Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151104


Dossier : IMM-7786-14

Référence : 2015 CF 1248

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2015

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

PIRABAKARAN KANTHASAMYIYAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande visant l’obtention d’un bref de mandamus en raison du défaut du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) de rendre une décision sur la demande de résidence permanente présentée par le demandeur à titre de personne protégée, demande qui est en suspens depuis février 2006. Bien que la responsabilité de rendre la décision revienne ultimement à CIC, le demandeur a fait valoir que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (MSPPC) était nécessairement visé, du fait de la responsabilité que la loi lui impose de procéder à un examen de l’admissibilité du demandeur au titre de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le demandeur prie la Cour d’enjoindre aux deux défendeurs d’achever le traitement de sa demande dans un délai de 30 jours. Il sollicite également l’adjudication de dépens relativement à sa demande.

[2]               Dans l’intervalle, les défendeurs ont présenté, en vertu de l’article 87 de la LIPR, une requête visant à obtenir une ordonnance de non-divulgation afin de protéger des renseignements qui sont actuellement expurgés du dossier certifié du tribunal (le DCT) pour des motifs de sécurité nationale. Cette requête a été accueillie par la Cour le 16 septembre 2015 en ce qui a trait aux pages 506 à 512 du DCT (rapport d’interdiction de territoire de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), daté de 2013, et mémoire du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) daté du 23 mars 2010). Les défendeurs ont avisé le demandeur et la Cour qu’ils n’entendaient pas se fonder sur les renseignements expurgés dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, et ils ne l’ont effectivement pas fait.

[3]               En ce qui a trait au fond de la présente demande, les défendeurs ont fait valoir que celle‑ci devait être rejetée, car le fait de contraindre CIC à rendre une décision dans un délai serré aurait comme conséquence d’interrompre ou d’abréger l’enquête de sécurité de l’organisme. À titre subsidiaire, les défendeurs ont demandé l’ajournement de l’audience à janvier 2016, date à laquelle CIC serait en mesure de faire le point à savoir s’il a pris une décision concernant l’admissibilité et de confirmer les étapes restantes, le cas échéant, pour finaliser la demande de résidence permanente du demandeur.

II.                Les faits

[4]               Le demandeur, Pirabakaran Kanthasamyiyar, est un prêtre hindou originaire du Sri Lanka. Dès son arrivée au Canada, le 13 janvier 2005, il a présenté une demande d’asile fondée sur la persécution qu’auraient exercée sur lui les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), le Parti démocratique populaire de l’Eelam (PDPE) et les forces de sécurité sri‑lankaises. Dans l’exposé circonstancié de son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a expliqué que les TLET l’avaient forcé à creuser des abris fortifiés et à remplir des sacs de sable, de même qu’à donner des cours d’informatique à des jeunes dans les bureaux des TLET. Il a également allégué avoir été battu à plusieurs reprises par les forces de sécurité sri-lankaises (l’armée et/ou la police) en raison de sa présumée appartenance aux TLET. En 2004, le demandeur a acquis la conviction que les TLET voulaient le forcer à devenir un militant; c’est pourquoi il s’est enfui au Canada.

[5]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention, et elle a accueilli sa demande le 9 février 2006. Au cours du même mois, le demandeur a, en tant que personne protégée, déposé auprès de CIC une demande de résidence permanente au titre du paragraphe 21(2) de la LIPR. Aucune décision n’a encore été rendue relativement à cette demande, d’où la présente requête en bref de mandamus.

[6]               Le demandeur est prêtre au Canada Kanthaswamy Temple (CKT) à Scarborough, en Ontario, depuis janvier 2005. Œuvrant d’abord comme prêtre bénévole, il est ensuite devenu un employé du temple.

[7]               Le 13 juin 2007, le demandeur a épousé sa femme, une citoyenne du Sri Lanka, au Haut‑commissariat du Sri Lanka à Singapour. Dans son affidavit, il a déclaré que son voyage avait pour principal objet le mariage, mais qu’il s’était également rendu à Singapour, en Malaisie, en Allemagne et en Suisse. Il a informé CIC de son mariage en octobre 2007 et, en mars 2009, il a demandé qu’on ajoute son épouse à sa demande de résidence permanente.

[8]               Le 8 avril 2008, le SCRS a interrogé le demandeur au sujet des activités qu’il avait été forcé d’accomplir pour les TLET alors qu’il se trouvait au Sri Lanka. Le demandeur a reconnu s’être livré aux activités dont faisait état l’exposé circonstancié de son FRP, en niant toutefois avoir jamais été membre des TLET ou de l’Association mondiale tamoule (AMT). Il a également nié savoir quoi que ce soit au sujet de la présence des TLET ou de l’AMT à Toronto ou d’éventuelles activités de financement organisées pour leur compte par le CKT.

[9]               Le 13 mai 2009, un agent de CIC, prenant note de l’entrevue qui avait eu lieu le 8 avril, a demandé une mise à jour au SCRS. Celui-ci a répondu le 19 mai 2009 que le dossier était en cours d’examen. Le 8 juin 2009, un autre agent de CIC a demandé au SCRS si le demandeur avait un statut « rien à signaler », en faisant remarquer que l’autorisation de sécurité du SCRS était en suspens depuis 2006. Le 12 juin 2009, le SCRS a répondu que le dossier était encore à l’étude, en précisant qu’[traduction] « on y a[vait] travaillé récemment, et [qu’il n’avait] pas été oublié ».

[10]           Le 23 mars 2010, le SCRS a transmis à l’ASFC son mémoire concernant la possibilité que le demandeur soit interdit de territoire au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Apparemment, ce mémoire a temporairement été perdu, puisque l’ASFC l’a seulement reçu en février 2011. Le demandeur a reçu une copie expurgée du document.

[11]           Le 24 mai 2010, le Haut-commissariat du Canada à Colombo a reçu une lettre de dénonciation, qu’il a transmise le lendemain au SCRS pour évaluation. Dans cette lettre, on alléguait que le demandeur avait résidé en Allemagne avant d’arriver au Canada, qu’il entretenait toujours des liens avec les anciens membres des TLET et qu’il ordonnait la perpétration d’actes de vandalisme par des membres des TLET. On affirmait également que le mariage du demandeur était un leurre, et qu’il recevrait entre 30 000 $ et 40 000 $ pour faire venir son épouse au Canada. Le 1er juin 2010, le SCRS a fait savoir que la lettre avait été transférée, en précisant que les résultats de l’analyse de celle-ci seraient communiqués lorsqu’ils seraient disponibles. Une autre lettre de dénonciation faisant suite à la première a été reçue le 7 juillet 2010. On y alléguait qu’après s’être marié, le demandeur avait voyagé dans plusieurs pays pour y rencontrer d’anciens chefs et dirigeants des TLET. Cette lettre a également été acheminée au SCRS.

[12]           Le 15 novembre 2010, un agent de CIC a inscrit au dossier une note indiquant :

●    que CIC attendrait que le traitement des renseignements de la lettre de dénonciation par le SCRS ait suivi son cours avant d’en faire part au client;

●    que CIC, une fois rendue la décision du SCRS, prendrait les mesures appropriées en fonction de la véracité des lettres de dénonciation;

●    que, pour l’instant, l’agent d’immigration/DL conseillait d’informer l’avocat du demandeur que des vérifications des antécédents étaient toujours en cours;

●    qu’un courriel avait été envoyé à l’Administration centrale du SCRS afin de demander une mise à jour sur la situation.

[13]           Le demandeur n’a découvert l’existence des lettres de dénonciation qu’au début de 2014, grâce à des demandes d’accès à l’information, et il n’a pu en obtenir la production qu’en juin 2015, lorsqu’il a reçu le DCT.

[14]           En réponse à la demande de mise à jour de CIC datée du 15 novembre 2010, le SCRS a recommandé à CIC de communiquer avec l’ASFC. Le 17 novembre 2010, l’ASFC a indiqué n’avoir trouvé aucun renseignement concernant le demandeur dans sa banque de données. Le 14 février et le 8 septembre 2011, CIC a demandé d’autres mises à jour à l’ASFC. Puis, le 21 septembre 2011, l’ASFC a répondu que l’évaluation du dossier n’était pas encore terminée, et que, puisque le mémoire viendrait à échéance sous peu, CIC était prié de lui faire parvenir des formulaires IMM. CIC a donc envoyé ces formulaires à l’ASFC le 5 octobre 2011.

[15]           Le 6 octobre 2011, l’ASFC a demandé au SCRS un avis de sécurité actualisé au sujet du demandeur. Le SCRS a rédigé le 13 décembre 2011 un mémoire actualisé, mais l’ASFC l’a seulement reçu quelque temps avant le 16 avril 2012. Cet exposé ne figure pas dans le DCT, étant donné que l’ASFC ne l’a pas transmis à CIC. Au cours du contre-interrogatoire, l’agente de CIC Clare Palmer a avancé que cela était peut-être dû au fait qu’[traduction] « [i]l arrive que l’ASFC ne transmette pas un mémoire s’il ne contient aucun nouveau renseignement ». Le demandeur a obtenu une copie expurgée de ce mémoire.

[16]           Le 1er mars 2013, CIC a demandé une mise à jour à l’ASFC. Le même jour, l’ASFC a fait savoir que le dossier était toujours en cours d’examen, et qu’il avait été renvoyé aux fins d’une analyse plus approfondie. Le 18 mars 2013, l’ASFC a avisé CIC qu’après un examen initial du dossier, il lui fallait obtenir des renseignements supplémentaires avant de pouvoir conclure son évaluation. Le 15 mai 2013, CIC a envoyé à l’ASFC une note de service accompagnée des renseignements supplémentaires demandés, dans laquelle il réclamait une brève mise à jour.

[17]           Le 17 juillet 2013, l’ASFC a achevé sa propre évaluation concernant l’interdiction de territoire effectuée au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIRP. L’ASFC a conclu, dans cette évaluation, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance aux TLET. L’évaluation mentionnait également que, bien qu’il n’ait jamais admis être membre des TLET, le demandeur était prêtre au CKT, lequel était sous la coupe forcée de l’AMT, l’une des principales organisations des TLET.

[18]           Le demandeur a été convoqué le 28 janvier 2014 à une entrevue avec l’ASFC qui a par la suite été remise au 10 avril 2014. Au cours de l’entrevue, l’agent de l’ASFC a interrogé le demandeur au sujet du fondement de sa demande d’asile, de ses associés au Canada, du CKT et de la question de son appartenance aux TLET. Le demandeur a admis avoir entendu des rumeurs quant au fait que, par le passé, on avait cru que le CKT s’était livré à des activités de financement pour l’ATM et les TLET, mais il a précisé que de telles activités avaient eu lieu avant qu’il ne commence à travailler à cet endroit. Il a déclaré ne pas croire que ces activités se soient poursuivies après son entrée en fonction au CKT.

[19]           Le 9 juillet 2014, le demandeur a sollicité une mise à jour, et le 12 juillet 2014, l’agent de l’ASFC a répondu que l’enquête était en cours. Le demandeur a effectué un nouveau suivi le 16 septembre 2014, mais il n’a reçu aucune réponse. Le 25 septembre 2014, le demandeur a écrit à l’ASFC et à CIC pour les informer que, à moins d’un règlement de son dossier, il intenterait des poursuites judiciaires.

[20]           L’ASFC a répondu le 29 septembre 2014 en déclarant que l’enquête se poursuivait. Quant à lui, CIC a répondu le 7 octobre 2014 pour indiquer que le dossier du demandeur avait été transféré au bureau de CIC à Vancouver. Aucun des deux organismes n’a précisé d’échéance. Le 18 novembre 2014, le demandeur a donc déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

[21]           Le 3 février 2015, l’ASFC a produit, en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, un rapport où il était allégué que le demandeur était un membre des TLET, ce qui correspondait au fait visé à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Le dossier a été déféré pour enquête le 10 mars 2015. L’enquête n’a pas encore eu lieu, et aucune date n’a été fixée pour sa tenue.

[22]           Dans son affidavit daté du 13 janvier 2015, l’agente de CIC Clare Palmer a déclaré qu’elle prévoyait être en mesure [traduction] « d’entreprendre [son] examen du dossier du demandeur la semaine prochaine et, d’après [son] expérience, de rendre [sa] décision relativement à l’interdiction de territoire du demandeur dans trois à six mois ». Elle a ajouté que, si le demandeur n’était pas déclaré interdit de territoire, une période additionnelle de six mois serait nécessaire pour procéder à d’autres formalités de contrôle.

[23]           Dans son affidavit daté du 24 juin 2015, l’agente a déclaré qu’elle [traduction] « [s]’attendai[t] à recevoir l’évaluation réalisée par l’ASFC avant la mi-août », et que, « à ce stade-ci, [elle] estim[ait] pouvoir rendre [sa décision] sur l’admissibilité du demandeur dans un délai de six mois ».

[24]           Au début de l’audience qui s’est tenue devant moi, les défendeurs ont présenté oralement une requête visant à obtenir l’autorisation de déposer deux nouveaux affidavits à l’appui de leur position : un affidavit supplémentaire de Clare Palmer daté du 15 octobre 2015, et un affidavit de l’agent de l’ASFC Claudio Pellicore daté du 16 octobre 2015. J’ai accueilli cette requête.

[25]           Dans ce nouvel affidavit, Mme Palmer a d’abord déclaré qu’elle avait reçu de l’ASFC un rapport d’interdiction de territoire actualisé qui était [traduction] « défavorable, et renferm[ait] des renseignements de même teneur que ceux contenus dans les évaluations précédentes ». Le rapport actualisé n’ayant pas été joint, je souscris à l’avis du demandeur selon lequel je devrais en conclure qu’il ne contient pas de nouveaux renseignements. Madame Palmer a également affirmé qu’elle n’avait pas reçu de mise à jour du SCRS et que, malgré le fait que le rapport du SCRS devait arriver à expiration au cours du mois d’octobre, aucune mise à jour n’était nécessaire puisque le rapport précédent était toujours valide lorsque la discussion avait eu lieu. Enfin, elle a affirmé avoir demandé le 14 juillet 2015 à l’ASFC de faire effectuer une vérification d’empreintes digitales par INTERPOL, étant donné que cela n’avait pas été fait à l’arrivée du demandeur, en 2005. Elle a ajouté que, le 11 août 2015, elle avait sollicité l’autorisation du demandeur concernant la communication de tout dossier qu’il pourrait avoir en Allemagne. Il semblerait que ces vérifications n’avaient pas été effectuées en 2010, au moment de l’arrivée des lettres de dénonciation, dont l’une indiquait que le demandeur avait résidé en Allemagne avant de venir au Canada. En raison du fait que le demandeur se trouvait à l’extérieur du pays jusqu’au 8 octobre 2015, la requête n’a été adressée aux autorités allemandes que le 15 octobre 2015. Mme Palmer a dit qu’elle s’attendait à recevoir une réponse à la fin d’octobre ou au début de novembre, et qu’elle serait en mesure d’avoir une entrevue avec le demandeur fin novembre, au besoin. Par conséquent, elle prévoyait être en mesure de rendre une décision en décembre 2015 en ce qui concerne l’admissibilité du demandeur.

III.             Les questions en litige

[26]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.      Le demandeur a-t-il droit à une ordonnance de la Cour enjoignant aux défendeurs de rendre une décision définitive concernant sa demande de résidence permanente au Canada?

2.      Le demandeur a-t-il droit à des dépens?

IV.             Analyse

A.                Le droit du demandeur à une ordonnance de la Cour enjoignant aux défendeurs de rendre une décision définitive concernant sa demande de résidence permanente au Canada

(1)               Position des parties

a)                  Le demandeur

[27]           À titre préliminaire, le demandeur fait valoir que, tant CIC que le ministre étaient responsables de l’achèvement du traitement de la demande ainsi que des retards survenus au cours de son traitement. Cette responsabilité est ancrée dans les articles 4 et 21 de la LIPR et dans le Décret précisant les responsabilités respectives du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et de la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en vertu de la Loi, TR/2005-120. Étant donné que les ministres sont tous deux responsables, l’un et l’autre sont liés par toute ordonnance rendue par la Cour.

[28]           Le demandeur prétend ensuite que la présente affaire répond aux huit conditions du critère établi dans la décision Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF), au paragraphe 45, conf. par [1994] 3 RCS 1100 [Apotex], relativement aux demandes de contrôle judiciaire visant l’obtention d’un mandamus. Ces conditions s’appliquent également en matière d’immigration (Dragan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 CF 189, au paragraphe 39).

[29]           Dans leurs observations écrites, les défendeurs se contentent de soutenir qu’en l’espèce, les troisième et huitième conditions énoncées dans la décision Apotex n’étaient pas respectées. Toutefois, au cours de l’audience, ils ont ajouté que la septième condition fixée dans cette décision n’était pas davantage satisfaite, et que la Cour devrait conclure que les renseignements additionnels contenus dans l’affidavit de l’agente de CIC Clare Palmer, daté du 15 octobre 2015, constituaient, sur le plan de l’equity, un obstacle à l’obtention du redressement demandé. Puisque les défendeurs n’ont pas explicité ce dernier argument, les présents motifs traiteront seulement des troisième et huitième conditions du critère établi dans la décision Apotex.

[30]           En ce qui a trait à la troisième condition du critère, le demandeur prétend qu’il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de l’obligation par le défendeur, étant donné qu’il a satisfait à toutes les conditions préalables au traitement de sa demande de résidence; qu’il a déjà demandé à maintes reprises qu’une décision soit rendue; qu’une période de temps raisonnable a été accordée aux défendeurs pour leur permettre de se conformer à leur obligation; et que le délai était déraisonnable. Le demandeur a fondé son argument quant au caractère déraisonnable du délai sur les trois conditions du critère posé dans l’affaire Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1553 (CF), au paragraphe 23 [Conille]. Ces conditions sont les suivantes : (1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie; (2) le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables; (3) l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante (voir également Douze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1337, au paragraphe 28 [Douze]).

[31]           Près de 10 années se sont écoulées depuis que le demandeur a présenté sa demande. Selon lui, ce retard est largement attribuable au ministre, qui n’a fourni aucune explication pour le justifier. Le demandeur soutient que tous les renseignements sur lesquels l’ASFC s’est appuyée pour réaliser en 2013 son évaluation relative à l’interdiction de territoire dataient de 2008 ou d’avant, ce qui amène à se demander pourquoi une décision n’a toujours pas été rendue. Pour sa part, CIC a omis d’agir après avoir reçu l’évaluation de 2013, et il n’est passé aux actes qu’après le dépôt de la présente requête en mandamus. En raison de son défaut d’agir avec diligence, il a été nécessaire de demander à l’ASFC de procéder à une nouvelle enquête de sécurité, ce qui a engendré d’autres délais supplémentaires. Enfin, des problèmes de communication entre l’ASFC et le SCRS ont prolongé encore davantage les délais.

[32]           En ce qui a trait à la huitième condition du critère de la décision Apotex, le demandeur soutient que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur, et que le retard lui a causé un préjudice. Pendant tout ce temps, les défendeurs ont amplement eu l’occasion de trancher sa demande de résidence permanente; la délivrance d’une ordonnance de mandamus ne leur porterait pas préjudice.

b)                  Les défendeurs

[33]           Les défendeurs conviennent que le critère relatif au bref de mandamus énoncé dans la décision Apotex s’applique en l’espèce, mais ils soutiennent que les troisième et huitième conditions n’ont pas été remplies, et que, par conséquent, il n’y a pas lieu de délivrer une ordonnance de mandamus.

[34]           Pour ce qui est de la troisième condition du critère de la décision Apotex, les défendeurs soutiennent que le délai n’était pas déraisonnable. Ils affirment que leur obligation de promouvoir la justice et la sécurité, qui est prévue aux alinéas 3(1)h) et i) de la LIPR, et leur obligation de déterminer l’admissibilité du demandeur, qui est énoncée à l’article 21(2) de cette même loi, justifiaient ce délai. Les défendeurs renvoient à la décision Bhatia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1244, au paragraphe 15 [Bhatia], et rappellent à la Cour que le paragraphe 21(2) de la LIPR ne prescrit aucun délai dans lequel un agent doit établir l’admissibilité d’un demandeur.

[35]           Les défendeurs soulignent l’importance de ne pas interrompre les enquêtes de sécurité menées dans le contexte de demandes de résidence permanente (Seyoboka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)), 2005 CF 1290, aux paragraphes 8 à 10 [Seyoboka]). En l’espèce, il existe des préoccupations légitimes à propos de la participation du demandeur aux activités des TLET, et les lettres de dénonciation contenaient des allégations bien précises qui nécessitaient une enquête plus poussée. Les défendeurs évoquent également la possibilité que le récit du demandeur, grâce auquel il a obtenu le statut de réfugié, ait contenu d’importantes fausses déclarations, lesquelles seraient susceptibles de justifier une demande d’annulation de ce statut. La demande de résidence permanente deviendrait alors sans fondement.

[36]           Les défendeurs insistent pour dire que le dossier du demandeur a fait l’objet d’un suivi régulier, et que les vérifications relatives à la sécurité et à l’inadmissibilité justifiaient le délai de façon satisfaisante (Conille, précité, au paragraphe 23). Ils soulignent aussi que l’agente de CIC, Clare Palmer, à qui le dossier du demandeur a été transféré en décembre 2014, a fait preuve de diligence, et qu’elle s’attend à rendre une décision sur l’admissibilité du demandeur dans les trois mois à venir.

[37]           Quant à la huitième condition du critère de la décision Apotex, les défendeurs avancent que la prépondérance des inconvénients joue en leur faveur plutôt qu’en celle du demandeur. Ils affirment devoir enquêter sur les préoccupations de sécurité liées à la possible association du demandeur avec les TLET avant qu’une décision au sujet de sa demande de résidence permanente ne puisse être rendue. Ils ajoutent qu’entre-temps, on assure régulièrement le suivi du dossier du demandeur. Selon les défendeurs, ces facteurs militent contre la délivrance d’une ordonnance de mandamus ou, subsidiairement, en faveur d’un ajournement de l’audience au mois de janvier 2016, alors que CIC serait en mesure de faire le point sur la question de savoir si l’agente Clare Palmer a rendu une décision quant à l’admissibilité et, s’il y a lieu, quant aux mesures qu’il restera à prendre concernant la demande. Les défendeurs renvoient à la décision Dhahbi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1702, aux paragraphes 40 à 42 [Dhahbi], à titre de précédent pour l’ajournement demandé.

(2)               Troisième condition du critère de la décision Apotex : existe-t-il un droit clair d’obtenir l’exécution de l’obligation?

[38]           En ce qui concerne cette troisième condition du critère, je suis d’accord avec le demandeur quant au fait qu’il a rempli les conditions préalables. En effet, il a déposé sa demande, payé les frais exigés et collaboré avec CIC et le ministre tout au long du processus (Bhatia, précité, au paragraphe 17). Les défendeurs ne précisent pas en quoi le demandeur n’aurait pas rempli les conditions préalables.

[39]           La question de savoir si le délai pour agir de CIC et du ministère (l’ASFC et le SCRS) était déraisonnable s’évalue en fonction du critère établi dans Conille, précité, au paragraphe 23.

a)   1er élément du critère établi dans Conille : Le délai en question a-t-il été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie?

[40]           La question devient alors la suivante : le délai de près de dix ans en cause est-il déraisonnable à première vue? Dans le jugement Seyoboka, précité, au paragraphe 8, le juge Pinard a déclaré ce qui suit :

Bien qu’à première vue neuf ans constituent une longue période de temps pour quelqu’un qui attend l’émission du statut de résident permanent, les demandes de mandamus doivent être appréciées en fonction des faits particuliers de la cause, la jurisprudence ne servant qu’à établir des paramètres (Mohamed c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2000] A.C.F. no 1677, au paragraphe 15).

[41]           Ce principe a été mis de l’avant par la Cour dans la décision Bhatia, précitée, au paragraphe 15, lorsqu’elle a examiné le paragraphe 21(2) de la LIPR : « [l]es conditions prévues par la loi ne sont assujetties à aucun paramètre temporel ou pragmatique. Le passage souligné dans l’extrait précité ne fait l’objet d’aucune limite de temps. Ce qui est raisonnable et ce qui est déraisonnable varie d’un cas à l’autre puisque chaque cas est un cas d’espèce » (voir également Abdolkhaleghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 729, au paragraphe 18 [Abdolkhaleghi]).

[42]           Après avoir examiné les faits, je conclus que le délai en question est à première vue déraisonnable. De prime abord, la brève chronologie suivante révèle que des mesures ont été prises de façon régulière : le SCRS a interrogé le demandeur en 2008, « travaillé au » dossier en 2009 et transmis son mémoire à l’ASFC en mars 2010 — quoique celle-ci ne l’ait pas reçu avant février 2011. Les lettres de dénonciation, qui ont apporté un angle nouveau aux enquêtes, ont été reçues en mai et juillet 2010. Le SCRS a produit un mémoire de sécurité actualisé en décembre 2011 — bien que l’ASFC l’ait seulement reçu en avril 2012. L’ASFC a ensuite demandé des renseignements supplémentaires à CIC en mars 2013, et CIC les a communiqués en mai ou septembre 2013. En juillet 2013, l’ASFC a établi, en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, son rapport où elle concluait que le demandeur était interdit de territoire. En avril 2014, l’ASFC a eu un entretien avec le demandeur, puis, en février 2015, elle a établi en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR un autre rapport renfermant pareille conclusion selon laquelle le demandeur était interdit de territoire. Le 6 juillet 2015 ou autour de cette date, l’ASFC et le SCRS ont envoyé à CIC leurs vérifications de sécurité terminées. En date de l’audience, l’enquête n’a pas encore eu lieu, et la date de sa tenue n’a toujours pas été fixée. L’agente de CIC Clare Palmer prévoit rendre sa propre décision relative à l’interdiction de territoire au plus tard en décembre 2015.

[43]           Néanmoins, avant que le demandeur ne dépose la présente demande, en novembre 2014, la seule chose que CIC ait faite, mis à part de répondre à une requête de l’ASFC, a été d’attendre les rapports de sécurité respectifs de l’ASFC et du SCRS pour pouvoir s’acquitter ultérieurement de sa propre obligation. Tout au long de ces années, il est vrai que CIC a régulièrement demandé des mises à jour à l’ASFC et au SCRS, mais il est tout aussi vrai qu’il s’est contenté de vagues réponses concernant l’état d’avancement de l’enquête, sans s’enquérir plus avant du délai prévu pour son achèvement. Vu l’expiration du rapport de l’ASFC, CIC a dû réclamer une mise à jour, et il devra sans doute également en faire autant pour le mémoire du SCRS, qui vient d’expirer en octobre 2015.

[44]           Après que le dossier fut finalement transféré à l’agente de CIC, Clare Palmer, celle-ci a dû mener sa propre enquête de sécurité, puisqu’aucun des deux organismes de sécurité ne semblait avoir procédé à certaines vérifications des plus élémentaires. D’abord, il lui a fallu effectuer une vérification des empreintes digitales, car cela n’avait pas été fait lors de l’arrivée du demandeur au Canada, en 2005. Certes, l’agente Palmer a avancé que la politique en ce sens n’existait peut-être pas à l’époque, mais elle a omis de dire à quand cette politique remontait. Ensuite, elle a dû demander au demandeur la permission de communiquer ses renseignements personnels aux autorités allemandes en vue d’enquêter sur les allégations mentionnées dans la deuxième lettre de dénonciation reçue en juillet 2010, selon lesquelles il aurait résidé en Allemagne avant de venir au Canada. Je conviens avec les défendeurs que le fait que les deux lettres de dénonciation aient été envoyées de façon anonyme n’a pas facilité l’enquête. Quoi qu’il en soit, il n’aurait pas dû s’écouler cinq ans avant qu’on procède à cette vérification très élémentaire auprès des autorités allemandes, tout comme on n’aurait pas dû prendre 10 ans avant d’effectuer une vérification des empreintes digitales.

[45]           Cela amène à s’interroger sur la nature et l’étendue de l’enquête réalisée par le SCRS et l’ASFC entre avril 2006 et juillet 2015, exception faite des deux entrevues qui ont eu lieu avec le demandeur en 2008 et en 2014. Le mémoire de 2010 du SCRS et le rapport de 2013 de l’ASFC contiennent très peu de détails, puisqu’on y trouve principalement des renseignements généraux au sujet des TLET et de l’ATM et du contrôle qu’exerceraient ces organisations sur le temple où le demandeur travaille comme prêtre.

[46]           Au vu des faits de l’espèce, je ne suis pas en mesure de conclure que les délais en cause étaient à première vue raisonnables, ni qu’une période de près de 10 ans représente le délai nécessaire normalement exigé par la nature du processus de demande de résidence permanente.

a)                  Deuxième condition du critère établi dans Conille : le demandeur et son avocat sont-ils responsables du délai?

[47]           La deuxième condition du critère énoncé dans la décision Conille est aisément respectée : ni le demandeur ni son avocat ne sont responsables du délai. Le demandeur a collaboré avec les défendeurs durant tout le processus.

b)                  Troisième condition du critère établi dans Conille : l’autorité responsable du délai l’a-t-elle justifié de façon satisfaisante?

[48]           Comme pour l’analyse que j’ai appliquée à l’égard de la première condition du critère posé dans la décision Conille, l’appréciation de la troisième condition – qui consiste à déterminer si les défendeurs ont justifié les délais de façon satisfaisante – repose largement sur un examen des faits.

[49]           Ainsi qu’il ressort clairement des faits et de la brève chronologie établie précédemment, les vérifications de sécurité se sont poursuivies pendant pratiquement toute la période visée par le présent contrôle judiciaire (qui va environ jusqu’au 6 juillet 2015). Dans la décision Abdolkhaleghi, précitée, au paragraphe 26, la juge Tremblay-Lamer a formulé une mise en garde relativement au fait qu’une déclaration générale que des vérifications de sécurité sont en cours ne constitue pas, en soi, une explication satisfaisante, et que « [c]e qui constitue une explication valable dépend, naturellement, de la complexité relative des considérations de sécurité dans chaque cas ». Dans cette affaire, la juge a estimé que le délai n’avait pas été expliqué de façon valable, tout en reconnaissant qu’il avait été jugé, dans d’autres décisions, que des vérifications de sécurité en cours constituaient une justification valable.

[50]           En l’espèce, les défendeurs n’ont fourni aucune explication pour justifier le délai, si ce n’est de réaffirmer que l’enquête était en cours et que la délivrance d’une ordonnance aurait pour effet d’interrompre une importante enquête de sécurité. Toutefois, comme je l’ai déjà indiqué, nous ignorons tout de la nature et de la portée de l’enquête réalisée par le SCRS et l’ASFC entre 2006 et 2015. Les défendeurs n’ont pas communiqué cette information en réponse à la demande du demandeur, et le DCT ne nous éclaire pas davantage là-dessus.

[51]           Encore une fois, l’agente de CIC Clare Palmer a dû entreprendre une enquête de sécurité très élémentaire au cours des derniers mois, puisque cela n’avait pas été fait auparavant.

[52]           Par conséquent, je suis d’avis que la troisième condition du critère établi dans Conille est également satisfaite.

c)                  Conclusion concernant la 3econdition du critère de la décision Apotex 

[53]           Étant donné ma conclusion selon laquelle le délai était non seulement déraisonnable prima facie, mais n’avait pas non plus été justifié par les défendeurs, le demandeur satisfait aux éléments 1) et 3) du critère de la décision Conille. Ainsi, la troisième condition du critère de la décision Apotex est remplie : il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de l’obligation. Cela signifie qu’une ordonnance de mandamus pourrait être émise; je vais tout de même poursuivre mon analyse en me penchant sur la huitième condition du critère de la décision Apotex.

(3)               Huitième condition du critère d’Apotex : En faveur de qui la prépondérance des inconvénients penche-t-elle?

[54]           Dans aucune des décisions précédemment citées — à l’exception de la décision Dhahbi — ne procède-t-on à une analyse de la prépondérance des inconvénients. Ces affaires ont été tranchées en prenant appui sur la troisième condition du critère de la décision Apotex. Dans la décision Dhahbi, il était question d’une requête en bref de mandamus en vue de contraindre un agent de CIC à rendre une décision quant à une demande de résidence permanente. Le dossier comportait des préoccupations en matière de sécurité, et le SCRS n’avait toujours pas transmis ses vérifications de sécurité à CIC. Lorsqu’il a soupesé les inconvénients, le juge Martineau a déclaré que le rejet de la demande de contrôle judiciaire signifierait que la demanderesse aurait à présenter de nouveau une telle demande « si la décision attendue n’[était] pas rendue dans un délai raisonnable » (au paragraphe 40), et que rien ne garantissait qu’une autorisation lui serait accordée. Cela représentait donc des inconvénients. Le juge a cependant reconnu que le fait d’obliger l’agente de CIC à rendre sa décision dans un court délai risquerait de la placer dans une situation difficile, car elle était toujours en attente des résultats de l’enquête de sécurité (au paragraphe 41). Le juge a aussi relevé que la preuve du défendeur était incomplète. Au lieu de rendre une ordonnance accueillant ou rejetant la requête en bref de mandamus, le juge Martineau a prononcé une ordonnance interlocutoire convoquant les parties à une audience ultérieure, un an et demi plus tard, de manière à ce que d’autres éléments de preuve puissent être produits par le défendeur et à ce que des représentations additionnelles puissent être entendues (au paragraphe 42).

[55]           Les faits de l’espèce diffèrent de ceux de la décision Dhahbi. Dans la présente affaire, les enquêtes de sécurité sont terminées, et les délais dans lesquels l’agente de CIC rendra une décision sont plus précis. En effet, une décision en matière d’admissibilité sera vraisemblablement rendue d’ici décembre 2015, et la demande de résidence permanente sera traitée par la suite. Pour cette deuxième étape, le délai de traitement moyen est de huit mois, selon l’affidavit de l’agente Palmer daté du 15 octobre 2015.

[56]           En conséquence, j’estime que la prépondérance des inconvénients penche en faveur des défendeurs, qui ont pratiquement terminé leur évaluation du dossier du demandeur.

[57]           Toutefois, puisque le demandeur a dû déposer la présente demande de contrôle judiciaire pour obliger CIC à accélérer son traitement du dossier, je rendrai une ordonnance de mandamus, et j’accorderai à CIC davantage de temps que ne le suggère le demandeur pour rendre sa décision sur la demande de résidence permanente présentée par celui-ci. CIC a donc jusqu’au 31 mars 2016 pour terminer son évaluation et rendre sa décision.

B.                 Le demandeur a-t-il droit à des dépens?

(1)               Position des parties

a)                  Le demandeur

[58]           Le demandeur a fait valoir qu’en l’espèce, des raisons spéciales justifient d’accorder des dépens en vertu de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22. Le demandeur renvoie à de nombreuses affaires dans lesquelles la Cour a statué que l’écoulement d’un délai long et injustifié avant le prononcé d’une décision relative à une demande d’immigration constituait des raisons spéciales (voir par exemple Ndungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208, au sous-alinéa 7(6)(iv) [Ndungu]; et Bakhsh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1060, au paragraphe 14). À l’audience, le demandeur a affirmé que les affaires citées par les défendeurs, selon lesquelles une conduite « abusive » ou de la « mauvaise foi » devaient être en cause, n’étaient pas compatibles avec la décision Ndungu, et que, dès lors, le délai déraisonnable en l’espèce suffisait pour justifier l’octroi de dépens.

[59]           Le demandeur a aussi fait valoir que l’omission, par les défendeurs, de traiter sa demande en temps opportun allait à l’encontre de l’article 34 de la Convention relative au statut des réfugiés, 189 UNTS 2545, et des objectifs de réunification des familles énoncés aux alinéas 3(1)d) et 3(2)f) de la LIPR. Le demandeur propose que lui soit adjugée une somme forfaitaire de 5 000 $, ou que les dépens soient taxés selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B des Règles des cours fédérales, DORS/98‑106.

b)                  Les défendeurs

[60]           Les défendeurs, pour leur part, soutiennent qu’en l’espèce, il n’y a pas de raisons spéciales justifiant l’adjudication de dépens, car aucun élément de preuve n’indique que les défendeurs se sont conduits « de manière inéquitable, abusive, inconvenante ou qu’[ils aient] agi de mauvaise foi » (Uppal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1133, au paragraphe 8).

[61]           Bien que j’aie conclu que le délai en question était à la fois déraisonnable et inexpliqué, il ne me paraît pas justifié d’adjuger des dépens. Je ne puis souscrire à l’affirmation du demandeur selon laquelle les décisions invoquées par les défendeurs sont incompatibles avec le jugement Ndungu; je conclus donc que ces décisions sont pertinentes en l’espèce. Je ne crois pas que, dans la présente affaire, les défendeurs se soient conduits « de manière inéquitable, abusive, inconvenante ou qu’[ils aient] agi de mauvaise foi ». De fait, aucune preuve de conduite inéquitable ou de mauvaise foi de leur part ne m’a été soumise.

V.                Conclusion

[62]           Pour tous ces motifs, la Cour délivrera une ordonnance de mandamus sans adjuger de dépens. Néanmoins, puisque seul CIC peut être contraint à exécuter l’obligation, l’ordonnance visera uniquement celui-ci. CIC sera tenu de rendre sa décision relative à la demande de résidence permanente du demandeur au plus tard le 31 mars 2016. Aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est tenu de rendre une décision relativement à la demande de résidence permanente du demandeur au plus tard le 31 mars 2016, à moins qu’il ne dépose à la Cour, avant l’expiration de ce délai, une requête en prorogation du délai prévu pour rendre une décision.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-7786-14

 

INTITULÉ :

PIRABAKARAN KANTHASAMYIYAR

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 OCTOBRE 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Jared Will

pour le demandeur

David Cranton

pour les défendeurs

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour les défendeurs

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.