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Date : 20151021


Dossier : IMM-7866-14

Référence : 2015 CF 1187

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

IRMA SAPIDA INOCENTES

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR ou la Loi) par Irma Sapida Inocentes, qui est visée par une ordonnance d’exclusion rendue à son encontre par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en application du paragraphe 69(2) de la LIPR et de l’article 225 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR). La demanderesse demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande est rejetée.

II.                Contexte

[3]               La demanderesse, qui est citoyenne des Philippines, est arrivée au Canada le 28 avril 2008 munie d’un permis de travail délivré dans le cadre du Programme concernant les aides familiaux résidants. Depuis mai 2008 elle a été uniquement employée par Ronnie Sarmiento (M. Sarmiento).

[4]               Au mois d’août 2010, la demanderesse a déposé une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des aides familiaux résidants. Cette demande a été rejetée le 20 septembre 2012, l’agent d’immigration ayant estimé que la demanderesse avait fait de fausses déclarations sur des points importants susceptibles d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. La demanderesse est par conséquent interdite de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. L’agent de l’immigration a conclu que la demanderesse avait [traduction] « présenté de manière inexacte l’historique et la nature même de son emploi afin de se conformer aux exigences du programme des aides familiaux résidants à plein temps, ce qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, l’octroi en l’occurrence de la résidence permanente ».

[5]               Le 30 juillet 2013, une enquête a lieu devant la Section de l’immigration (la Commission) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le 19 novembre 2013, la Commission a conclu que la demanderesse n’est pas interdite de territoire parce qu’elle [traduction] « n’a pas fait de fausses déclarations sur un fait important, ou passé un tel fait sous silence ». Le 13 décembre 2013, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a porté la décision en appel devant la SAI. L’appel a été accueilli, la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.             La décision contestée

[6]               Le 4 novembre 2014, la SAI a pris à l’encontre de la demanderesse une mesure d’exclusion en raison de ses fausses déclarations à l’égard de son rapport avec son employeur et des circonstances financières de son emploi. Selon la SAI, les preuves produites par la demanderesse n’étaient ni fiables, ni crédibles.

[7]               La SAI a relevé des contradictions entre les déclarations que la demanderesse avait faites à l’agent des visas à Manille, et son témoignage devant la SAI. D’après les notes figurant dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) au sujet de l’entrevue passée à Manille par la demanderesse en vue de l’obtention d’un visa d’aide familiale résidante, la demanderesse avait affirmé n’avoir aucun lien de parenté avec son futur employeur, ayant simplement été mise en contact avec lui par une agence. La demanderesse a ultérieurement reconnu, à l’audience devant la SAI, qu’elle était en fait liée à son employeur, M. Sarmiento, puisque celui-ci est le mari de sa cousine. Selon la SAI, la demanderesse n’a pas [traduction] « expliqué de manière satisfaisante » pourquoi elle avait prétendu n’avoir aucun lien avec son employeur, alors qu’elle est en fait liée à lui par alliance.

[8]               La SAI a en outre conclu qu’à l’appui de sa demande [traduction] « de résidence permanente et de permis de travail ouvert dans le cadre du programme concernant les aides familiaux résidants », la demanderesse avait fourni des renseignements fiscaux et bancaires incomplets et inexacts. Selon la demanderesse, si elle était payée en espèces, c’est qu’il lui fallait envoyer de l’argent en urgence à sa mère et à son frère qui éprouvaient de graves difficultés. La SAI, n’ayant relevé la présence d’aucun élément corroborant, a jugé raisonnable de conclure que les versements en espèces visaient à éviter que le gouvernement ne retrace l’origine des paiements. Ajoutons que la cousine de la demanderesse, ainsi que son employeur, en l’occurrence mari de la première, ont tous livré des versions différentes de ce qui s’était produit.

[9]               La SAI n’a ainsi pas jugé crédibles et fiables les témoignages de la demanderesse et de ses témoins, concluant que la demanderesse avait [traduction] « fait de fausses déclarations à l’égard des conditions financières de son soi‑disant emploi, donc sur des faits importants, liés à un objet pertinent, ce qui a entraîné ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR ».

IV.             Cadre législatif

[10]           Les dispositions de la LIPR applicables en l’espèce sont les suivantes :

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

V.                Question à trancher

[11]           La question à trancher en l’espèce est celle de savoir s’il était, de la part de la SAI, raisonnable d’accueillir l’appel et de frapper l’appelante d’interdiction de territoire pour avoir fait des fausses déclarations.

VI.             Norme de contrôle

[12]           La décision que la SAI a rendue sur la question de savoir si la demanderesse avait effectivement fait de fausses déclarations sur des faits importants est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Dans la mesure où la décision de la SAI appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, elle échappe au contrôle judiciaire (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 49).

VII.          Analyse

[13]           La demanderesse affirme que la SAI n’a pas analysé la question de savoir si les fausses déclarations en cause portaient ou non sur des faits importants. Elle fait en outre valoir que la question du degré d’importance ne concerne que l’objet du rapport prévu à l’article 44, c’est‑à‑dire, selon la demanderesse, la question de savoir si elle a effectivement travaillé en tant qu’aide familiale résidante. Elle soutient donc que le fait qu’il y ait pu avoir des fausses déclarations quant au fait que sa cousine est l’épouse de son employeur, et que les renseignements financiers n’étaient pas fiables, n’ont guère d’importance car la preuve démontre dans son ensemble qu’elle a effectivement travaillé en tant qu’aide familiale résidante. Dans la mesure où la SAI n’a pas centré son analyse sur la bonne question, elle a commis une erreur susceptible de contrôle et sa décision devrait par conséquent être infirmée.

[14]           Pour plusieurs raisons, cet argument doit être écarté. Après une analyse poussée des documents financiers qu’ils ont produit, la SAI a conclu que la demanderesse et ses proches n’étaient pas crédibles, et que leurs témoignages n’étaient pas dignes de foi. La SAI a ainsi estimé que la demanderesse avait fait de fausses déclarations quant aux modalités financières de son soi‑disant emploi, c’est‑à‑dire sur des faits importants quant à un objet pertinent, ce qui a entraîné ou risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Cette conclusion permet à elle seule de conclure que la demanderesse n’a pas établi comme il lui appartenait de le faire, même selon sa définition étroite de la question à trancher, qu’elle avait effectivement travaillé comme aide familiale résidante.

[15]           Et puis, en second lieu, je ne conviens pas que le rapport prévu à l’article 44 soit susceptible d’une interprétation étroite au point de ne s’appliquer qu’à la question de savoir si la demanderesse avait bien travaillé comme aide familiale résidante. Selon le rapport, et la conclusion à laquelle est parvenue la SAI, la demanderesse a fait de fausses déclarations quant à [traduction] « l’historique et la nature de son emploi, afin de se conformer aux exigences du programme ». La fausseté de ses déclarations réside essentiellement dans son affirmation du caractère indépendant de la relation de travail alors que celle‑ci reposait en fait sur des liens de famille. Cette distinction revêt une importance essentielle quant à l’évaluation de sa demande par l’agent d’immigration.

[16]           Même si la preuve démontrait qu’elle a effectivement travaillé comme aide familiale résidante, sa fausse déclaration suffirait à la faire interdire de territoire. Autrement dit, on ne peut pas, de propos ou non délibérés, faire une fausse déclaration à l’égard de la nature de la relation de travail, et tenter par la suite de démontrer, en s’en tenant désormais à une relation de travail régulière, qu’il n’y a pas eu de fausse déclaration, ou bien que celle‑ci portait sur un point sans importance. La question du risque d’erreur dans l’application de la Loi doit être tranchée au moment de la fausse déclaration, et non ultérieurement.

[17]           Il en est ainsi car, comme la juge Tremblay‑Lamer l’a précisé dans Sayedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 420, aux paragraphes 23 et 24, l’alinéa 40(1)a) a pour objet de décourager les fausses déclarations et préserver l’intégrité de la procédure d’immigration :

Lorsqu’on cherche à établir si une présentation erronée porte sur un fait important, il est nécessaire de tenir compte du libellé de la disposition ainsi que de l’objet qui la sous‑tend.

L’alinéa 40(1)a) doit être interprété largement afin de respecter son objet : Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 25. L’objet de cette disposition est de décourager les fausses déclarations et de protéger l’intégrité du processus de l’immigration – pour permettre la réalisation de cet objectif, le demandeur a la responsabilité de s’assurer que sa demande est complète et exacte. Le libellé de l’alinéa 40(1)a) est large afin d’inclure les fausses déclarations, même si elles sont faites par une autre partie, sans la connaissance du demandeur : [citation omise]. Il est interdit au demandeur de présenter de l’information erronée ou de dissimuler des faits importants qui pourraient entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

[Non souligné dans l’original.]

[18]           Le juge Scott a lui aussi, dans Kobrosli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 757, au paragraphe 48, donné de l’alinéa 40(1)a) une interprétation large, soulignant que [traduction] « un risque d’erreur dans l’application de la LIPR suffit pour que l’alinéa 40(1)a) reçoive application en l’espèce ». Que la relation de travail ait été donnée pour indépendante alors qu’elle repose en fait sur des liens de famille risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

[19]           J’écarte également l’argument avancé par la demanderesse qui soutient que le décideur est tenu d’analyser la question de l’importance, alors même qu’il est évident, au vu des faits, que la fausse déclaration risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. La jurisprudence invoquée par l’appelante, Koo c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931, au paragraphe 29, ne s’applique donc pas en l’espèce.

[20]           Dans l’affaire citée, la Cour a jugé que le demandeur n’avait pas induit les autorités d’immigration en erreur quant à son identité, le dossier contenant de nombreux documents démontrant que, tout au long de la procédure, le demandeur avait employé les deux noms. Cela touchait par ailleurs l’importance qu’il convenait d’attribuer à la fausse déclaration qui n’était elle‑même pas évidente.

[21]           En l’espèce, la fausse déclaration, et son importance, sont toutes deux évidentes. Il est en effet évident que la nature de la relation de travail a affecté la manière dont serait évaluée la demande selon qu’il s’agissait d’une relation de travail indépendante ou d’une relation fondée sur des liens de famille. Il a en outre été démontré que la fausse déclaration avait de l’importance en ce qui concerne l’application de la Loi. Cette fausse déclaration est en effet à l’origine de l’enquête devant permettre de dire si la demanderesse et son prétendu employeur avaient correctement et systématiquement documenté la relation de travail, ce qui n’était pas le cas.

[22]           Cela étant, il n’y a pas lieu de se livrer à une analyse en règle de la question de l’importance que revêt la déclaration en question. Cela ne ferait qu’introduire dans l’application de l’alinéa 40(1)a) un formalisme susceptible de nuire à l’effet dissuasif qui est l’objet même de la disposition.

VIII.       Conclusion

La demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-7866-14

 

INTITULÉ :

IRMA SAPIDA INOCENTES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 AOÛT 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE annis

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 21 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Kristina Guida

POUR La DEMANDEResse

 

Leanne Briscoe,

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stephen W. Green

Avocat

Green and Spiegel

Toronto (Ontario)

 

POUR La DEMANDEResse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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