[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 mai 2012
En présence de monsieur le juge Barnes
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Cour est saisie d’une requête présentée par écrit par Preet Deep Singh Datta sollicitant une injonction contre le ministre sous la forme suivante :
1. une ordonnance enjoignant le défendeur, tant que la présente affaire reste sub judice, à ne pas fermer la demande présentée par le demandeur au titre du programme des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF) sans avoir au préalable effectué une appréciation en bonne et due forme;
2. une ordonnance enjoignant le défendeur à ne pas rejeter la demande TQF du demandeur en appréciant celle-ci en fonction des critères de sélection et d’une note de passage qui n’étaient pas en vigueur au moment où le défendeur a reçu la demande et a accepté d’apprécier celle-ci selon les critères de sélection et la note de passage actuellement en vigueur; [. . .]
Monsieur Datta sollicite aussi une injonction identique pour plusieurs centaines d’autres demandeurs qui ont demandé un bref de prérogative obligatoire auprès de la Cour applicable à leurs demandes de résidence permanente en suspens.
[2] Même si cela n’est pas énoncé expressément dans ses documents relatifs à la requête, M. Datta sollicite une injonction pour empêcher le ministre de donner suite au projet de loi C-38, Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable (le projet de loi C-38) lequel, s’il était adopté, pourrait mettre fin sommairement à sa demande de visa au titre du programme des travailleurs qualifiés.
Le contexte
[3] Selon l’affidavit de M. Datta, en 2004, son épouse et lui ont demandé la résidence permanente au Canada. M. Datta a demandé l’admission à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Sa demande semble avoir langui jusqu’en 2008, lorsqu’il a été invité à fournir des documents actualisés. Selon les bulletins opérationnels publiés par le ministre, M. Datta a cru comprendre que sa demande aurait dû être évaluée au plus tard en novembre 2008; toutefois, ça n’a pas été le cas, et sa demande reste en suspens et non traitée.
[4] La plus grande partie du reste de l’affidavit de M. Datta est argumentative, dogmatique, désobligeante et, en plusieurs endroits, incendiaire. Elle est aussi pleine de ouï-dire extrait de sources accessibles au public, mais ne présentant aucune valeur probante pour une requête en injonction provisoire. L’affidavit de Pantea Jafari contient aussi très peu d’éléments de preuve convaincants ou pertinents et concerne surtout des arguments relatifs au bien-fondé des politiques d’immigration du ministre.
La question en litige
[5] Le demandeur a-t-il droit à une injonction provisoire contre le défendeur?
Analyse
[6] Pour obtenir une injonction provisoire, il doit y avoir quelque chose à enjoindre. Il doit aussi y avoir une question grave à régler et un préjudice irréparable subi par M. Datta. Enfin, la prépondérance des inconvénients doit pencher en faveur de M. Datta : voir Toth c Canada (MEI), [1988] ACF no 587, 86 NR 302 (CA); et RJR-MacDonald Inc. c Canada (PG), [1994] 1 RCS 311, au paragraphe 43, [1994] ACS no 17 (QL).
[7] Je conviens avec le conseil du défendeur que la présente requête est dénuée de fondement parce qu’elle est prématurée et conjecturale. Le projet de loi C-38 est à l’étude au Parlement et n’est pas encore passé en deuxième lecture. Il n’est pas certain que le Parlement promulguera le projet de loi C-38 dans sa forme actuelle ou dans une autre forme susceptible d’être inadmissible au plan juridique : voir Federation of Saskatchewan Indian Nations c Canada, 2003 CFPI 306, au paragraphe 22; [2003] 2 CNLR 131. Par conséquent, il n’est rien arrivé encore qui puisse faire obstacle à l’aboutissement de la demande de visa de M. Datta et il n’y a rien à interdire. Comme l’a fait observer la Cour suprême du Canada dans le Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 ACS 753, au paragraphe 785, [1981] ACS no 58 (QL), « [l]es tribunaux interviennent quand une loi est adoptée et non avant ». La décision rendue par le juge Andrew Mackay dans la décision Federation of Saskatchewan Indian Nations, précitée, au paragraphe 22, va dans le même sens.
[8] En dépit du défaut de M. Datta d’énoncer une question qui se défende, je suis disposé à accepter qu’une question grave puisse exister à la suite du défaut du défendeur de traiter le dossier de M. Datta au cours des huit dernières années. Dans l’état actuel des choses, ce défaut pourrait justifier une demande de réparation impérative. Toutefois, il est douteux de soutenir qu’une quelconque obligation contractuelle a été créée dans les circonstances, et, même si c’était le cas, rien n’empêcherait le Parlement d’abolir un tel droit si telle est sa volonté.
[9] M. Datta n’a pas établi qu’il avait subi des préjudices irréparables. Ses prétentions de préjudice reposent sur l’hypothèse selon laquelle son dossier ne sera pas traité parce qu’il pourrait être supprimé de par la loi avant d’avoir été évalué quant à son bien-fondé. Selon M. Datta, une ordonnance de mandamus n’aurait alors aucune utilité. Cet argument repose aussi sur des hypothèses, et les hypothèses ne constituent pas des préjudices irréparables : voir Canada (PG) c United States Steel Corp, 2010 CAF 200, au paragraphe 7, [2010] ACF no 902 (QL) et Canadian Society of Immigration Consultants c Canada (MCI), 2011 CF 669, au paragraphe 28, 391 FTR 100. Il n’est pas non plus manifeste que la Cour serait dans l’impossibilité de rendre justice entre des parties si des actes illégitimes étaient posés ou que des dispositions législatives s’avéraient inconstitutionnelles.
[10] Le ministre affirme, de plus, que la requête en injonction provisoire de M. Datta est fondamentalement viciée parce que le fait d’enjoindre le ministre de la façon proposée représenterait une ingérence indue du pouvoir judiciaire dans les affaires du pouvoir législatif et dans l’obligation correspondante du ministre de respecter et de faire appliquer la loi. Dans la mesure où des requêtes analogues pourraient être présentées à la Cour si le projet de loi était promulgué dans sa forme actuelle, je ne chercherai pas à régler cette question en l’espèce. Un élément est toutefois digne de mention. L’avocat de M. Datta prétend que la réparation demandée ne contreviendrait pas au droit du Parlement depromulguer le projet de loi C-38.Il ne cherche qu’à empêcher le ministre de donner suite aux dispositions législatives quand celles-ci auront été promulguées. Après avoir lu le projet de loi, je constate que le ministre n’a aucun rôle administratif ou pouvoir discrétionnaire résiduels quant aux dossiers touchés. Ceux-ci seraient simplement supprimés par l’application de la loi. Dans ce contexte, il n’existe aucun geste apparent que l’on pourrait empêcher le ministre de poser. Malgré les dénégations de l’avocat, celui-ci propose en fait que la Cour sursoit à la mise en œuvre d’une loi que le Parlement n’a pas encore promulguée. Qu’il suffise de dire que la justiciabilité d’une telle demande de réparation entraîne des questions juridiques importantes.
[11] Pour les motifs qui précèdent, la présente requête est rejetée avec dépens payables sans délai au défendeur au montant de 750 $, y compris les débours.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la présente requête soit rejetée avec dépens payables sans délai au défendeur au montant de 750 $, y compris les débours.
Juge
Traduction certifiée conforme
Line Niquet, trad. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4032-12
INTITULÉ : DATTA c MCI
REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE BARNES
DATE DES MOTIFS : Le 23 mai 2012
COMPARUTIONS :
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Alison Engel-Yan Janet Stewart
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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