Dossier : IMM-316-15
Référence : 2015 CF 1163
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2015
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE : |
MOHAMMAD REZA GHORBAN KARIMI |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] Mohammad Karimi a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration refusant la réouverture de sa demande de visa de résident permanent. La demande de résidence permanente de M. Karimi a été rejetée en raison du défaut de celui-ci de fournir les renseignements qui avaient été demandés dans un message par courriel envoyé à son consultant en immigration (le courriel en litige). M. Karimi prétend qu’il n’a jamais reçu le courriel en litige.
[2] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que le ministre s’est acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir que le courriel en litige avait été envoyé. Toutefois, M. Karimi a réfuté la présomption selon laquelle le courriel en litige avait été reçu. M. Karimi n’a pas eu une possibilité suffisante de se conformer aux conditions applicables à sa demande de visa de résident permanent et, par conséquent, le refus du ministre de rouvrir son dossier était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
II. Contexte
[3] M. Karimi est un citoyen de l’Iran. Il a demandé le statut de résident permanent du Canada à titre de membre de la catégorie de l’immigration économique. Il a présenté sa demande au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de Damas, en Syrie, au début de 2010. En décembre 2011, la demande a été transférée au bureau de CIC de Varsovie, en Pologne, en raison de la disponibilité de ressources supplémentaires à cet endroit. Le 24 février 2012, M. Karimi a reçu une lettre par courrier électronique l’informant du transfert de son dossier.
[4] Pendant toute la période pertinente, M. Karimi était représenté par la firme de consultants en immigration West Pass, qui a ses bureaux à Ottawa. Toutes les communications entre CIC et M. Karimi étaient transmises à West Pass par courrier électronique, conformément à la pratique habituelle.
[5] Le 13 février 2014, West Pass a reçu trois courriels concernant M. Karimi et demandant l’envoi de documents médicaux pour compléter la demande de celui-ci. M. Karimi soutient qu’il n’a jamais reçu un quatrième courriel à cette date lui demandant de fournir des renseignements à jour sur divers autres sujets.
[6] Les notes figurant dans le dossier de CIC pour cette date indiquent [traduction] « LETTRE DE DEMANDE DE MISE À JOUR ENVOYÉE. 60 JOURS POUR FOURNIR LES RENSEIGNEMENTS. 3 DEMANDES MÉDICALES ENVOYÉES ». Toutefois, la liste des messages envoyés figurant dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) ne comporte que trois courriels demandant des renseignements médicaux le 13 février 2014. M. Karimi a fourni les renseignements médicaux demandés dans les trois courriels dont la réception n’est pas contestée.
[7] Le 26 novembre 2014, CIC a envoyé une lettre par courrier électronique à West Pass faisant savoir que la demande de M. Karimi avait été rejetée en raison du défaut de celui-ci de fournir les renseignements à jour demandés dans le courriel en litige. West Pass a immédiatement fait savoir à CIC qu’elle n’avait pas reçu le quatrième courriel et a demandé la réouverture du dossier. La demande a été rejetée.
III. Question en litige
[8] L’unique question en litige dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si le refus de CIC de rouvrir la demande de M. Karimi était raisonnable.
IV. Analyse
[9] La question de savoir si M. Karimi a eu une possibilité suffisante de se conformer aux conditions applicables à sa demande de visa de résident permanent relève de l’équité procédurale et est par conséquent susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 900 [Patel], aux paragraphes 7 à 9). Le refus de la part de CIC de rouvrir la demande suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et est par conséquent susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 674, au paragraphe 32).
[10] Cette affaire est largement régie par les décisions Patel et Ghaloghlyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1252. Il incombe initialement au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’une communication a été envoyée. Ce fardeau n’est pas lourd (Ghaloghlyan, au paragraphe 10) :
L’envoi d’un courriel peut être prouvé par la production d’une copie papier de la boîte d’envoi de l’expéditeur indiquant que le message en cause a été envoyé à l’adresse de courriel fournie à des fins d’envoi, et qu’il n’y a pas eu d’avis d’échec de livraison, c’est‑à‑dire que le courriel n’est pas « revenu ».
[11] Une fois que le ministre s’est acquitté du fardeau initial, il y a présomption que la communication a été reçue par la personne à qui elle était destinée. Cette présomption peut être réfutée, mais il faut davantage que la simple affirmation du destinataire selon laquelle la communication n’a pas été reçue (Ghalghlyan, au paragraphe 8). Dans Yazdani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 885 [Yazdani], par exemple, le consultant en immigration du demandeur a affirmé qu’il répondait habituellement à toute correspondance reçue de CIC en l’espace d’un jour ouvrable et a fourni des documents corroborant son affirmation. Le consultant a aussi démontré les mesures qu’il avait prises pour vérifier que le message par courriel n’avait pas été supprimé par inadvertance ou considéré comme du « pourriel » au moment du filtrage. Il a aussi indiqué qu’aucun autre incident de non‑livraison n’avait été porté à son attention.
[12] En l’espèce, je suis convaincu que le ministre s’est acquitté du fardeau initial d’établir que le courriel en litige avait été envoyé. Le ministre a produit l’affidavit de Mme Dabrowska-Duba, qui a confirmé que le message en litige avait été envoyé et a joint copie du document. En dépit du fait qu’aucun imprimé de la boîte d’envoi de l’expéditeur n’a été fourni, la copie du message indique clairement la date et l’heure à laquelle le courriel a été envoyé à l’adresse de courriel de West Pass.
[13] Toutefois, je suis aussi convaincu que M. Karimi a réfuté la présomption selon laquelle le courriel en litige a été reçu. À titre préliminaire, je constate que les propres dossiers de CIC sont contradictoires. Le courriel en litige ne figurait pas dans la liste des messages envoyés figurant dans les notes du SMGC, même si trois autres messages portant la même date y sont bel et bien inscrits. Seules les notes au dossier de CIC confirmaient que le quatrième message avait été envoyé. Le ministre n’a pas fourni d’explication pour cette apparente contradiction.
[14] M. Karimi a répondu sans attendre aux trois autres demandes qui lui avaient été transmises par l’intermédiaire de West Pass ce jour-là. Il n’y avait rien qui distinguait le quatrième message des trois autres, et rien qui n’incitait M. Karimi à en faire délibérément fi. M. Karimi était représenté par un consultant en immigration chevronné qui s’efforçait manifestement de faire en sorte que sa demande soit accueillie.
[15] M. Karimi a produit l’affidavit de Shirin Gilani de West Pass. M. Gilani a affirmé que West Pass n’avait éprouvé aucune difficulté quant à la réception de courriels de CIC par le passé. Il utilise la même adresse de courriel pour toute la correspondance avec CIC, et vu la nature de son entreprise, il est raisonnable de conclure que l’on constaterait rapidement que des courriels se perdent ou n’arrivent pas à destination s’il s’agissait d’un problème récurrent. Les trois autres courriels envoyés par CIC ce jour-là concernant M. Karimi ont tous été reçus sans problème. M. Gilani a confirmé qu’il avait vérifié sa boîte de réception et ses dossiers de courrier indésirable pour s’assurer que le courriel en litige ne lui avait pas échappé.
[16] Le fait que le courriel en litige se soit perdu peu après le transfert du dossier de Damas à Varsovie pourrait avoir une incidence en l’espèce. Comme l’a souligné le juge Mandamin dans Yazdani, cité par le juge Gagné dans Patel :
[52] En fait, le défendeur a choisi de transférer unilatéralement le dossier de la demanderesse du bureau des visas de Damas au bureau de Varsovie. Il ne fait évidemment aucun doute que le défendeur est en droit d’agir ainsi, compte tenu surtout du fait qu’il visait à éliminer un arriéré dans le traitement des demandes de visa. Toutefois, la section des visas à Varsovie n’a pas avisé séparément la demanderesse du transfert ni n’a vérifié autrement si elle pouvait communiquer par courriel avec le consultant de la demanderesse.
[17] En l’espèce, M. Karimi a bel et bien été informé que son dossier avait été transféré de Damas à Varsovie. Toutefois, le courriel en litige représentait l’une des dernières communications qu’ait envoyé CIC au sujet de M. Karimi. Ce fait, conjugué aux contradictions relevées dans les dossiers du ministre et la rapidité avec laquelle M. Karimi a donné suite aux autres demandes d’information de CIC, m’amène à conclure que M. Karimi n’a jamais reçu le message en litige. M. Karimi n’a, par conséquent, pas eu une possibilité suffisante de se conformer aux exigences applicables à sa demande de visa de résident permanent. Dans les circonstances, le refus de CIC de rouvrir son dossier était déraisonnable.
[18] Je conclus mes motifs par un court extrait de la décision du juge Mandamin dans Yazdani :
[57] À mon avis, le choix des demandeurs de ne pas utiliser la communication par courriel irait à l’encontre de l’objet du protocole visant l’amélioration de l’efficacité opérationnelle et serait contraire à l’objet de la LIPR, à savoir d’atteindre, par l’application d’un traitement efficace des demandes, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement.
[58] La solution ne semble donc pas reposer sur le fait de mettre en garde les demandeurs contre l’utilisation de la communication par courriel ou de les détourner de ce moyen de communication, mais de trouver plutôt une stratégie face aux erreurs occasionnelles qui surviennent à cet égard, notamment lorsqu’un demandeur a fait tout son possible pour s’adapter à la communication par courriel.
[19] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune partie n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et la présente espèce n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à CIC pour un nouvel examen par un autre agent des visas. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.
« Simon Fothergill »
Juge
Traduction certifiée conforme
Line Niquet, trad. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-316-15
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INTITULÉ : |
MOHAMMAD REZA GHORBAN KARIMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 14 SEPTEMBRE 2015
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE FOTHERGILL
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS : |
LE 14 OCTOBRE 2015
|
COMPARUTIONS :
Vinay K. Sarin |
POUR LE DEMANDEUR
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Amina Riaz |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Baker Law Firm United Centre Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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