger : M. Khadr, M. Al Duri, M. Jaballah et surtout M. Marzouk XXXXXXXXXXXX. Fait important à souligner, les individus avec lesquels M. Mahjoub avait des contacts à l’étranger, soit M. Khadr et M. Al Duri, étaient des citoyens canadiens. J’ai conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que tous ces individus, à l’exception de XXXXXXXX M. Jaballah, dont M. Mahjoub lui-même, étaient présents au Canada ou pouvaient y entrer librement et avaient des liens avec des groupes terroristes déterminés à tuer des alliés des États-Unis, y compris des Canadiens. Ces faits établissent que les membres de l’AJ au Canada constituaient une menace pour les Canadiens.
[669] J’en arrive à la conclusion que ces faits établissent l’existence de motifs raisonnables de croire qu’avant son arrestation, M. Mahjoub constituait, en tant que membre de l’AJ et de son sous-groupe, ou groupe dissident, le VOC, un danger pour la sécurité du Canada.
Remarque : Les éléments caviardés sont ceux qui figurent dans les motifs publics.
[17] Ainsi qu’il ressort des renvois susmentionnés aux divers motifs du jugement et jugements, l’AJ (l’Al Jihad ou le Jihad) et le VOC (le Vanguards of Conquest) sont qualifiés par le juge Blanchard de groupes terroristes importants qui étaient actifs en Égypte et qui avaient des liens et des rapports directs avec Oussama ben Laden et Al‑Qaïda (voir également les paragraphes 177 et suivants de la décision sur le caractère raisonnable).
[18] Le 17 décembre 2013, par suite de la demande déposée par M. Mahjoub en vue de faire lever les conditions de mise en liberté à l’exception de quelques‑unes, le juge Blanchard concluait : [traduction] « Je demeure convaincu que M. Mahjoub constitue une menace pour la sécurité du Canada, comme je l’ai expliqué dans les motifs de mon ordonnance du 7 janvier 2013. » Le juge Blanchard a également conclu que les conditions de mise en liberté ne devaient pas être modifiées, sauf pour quelques adaptations concernant l’utilisation de cartes d’appel. Il a également pris note du fait que M. Mahjoub avait techniquement violé les conditions de sa mise en liberté en n’informant pas l’ASFC qu’il s’était procuré un téléphone mobile, mais qu’il ne s’agissait pas d’une violation grave, étant donné que M. Mahjoub n’avait pas utilisé ce téléphone. Il a également conclu que, lorsque M. Mahjoub avait choisi de couper lui‑même le bracelet GPS qu’il portait au lieu de laisser l’ASFC le lui enlever sans le détruire, il n’avait pas violé de conditions, mais avait démontré un indice d’un [traduction] « refus » de collaborer avec l’ASFC (voir Mahjoub (Re), 2013 CF 1257 (la décision de 2013 du juge Blanchard (décembre)), aux paragraphes 5, 6, 16, 17 et 18).
[19] En mai 2014, j’ai précisé que M. Mahjoub devait communiquer le mot de passe de son ordinateur à l’ASFC, étant donné que l’ASFC avait accès à son ordinateur suivant les conditions de sa mise en liberté (voir Mahjoub (Re), 2014 CF 479 (la décision de 2014 du juge Noël (mai))). Pour la Cour, il était évident que l’attitude de M. Mahjoub démontrait son manque de collaboration. Son attitude n’aide pas l’ASFC à exercer le rôle de surveillance que lui impose l’ordonnance de la Cour.
[20] Un peu plus de six mois après que le juge Blanchard eut rendu ses derniers motifs à la suite du contrôle des conditions de sa détention, M. Mahjoub a déposé une autre demande en vue de faire réexaminer les conditions de sa mise en liberté. Il réclamait essentiellement la même mesure, à savoir que la Cour lève l’ensemble des conditions, à l’exception des conditions habituelles. La Cour a tiré les conclusions suivantes (voir Mahjoub (Re), 2014 CF 720 (la décision de 2014 du juge Noël (juillet))) :
D. Les éléments de confiance et de crédibilité touchant le comportement du demandeur après sa mise en liberté sous conditions et son respect de celles‑ci
57 Le comportement de l’intéressé au regard des conditions de sa mise en liberté est un facteur important à considérer lorsqu’on envisage de modifier ces conditions ou certaines d’entre elles. Dans Harkat (Re), 2009 CF 241, au paragraphe 92, [2009] ACF n° 316, la Cour a commenté ce facteur comme suit :
[92] La crédibilité et la confiance sont des considérations essentielles à l’occasion du contrôle judiciaire du caractère approprié des conditions. Lors de l’examen de la question de savoir si les conditions neutraliseront le danger, la Cour doit examiner l’efficacité des conditions. La crédibilité d’une personne qui est assujettie aux conditions et la confiance de la Cour à son endroit régiront vraisemblablement le type de conditions nécessaires.
58 M. Mahjoub ne s’est pas conformé de manière exemplaire à ses plus récentes conditions de mise en liberté, comme la Cour l’a signalé dans son ordonnance du 17 décembre 2013, lorsqu’elle a conclu qu’il avait enfreint une condition en ne donnant pas l’avis prévu avant de procéder à l’acquisition et à l’utilisation de services de téléphonie et de télécopieur. La Cour a conclu qu’on ne pouvait [traduction] « […] se fier à ce que M. Mahjoub respecte ses conditions de mise en liberté » (ordonnance du 17 décembre 2013, au paragraphe 18).
59 Dans la même décision, encore une fois rendue aussi récemment qu’en décembre 2013, la Cour a aussi conclu, en ce qui concerne l’enlèvement du bracelet GPS, que le fait pour M. Mahjoub de ne pas avoir permis à l’ASFC d’accomplir cette mesure sans endommager le bracelet était [traduction] « […] l’indice d’un refus de collaborer avec l’ASFC » (voir le paragraphe 17).
60 L’attitude, les agissements et le comportement récents de M. Mahjoub dénotent également un refus de collaborer avec l’ASFC et de lui faciliter l’exercice du devoir de surveillance que la Cour lui a imposé. En voici quelques exemples :
A En janvier 2014, bien que la condition 7 lui ait prescrit de le faire, M. Mahjoub n’a pas donné à l’ASFC l’information exacte sur un voyage effectué de Toronto à Ottawa. Par l’entremise de son avocat, le demandeur a communiqué une heure de départ erronée à l’ASFC, ce qui a empêché cette dernière de dûment assumer son rôle de surveillance. Les explications données à ce titre, soit que l’erreur était imputable à l’avocat et que l’ASFC aurait dû faire part à M. Mahjoub des divergences dans les renseignements, ne sont pas acceptées. La condition 7 imposait à M. Mahjoub de donner l’information exacte sur ses déplacements, et il n’appartenait pas à l’ASFC de pallier l’imprécision des renseignements fournis. Quoi qu’il en soit, vu l’inexactitude flagrante des faits communiqués par M. Mahjoub, l’ASFC n’a pas été en mesure d’exercer les fonctions de surveillance exigées d’elle par la Cour. C’est là une autre indication du manque de collaboration et de coopération de la part de M. Mahjoub.
B M. Mahjoub n’a pas transmis, encore à ce jour, les relevés de communications téléphoniques de Startec demandés par l’ASFC, conformément à la condition de mise en liberté 11b), pour la période d’utilisation allant du 31 janvier 2014 au 21 février 2014. La question a été soumise à la Cour à la fin du printemps 2014. La condition 11b) est claire : M. Mahjoub est tenu de transmettre les relevés de communications téléphoniques de Startec pour la période de trois semaines en cause. C’est là un autre exemple du manque de collaboration et de coopération de M. Mahjoub. Quant aux relevés pour l’année 2013, M. Mahjoub n’a toujours pas consenti à les transmettre, même si on lui a demandé de le faire en application de la condition de mise en liberté 11a) imposée le 31 janvier 2013. M. Mahjoub invoque comme motif que l’ASFC ne devrait pas obtenir rétroactivement l’accès à ces relevés de communications. M. Mahjoub n’a pas non plus donné avis du fait qu’il utilisait les services de Startec même si les conditions de sa mise en liberté le requéraient. Il soutient que l’ASFC avait connaissance de son compte Startec et aurait dû en demander plus tôt les relevés. Cet argument ne saurait libérer M. Mahjoub de son obligation de consentir à la transmission des relevés, tel que la Cour le lui a enjoint en application de la condition 11a). Ce comportement, encore une fois, n’est pas l’indice de la collaboration et de la coopération requises par ces conditions. En agissant ainsi, M. Mahjoub fait de nouveau en sorte que l’ASFC ne puisse exercer le rôle de surveillance que la Cour lui a imposé.
C Conformément à la condition de mise en liberté 10f) de 2014, M. Mahjoub doit accorder plein accès à l’ASFC à son ordinateur, y compris le disque dur et la mémoire périphérique, sans préavis, et l’ASFC peut saisir l’ordinateur à cette fin. Lorsque l’ASFC lui a demandé un tel accès, le 24 avril 2014, M. Mahjoub ne le lui a pas immédiatement accordé. M. Mahjoub a fait attendre à sa porte le représentant de l’ASFC, qui a cru le voir, étant retourné à son ordinateur, y effectuer des opérations pendant deux minutes. La condition imposée obligeait M. Mahjoub à accorder accès et contrôle à l’ASFC, sans préavis. Il ne l’a pas fait. Il s’est également opposé à ce que le représentant de l’ASFC prenne des photographies, alors que le but visé était de brancher l’ordinateur de la même manière lors de sa réinstallation, et d’attester tout dommage éventuellement subi. Il s’agit d’une procédure habituelle de la part de l’ASFC et d’une politique dont l’application est facile à comprendre. M. Mahjoub n’a pas non plus remis les périphériques USP pour inspection, tel que le requérait la condition 10f), qui prescrivait d’autoriser l’examen non seulement de l’ordinateur, mais aussi de tous les dispositifs mémoire périphériques. S’il n’y a pas eu violation, on en a été bien proche. Pour en finir sur ce point, M. Mahjoub a refusé de fournir le mot de passe de son ordinateur. La Cour a alors rédigé des motifs d’ordonnance et une ordonnance enjoignant à M. Mahjoub de s’exécuter (voir Mahjoub (Re), 2014 CF 479, plus particulièrement au paragraphe 21). Il a semblé évident à la Cour que M. Mahjoub devait donner son mot de passe pour qu’on puisse procéder à l’examen de l’ordinateur. Ce qui semblait évident à la Cour ne l’était toutefois pas pour M. Mahjoub. Ce type de comportement ne peut que dénoter un manque de collaboration et de coopération et, non seulement dessert les intérêts de M. Mahjoub, mais aussi rend plus difficile, voire impossible, pour l’ASFC d’assumer le rôle de surveillance que la Cour lui impose dans les Conditions de mise en liberté tant de 2013 que de 2014.
61 M. Mahjoub explique qu’il vise à s’assurer, par son comportement, que la portée des conditions de sa mise en liberté ne soit nullement élargie et que sa vie privée soit respectée. Ces motifs sont valables, dans une certaine mesure, mais on ne doit pas les invoquer pour vider de tout sens véritable les conditions de mise en liberté et empêcher la surveillance de l’utilisation des dispositifs de communication, des ordinateurs et des autres modes de transmission de données, de renseignements et d’images. Sans surveillance adéquate de la part de l’ASFC, les conditions de mise en liberté perdent toute utilité.
[21] J’ai fait ce bref historique des motifs d’ordonnance ainsi que des jugements déjà rendus et j’ai cité des extraits de ceux que je trouvais pertinents pour le présent contrôle. La Cour suprême du Canada exige des contrôles rigoureux. Le juge désigné chargé d’examiner la demande s’acquitte en partie de cette obligation lorsqu’il comprend bien les décisions antérieures et les motifs qui les sous-tendent. Un contrôle rigoureux exige non seulement que l’on tienne compte des facteurs favorables à la personne visée, mais également de tous les autres facteurs intéressant la personne visée qui ont été relevés dans les décisions antérieures. Ainsi, le fait que l’on a déjà conclu que l’intéressé constituait un danger, qu’il n’avait pas respecté certaines conditions ou qu’il avait failli ne pas s’y conformer ou qu’il avait, dans l’ensemble, fait preuve d’une attitude de manque de collaboration sont des facteurs qui militent contre l’assouplissement des conditions de sa mise en liberté. Le juge désigné chargé de procéder à un contrôle de la détention qui dispose de telles connaissances factuelles de faits passés et présents doit apprécier les différentes questions juridiques et rendre une décision au bout du compte.
[22] Pour ce qui est du présent contrôle, comme le résumé qui précède le démontre, je suis au courant, notamment, tant de renseignements publics que de renseignements confidentiels. Après avoir examiné les documents de la requête, ainsi que les documents versés au dossier, y compris l’évaluation du danger, l’évaluation des risques et la décision relative au caractère raisonnable du certificat de sécurité et après avoir évalué le danger comme le juge Blanchard l’a fait dans les motifs de son ordonnance de janvier 2013 (voir Mahjoub (Re), 2013 CF 10 (la décision de 2013 du juge Blanchard (janvier))), et après avoir apprécié le caractère proportionnel de chaque condition par rapport au danger évalué, la Cour conclut que la présente demande visant à obtenir la levée de la plupart des conditions doit être rejetée à l’exception de quelques modifications.
[23] La présente demande de contrôle des conditions de mise en liberté reprend en grande partie les moyens de droit invoqués l’an dernier, bien que certains aient été développés. La présente demande remet en question les motifs de l’ordonnance sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité, la dernière décision de décembre 2013 du juge Blanchard sur le contrôle des conditions de la mise en liberté ainsi que la décision rendue par le soussigné l’an dernier, qui a déjà été résumée. Dans les paragraphes suivants, je résume les moyens de droit formulés par les deux parties.
B. Le résumé des observations des deux parties
(1) Les conditions actuelles ne respectent pas les droits et les libertés du demandeur protégés par la Charte
[24] En l’espèce, M. Mahjoub affirme qu’il n’y a aucun élément de preuve qui justifie les restrictions actuelles apportées à sa liberté. Ces restrictions sont disproportionnées et déraisonnables. Elles ne respectent pas ses droits et libertés protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982 c 11 (la Charte), en particulier les articles 2, 7 et 8. Suivant la preuve, les conditions actuelles lui sont préjudiciables, de sorte qu’il faut les modifier pour les rendre compatibles avec les articles 7 et 12 de la Charte. Le danger que représenterait M. Mahjoub a été mal évalué par tous les juges qui ont participé jusqu’ici aux divers contrôles, et les conditions qui ont été imposées ne sont pas proportionnées au risque, ne constituent pas une atteinte minimale aux libertés fondamentales, violent la protection et la sécurité de la personne et sont cruelles et inusitées.
[25] M. Mahjoub fait également valoir que l’appel qu’il a interjeté de la décision rendue par le juge Blanchard sur le caractère raisonnable constitue un facteur pertinent qui justifie la modification ou la levée des conditions. Il soutient que les moyens d’appel, tels que la violation de son droit à un procès équitable protégé par l’article 7 de la Charte, appuient sa demande de levée ou de modification des conditions actuelles dans le cadre du présent contrôle.
[26] Les ministres n’ont pas expressément soumis d’arguments écrits en réponse. Oralement, ils ont tout d’abord fait valoir que la Cour suprême du Canada avait confirmé la constitutionnalité du régime des certificats de sécurité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Harkat, [2014] 2 RCS 33 (Harkat CSC 2014)). En second lieu, ils soutiennent que l’argument tiré de l’iniquité du procès est une question à trancher par la Cour d’appel et que cet argument ne peut être formulé à cette étape‑ci pour obtenir la modification ou la levée des conditions.
(2) L’absence de preuve du danger posé par le demandeur
[27] M. Mahjoub fait valoir qu’il n’y a aucun lien entre les conditions qui lui sont imposées et le danger qu’on allègue qu’il pose. Il soutient en fait que, lors des contrôles antérieurs de sa détention, les ministres n’ont soumis aucun élément de preuve actualisé tendant à démontrer qu’il constituait toujours une menace pour la sécurité du Canada, et il ajoute que l’évaluation du danger et l’évaluation des risques ne sont plus à jour (elles remontent respectivement à novembre 2011 et à juillet 2013). Pour le présent contrôle des conditions, le ministre a refusé de procéder à une évaluation des risques et à une évaluation du danger. Lors de l’évaluation des risques de juillet 2013, le risque que constituait M. Mahjoub avait été qualifié de modéré à faible. De plus, M. Mahjoub soutient que la décision sur le caractère raisonnable rejette la plupart des allégations qui ont été formulées contre lui au fil des ans. Il soutient également que la décision rendue en décembre 2013 par le juge Blanchard (Mahjoub, précitée, décembre 2013) était mal fondée, étant donné qu’elle avait été rendue après la décision sur le caractère raisonnable et qu’on ne lui avait pas offert la possibilité de répondre. M. Mahjoub affirme également que la décision de juillet 2014 rendue par le soussigné est erronée, étant donné que le juge n’avait pas examiné les éléments de preuve secrets et s’en était simplement remis à l’appréciation du juge Blanchard qui était elle‑même erronée.
[28] Les ministres affirment que les conditions actuelles de mise en liberté demeurent nécessaires pour neutraliser le danger que M. Mahjoub représente pour la sécurité nationale. L’écoulement du temps et le fait que M. Mahjoub a respecté, par le passé, ses obligations ne justifient pas la levée des conditions. Ils démontrent plutôt que les conditions sont efficaces et qu’elles atténuent le danger que représente le demandeur. Les quinze mois qui se sont écoulés depuis le dernier contrôle n’ont pas diminué le danger que représente le demandeur. En ce qui concerne le caractère raisonnable du certificat de sécurité, bien que M. Mahjoub en minimise les conclusions, les ministres affirment que la décision reposait sur de solides conclusions. Les conclusions sont sérieuses : elles établissent un lien évident entre M. Mahjoub et des organisations terroristes et des acteurs clés au sein de ces organisations. Les conclusions suivant lesquelles M. Mahjoub a menti sont également importantes. La crédibilité et la confiance sont des facteurs importants dont il y a lieu de tenir compte pour évaluer le danger ainsi que les conditions à imposer.
[29] Les ministres font valoir que le manque de crédibilité du demandeur et son manque de collaboration avec l’ASFC qui ressortent des ordonnances rendues par la Cour le 17 décembre 2013 et le 18 juillet 2014 favorisent le maintien des conditions actuelles de sa mise en liberté. La levée des conditions imposées en ce moment à M. Mahjoub compromettrait la capacité de l’ASFC de le surveiller.
[30] De plus, l’incertitude quant à la fin éventuelle des procédures devrait être considérée comme un facteur neutre. La Cour a jugé que le certificat était raisonnable. L’appel du demandeur est en cours, et le demandeur continuera à avoir droit à des contrôles réguliers des conditions de sa détention. Ainsi, le temps qu’il faudra pour résoudre les questions en appel ne devrait pas jouer en défaveur des ministres.
[31] La Cour devrait également continuer à garantir à l’ASFC un rôle de surveillance pour s’assurer que les communications du demandeur sont surveillées. Plus précisément, les conditions obligeant le demandeur à se présenter chaque semaine à l’ASFC; lui interdisant de communiquer avec certains individus; permettant à l’ASFC de surveiller les communications personnelles du demandeur ainsi que ses communications par divers moyens, notamment par téléphone, par Internet et par la poste, sont nécessaires et proportionnelles par rapport au danger qu’il représente.
(3) L’effet préjudiciable des conditions sur la vie quotidienne et la santé du demandeur ainsi que les répercussions que les conditions ont eues et continueront d’avoir sur son bien‑être.
[32] M. Mahjoub soutient que les conditions de sa détention compromettent son droit à la liberté et au respect de sa vie privée. Il invoque le rapport du 14 mai 2015 du Dr Payne pour soutenir que ses conditions de détention ont eu d’importants effets cumulatifs sur sa santé physique et psychologique. Le rapport du Dr Payne explique que les conditions imposées au demandeur ont aggravé sa dépression. Le Dr Payne souligne également qu’il a tenu compte de la décision du 18 juillet 2014 de la Cour ainsi que des conditions imposées à M. Mahjoub pour rédiger son rapport. M. Mahjoub affirme que, suivant le rapport, les conditions aggravent sa dépression ainsi que sa démoralisation et compromettent considérablement sa qualité de vie. Dans son affidavit, M. Mahjoub énumère un certain nombre de griefs pour démontrer que la surveillance de l’ASFC lui rend la vie misérable, en citant l’interception de son courrier, les visites d’agents de l’ASFC à son domicile, la supervision de ses courriels, etc.
[33] De plus, M. Mahjoub affirme que les fausses accusations portées contre lui par l’ASFC en ce qui concerne la violation des conditions font en sorte qu’il est constamment aux aguets et qu’il craint constamment de ne pas respecter ses conditions, ce qui aggrave son état de stress et d’anxiété.
[34] Les ministres répondent que l’on devrait accorder peu de poids au dernier rapport du Dr Payne, tout comme à ses rapports antérieurs, étant donné qu’il comporte des inexactitudes et des renseignements inexacts et qu’il semble se fonder sur des faits qui ne sont pas établis dans le dossier. Le Dr Payne accepte notamment le grief formulé par le demandeur au sujet de ses démêlés avec l’ASFC le 24 avril 2014, alors que cette allégation est contredite par les conclusions de fait tirées par la Cour. Le Dr Payne accepte la perception que M. Mahjoub a de sa vie actuelle par rapport à sa vie antérieure, qu’il qualifie d’épanouie, en omettant toutefois de mentionner qu’il gérait le projet de la ferme Damazine au nom d’Oussama ben Laden. Le Dr Payne accepte également sans poser de question l’affirmation du demandeur selon laquelle l’ASFC et le SCRS lui ont imposé d’importantes restrictions sur la foi d’accusations qui ont été jugées non fondées par la Cour tout en faisant par ailleurs abstraction du fait que le certificat de sécurité a été confirmé. Le rapport du Dr Payne est donc de très peu d’utilité et devrait donc se voir accorder peu de valeur.
[35] Comme dans les affaires précédentes, les ministres affirment qu’il ne faut accorder aucun poids à l’affidavit du demandeur parce qu’il renferme des arguments juridiques et des opinions qui soit ne sont étayés par aucune preuve, soit sont contredits par le dossier. En outre, la Cour a déjà conclu à plusieurs reprises dans le passé que le demandeur avait manqué de franchise. Ce manque de crédibilité donne à penser que son affidavit devrait être écarté. De plus, jusqu’à l’audience la plus récente d’août 2015, le demandeur n’avait jamais fourni d’engagement, en réponse à la demande que lui en avait faite la Cour lors des contrôles précédents des conditions, à respecter les conditions de sa mise en liberté et à collaborer avec l’ASFC pour faciliter son rôle de surveillance. M. Mahjoub n’a accepté de respecter les conditions de sa mise en liberté et signé le consentement qu’à l’audience du 26 août 2015. On ne devrait donc accorder aucune valeur à l’affidavit du demandeur. Les ministres exhortent également la Cour à insister sur l’importance de s’assurer que les affidavits déposés ne contiennent aucun contenu répréhensible et qu’ils soient conformes aux Règles et à la jurisprudence.
[36] En réponse aux affirmations et aux arguments de M. Mahjoub relativement à la conduite de l’ASFC, les ministres affirment que la preuve appuie leur position que l’ASFC n’est pas responsable du courriel retardé, non livré ou non intercepté. Quant aux reproches que le demandeur adresse à l’égard des agents de l’ASFC qui se sont présentés à son domicile le 14 novembre et en avril 2015 pour récupérer son ordinateur, ces reproches sont déraisonnables et non fondés, car d’autres éléments de preuve crédibles démontrent que les agents de l’ASFC se sont comportés conformément à leurs obligations et à l’ordonnance de la Cour. La preuve démontre plutôt que c’est le demandeur qui a compliqué la gestion de ses conditions.
[37] Les ministres affirment également que la divulgation des rapports d’examen criminalistique n’a pas causé de préjudice au demandeur. Contrairement à ce que M. Mahjoub prétend, l’ASFC n’a pas effacé des parties de l’historique de ses activités sur Internet.
[38] Le comportement et les déclarations de M. Mahjoub soulèvent des préoccupations en matière de sécurité. Plus particulièrement, le ministre signale la déclaration de son affidavit dans laquelle le demandeur affirme qu’il est en communication avec [traduction] « plusieurs personnes » qu’il n’est [traduction] « pas libre » d’identifier de crainte d’attirer l’attention du gouvernement sur elles. M. Mahjoub semble délibérément protéger ses contacts et refuser de les divulguer à l’ASFC et aux ministres tout en se montrant peu coopératif avec l’ASFC lorsqu’il s’agit de respecter ses conditions. Comme le demandeur se montre peu coopératif lorsqu’il s’agit de fournir des détails au sujet du nombre et de l’identité des personnes avec lesquelles il communique, l’ASFC n’est pas en mesure de savoir si la condition no 9 a été violée.
(4) Le temps écoulé, l’absence de tout comportement répréhensible du demandeur et la durée prévue de l’appel
[39] Le demandeur affirme que, comme les conditions qui lui ont été imposées ont été modifiées considérablement par la Cour fédérale, qu’avec le temps aucune menace n’a été signalée et qu’il s’est toujours conformé aux lois du Canada, la Cour devrait favoriser la levée ou la modification des conditions qui lui ont été imposées.
[40] Plus précisément, le demandeur soutient que l’obligation de se présenter en personne chaque semaine est excessive, étant donné qu’il lui faut environ trois heures pour se déplacer. Il suggère de supprimer cette condition parce que, dans d’autres cas, l’ASFC permet un contact téléphonique hebdomadaire.
[41] Les ministres répondent que seulement quinze (15) mois se sont écoulés depuis le dernier contrôle et qu’un délai aussi court ne justifie pas la modification ou la levée des conditions. De plus, l’absence de collaboration de M. Mahjoub avec l’ASFC justifie la décision de ne pas modifier ses conditions. L’obligation de se présenter chaque semaine en personne constitue un mécanisme essentiel et un contact téléphonique ne devrait pas être considéré comme une solution de rechange appropriée.
(5) La nécessité de protéger les droits constitutionnels du demandeur
[42] Le demandeur fait valoir que, compte tenu de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R c Vu, 2013 CSC 60, [2013] ACS no 60) (Vu), la Cour ne devrait pas reconduire les conditions qui lui ont été imposées. Selon cet arrêt, la perquisition effectuée au domicile d’une personne et dans son ordinateur personnel constitue une grave atteinte à sa vie privée. Il convient donc de supprimer les conditions parce qu’elles portent manifestement atteinte à la Charte.
[43] Les ministres rétorquent que la constitutionnalité du régime des certificats de sécurité a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Harkat (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Harkat, [2014] 2 RCS 33 (Harkat CSC 2014)), que les conditions sont justifiées et qu’elles respectent les exigences de la Charte.
(6) La mesure d’expulsion pendante contre le demandeur qui ne peut être exécutée rend invalides les conditions de sa détention
[44] Le demandeur affirme que les conditions auxquelles il est assujetti sont déraisonnables et arbitraires. De plus, la situation dangereuse qui existe en Égypte et le risque de torture auquel il y serait exposé s’il devait y retourner empêchent les autorités canadiennes d’exécuter la mesure d’expulsion prise contre lui, ce qui invalide les conditions de sa mise en liberté qui lui ont été imposées au titre de la LIPR et qui devraient par conséquent être annulées. De plus, la mesure de renvoi en instance qui ne peut être exécutée porte atteinte à ses droits constitutionnels et justifie également l’annulation des conditions en question. Le demandeur soutient que la durée de sa détention et la période pendant laquelle il a été assujetti aux conditions de sa mise en liberté sont beaucoup trop longues et sont par conséquent inacceptables, tant en droit international que selon les lois canadiennes. M. Mahjoub invoque à l’appui de ses arguments la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
[45] Les ministres font valoir que la situation qui existe en Égypte n’est pas pertinente parce que le processus d’appel concernant la validité du certificat de sécurité est en cours. Ainsi, l’issue de la présente instance ne devrait pas être influencée par une autre procédure légale en cours dont l’issue demeure hypothétique. Essentiellement, l’applicabilité de la situation qui existe en Égypte, en ce qui concerne la procédure d’expulsion, ne sera pertinente que si l’issue du processus d’appel n’est pas favorable à M. Mahjoub. Ce n’est pas un facteur dont on peut tenir compte dans le cadre de la présente demande. Dès lors que le contrôle de la détention de M. Mahjoub ou de ses conditions de mise en liberté demeure rigoureux au sens de l’arrêt Charkoui n° 1 de la Cour suprême, les délais prévus par cette procédure et ce contrôle sont justifiés.
II. La question en litige
[46] M. Mahjoub demande à la Cour de lever les conditions actuelles de sa mise en liberté, à l’exception des conditions habituelles concernant l’obligation de garder la paix et de remettre ses titres de voyage.
A. Analyse
(1) Les paramètres juridiques que la Cour doit respecter lors du contrôle des conditions de mise en liberté
[47] Pour les besoins des motifs qui suivent, j’ai bénéficié des observations complémentaires formulées par les avocats des parties au sujet des alinéas 82(5)a) et b) de la LIPR.
[48] Selon la définition qu’en propose la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] ACS no 3, le danger pour la sécurité au Canada que représente une personne s’entend de ce qui suit :
90. […] une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada » si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d’un pays est souvent tributaire de la sécurité d’autres pays. La menace doit être « grave », en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable.
[49] Dans son ouvrage Construction of Statutes, Ruth Sullivan écrit : [traduction] « On présume que le législateur s’exprime avec soin et d’une manière uniforme, de sorte que, dans une loi ou un autre texte législatif, les mêmes termes ont le même sens et les mots différents revêtent des sens différents […] La présomption d’uniformité des expressions s’applique non seulement à l’intérieur des lois, mais également d’une loi à une autre, surtout s’il s’agit de lois ou de dispositions traitant du même sujet. » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd (Markham (Ontario), LexisNexis Canada, 2014, à la page 217.) Lorsqu’elle définissait le danger pour la sécurité nationale au sens de la LIPR, dans l’arrêt Suresh, précité, la Cour suprême du Canda examinait le danger en rapport avec le refoulement de réfugiés au sens de la Convention. Cette méthode a été suivie par la Cour fédérale dans le cas du danger pour la sécurité nationale au sens de la LIPR, notamment pour les contrôles de la détention et les contrôles des conditions de mise en liberté. Cette méthode se justifie par l’objectif consistant à assurer la cohérence lorsqu’il s’agit de définir un concept pour l’application d’une loi. Le concept de danger pour la sécurité nationale aux fins d’assurer la sécurité nationale ne saurait avoir des significations différentes lorsqu’on l’interprète à la lumière d’un objectif général analogue.
[50] Le paragraphe 82(5) de la LIPR dispose :
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27
|
Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27 |
82(5) Lors du contrôle, le juge:
|
82(5) On review, the judge: |
a) ordonne le maintien en détention s’il est convaincu que la mise en liberté sous condition de la personne constituera un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi si elle est mise en liberté sous condition;
|
(a) shall order the person’s detention to be continued if the judge is satisfied that the person’s release under conditions would be injurious to national security or endanger the safety of any person or that they would be unlikely to appear at a proceeding or for removal if they were released under conditions; or |
b) dans les autres cas, ordonne ou confirme sa mise en liberté et assortit celle‑ci des conditions qu’il estime indiquées. |
(b) in any other case, shall order or confirm the person’s release from detention and set any conditions that the judge considers appropriate. |
[51] La définition de l’expression « danger pour la sécurité du Canada » a été scrupuleusement suivie par tous les juges de la Cour dans le cadre du contrôle des détentions, du contrôle des conditions de mise en liberté et de la vérification de la validité des certificats de sécurité (voir la décision de juillet 2003 de la juge Dawson dans l’affaire Mahjoub, précitée; sa décision de novembre 2005 dans l’affaire Mahjoub (Re), précitée; les décisions du juge Noël dans les affaires Harkat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 628, [2006] ACF no 770, aux paragraphes 54 à 59, Charkaoui (Re), 2005 CF 248, [2005] ACF no 269, au paragraphe 36, et Harkat (Re), précitée, mars 2009, aux paragraphes 42 et 43; les décisions du juge Mosley dans l’affaire Mahjoub (Re), précitée, au paragraphe 106, et dans l’affaire Almrei (Re), 2009 CF 3, [2009] ACF no 1, aux paragraphes 47 et 48; etc.).
[52] Le fardeau initial d’établir l’existence d’un danger pour la sécurité du Canada aux fins d’évaluer le danger que comporterait la mise en liberté repose sur les ministres (voir Charkaoui n° 1, précité, au paragraphe 100). La Cour suprême du Canada a également fait observer, au paragraphe 105 de ce même arrêt, que la détention en attendant l’expulsion est susceptible d’être prolongée ou d’avoir une durée indéterminée et que la mise en liberté assortie de sévères conditions peut également se traduire par une détention prolongée ou pour une durée indéterminée selon les faits de l’espèce.
[53] Les faits allégués par les deux parties relativement au danger que pose ou non M. Mahjoub pour la sécurité du Canada doivent être jugés selon des faits qui « reposent sur des soupçons objectivement raisonnables » et doivent être évalués selon la norme des « motifs raisonnables de croire », ainsi que la Cour suprême l’a clairement expliqué dans l’arrêt Charkaoui n° 1, au paragraphe 39 :
39. […] La norme des « motifs raisonnables de croire » exige que le juge se demande s’il existe « un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, par. 114. C’est la norme des « motifs raisonnables de croire » que les juges doivent appliquer lorsqu’ils contrôlent le maintien en détention sous le régime des dispositions de la LIPR régissant les certificats. La LIPR n’impose pas une grande retenue au juge désigné, mais l’oblige à procéder à un examen approfondi.
Il convient de suivre le même raisonnement et d’appliquer la même logique pour le contrôle des conditions de la mise en liberté. Selon l’interprétation que je fais des enseignements des arrêts Suresh et Charkaoui n° 1 de la Cour suprême du Canada, il n’y a pas lieu d’adopter une approche différente. Au contraire, l’une complète l’autre. Le juge désigné doit procéder à un contrôle approfondi en se fondant sur des soupçons objectivement raisonnables qui reposent sur des faits démontrant que le préjudice découlant du danger est important et qu’il n’est pas simplement négligeable. Cet examen approfondi doit être effectué selon la norme des « motifs raisonnables de croire », comme la Cour suprême du Canada l’affirme explicitement dans l’arrêt Charkaoui n° 1. C’est la méthode qu’a suivie le juge Blanchard dans tous les contrôles des conditions de mise en liberté relatifs à M. Mahjoub (voir Mahjoub (Re), précitée, novembre 2009, aux paragraphes 35 à 44; Mahjoub (Re), précitée, mai 2011, aux paragraphes 17 à 23; Mahjoub (Re), précitée, janvier 2013, aux paragraphes 13 à 16).
[54] Si, lors du processus mentionné dans les paragraphes qui précèdent, le juge désigné constate l’existence d’un danger pour la sécurité du Canada, il doit déterminer si ce danger à la sécurité du Canada est tel qu’aucune condition n’est susceptible de neutraliser ce danger. Dans l’affirmative, le maintien en détention se justifie. Si, au contraire, le juge désigné estime que certaines conditions peuvent neutraliser le danger à la sécurité du Canada, la Cour doit se demander quelles conditions de mise en liberté neutraliseront le danger en question, en proportion du danger constaté. La Cour doit s’assurer que la levée des conditions ne sera pas préjudiciable à la sécurité nationale, qu’elle ne compromettrait pas la sécurité de personnes et que les conditions assureront également la présence de la personne désignée lors d’une instance ou à son renvoi au besoin (voir Charkaoui n° 1, précité, aux paragraphes 109, 111, 116, 117, 120, 122 et 123; Harkat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 628, 278 FTR 118, confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harkat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CAF 259, 270 DLR (4th) 35, aux paragraphes 37 à 46 et 48).
[55] Pour déterminer les conditions précises de la mise en liberté, le tribunal doit mener son analyse en fonction des critères suivants :
1. les décisions antérieures relatives au danger et l’historique des procédures, à savoir les contrôles de la détention, la mise en liberté sous conditions et les décisions déjà rendues.
2. l’appréciation par la Cour du danger pour la sécurité du Canada que représente le demandeur, à la lumière des éléments de preuve présentés;
3. le cas échéant, la décision relative au caractère raisonnable du certificat;
4. les éléments de confiance et de crédibilité touchant le comportement du demandeur après sa mise en liberté sous conditions et son respect de celles‑ci;
5. l’incertitude quant à la fin éventuelle des procédures;
6. l’écoulement du temps (qui n’est pas en soi un facteur décisif);
7. l’incidence des conditions de mise en liberté sur le demandeur et sur sa famille ainsi que la proportionnalité entre le danger que constitue le demandeur et les conditions de sa mise en liberté.
(Voir Harkat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 795, [2013] ACF no 860, au paragraphe 26; Charkaoui n° 1, précité, aux paragraphes 110 à 121; Harkat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 416, [2007] ACF no 540, au paragraphe 9.)
[56] Avant d’entamer l’évaluation du danger que le demandeur pose pour la sécurité du Canada ou d’autres pays, la Cour examinera les moyens constitutionnels qu’a invoqués de façon sommaire M. Mahjoub. Je vais y répondre dans l’ordre où ils ont été formulés.
(2) Le régime constitutionnel encadrant le contrôle des conditions de mise en liberté
[57] Rappelons brièvement que le demandeur soutient que les conditions de sa mise en liberté doivent être nécessaires, justifiées, qu’elles doivent porter le moins atteinte possible aux droits que lui reconnaît la Charte et que ce sont les normes du droit criminel qui doivent s’appliquer, même si la procédure est un processus d’immigration prévu par la LIPR.
[58] M. Mahjoub affirme également que toute condition relative à des ordinateurs et à des téléphones ou à une éventuelle perquisition constitue une atteinte très grave à son droit à la vie privée. Il soutient que de telles conditions ne peuvent être imposées que si l’on est justifié de façon exceptionnelle, par suite d’une évaluation spéciale, de faire primer l’objectif du respect de la loi que vise les ministres sur la protection de la vie privée des individus (voir Vu, précité).
[59] Le demandeur soutient essentiellement que l’imposition de telles conditions porte atteinte aux articles 7, 8 et 12 de la Charte et que la Cour devrait lever les conditions de sa mise en liberté en lui accordant cette réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.
[60] La Cour se fonde sur les propos de la Cour suprême du Canada suivant lesquels de longues périodes de détention peuvent se justifier, pourvu que le contrôle judiciaire de la nécessité du maintien de la détention soit rigoureux. De tels contrôles ne contreviennent pas aux articles 7 ou 12 de la Charte, dès lors que les lignes directrices suggérées sont respectées. La Cour suprême du Canada en est arrivée aux mêmes conclusions en ce qui concerne le contrôle des conditions de détention. Elle a bien précisé que, bien que des conditions de mise en liberté rigoureuses restreignent la liberté individuelle, elles sont moins sévères que l’incarcération, dès lors que les conditions de mise en liberté ne sont pas disproportionnées par rapport à la nature du danger (voir Charkaoui n° 1, précité, aux paragraphes 116 à 123).
[61] La Cour doit être bien consciente que l’imposition de conditions de mise en liberté doit être soupesée avec toute intrusion dans la vie privée de la personne concernée. Il va sans dire que, lorsqu’il évalue le danger que représente l’intéressé et qu’elle tire une conclusion à ce sujet, la Cour doit arrêter les bonnes conditions pour neutraliser ce danger. Les conditions doivent être proportionnelles et servir uniquement à neutraliser le danger dans la mesure où celui‑ci est réduit à néant, sans plus. La Cour ne doit pas imposer davantage de conditions de mise en liberté que ce qui est nécessaire. Lorsqu’elle applique cette méthode, la Cour doit être consciente du fait que la liberté de la personne est en cause. Il ne peut être porté atteinte à cette liberté que si les conditions imposées neutralisent le danger tout en entravant le moins possible la liberté de la personne en question. Le principe de la primauté du droit englobe les droits consacrés par la Charte et cette approche dictée par le bon sens tient dûment compte de cette réalité.
[62] Les conditions actuelles signalent au demandeur que ses attentes en matière de respect de sa vie privée doivent être tempérées en raison du fait que ses moyens de communication orale ou écrite sont encadrés par l’ASFC. Les conditions qui lui ont été imposées antérieurement l’ont été dans un but légitime, authentique et conforme à la loi.
[63] Comme le législateur le propose aux termes de la LIPR, chaque condition doit être examinée en fonction de ce cadre juridique. Elles doivent également être étudiées à la lumière des directives données par la Cour suprême du Canada et par la Cour d’appel fédérale comme en l’espèce.
[64] La simple lecture des décisions antérieures prises au sujet du contrôle des conditions de mise en liberté de M. Mahjoub et d’autres personnes démontre que les juges désignés de la Cour ont tenu compte de l’ensemble de ces questions complexes et notamment de l’atteinte à la liberté et au droit à la vie privée des personnes visées. Prétendre le contraire ne rendrait pas justice aux décisions qui ont été rendues.
[65] Le processus législatif qui encadre le contrôle de la détention et des conditions de mise en liberté qui a lieu aux six mois exige que le contrôle de la détention et des conditions de mise en liberté soit constamment apprécié en fonction de l’évolution du danger que représente l’intéressé, de même qu’en fonction de la nécessité constante de le maintenir en détention ou de conserver les conditions de sa mise en liberté. En soi, c’est un processus qui oblige le juge désigné à examiner la situation de l’intéressé en portant le moins possible atteinte au droit à la vie privée de ce dernier, pourvu que les conditions imposées soient susceptibles de neutraliser efficacement le préjudice et/ou le danger qu’il constitue.
[66] Quant à l’argument suivant lequel les normes du droit criminel devraient être intégrées au droit de l’immigration et plus spécifiquement à la LIPR, la Cour estime que la LIPR est en soi un code qui doit être interprété selon ses propres normes. Ces normes englobent évidemment la Charte, les règles de preuve et ainsi de suite. Il est clair et fondamentalement évident que le principe de la primauté du droit s’applique aux instances relatives à la délivrance de certificats; les juges désignés en sont conscients et ils comprennent cet état de fait.
(3) L’évaluation du danger pour la sécurité nationale (ou la sécurité de tiers) que représente M. Mahjoub pour le contrôle des conditions de sa mise en liberté
[67] Comme nous l’avons déjà expliqué, la Cour a l’intention d’évaluer le danger pour la sécurité du Canada au sens où la Cour suprême du Canada l’a défini dans l’arrêt Suresh, précité, et d’examiner les éléments de preuve publics et confidentiels en tenant compte du fait que les ministres ont le fardeau initial d’établir l’existence du danger. Les faits doivent démontrer que, suivant la preuve, le danger est grave, en ce sens qu’il repose sur des soupçons objectivement raisonnables qui sont étayés par la preuve et que le préjudice potentiel résultant de ce danger est sérieux et non pas négligeable (Suresh, précité, au paragraphe 90). L’appréciation de la preuve, si les ministres s’acquittent de ce fardeau, doit être effectuée selon la norme des « motifs raisonnables de croire » ainsi que la Cour suprême du Canada l’a clairement déclaré dans l’arrêt Charkaoui n° 1, aux paragraphes 38 et 39.
[68] Pour le présent contrôle, la Cour a analysé les renseignements confidentiels concernant M. Mahjoub en fonction du danger qu’il représente pour la sécurité du Canada. La Cour a également inspecté la plupart des éléments de preuve récents concernant M. Mahjoub, dont les résultats ont été divulgués sous forme de résumé de la preuve. La Cour a également pris connaissance des motifs non expurgés de la décision sur le caractère raisonnable du juge Blanchard. Elle a également examiné l’avis de danger de 2011 et l’avis sur le risque de 2013. Elle a par ailleurs pris connaissance de tous les motifs du juge Blanchard concernant les contrôles des conditions de mise en liberté qui comprenaient certains des renseignements confidentiels portés à sa connaissance. Tout au long de cet examen approfondi, la Cour a tenu compte de l’affidavit récent de M. Mahjoub, mais également de nombreux affidavits antérieurs déposés à l’appui de ses requêtes. Elle a également étudié le dossier public actuel. La Cour a eu l’avantage de prendre connaissance des dossiers de requête les plus récents des parties ainsi que de leurs observations écrites, d’entendre les avocats pendant presque une journée complète et de lire les nombreuses décisions jurisprudentielles invoquées. La Cour est donc, à nouveau, en mesure d’évaluer le danger que M. Mahjoub représente pour la sécurité du Canada.
[69] Comme le juge Blanchard l’a mentionné dans son contrôle des conditions de mise en liberté de janvier 2013, au paragraphe 35, il y a des raisons qui justifient de continuer à penser que M. Mahjoub constitue une menace pour la sécurité du Canada, mais cette menace est « sensiblement inférieure ». Par conséquent, les conditions de sa mise en liberté ont été, comme l’a expliqué le juge Blanchard, considérablement assouplies.
[70] Dans la décision sur le caractère raisonnable (Mahjoub, précitée, octobre 2013, au paragraphe 673), le juge Blanchard a conclu que M. Mahjoub [traduction] « constituait un danger pour la sécurité du Canada au sens de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR ».
[71] Lors du contrôle des conditions de mise en liberté de décembre 2013, après avoir mis l’affaire en délibéré et rendu sa décision après avoir prononcé ses motifs sur le caractère raisonnable du certificat, le juge Blanchard a cité la décision sur le caractère raisonnable et a fait remarquer ceci : [traduction] « [...] M. Mahjoub est interdit de territoire pour raison de sécurité en application des alinéas 34(1)d) et f) de la LIPR parce qu’il constitue un danger pour la sécurité du Canada […] » (voir le paragraphe 2). Il a ensuite conclu ce qui suit concernant le contrôle des conditions de sa mise en liberté : [traduction] « […] M. Mahjoub représente une menace pour la sécurité du Canada au sens que je l’ai expliqué dans mes motifs de l’ordonnance du 7 janvier 2013 » (voir le paragraphe 6). Il a également déclaré ceci : [traduction] « J’estime que la menace sensiblement inférieure dont j’ai fait état à l’époque demeure la même » (voir le paragraphe 6). Je constate que mon collègue a également conclu que M. Mahjoub n’avait pas respecté les conditions de sa mise en liberté (parce qu’il n’avait pas informé les autorités qu’il s’était procuré un téléphone et des services de télécopie), mais également que certains de ses agissements indiquaient un refus de collaborer avec l’ASFC (voir les paragraphes 16 à 18).
[72] M. Mahjoub remet en question les motifs de la décision de décembre 2013, relatifs au contrôle des conditions de sa mise en liberté, prononcés par le juge Blanchard les qualifiant de viciés et affirmant qu’ils constituent un manquement à l’obligation d’agir avec équité. Dans mon contrôle des conditions de mise en liberté de juillet 2014, j’ai réfuté ces critiques, ainsi qu’on peut le constater à la lecture du paragraphe 53 de la décision de juillet 2014 Mahjoub (Re), précitée :
53 J’aimerais en passant répondre à l’argument du demandeur selon lequel la Cour, lorsqu’elle a rendu l’ordonnance du 17 décembre 2013 à l’issue d’un contrôle des conditions, a manqué à son obligation d’agir équitablement en ne l’informant pas des conclusions de fait qu’elle avait tirées dans la décision sur le caractère raisonnable. La Cour conclut que cet argument ne repose sur aucun fondement juridique. La décision sur le caractère raisonnable a été publiée le 6 décembre 2013, un peu plus de six semaines après l’audience relative au contrôle des conditions (tenue le 16 octobre 2013), où les deux parties ont eu pleinement l’occasion de se faire entendre. La décision sur cette question a été mise en délibéré jusqu’au moment de sa délivrance, le 17 décembre 2013, un peu moins de deux semaines après la publication de la décision sur le caractère raisonnable. Il n’est donc pas fondé de prétendre que M. Mahjoub n’a pas eu l’occasion de traiter de l’incidence des conclusions tirées dans la décision sur le caractère raisonnable sur le contrôle des conditions. M. Mahjoub a eu l’occasion de présenter ses arguments en octobre 2013 : il a eu connaissance au début de décembre 2013 des conclusions de la décision sur le caractère raisonnable et, bien qu’il ait eu plus de dix jours pour le faire, jamais il n’a demandé à la Cour de pouvoir aborder la question. Quoi qu’il en soit, tous savaient au moment de l’audience relative au contrôle des conditions de mise en liberté que la décision sur le caractère raisonnable était mise en délibéré depuis la précédente audience ex parte et à huis clos du 27 janvier 2013.
Dans le cadre du présent contrôle des conditions de sa mise en liberté, M. Mahjoub reprend les mêmes doléances. Je n’ai pas changé d’avis et je confirme ce que j’ai écrit au début de l’été 2014. En réponse à la critique suivant laquelle le juge Blanchard n’avait pas expliqué les raisons pour lesquelles il estimait que M. Mahjoub constituait toujours un danger pour la sécurité du Canada, je me réfère à certaines des observations susmentionnées qui justifient sa conclusion quant à l’évaluation du danger faite par le juge Blanchard. J’estime que la décision sur le caractère raisonnable, complétée par la décision de décembre 2013, offre effectivement des motifs solides pour conclure que M. Mahjoub constitue un danger pour la sécurité du Canada.
[73] Des conclusions sérieuses ont été tirées au sujet de la crédibilité de M. Mahjoub et ne sauraient être minimisées, comme M. Mahjoub souhaiterait que le soussigné le fasse. Le juge Blanchard a notamment conclu, dans son appréciation de la preuve, que M. Mahjoub n’avait pas respecté les conditions de sa mise en liberté et qu’il s’était montré peu coopératif avec l’ASFC.
[74] Ces conclusions quant à la crédibilité ne sont pas récentes, étant donné qu’elles remontent à la première instance sur le certificat de M. Mahjoub, dans laquelle le juge Nadon concluait ceci : « […] il m’apparaissait évident qu’il mentait lorsqu’il a dit qu’il ne connaissait pas M. Marzouk » (voir Mahjoub, précitée, octobre 2001, aux paragraphes 57 et 58).
[75] Dans sa décision sur le caractère raisonnable, le juge Blanchard a conclu que M. Marzouk était un individu qui était impliqué dans la fabrication de faux documents, qu’il finançait et appuyait des activités terroristes et qu’il avait planifié des attaques violentes contre des intérêts américains (voir les paragraphes 314 à 357). M. Mahjoub a de nouveau nié connaître M. Marzouk lors de la deuxième instance concernant son certificat; de nouveau, le juge Blanchard a déclaré qu’il ne croyait pas que M. Mahkoub ne connaissait pas M. Marzouk (voir les paragraphes 296 à 311).
[76] Je suis conscient du fait que l’avocat de M. Mahjoub estime que le recours au témoignage qu’il a donné dans les instances antérieures est inéquitable, irrégulier, voire illégal, étant donné que le régime antérieur des certificats de sécurité a été jugé inconstitutionnel. Je me reporte à la décision de 2001 uniquement pour démontrer que la conclusion récente quant à la crédibilité formulée par le juge Blanchard sur la question a également été tirée dans le passé.
[77] La Cour a signalé toutes les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par le juge Blanchard au sujet de M. Mahjoub. Il s’agit d’un facteur important pour apprécier le caractère raisonnable du certificat, et on ne peut les prendre à la légère lorsqu’il s’agit de procéder à un examen rigoureux des conditions de mise en liberté. Ma lecture des motifs non expurgés de la décision relative au caractère raisonnable s’est avérée instructive.
[78] Le danger que pose M. Mahjoub pour la sécurité du Canada n’est certainement pas comparable à celui qu’il représentait auparavant. Mais est‑il pour autant inexistant? J’estime que ce danger s’est amenuisé au fil des ans. Mais, depuis le contrôle de janvier 2013 où il a été jugé que la menace était « sensiblement » inférieure, j’estime que rien d’important n’indique qu’elle a diminué davantage de manière importante. Pour en arriver à cette conclusion, comme je l’ai déjà expliqué, j’ai examiné la preuve confidentielle et la preuve publique, qui démontrent que des préoccupations subsistent toujours. Le danger que M. Mahjoub représente pour la sécurité du Canada ne s’est pas évaporé. Il demeure latent, perceptible et factuel. Les conditions de mise en liberté de M. Mahjoub telles qu’elles ont été conceptualisées et modifiées par le juge Blanchard sont efficaces et elles n’ont pas neutralisé le danger qui avait à l’époque été évalué. Lever toutes les conditions de la mise en liberté ne garantit pas que le danger que représente M. Mahjoub sera neutralisé de façon appropriée. Je ne suis donc pas prêt à accorder à M. Mahjoub la réparation qu’il réclame, sauf pour ce que qui est énoncé ci‑dessous.
[79] Dans les paragraphes qui suivent, je vais passer en revue les sept facteurs établis par la Cour suprême du Canada qui nous permettront de définir les conditions susceptibles de neutraliser le danger qui a été évalué. L’un de ces facteurs a déjà été examiné : il s’agit du danger pour la sécurité du Canada que représente M. Mahjoub à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée (voir les paragraphes 67 à 79 des présents motifs).
(4) Les facteurs de la Cour suprême du Canada et l’analyse à mener pour arrêter les conditions appropriées pour neutraliser le danger
a) Le premier critère – Les décisions antérieures relatives au danger et l’historique des procédures, à savoir les contrôles de la détention, la mise en liberté sous conditions et les décisions déjà rendues
[80] Nous avons déjà examiné les décisions antérieures se rapportant à la procédure, les contrôles de la détention et les contrôles des conditions de mise en liberté. Pour les besoins du présent contrôle, nous ne mentionnerons que l’instance sur le certificat la plus récente, sauf pour mentionner le contrôle des conditions de détention du juge Mosley de février 2007.
[81] Dans cette décision de février 2007, le juge Mosley a mis en liberté M. Mahjoub sous réserve de conditions rigoureuses s’apparentant à une détention à domicile. Le juge Mosley avait estimé que M. Mahjoub n’avait pas démontré qu’il ne représentait plus un danger pour la sécurité nationale. Dans le contrôle suivant des conditions de sa mise en liberté, M. Mahjoub n’avait pas contesté les conclusions du juge Mosley, ni celles de la juge Layden‑Stevenson, la juge désignée suivante qui avait été chargée en premier de la deuxième instance sur le certificat. La juge Layden‑Stevenson a examiné l’ensemble des conditions de mise en liberté et a conclu qu’elles étaient toutes adaptées à sa situation actuelle (voir Mahjoub, précitée, mars 2009).
[82] À la suite du désistement de sa femme et de son gendre à titre de cautions, M. Mahjoub avait été incarcéré de nouveau jusqu’à ce que de nouvelles conditions de mise en liberté puissent être élaborées.
[83] Dans les motifs qu’il a prononcés en novembre 2009, le juge Blanchard a ordonné la mise en liberté de M. Mahjoub sous conditions, lesquelles furent mises à jour en mars 2010. Dans cette décision, le juge Blanchard a examiné la preuve et a conclu qu’avec l’écoulement du temps et par suite de sa longue détention, le danger que représentait M. Mahjoub avait diminué. C’était la raison pour laquelle il avait assoupli les conditions de sa mise en liberté. Le 2 mai 2011, le juge Blanchard a prononcé d’autres motifs après avoir procédé au contrôle des conditions de la mise en liberté. Après avoir conclu que le danger était neutralisé par les conditions de mise en liberté, le juge a examiné les conditions et estimé qu’il y avait lieu de favoriser un certain assouplissement. M. Mahjoub souhaitait que toutes les conditions soient levées, mais le juge en a décidé autrement. Les conditions ont à nouveau été modifiées et non levées. Un autre contrôle des conditions de mise en liberté a eu lieu à la fin de 2011, et des motifs ont été publiés en février 2012 (voir Mahjoub (Re), 2012 CF 125).
[84] Les conditions de mise en liberté ont été considérablement modifiées en janvier 2013, étant donné que le juge Blanchard estimait alors que le danger que représentait M. Mahjoub avait diminué (voir le paragraphe 35).
[85] Après avoir prononcé la décision sur le caractère raisonnable en octobre 2013, le juge Blanchard a, comme nous l’avons déjà mentionné, procédé à un nouveau contrôle des conditions en décembre 2013. Il a conclu que le danger était le même que lors de l’évaluation de 2013. Le juge Blanchard a constaté des manquements aux conditions de la mise en liberté au point d’écrire ceci : [traduction] « [...] on ne peut se fier à ce que M. Mahjoub respecte ses conditions de mise en liberté » (voir le paragraphe 18). En outre, certains de ses agissements ont été considérés comme [traduction] « [...] constituant un indice d’un refus de collaborer avec l’ASFC » (voir le paragraphe 17).
[86] En juillet 2014, après avoir entendu les parties au début du mois sur le contrôle des conditions de la mise en liberté, le soussigné a rendu des motifs dans lesquels le danger que représentait M. Mahjoub a été considéré comme n’ayant pratiquement pas changé. Le soussigné a conclu que le danger que représentait M. Mahjoub était le même que celui constaté par le juge Blanchard dans la décision sur le caractère raisonnable ainsi que dans son contrôle des conditions de mise en liberté de la fin de décembre 2013. L’avocat de M. Mahjoub fait valoir que cette dernière évaluation du danger n’avait pas été faite correctement, étant donné qu’elle reposait sur l’évaluation du danger du juge Blanchard. Cela est inexact, comme on peut le constater à la lecture de l’ensemble des motifs prononcés. Comme nous l’avons déjà vu, les conditions de mise en liberté demeuraient inchangées, sous réserve de quelques modifications. Le soussigné a également prononcé d’autres motifs à la fin du printemps 2014, dans lesquels il a conclu que les antécédents ainsi que l’attitude de M. Mahjoub concernant ses récentes conditions de mise en liberté n’étaient pas exemplaires et démontraient qu’il ne s’était pas montré coopératif, comme le juge Blanchard l’avait déjà conclu.
[87] Voilà donc le résultat de tous ces contrôles rigoureux. Avec le temps, la menace que représente M. Mahjoub et qui avait justifié sa détention pendant un bon nombre d’années était « sensiblement » inférieure, et les conditions de sa mise en liberté s’apparentant à une détention à domicile en 2007 avaient graduellement été assouplies au fil des ans. L’attitude de M. Mahjoub à l’égard de ses conditions de mise en liberté les plus récentes et son manque de collaboration avec l’ASFC sont également éloquents. Les juges désignés ont demandé à l’ASFC d’actualiser et de superviser les conditions de mise en liberté. Sans la participation de l’ASFC, il n’y aurait aucune façon d’arrêter « des » conditions « appropriées » pour accorder une certaine liberté à M. Mahjoub. Le rôle de l’ASFC est essentiel pour actualiser les conditions de mise en liberté auxquelles est assujetti M. Mahjoub.
b) Le deuxième critère – L’évaluation du danger que représente M. Mahjoub pour la sécurité du Canada
[88] Comme nous l’avons vu aux paragraphes 67 à 79, l’évaluation du danger a été effectuée sous réserve évidemment d’autres motifs qui la complètent. Elle confirme donc la mise en liberté, étant donné que l’on peut identifier des conditions de mise en liberté susceptibles de neutraliser ce danger.
c) Le troisième critère – La décision sur le caractère raisonnable du certificat
[89] Dans les motifs que j’ai rendus en juillet 2014, aux paragraphes 54 et suivants, j’ai souligné l’importance des conclusions tirées et souligné le fait que le juge Blanchard n’avait pas retenu les autres allégations formulées par les ministres contre M. Mahjoub. Les motifs exposés par le juge Blanchard dans la décision sur le caractère raisonnable du certificat sont loin d’être favorables à M. Mahjoub. Le fait que M. Mahjoub ait nié être membre d’organisations terroristes, de connaître des membres clés de réseaux terroristes et les conclusions défavorables tirées par le juge Blanchard quant à la crédibilité sont des éléments importants qui ont pesé lourd dans la balance.
[90] M. Mahjoub souhaiterait que la Cour lève toutes les conditions de sa mise en liberté en faisant valoir que le juge Blanchard avait conclu que le premier régime de certificats était entaché d’irrégularités, ce qui viciait l’ensemble du processus. M. Mahjoub soutient que les seules réparations qui pouvaient lui être accordées étaient la suspension permanente des procédures et l’annulation du certificat. D’autres réparations ont été accordées, mais elles n’ont pas satisfait M. Mahjoub. Cet argument est invoqué dans le cadre de l’appel qui a été interjeté, et il appartiendra à la Cour d’appel fédérale d’en disposer. Il n’est pas loisible au tribunal chargé de contrôler les conditions de mise en liberté d’éclipser la compétence de la Cour d’appel. Il serait d’ailleurs tout à fait déplacé de le faire.
[91] Lorsqu’elle se réfère à une décision relative au caractère raisonnable d’un certificat, la Cour est consciente du fait que les conclusions tirées au sujet du danger et du caractère raisonnable du certificat ne déterminent pas les conditions de mise en liberté ou le degré de danger. Le danger doit être abordé en fonction de la situation actuelle, mais également de l’avenir. Les conclusions tirées au sujet du caractère raisonnable sont utiles parce qu’elles sont informatives et concluantes quant à l’objectif qu’elles visaient à l’origine. Dès lors qu’un certificat est jugé raisonnable, le contrôle des conditions de mise en liberté tiendra compte non seulement des conclusions de la décision relative au caractère raisonnable, mais également de nombreux autres facteurs comme on peut le constater à la lecture de la présente décision. La décision relative au caractère raisonnable n’est qu’un des facteurs dont on doit tenir compte; elle n’est pas déterminante en elle‑même dans le cadre du présent contrôle des conditions de la mise en liberté.
d) Le quatrième critère – Les éléments de confiance et de crédibilité touchant le comportement du demandeur après sa mise en liberté sous conditions ainsi que son respect de celles‑ci.
[92] Encore une fois, pour éviter toute répétition inutile, j’ai déjà examiné ce facteur dans les motifs que j’ai rendus en juillet 2014, aux paragraphes 57 à 62, et j’estime qu’ils s’appliquent toujours au présent contrôle.
[93] Je trouve important de répéter ce que j’écrivais au paragraphe 62 de cette décision : M. Mahjoub n’accepte pas les conditions de mise en liberté et ce refus est parfaitement acceptable. Cela étant dit, ça ne l’autorise pas pour autant à les contester en refusant de collaborer avec l’ASFC. Cette attitude donne l’impression qu’il a quelque chose à cacher et n’améliore en rien sa crédibilité et sa fiabilité. Là encore, ces éléments peuvent travailler en sa faveur s’il le souhaite.
[94] Dans le cadre du présent contrôle des conditions de mise en liberté, M. Mahjoub maintient, aux paragraphes 34 à 37 de son affidavit, qu’il refuse de divulguer le nom des personnes qu’il rencontre de crainte d’attirer l’attention du gouvernement sur elles. En ce qui concerne ces observations, la Cour se réfère au résumé public des renseignements publiés en juillet 2015, mais également aux renseignements confidentiels rédigés à l’appui de ce résumé. La situation exige que l’ASFC exerce un rôle de surveillance pour s’assurer que M. Mahjoub ne reprend pas contact avec ses acolytes terroristes. Ce comportement cachottier n’aide pas M. Mahjoub; il nuit à son objectif d’obtenir l’assouplissement ou la levée des conditions de sa mise en liberté.
[95] Un autre exemple qui indique une attitude trop critique envers l’ASFC est l’habitude des agents de l’ASFC de couvrir leurs chaussures lorsqu’ils visitaient son domicile. L’an dernier, en 2014, M. Mahjoub s’était plaint du fait que les agents revêtaient leurs chaussures de sacs de plastique, ce qui donnait aux observateurs l’impression que son domicile était une scène de crime ou était contaminé. Dans le cadre du présent contrôle, M. Mahjoub s’est plaint, au paragraphe 28 de son affidavit, du fait que des agents de l’ASFC avaient gardé leurs chaussures dans sa maison et qu’ils [traduction] « [...] n’avaient pas porté de couvre‑chaussures pour s’assurer que mes planchers restent propres ». Aucune explication n’a été donnée pour expliquer une contradiction aussi flagrante. Là encore, une telle attitude n’aide pas sa cause.
[96] M. Mahjoub critique le rôle de surveillance exercé par l’ASFC en ce qui concerne la livraison du courrier, et plus notamment du fait que ses factures de Startec et de Rogers ne lui ont pas été livrées. La Cour a examiné les éléments de preuve déposés par les deux parties sur cette question. Il n’appartient pas au soussigné de se glisser dans la peau d’un enquêteur et de trouver un coupable. Il a déjà été jugé dans des décisions antérieures que cette condition concernant la surveillance du courrier était importante pour s’assurer qu’aucune communication illicite ne se produise. M. Mahjoub n’accepte de toute évidence pas l’existence de cette condition. L’ASFC a déposé des éléments de preuve, des journaux de bord et d’autres documents qui indiquent le flot de courrier; rien ne permet de penser qu’une partie du courrier a été livrée extrêmement lentement. Pour la Cour, la solution à ce problème consisterait, pour M. Mahjoub, à appeler les agents de l’ASFC lorsqu’il ne reçoit pas du courrier. Les factures pourraient également être transmises par Internet. La Cour n’accepte pas la réponse de M. Mahjoub suivant laquelle la facturation en ligne n’est pas une solution acceptable pour lui. Plus récemment, M. Mahjoub s’est plaint de ne pas recevoir de courrier de l’ODPS. Les ministres ont répondu que l’on ne pouvait en faire le reproche à l’ASFC. Là encore, la Cour ne veut pas se transformer en enquêteuse; ce n’est pas son rôle. M. Mahjoub devrait s’adresser à l’ODPS et chercher à en savoir plus au sujet de ce problème, en informer l’ASFC et trouver une solution. Comme on le verra, les conditions relatives au courrier ne seront pas maintenues à l’avenir.
[97] Il n’y a aucun doute que la surveillance des conditions ne peut être parfaite; certains contretemps sont inévitables. Lorsqu’ils se produisent, M. Mahjoub devrait s’adresser aux agents de l’ASFC et ne pas laisser le problème devenir un obstacle insurmontable. Le dialogue et la recherche de solutions sont des facteurs essentiels pour obtenir éventuellement d’autres modifications à ces conditions.
[98] Pour en terminer avec ce facteur, la Cour tient à souligner de nouveau que la confiance et la fiabilité de M. Mahjoub sont importantes, comme dans le cas de toute autre personne désignée dans le cadre du régime des certificats de sécurité. Ces éléments doivent être examinés et appliqués de façon concrète.
e) Le cinquième critère – L’incertitude quant à la fin éventuelle de la procédure
[99] Les paragraphes 63 et suivants des motifs du contrôle de juillet 2014 des conditions sont toujours importants pour le présent contrôle, et je ne les répéterai pas, par souci de concision.
[100] L’avocat de M. Mahjoub fait valoir que la situation qui existe en Égypte fait en sorte qu’il pourrait être soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains, de sorte qu’il est impossible d’exécuter la mesure d’expulsion prise contre lui par suite de la conclusion suivant laquelle le certificat a été jugé raisonnable. Par conséquent, les conditions de sa mise en liberté devraient être levées, au motif qu’elles sont déraisonnables et arbitraires.
[101] Le processus d’appel se déroule comme prévu, et aucune décision définitive et déterminante n’a encore été rendue. Cet argument pourra peut‑être être invoqué à l’avenir, mais il ne peut l’être pour le moment et ne peut donc être retenu.
f) Le sixième critère – L’écoulement du temps
[102] En soi, l’écoulement du temps n’est pas un facteur déterminant. Ce n’est qu’un facteur parmi d’autres dont il y a lieu de tenir compte en fonction de l’ensemble des autres facteurs. Lors du dernier contrôle des conditions, j’ai écrit sur ce sujet et conclu que ce facteur ne pouvait, à lui seul, justifier la levée de l’ensemble des conditions. Les paragraphes 67 à 69 du dernier contrôle de juillet 2014 sont toujours importants pour le présent contrôle. Depuis que la décision sur le caractère raisonnable a été rendue, il s’agit du troisième contrôle des conditions; le dernier contrôle remonte à une quinzaine de mois. À la suite du dernier contrôle, une requête visant à obtenir le contrôle des conditions de mise en liberté aurait pu être déposée à la fin de décembre 2014 ou au début de janvier 2015, comme le prévoit la LIPR, mais il a plutôt été déposé en mai 2015. La requête devait être entendue à la fin de juin, mais elle a dû être remise au 26 août 2015 parce qu’on reprochait à la Cour d’avoir un parti pris défavorable contre M. Mahjoub. Les allégations de parti pris ont été jugées et se trouvent dans une directive publiée par la Cour en juillet 2015. Cette directive a été versée au dossier dans le cadre du présent contrôle.
g) Le septième critère – L’incidence des conditions de mise en liberté sur le demandeur et sur sa famille ainsi que la proportionnalité entre le danger que constitue le demandeur et les conditions de sa mise en liberté
[103] Dans cette section, j’ai l’intention de formuler quelques observations sur l’incidence perçue des conditions de mise en liberté sur M. Mahjoub. Je vais également me pencher sur la proportionnalité entre, d’une part, le danger que constitue le demandeur et, d’autre part, les conditions de mise en liberté, en tentant ainsi de minimiser l’atteinte portée à son droit à la vie privée tout en tenant compte de l’objectif consistant à neutraliser le danger en question.
[104] Entre sa première période de détention jusqu’à maintenant, la santé de M. Mahjoub a souvent été un facteur que les juges désignés ont examiné. Qu’il s’agisse d’une courte période de détention, d’une longue période de détention, d’une mise en liberté assortie de conditions aussi strictes qu’une détention à domicile ou encore de conditions assouplies avec le temps selon l’évolution du danger, la question de la santé de M. Mahjoub et de l’incidence des conditions de mise en liberté sur son bien-être général a constamment été appréciée, comme les décisions antérieures le démontrent (voir Mahjoub – novembre 2005, précitée, aux paragraphes 11 et 37; Mahjoub – février 2007, précitée, aux paragraphes 76 à 82; Mahjoub (Re) – novembre 2009, précitée, aux paragraphes 115 et suivants; Mahjoub (Re) – janvier 2013, précitée, aux paragraphes 22 à 28; Mahjoub (Re) – décembre 2013, précitée, au paragraphe 11; Mahjoub (Re) – juillet 2014, précitée, aux paragraphes 70 à 72).
[105] Les derniers motifs d’ordonnance de juillet 2014 ont été portés à la connaissance du Dr Donald Payne en vue de la rédaction de son rapport le plus récent du 14 mai 2015 qui fait partie de la preuve présentée par M. Mahjoub dans le cadre du présent contrôle. Les raisons pour lesquelles la Cour n’a pas retenu le dernier rapport du Dr Payne, comme elle l’a signalé aux paragraphes 70 à 72 de la décision de juillet 2014, ne seront pas reproduites, mais il y est fait référence parce que le Dr Payne y répond dans son nouveau rapport. Pour les besoins du rapport de mai 2015, le Dr Payne a rencontré M. Mahjoub une fois pendant une heure et 45 minutes et ne lui a fait subir aucun test en particulier.
[106] En réponse aux observations formulées au sujet des rapports qu’il avait déjà déposés dans le cadre des contrôles précédents, le Dr Payne a expliqué que ces rapports visaient [traduction] « [...] à démontrer l’ampleur de la frustration et du découragement de M. Mahjoub en raison des contraintes avec lesquelles il devait composer » et il ajoute ceci : [traduction] « [...] je ne puis formuler de commentaires au sujet de l’authenticité de ses préoccupations ».
[107] J’abonde dans le sens du Dr Payne lorsqu’il explique comment M. Mahjoub dépeint la façon dont il fait face aux conditions de sa mise en liberté dans sa vie quotidienne et les frustrations que leur mise en pratique lui occasionne. Quant aux diagnostics qui ont été posés, la Cour les a pris en considération lors du contrôle antérieur.
[108] Il n’y a aucun doute que la vie quotidienne de M. Mahjoub est affectée par la mise en application des conditions de sa mise en liberté, comme on peut aisément le comprendre. Cela étant dit, d’entrée de jeu, le soussigné ne comprend tout simplement pas le passage du rapport du médecin où celui‑ci rapporte les propos de M. Mahjoub selon lequel celui‑ci considère que les conditions de sa mise en liberté sont [traduction] « pires » que lorsqu’il était [traduction] « [...] détenu à domicile ». Les conditions de mise en liberté faisant l’objet du présent contrôle ne se comparent en rien à sa « détention à domicile » de 2007. Deuxièmement, les propos du Dr Payne reconnaissent que M. Mahjoub a toujours abordé ses conditions de mise en liberté et leur surveillance par l’ASFC [traduction] « [...] constamment dans un esprit antagoniste envers l’ASFC, les conflits entourant les conditions de sa mise en liberté perpétuant ce climat antagoniste ». Le médecin poursuit en expliquant que cette situation [traduction] « [...] explique peut‑être pourquoi il est perçu comme ne coopérant pas ». Ces éléments n’aident pas la situation personnelle de M. Mahjoub et ne facilitent pas la tâche de ceux qui ont participé aux contrôles en question, tel que l’ASFC ainsi que les juges désignés. Au paragraphe 56 des observations qu’il formule pour le compte de M. Mahjoub, l’avocat de ce dernier reconnaît ce qui suit : [traduction] « […] Les conditions imposées à M. Mahjoub ont été considérablement modifiées par la Cour fédérale [...] » M. Mahjoub doit certainement tenir compte de ce fait, et le Dr Payne aurait dû en tenir compte dans son rapport. Or, cette affirmation importante n’a pas du tout été prise en considération.
[109] Cette dernière observation sur la perception que M. Mahjoub [traduction] « ne coopère pas » se retrouve dans les décisions et les contrôles antérieurs déjà en 2009 et aussi récemment qu’en 2013 et 2014 (voir Mahjoub – mars 2009, précitée, au paragraphe 150; Mahjoub (Re) – décembre 2013, précitée, au paragraphe 17; Mahjoub (Re) – mai 2014, aux paragraphes 18 à 21).
[110] Si je devais suivre la solution proposée par le Dr Payne à la suite de son diagnostic, mais également la perception qu’il a de M. Mahjoub, je lèverais toutes les conditions de la mise en liberté. Il n’a fait aucune autre proposition. Mais cette façon de voir ne méconnaît‑elle pas l’objectif consistant à identifier les conditions susceptibles de faciliter la neutralisation du danger qui a été évalué? Certes, on ne saurait affirmer qu’en raison de l’état de santé que le médecin perçoit chez M. Mahjoub, on doit faire fi du danger qui a été évalué. Il doit exister, dans le domaine médical, des outils permettant de répondre aux préoccupations en matière de santé tout en maintenant un équilibre avec les questions et les objectifs de la société dont la loi exige que l’on tienne compte. Contrairement à ce que j’ai constaté à la lecture d’autres rapports médicaux semblables, le rapport de ce médecin ne prescrit, ne suggère ou ne discute d’aucune thérapie médicale indiquée en pareil cas. Ce genre de suggestion aurait pourtant été utile.
[111] Ayant défini le danger et analysé la question de la proportionnalité en fonction de celui‑ci, la seconde étape consiste à arrêter les conditions de mise en liberté appropriées. Ces conditions doivent tenir compte de ce danger de façon proportionnelle, de manière à porter le moins possible atteinte aux droits à la vie privée de M. Mahjoub. Je réfère le lecteur aux paragraphes 67 à 79 du présent contrôle, en ce qui concerne le danger qui a été évalué, et aux paragraphes 57 à 66, pour ce qui est de la proportionnalité du concept du danger par rapport aux conditions qui sont susceptibles de porter le moins possible atteinte au droit à la vie privée de M. Mahjoub.
III. Résultats
A. Les conditions
[112] La solution préconisée par les juges désignés dans le passé a consisté à aborder la question du droit à la liberté et au respect de la vie privée lors du contrôle des conditions de mise en liberté :
45. L’objectif du contrôle des conditions de la mise en liberté est d’en arriver à une solution qui permette de trouver un équilibre entre le droit à la liberté de l’intéressé et la sécurité du Canada ainsi que de sa population (Charkaoui no 1). Il revient au tribunal de trouver un juste équilibre.
(Mahjoub (Re), mai 2011, précitée, au paragraphe 45)
[113] Comme nous l’avons déjà vu, les principales préoccupations en ce qui concerne le danger que représente M. Mahjoub, comme la preuve publique le révèle, sont les contacts qu’il a eus dans le passé avec des terroristes connus et la prise de mesures pour s’assurer qu’il ne reprendra pas contact avec des personnes pouvant être associées à cette catégorie d’individus. Ces préoccupations visent précisément ce que les conditions de mise en liberté ont tenté par le passé de neutraliser. Il semble que la preuve publique démontre que les conditions se sont avérées efficaces. Ce n’est pas parce que les conditions semblent être efficaces et qu’aucun contact n’a été publiquement identifié que les conditions de mise en liberté devraient être automatiquement levées; il en faut plus. Les facteurs de confiance, de fiabilité et de bons antécédents doivent être établis.
[114] Le résultat souhaité est peut‑être plausible, mais il faut, d’abord et avant tout, la participation de M. Mahjoub. C’est un fardeau qui repose essentiellement sur ses épaules. Mais ce temps n’est pas encore arrivé. Néanmoins, à la demande des deux parties, certaines modifications seront apportées.
[115] Pour ce qui est de l’obligation de se présenter en personne chaque semaine (condition n° 4), je suis conscient, comme M. Mahjoub l’a expliqué, que les déplacements nécessaires sont exigeants. J’estime que le fait de se présenter en personne deux fois par mois tous les deux mercredis à l’adresse précise récemment indiquée par les ministres convient, compte tenu des circonstances actuelles. Il est également possible de modifier cette condition en la remplaçant par une obligation de se présenter périodiquement en recourant à une technologie de vérification de la voix.
[116] Les conditions (n° 6 à 9) concernant les sorties tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire de la région métropolitaine de Toronto, de la surveillance physique aléatoire et des communications interdites sont maintenues, étant donné qu’elles répondent manifestement aux préoccupations exprimées au sujet du danger et qu’elles constituent une atteinte minimale au droit à la liberté et au respect de la vie privée de M. Mahjoub. Elles ont été considérablement modifiées avec le temps pour améliorer les conditions de vie de M. Mahjoub. Ces conditions seront réexaminées sur demande.
[117] Les conditions concernant tous les modes de communications – téléphone, Internet, Skype, etc. – (conditions n° 10, 11 et 12) sont maintenues. Elles ont été adaptées pour s’assurer de neutraliser le danger qui a été évalué. La supervision requise a effectivement des incidences sur la liberté et la vie privée de M. Mahjoub, mais il est nécessaire de neutraliser de façon proportionnelle le danger qu’il représente tout en portant le moins possible atteinte à ses droits. La condition n° 11d) sera modifiée comme le proposent les ministres, car elle offre à M. Mahjoub davantage d’options de communication s’il le souhaite (téléphone cellulaire muni d’une carte SIM). Les parties sont invitées à proposer à la Cour une condition qui permettra l’utilisation d’un téléphone mobile assurant une surveillance et des garanties appropriées.
[118] La condition n° 13 concernant la surveillance du courrier n’est plus nécessaire. Elle existe depuis 2007 et a été une source constante de frustration pour les deux parties. Pour en arriver à cette conclusion, je tiens à dire qu’il n’y a aucun reproche ou réserve à exprimer au sujet de la surveillance qu’a exercée l’ASFC. Dans une certaine mesure, il faut se fier à M. Mahjoub; le temps est venu de le faire. On recourt moins qu’auparavant à la poste. De plus, je crois comprendre que les autres modes de communication et leur surveillance permettent de contrôler et de surveiller les communications de M. Mahjoub. J’ai tenu compte du degré danger qui a été évolué et du droit à la vie privée de M. Mahjoub.
[119] Toutes les autres conditions sont maintenues, étant donné qu’elles sont nécessaires pour neutraliser le danger et qu’elles sont proportionnelles par rapport au danger qui a été évalué et que, dans les conditions actuelles, elles constituent une atteinte minimale aux droits de M. Mahjoub.
[120] Au terme des présents motifs, je suis tenté d’ajouter que, peu importe ce que la Cour ou tout autre juge de la Cour ont pu faire dans le passé ou font maintenant, rien ne satisfera jamais M. Mahjoub. Je comprends la situation dans laquelle se trouve M. Mahjoub ainsi que la frustration qu’il doit ressentir. Dans une certaine mesure, on peut comprendre que M. Mahjoub éprouve des sentiments de rejet, de refus et d’exaspération. Mais, il lui faut regarder la réalité en face à un certain moment s’il veut préparer son avenir. La procédure de certification évolue, et l’appel des décisions qui ont été rendues suit son cours. Dans l’intervalle, tous les intéressés, y compris la Cour, doivent adapter leur rôle respectif en fonction du régime actuel de certificats de sécurité. D’ailleurs, ce réexamen de l’approche à suivre a été effectué dans le cadre d’une autre instance portant sur un certificat, et il semble qu’elle évolue dans l’intérêt de tous. Comme j’en arrive à la conclusion des présents motifs, je souhaite qu’avec la contribution positive de tous, les futurs contrôles des conditions de mise en liberté permettent d’obtenir des résultats positifs dans l’intérêt de la justice.
B. Les questions proposées en vue de la certification
[121] Les ministres n’ont soumis aucune question à certifier. M. Mahjoub a soumis les questions qui suivent en vue de leur certification, en vertu de l’article 79 de la LIPR. Les ministres ont répondu à chacune des questions proposées.
(1) L’existence de motifs raisonnables de soupçonner qu’il existe une menace suffit‑elle pour justifier l’imposition de conditions au titre de l’article 82 de la LIPR? Et/ou quelles sont les exigences minimales à respecter pour imposer de telles conditions? Et/ou quelle est la nature des éléments de preuve exigés pour imposer des conditions au titre de l’alinéa 82(2)b) et quelles sont les exigences minimales à respecter?
[122] Les ministres répondent que la Cour suprême du Canada a confirmé, dans l’arrêt Charkoui n° 1 (2007 CSC 9, au paragraphe 39), que la norme de preuve à appliquer dans le cadre d’un contrôle est incontestablement les « motifs raisonnables de croire ». Les faits de la présente affaire ne soulèvent pas ces questions, qui ne disposeraient pas d’un appel. Les jugements rendus par la Cour en ce qui concerne les conditions de mise en liberté ont constamment et correctement appliqué la norme des « motifs raisonnables de croire ».
(2) Une perquisition effectuée dans un ordinateur ou des relevés téléphoniques dans le cadre de conditions imposées par une ordonnance judiciaire exige‑t‑elle une autorisation (judiciaire) précise fondée sur des motifs raisonnables de croire qu’un manquement à des conditions ou un acte criminel a eu lieu?
[123] Premièrement, les ministres répondent que la question de l’autorisation judiciaire préalable ne se pose pas au vu des faits de l’espèce, qu’elle ne disposerait pas d’un appel et qu’elle ne satisfait donc pas aux critères de la certification. Deuxièmement, les ministres font valoir que l’article 8 de la Charte ne s’applique que si une personne a une attente raisonnable en matière de vie privée. Dans le cas qui nous occupe, les ministres laissent entendre que M. Mahjoub n’a pas d’attente raisonnable en matière de vie privée en ce qui concerne ses relevés téléphoniques et son ordinateur, parce qu’aux termes des ordonnances dans lesquelles elle a fixé les conditions de sa mise en liberté, la Cour a expressément avisé M. Mahjoub que le contenu de ses relevés téléphoniques et de son ordinateur était susceptible de faire l’objet d’une perquisition de la part de l’ASFC. Accessoirement, pour le cas où M. Mahjoub aurait effectivement une attente en matière de vie privée, la Cour a déjà accordé une autorisation judiciaire de procéder à la perquisition des objets en question. La Cour a examiné la preuve et pondéré le droit au respect de la vie privée de M. Mahjoub avec l’intérêt plus large qu’a la société à s’assurer qu’il ne se livre pas à des activités interdites et ne reprend pas contact avec des organisations terroristes.
(3) Les erreurs de droit font-elles partie des motifs permettant de s’écarter d’une décision antérieure dans le cadre du contrôle des motifs de la détention?
[124] Les ministres répondent que cette question proposée est inappropriée, étant donné qu’elle demande à la Cour de statuer en appel sur des conclusions tirées par le juge Blanchard. Il n’appartient pas à la Cour de statuer sur ce type de question lorsqu’elle procède au contrôle des conditions de mise en liberté. Accessoirement, les faits de la présente affaire ne soulèvent pas cette question, étant donné que les affirmations de M. Mahjoub ne démontrent pas l’existence d’une erreur de droit.
(4) Le droit à la mise en liberté sous caution au cours d’un appel interjeté au titre de l’article 7 constitue‑t‑il, dans le cas de moyens d’appel solides, un facteur permettant d’assouplir les conditions, et, dans l’affirmative, dans quelle mesure?
[125] Les ministres répondent que cette question proposée découle d’une mauvaise interprétation du contexte législatif et des enseignements donnés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui n° 1. L’arrêt Charkoui n° 1 propose une liste de facteurs non exhaustifs dont le tribunal devrait tenir compte lorsqu’il décide de l’opportunité de mettre le détenu en liberté ou de modifier les conditions auxquelles est assujettie la personne déjà mise en liberté. Le « droit à la liberté sous condition pendant un appel » n’en fait pas partie. C’est une création du droit criminel qui ne peut supplanter le cadre créé par la Cour suprême du Canada. Les exigences de l’article 7 de la Charte sont respectées par la possibilité de contrôler régulièrement les conditions de mise en liberté. De plus, les ministres soutiennent que la question est illogique, étant donné qu’elle soulève la question des « moyens d’appel solides », ce qui suppose que M. Mahjoub a démontré qu’il avait établi un motif sérieux d’interjeter appel de la décision portant sur le caractère raisonnable et que ce motif devrait être un facteur ayant une incidence sur les conditions de sa mise en liberté. Ces notions n’ont aucun fondement en droit.
(5) Le principe du non‑refoulement des réfugiés au sens de la Convention, lorsqu’il n’y a pas d’avis sur le danger, rend‑il invalides ou injustifiables en droit les conditions imposées au titre de l’alinéa 82(2)b) de la LIPR ou constitue‑t‑il un facteur permettant d’assouplir les conditions?
[126] Les ministres répondent que cette question confond l’évaluation du risque dans un avis de danger avec le rôle que joue la Cour lorsqu’elle impose des conditions à une personne désignée. Tout d’abord, un avis de danger constitue une instance distincte qui ne fait pas partie du contrôle des conditions de M. Mahjoub. En second lieu, le principe du non-refoulement n’a rien à avoir avec l’établissement des conditions au titre de l’alinéa 82(2)b), étant donné que ce principe vise à empêcher de renvoyer un réfugié dans un pays où il risque d’être persécuté. Les deux concepts sont complètement distincts, et la question est par conséquent incohérente.
[127] Les questions ne transcendent pas les intérêts des parties au litige, n’abordent pas des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et ne permettent pas de disposer de l’appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Liyanagamage, [1994] ACF no 1637, aux paragraphes 4 à 6). Je tiens également à ajouter que la loi permet de contrôler à nouveau les conditions de la mise en liberté six mois après le présent contrôle. Pour réclamer un nouveau contrôle des présentes conditions de mise en liberté, voir le paragraphe 82(4) de la LIPR.
[128] En terminant, je tiens à signaler que les questions juridiques mentionnées dans les questions dont la certification est proposée ont déjà été traitées par la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale à de nombreuses reprises. Je cite trois arrêts de la Cour suprême du Canada pour illustrer mon propos (Charkaoui n°1, précité; Suresh, précité; Harkat 2013, précité, en ce qui concerne le régime des certificats de sécurité dans son ensemble). Ayant déjà été avocat, je sais bien qu’il y a toujours une façon de plaider à nouveau une question qui a déjà été examinée au fond par les tribunaux. Toutefois, les questions dont la certification est proposée aujourd’hui ne satisfont pas aux critères exigés, comme il a été mentionné ci‑dessus.
[129] Les parties doivent établir dans les meilleurs délais un projet d’ordonnance révisé qui tienne compte des conditions de mise en liberté que j’ai établies ci‑dessus. Les modifications apportées aux conditions prendront effet au moment de la signature de la nouvelle ordonnance. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre, la Cour tranchera.
« Simon Noël »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 30 octobre 2015
Traduction certifiée conforme
C. Laroche
ANNEXE A
1. Engagement de se conformer à chacune des conditions;
2. Cautionnement et garantie de bonne exécution :
a) 20 000 $ consignés à la Cour par trois (3) personnes;
b) Garantie de bonne exécution signée par six (6) personnes variant entre 1 000 $ et 20 000 $ pour un moment total de 46 000 $.
3. Obligation de se présenter chaque semaine aux bureaux de l’ASFC à Mississauga;
4. Obligation de résider dans une maison d’habitation ou un appartement sans espace extérieur;
5. Sorties sans nécessité de demander une autorisation préalable de l’ASFC dans la région du Grand Toronto, sauf pour se rendre dans des magasins de vente au détail dont la fonction principale consiste à fournir un accès à Internet ou à vendre des armes à feu ou d’autres armes;
6. Dans le cas des sorties à l’extérieur de la région du Grand Toronto, uniquement sur le territoire canadien, un avis de sept (7) jours doit être donné à l’ASFC et contenir un itinéraire détaillé;
7. Une surveillance physique par l’ASFC de sa résidence ou de ses sorties peut être effectuée mais doit être réalisée de la façon la moins attentatoire possible;
8. M. Mahjoub ne doit communiquer avec aucune personne dont il sait être un partisan du terrorisme ou du jihad violent ou avec une personne ayant des antécédents judiciaires;
9. M. Mahjoub peut utiliser un ordinateur de bureau avec connexion Internet à sa résidence, à condition de fournir des renseignements au sujet du fournisseur Internet, mais il ne peut utiliser de connexion sans fil; il peut toutefois utiliser une communication Skype avec l’autorisation de l’ASFC et en présence d’une caution de surveillance :
a) M. Mahjoub pourra utiliser un compte de courriel sous la surveillance de l’ASFC;
b) M. Mahjoub devra mettre à la disposition de l’ASFC pour inspection tous les renseignements concernant le fournisseur de services Internet ainsi que son ordinateur, son modem et son routeur.
10. M. Mahjoub peut utiliser un téléphone de ligne terrestre conventionnel et des transmissions par télécopieur, mais il doit transmettre à l’ASFC tous les renseignements pertinents à des fins d’inspection. Il peut également posséder un téléphone mobile doté uniquement de la messagerie vocale et de fonctions vocales, sous réserve de la communication de renseignements pertinents à l’ASFC à des fins d’inspection et de surveillance;
11. M. Mahjoub peut utiliser d’autres téléphones de ligne terrestre ou mobile en cas d’urgence, au besoin;
12. L’ASFC peut intercepter tout courrier entrant ou sortant;
13. L’ASFC utilisera une boîte aux lettres pour retourner le courrier intercepté;
14. L’ASFC peut entrer et perquisitionner dans la résidence de M. Mahjoub uniquement si elle a des motifs raisonnables de croire que les conditions ont été violées;
15. M. Mahjoub ou son représentant ne doit pas enregistrer sur vidéo les agents de l’ASFC lorsqu’ils s’acquittent de leurs fonctions conformément aux conditions de mise en liberté;
16. Les photographies ou les renseignements recueillis par l’ASFC conformément aux conditions doivent être conservés et ne peuvent être retournés à des tiers;
17. L’ASFC conserve le passeport et les titres de voyage de M. Mahjoub, qui peut toutefois se déplacer partout sur le territoire canadien, à condition d’en avertir l’ASFC;
18. M. Mahjoub doit se présenter s’il fait l’objet d’une mesure de renvoi du Canada;
19. M. Mahjoub ne pourra pas posséder d’arme, et il devra avoir une bonne conduite et ne pas troubler l’ordre public;
20. En cas de manquement à l’une quelconque des conditions qui lui sont imposées, M. Mahjoub peut être arrêté et être traduit devant un juge désigné;
21. M. Mahjoub doit aviser au préalable l’ASFC en cas de changement d’adresse;
22. Tout manquement aux conditions constitue une infraction au sens de l’article 127 du Code criminel ainsi qu’une infraction visée à l’alinéa 124(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés;
23. Les conditions peuvent être modifiées par un juge désigné.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
DES-7-08
|
INTITULÉ : |
MOHAMED ZEKI MAHJOUB
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
TORONTO (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 26 AOÛT 2015 |
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : |
LE JUGE S. NOËL
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 30 OCTOBRE 2015
|
COMPARUTIONS :
Johanne Doyon
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Bernard Assan
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Doyon et Associés Inc. Montréal (Québec)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
[1] En raison de la multitude de décisions portant le nom du demandeur au fil des ans, nous citerons les décisions en fonction du juge et de la date.