Date : 20150924
Dossier : T-1014-14
Référence : 2015 CF 1111
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
ENTRE : |
CARLOTA SEGURA VALVERDE |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
MOTIFS DE JUGEMENT
JUGEMENT RENDU LE 15 SEPTEMBRE 2015
LE JUGE O'KEEFE
[1] La Cour est saisie d’une demande qui vise à obtenir, en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, un bref de mandamus concernant la demande de citoyenneté de la demanderesse.
[2] La demanderesse souhaite obtenir un bref de mandamus enjoignant Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), agissant pour le compte du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, de continuer sans délai la procédure d’examen de la demande de citoyenneté canadienne de la demanderesse, en annulant l’instruction de mise en attente visant son dossier et en terminant les vérifications autorisées par la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29.
I. Le contexte
[3] La demanderesse est une citoyenne du Mexique. Le 25 mai 2003, elle est arrivée au Canada. Elle a demandé l’asile, qui lui a ensuite été accordé.
[4] Le 27 janvier 2005, la demanderesse a acquis le statut de résidente permanente au Canada.
[5] Durant sa résidence au Canada, elle s’est engagée dans une union de fait avec un citoyen canadien en 2006, puis, en 2010, elle et son époux ont eu une fille, qui est une citoyenne canadienne.
[6] En 2010, la demanderesse a renouvelé son statut de résidente permanente.
[7] En juin 2012, la demanderesse a demandé la citoyenneté canadienne.
[8] Le 15 décembre 2012, les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi] relatives à la perte de l’asile et à la perte du statut de résident permanent, figurant respectivement aux articles 40.1 et 46 de la Loi, sont entrées en vigueur. L’article 40.1 énonce que la décision prise, en dernier ressort, au titre de l’article 108 de la LIPR entraînant la perte de l’asile d’un étranger emporte son interdiction de territoire au Canada. L’alinéa 46(1)c.1) énonce que la décision prise, en dernier ressort entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile d’un résident permanent emporte en même temps la perte du statut de résident permanent.
[9] Le 2 avril 2013, une note a été consignée au Système mondial de gestion des cas (SMGC) selon laquelle la demanderesse avait [TRADUCTION] « obtenu » l’autorisation de sécurité. Le 3 avril 2013, une note a été consignée au SMGC selon laquelle la demanderesse avait [TRADUCTION] « obtenu » une attestation de vérification de casier judiciaire, puis, le 10 avril 2013, une note a été consignée au SMGC selon laquelle la demanderesse avait [TRADUCTION] « obtenu » l’attestation de vérification nécessaire en matière d’immigration.
[10] Le 15 août 2013, la demanderesse a réussi son examen de citoyenneté. À ce moment, elle satisfaisait aux exigences en matière de résidence et détenait une attestation de la GRC, une autorisation de sécurité et une attestation en matière d’immigration, toutes valides. Le même jour, CIC a renvoyé le dossier de la demanderesse à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour qu’elle fasse l’objet d’une procédure relative à la perte de l’asile, et CIC a mis la demande de la demanderesse en attente. CIC a mentionné le fait que la demanderesse était retournée au Mexique deux fois en 2008, puis de nouveau en 2010.
[11] Le 19 septembre 2013, l’ASFC a déposé, auprès de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), une demande de constat de perte d’asile visant la demanderesse. L’audition de cette demande a été fixée au 23 janvier 2014.
[12] Le 26 janvier 2014, la demanderesse a fait en ligne une demande en matière d’accès à l’information et protection des renseignements personnels (demande en matière d’AIPRP) en vertu de la Loi sur protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21, afin qu’on lui communique le contenu de son dossier de résidente permanente et de citoyenneté.
[13] Le 30 janvier 2014, la demanderesse a envoyé une lettre à CIC dans laquelle elle avisait CIC que la Loi sur la citoyenneté ne permettait pas la suspension de la procédure d’examen de sa demande de citoyenneté en attendant l’issue de la procédure relative à la perte de l’asile et elle demandait à CIC de continuer la procédure d’examen de sa demande.
[14] Le 5 février 2014, CIC a avisé incorrectement la demanderesse au téléphone que son dossier n’avait pas été mis en attente.
[15] Le 25 mars 2014, la demanderesse a demandé de nouveau à CIC de continuer la procédure d’examen de sa demande.
[16] Le 21 mai 2014, l’attestation en matière d’immigration a été mise à jour par la mention [TRADUCTION] « non obtenue » en raison de la procédure relative à la perte de l’asile alors en instance en vertu du paragraphe 108(2) de la LIPR.
[17] Le 1er août 2014, l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté est entré en vigueur, conférant expressément au ministre le pouvoir de suspendre, pendant la période nécessaire, la procédure d’examen d’une demande de citoyenneté dans l’attente des résultats d’une enquête susceptible de remettre en question l’admissibilité du demandeur. Le SMGC a par la suite été mis à jour en fonction de cette disposition de manière à ce qu’il soit officiellement noté que la demande de citoyenneté de la demanderesse était suspendue en vertu de l’article 13.1.
II. La décision faisant l’objet du présent contrôle
[18] Il s’agit d’une demande visant l’obtention d’un bref de mandamus concernant la demande de citoyenneté de la demanderesse.
III. Les questions en litige
[19] La demanderesse a soulevé les questions suivantes pour que je les examine :
1. Le ministre a-t-il commis un abus de confiance en communiquant un dossier incomplet à la Cour?
2. La demanderesse a-t-elle satisfait au critère régissant la délivrance du bref de mandamus?
La demanderesse m’a informé à l’audience qu’elle retirait la première question.
[20] Le défendeur soulève une question : la demanderesse n’a pas établi qu’il était satisfait au critère régissant la délivrance du bref de mandamus. La procédure d’examen de la demande de citoyenneté de la demanderesse est suspendue en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté en attendant qu’un doute soit éclairci quant à son admissibilité à la citoyenneté, plus précisément, en attendant la décision de la Commission dans le cadre de l’instance relative à la perte de l’asile qui pourrait avoir une incidence directe sur le statut de résidente permanente de la demanderesse.
[21] Je formulerais la question comme suit : la demanderesse a-t-elle satisfait au critère régissant la délivrance du bref de mandamus?
IV. Les observations écrites de la demanderesse
[22] La demanderesse énonce le critère régissant la délivrance du bref de mandamus établi dans la décision Dragan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, au paragraphe 39, [2003] 4 CF 189 [Dragan], et elle soutient que toutes les conditions sont remplies en l’espèce.
[23] Premièrement, la demanderesse soutient que le ministre a l’obligation de continuer la procédure d’examen de sa demande. En l’espèce, les enquêtes effectuées par le greffier en vertu du paragraphe 11(1) du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93‑246 [le Règlement] étaient terminées. Le greffier a alors l’obligation, en vertu du paragraphe 11(5) du Règlement, de saisir un juge de la citoyenneté de la demande, comme le démontre l’emploi de l’indicatif présent (en anglais, l’emploi du mot shall) dans la loi. Tous les renseignements en l’espèce avaient été rassemblés, et la demanderesse satisfaisait à toutes les exigences.
[24] La demanderesse soutient que la décision rendue dans Stanizai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 74, [2014] ACF no 97 [Stanizai] s’applique au ministre. En l’espèce, comme dans l’affaire Stanizai, le défendeur était parfaitement au courant de tous les renseignements dont il dit maintenant qu’ils suscitent des préoccupations quant à la validité actuelle du statut de réfugié de la demanderesse au moins depuis 2010. Contrairement à l’affaire Platonov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 569, [2005] ACF no 695 [Platonov], dans laquelle l’attestation requise en matière d’immigration n’avait pas encore été obtenue, en l’espèce, la demanderesse a obtenu toutes les autorisations et les attestations requises. La demanderesse soutient que, en l’espèce, CIC tourne en rond en refusant de permettre à un juge de la citoyenneté d’examiner la demande jusqu’à ce que l’attestation requise en matière de citoyenneté soit obtenue, alors que la demanderesse a obtenu l’attestation requise en matière de citoyenneté à l’époque pertinente jusqu’à ce qu’elle soit infirmée huit mois plus tard.
[25] Dans Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33, [1998] ACF no 1553 [Conille], la Cour a conclu que l’équité procédurale exige que le greffier informe le demandeur qu’une enquête est en cours et que cela a pour effet de retarder la prise d’une décision quant à la demande de citoyenneté. En l’espèce, la demanderesse n’a jamais été avisée que sa demande avait été mise en attente, et elle soutient que CIC a nié que sa demande ait été mise en attente lorsqu’elle a communiqué avec CIC. En outre, la demanderesse n’a jamais fait l’objet d’une enquête en matière d’interdiction de territoire. De plus, aucune des interdictions prévues aux articles 20 à 22 de la Loi sur la citoyenneté ne s’applique à elle.
[26] Deuxièmement, la demanderesse soutient qu’elle a rempli les conditions préalables faisant naître l’obligation. Elle soutient qu’elle a satisfait à toutes les exigences en matière de citoyenneté énoncées au paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté. Dans Murad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1089, au paragraphe 61, [2013] ACF no 1182, la Cour a donné à entendre que le droit à la citoyenneté est acquis au moment où la citoyenneté aurait dû être octroyée et ce qui se produit ensuite est non pertinent.
[27] La demanderesse soutient que la citoyenneté aurait dû lui être octroyée et lui aurait été octroyée dans les 60 jours suivant la date à laquelle le juge aurait été saisi de la demande si la procédure n’avait pas été suspendue irrégulièrement. En l’espèce, aucune des interdictions énumérées au paragraphe 14(1.1) de la Loi sur la citoyenneté concernant une enquête en vertu de l’article 17 relative à des renseignements insuffisants ou en vertu de l’article 22 concernant une infraction criminelle ne s’applique à la demanderesse.
[28] Troisièmement, la demanderesse soutient que l’exécution de l’obligation a été demandée plusieurs fois auparavant, que le ministre a disposé d’un délai raisonnable pour donner suite à ces demandes, et que le ministre a refusé d’exécuter l’obligation. La demanderesse a demandé par lettres à ce que CIC continue la procédure d’examen de sa demande le 30 janvier 2014, puis de nouveau le 25 mars 2014. CIC a eu trois semaines pour y donner suite, mais il a omis de la faire. Le 5 février 2014, CIC a avisé incorrectement la demanderesse que son dossier n’avait pas été mis en attente.
[29] En l’espèce, CIC a suspendu irrégulièrement la demande de la demanderesse sans autorisation législative. La demanderesse soutient que son dossier a été mis en attente au seul motif que la procédure relative à la perte de l’asile était en cours, ce que la loi n’autorisait pas à l’époque. De plus, l’infirmation de son attestation en matière d’immigration n’est pas une exigence de la loi.
[30] Quatrièmement, la demanderesse soutient qu’elle ne dispose d’aucun autre recours adéquat et que le bref demandé aura une certaine valeur ou un certain effet pratique. Elle soutient que le préjudice qu’elle subira si le bref de mandamus n’est pas délivré est irréparable. En l’espèce, CIC refuse de continuer la procédure d’examen de la demande en en saisissant un juge de la citoyenneté, et il n’existe aucun autre recours que le mandamus pour enjoindre à CIC de continuer la procédure d’examen de la demande. Les dispositions relatives à la perte de l’asile et la perte du statut de résident permanent, énoncées aux articles 40.1 et 46 de la LIPR, ont été adoptées en décembre 2012. Avant ces modifications, la demanderesse n’aurait pas perdu sa résidence permanente même si le ministre avait obtenu gain de cause dans le cadre d’une demande de constat de perte d’asile. La demanderesse soutient que si la demande de constat de perte d’asile est accueillie, elle perdra alors son statut de résidente permanente et sera renvoyée du Canada. Elle serait séparée de son époux canadien et de son enfant né au Canada. Par conséquent, le préjudice est irréparable.
[31] La demanderesse soutient que l’audience relative à la perte de l’asile est un abus de confiance selon la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Parekh, 2010 CF 692, [2012] 1 RCF 169. En l’espèce, l’ASFC a déposé une demande de constat de perte d’asile en septembre 2013 sur le fondement de renseignements qui étaient notés au dossier depuis mai 2010. En 2010, les voyages de la demanderesse au Mexique avaient déjà été examinés en détail par un agent de CIC qui avait renouvelé sa carte de résidente permanente.
[32] Enfin, la demanderesse soutient que, en equity, rien n’empêche la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire, et la prépondérance des inconvénients milite en faveur de la délivrance d’un bref de mandamus au profit de la demanderesse.
V. Les observations écrites du défendeur
[33] Le défendeur soutient qu’un bref de mandamus ne devrait pas être délivré parce qu’il y a un motif valable à la suspension de la procédure d’examen de la demande de citoyenneté de la demanderesse. Pour qu’un bref de mandamus soit délivré, un demandeur doit démontrer que des fonctionnaires ont fait preuve d’indifférence, qu’ils ont été lents ou qu’ils n’ont autrement pas traité la question de façon raisonnable (Tumarkin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 915, aux paragraphes 17 et 18, [2014] ACF no 918).
[34] Premièrement, le défendeur soutient que la procédure d’examen de la demande a été mise en attente régulièrement en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté. Il s’agit là d’un fondement clair et licite à la suspension de la procédure d’examen de la demande. La façon de procéder que propose la demanderesse entraînerait une course sans principes et désordonnée entre la procédure d’examen de la demande de citoyenneté et le prononcé d’une décision statuant sur la demande de constat de perte d’asile. Cela est contraire à la loi, et cela placerait le ministre dans une position intenable où il serait tenu à des obligations légales à caractère public incompatibles entre elles.
[35] En vertu de l’article 108 de la LIPR, si une réfugiée au sens de la Convention se réclame de nouveau de la protection du pays duquel elle a demandé l’asile, la Commission peut statuer qu’elle a perdu la qualité de réfugié, auquel cas elle perdra son statut de résidente permanente en application de l’alinéa 46(1)1.c) de la LIPR ainsi qu’aux fins de son admissibilité au titre de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.
[36] Deuxièmement, le défendeur soutient qu’il n’y a pas d’obligation légale à caractère public en vertu de laquelle le ministre est tenu de statuer sur la demande de citoyenneté avant que la Commission ait rendu sa décision dans la procédure de constat de perte d’asile. Non seulement le ministre a-t-il le pouvoir légal de suspendre la procédure d’examen, mais le délai de traitement est aussi bien en deçà des délais moyens projetés de CIC.
[37] Dans la plupart des cas ordinaires, les enquêtes relatives à l’admissibilité d’un demandeur seront menées à terme en l’espace de deux ans. Dans les cas qui sortent de l’ordinaire, le délai peut s’approcher davantage de trois ans. Dans certains cas, la procédure d’examen peut être suspendue en attendant les résultats d’une enquête ou l’issue d’une procédure. En l’espèce, la demanderesse a déposé sa demande de citoyenneté en juillet 2012, un agent de CIC lui a fait passer une entrevue en août 2013, puis son dossier a été renvoyé pour qu’elle fasse l’objet d’une demande de constat de perte d’asile en application des alinéas 46(1)1.c) et 108(1)a) de la LIPR. L’attestation en matière d’immigration de la demanderesse n’était pas favorable, contrairement à ce qu’elle prétend. Étant donné que le résultat des enquêtes dépend du sort de la demande de constat de perte d’asile, la demande de citoyenneté n’a jamais été transmise afin qu’un juge de la citoyenneté en soit saisi, et elle est actuellement suspendue en attendant que la Commission statue sur la demande de constat de perte d’asile. Moins de 22 mois s’étaient écoulés lorsque la demande de délivrance d’un bref de mandamus a été déposée.
[38] Le défendeur soutient que, dans Platonov, la Cour a statué que le délai de traitement d’une demande de citoyenneté n’était pas considéré comme déraisonnable lorsque l’enquête est menée avec diligence ou lorsque le délai écoulé n’est pas plus long que ce qu’exige la nature de la procédure. En l’espèce, le délai de traitement de la demande de citoyenneté de la demanderesse demeure à l’intérieur des délais moyens projetés. De plus, le ministre a déposé rapidement la demande de constat perte de l’asile en septembre 2013 après qu’un agent de CIC a transmis les renseignements pertinents à l’agent d’audience de l’ASFC en août 2013.
[39] Le défendeur invoque Jaber c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1185, au paragraphe 32, 443 FTR 188, [Jaber]; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1488, aux paragraphes 11 et 15, [2012] ACF no 1586, [Khan]; Tapie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1048, aux paragraphes 9 et 12, [2007] ACF no 1368, [Tapie]; et Seyoboka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1290, au paragraphe 10, [2005] ACF no 1611 [Seyoboka]. Le défendeur soutient que la Cour a reconnu maintes fois, aussi bien dans des contextes de citoyenneté que de résidence permanente, que le statut de résident permanent d’un demandeur devrait être réglé définitivement, notamment par la Commission dans le cadre d’une procédure de constat de perte d’asile, avant qu’il puisse être statué sur sa demande.
[40] En outre, le défendeur distingue la présente affaire de l’affaire Stanizai. Dans l’affaire Stanizai, un juge de la citoyenneté avait déjà approuvé la demande de citoyenneté (aux paragraphes 29 et 30); mais, en l’espèce, non seulement la demande n’a-t-elle pas fait l’objet d’une approbation, mais un juge de la citoyenneté n’en a même pas été saisi. De plus, contrairement à la situation qui prévalait dans l’affaire Stanizai, en l’espèce il n’y a pas de long délai à la suite de la décision d’un juge de la citoyenneté. En outre, la Cour, dans Stanizai, n’a pas tenu compte du processus d’enquête prévu au paragraphe 11(1) du Règlement, et elle n’aurait pas pu examiner l’effet de l’article 13.1 nouvellement promulgué de la Loi sur la citoyenneté.
[41] En outre, le défendeur soutient qu’il se peut que la Commission statue que la demanderesse n’a pas perdu l’asile.
[42] Par conséquent, le défendeur soutient que l’habilitation législative prévue au paragraphe 11(1) du Règlement, et maintenant à l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté, fait échec à la prétention de la demanderesse selon laquelle le ministre a une obligation légale à caractère de continuer la procédure d’examen de sa demande de citoyenneté. En conséquence, la délivrance d’un bref de mandamus n’est pas justifiée.
VI. Analyse et décision
A. Première question en litige – la demanderesse a-t-elle satisfait au critère régissant la délivrance du bref de mandamus?
[43] En l’espèce, je conclus que la demanderesse a satisfait au critère régissant la délivrance du bref de mandamus. Dans Dragan, au paragraphe 39, monsieur le juge Kelen a réitéré les sept éléments établis par la Cour d’appel fédérale pour la délivrance d’un bref de mandamus :
Dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, la Cour d'appel fédérale a examiné en profondeur la jurisprudence concernant le mandamus et énoncé les conditions suivantes qui doivent être respectées pour que la Cour délivre un bref de mandamus:
1) Il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public.
2) L'obligation doit exister envers le requérant.
3) Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment :
a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;
b) il y a eu (i) une demande d'exécution de l'obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-champ et (iii) il y a eu refus ultérieur, express ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.
4) Le requérant n'a aucun autre recours adéquat.
5) L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.
6) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, sur le plan de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé.
7) Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait être rendue.
[44] L’article 17 de la Loi sur la citoyenneté, qui est ainsi rédigé, a été abrogé le 31 juillet 2014 :
17. S’il estime ne pas avoir tous les renseignements nécessaires pour lui permettre d’établir si le demandeur remplit les conditions prévues par la présente loi et ses règlements, le ministre peut suspendre la procédure d’examen de la demande pendant la période nécessaire — qui ne peut dépasser six mois suivant la date de la suspension — pour obtenir les renseignements qui manquent. |
17. Where a person has made an application under this Act and the Minister is of the opinion that there is insufficient information to ascertain whether that person meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application, the Minister may suspend the processing of the application for the period, not to exceed six months immediately following the day on which the processing is suspended, required by the Minister to obtain the necessary information. |
[45] Le paragraphe 11(1) du Règlement a été abrogé le 31 juillet 2014 et remplacé par l’article 13.1 de la Loi le 1er août 2014. Ces deux dispositions sont respectivement rédigées comme suit :
11. (1) Sur réception d’une demande visée aux paragraphes 3(1), 3.1(1), 7(1) ou 8(1), le greffier fait entreprendre les enquêtes nécessaires pour déterminer si la personne faisant l’objet de la demande remplit les exigences applicables de la Loi et du présent règlement. |
11. (1) On receipt of an application made in accordance with subsection 3(1), 3.1(1), 7(1) or 8(1), the Registrar shall cause to be commenced the inquiries necessary to determine whether the person in respect of whom the application is made meets the requirements of the Act and these Regulations with respect to the application. |
(2) Si la personne qui présente une demande visée au paragraphe 3(1) ne fournit pas les documents prévus au paragraphe 3(4), l’agent de la citoyenneté à qui la demande a été transmise lui envoie un avis écrit à sa dernière adresse connue, par courrier, l’informant qu’elle doit lui fournir ces documents dans le délai qui y est précisé. |
(2) If a person who makes an application referred to in subsection 3(1) fails to provide the materials described in subsection 3(4), the citizenship officer to whom the application has been forwarded shall send a notice in writing by mail to the person, at their latest known address, advising that the person is required to provide the materials to that citizenship officer by the date specified in the notice. |
(3) Si la personne qui présente une demande visée aux paragraphes 3.1(1), 7(1) ou 8(1) ne fournit pas les documents prévus aux paragraphes 3.1(1), 7(3) ou 8(2), selon le cas, le greffier lui envoie un avis écrit à sa dernière adresse connue, par courrier, l’informant qu’elle doit lui fournir ces documents dans le délai qui y est précisé. |
(3) If a person who makes an application referred to in subsection 3.1(1), 7(1) or 8(1) fails to provide the materials described in subsections 3.1(1), 7(3) or 8(2), as the case may be, the Registrar shall send a notice in writing by mail to the person, at their latest known address, advising that the person is required to provide the materials to the Registrar by the date specified in the notice. |
(4) Si la personne qui présente une demande, autre que celle visée au paragraphe 3.1(1), ne se conforme pas à l’avis donné en application des paragraphes (2) ou (3), l’agent de la citoyenneté ou le greffier, selon le cas, lui envoie un second avis écrit à sa dernière adresse connue, par courrier, l’informant qu’elle doit lui fournir les documents prévus aux paragraphes 3(4), 7(3) ou 8(2), selon le cas, dans le délai qui y est précisé. |
(4) If a person, other than a person who makes an application referred to in subsection 3.1(1), fails to comply with a notice sent under subsection (2) or (3), the citizenship officer or the Registrar, as the case may be, shall send a second notice in writing by mail to the person, at their latest known address, advising that the person is required to provide the materials described in subsection 3(4), 7(3) or 8(2), as the case may be, to the Registrar or to the citizenship officer, as the case may be, by the date specified in the notice. |
(5) Une fois que les enquêtes entreprises en vertu du paragraphe (1) sont terminées, le greffier : |
(5) After completion of the inquiries commenced under subsection (1), the Registrar shall |
a) dans le cas d’une demande et des documents déposés conformément au paragraphe 3(1), demande à l’agent de la citoyenneté à qui ils ont été transmis d’en saisir le juge de la citoyenneté; |
(a) in the case of an application and materials filed in accordance with subsection 3(1), request the citizenship officer to whom the application and materials have been forwarded to refer the application and materials to a citizenship judge for consideration; and |
b) dans le cas d’une demande et des documents déposés conformément aux paragraphes 3.1(1), 7(1) ou 8(1), les transmet à l’agent de la citoyenneté du bureau de la citoyenneté qu’il juge compétent en l’espèce et lui demande d’en saisir le juge de la citoyenneté. |
(b) in the case of an application and materials filed under subsection 3.1(1), 7(1) or 8(1), forward the application and materials to a citizenship officer of the citizenship office that the Registrar considers appropriate in the circumstances, and request the citizenship officer to refer the application and materials to a citizenship judge for consideration. |
… |
… |
13.1 Le ministre peut suspendre, pendant la période nécessaire, la procédure d’examen d’une demande : |
13.1 The Minister may suspend the processing of an application for as long as is necessary to receive |
a) dans l’attente de renseignements ou d’éléments de preuve ou des résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi, si celui-ci devrait faire l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou d’une mesure de renvoi au titre de cette loi, ou si les articles 20 ou 22 s’appliquent à l’égard de celui-ci; |
(a) any information or evidence or the results of any investigation or inquiry for the purpose of ascertaining whether the applicant meets the requirements under this Act relating to the application, whether the applicant should be the subject of an admissibility hearing or a removal order under the Immigration and Refugee Protection Act or whether section 20 or 22 applies with respect to the applicant; and |
b) dans le cas d’un demandeur qui est un résident permanent qui a fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans l’attente de la décision sur la question de savoir si une mesure de renvoi devrait être prise contre celui-ci. |
(b) in the case of an applicant who is a permanent resident and who is the subject of an admissibility hearing under the Immigration and Refugee Protection Act, the determination as to whether a removal order is to be made against the applicant. |
[46] À mon avis, la principale question que je dois trancher en l’espèce est celle de savoir si CIC avait ou non le pouvoir de mettre la demande de citoyenneté de la demanderesse en attente le 15 août 2013 alors qu’à ce moment, la demanderesse avait réussi son examen de citoyenneté, elle satisfaisait aux exigences en matière de résidence et elle détenait une attestation de la GRC, une autorisation de sécurité et une attestation en matière d’immigration valides.
[47] La demanderesse soutient que la citoyenneté aurait dû lui être accordée et lui aurait été accordée dans les 60 jours suivant la date à laquelle le juge aurait été saisi de sa demande si la procédure n’avait pas été suspendue irrégulièrement. Je suis en partie d’accord. Il appartient au juge de la citoyenneté, et non à moi, de rendre cette décision. Le juge de la citoyenneté n’a pas encore eu l’occasion de rendre cette décision puisqu’aucun juge de la citoyenneté n’a été saisi de la demande de la demanderesse, qui a plutôt été mise en attente. Je suis d’avis que le juge de la citoyenneté aurait dû être saisi de la demande de la demanderesse parce qu’aucune des interdictions justifiant la mise en attente de sa demande de citoyenneté ne s’applique. La demanderesse n’a pas fait l’objet d’une enquête en vertu du paragraphe 14(1.1) de la Loi sur la citoyenneté, il ne s’agissait pas d’une situation où la demanderesse n’avait pas fourni « tous les renseignements nécessaires » au sens de l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté, et le cas de la demanderesse ne soulevait aucune question en matière de criminalité au titre des articles 20 à 22 de la Loi sur la citoyenneté.
[48] L’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté expose en détail l’exigence relative à l’attestation requise en matière d’immigration :
5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois : |
5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who |
[…] |
[…] |
c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante : |
(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner: |
(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent, |
(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and |
(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent; |
(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence; |
[49] J’ai trouvé instructives les affirmations que Mme Alexandra Hiles a faites dans son affidavit. Mme Hiles est greffière de la citoyenneté et directrice par intérim, Prestation du programme de la citoyenneté.
[traduction]
Dans certains cas, après qu’une note « attestation en matière d’immigration – obtenue » est consignée au SSOBL ou au SMGC, des renseignements sont mis au jour selon lesquels l’auteur d’une demande de citoyenneté fait l’objet d’une procédure en cours sous le régime de la LIPR qui pourrait avoir une incidence sur son statut de résident permanent au titre de la LIPR. Dans ces cas, les dossiers du SSOBL et/ou du SMGC sont modifiés en conséquence, et le bureau local de la citoyenneté de CIC demande une confirmation auprès de l’agent d’immigration compétent de CIC ou de l’agent compétent de l’ASFC quant à l’issue de la procédure et quant à toute répercussion en découlant sur le statut de résident permanent au titre de la LIPR de l’auteur de la demande de citoyenneté.
[50] En l’espèce, le 15 août 2013, l’agent de CIC a renvoyé le dossier de la demanderesse à l’ASFC aux fins d’une procédure de constat de perte d’asile et a mis la demande en attente. Toutefois, à ce moment, CIC n’a pas infirmé l’attestation en matière d’immigration de la demanderesse. Il convient également de souligner qu’après que la note [traduction] « attestation en matière d’immigration – obtenue » a été consignée au SMGC, aucun nouveau renseignement n’a été mis au jour en rapport avec la demande. Tous les renseignements concernant les séjours de la demanderesse au Mexique avant la date de consignation de la note le 10 avril 2013 étaient connus de CIC.
[51] En ce qui concerne la mise en attente qui a été effectuée le 15 août 2013, les documents ne font aucune mention de l’article 17 comme fondement de la mise en attente. Dans tous les cas, il y a une limite de six mois, c’est-à-dire que la suspension ne peut pas dépasser six mois. Aucune mention n’est faite de la durée de la suspension. De plus, je ne crois pas que l’article 17 s’appliquerait puisqu’il n’y a aucune indication que le ministre était d’avis qu’il ne disposait pas de tous les renseignements nécessaires pour pouvoir déterminer si la demanderesse satisfaisait aux exigences de la Loi.
[52] Le 1er août 2014, l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté est entré en vigueur, conférant expressément au ministre le pouvoir de suspendre la procédure d’examen de la demande de citoyenneté pendant la période nécessaire en attendant les résultats d’une enquête susceptible d’avoir une incidence sur l’admissibilité de la demanderesse à la citoyenneté. Toutefois, le 15 août 2013, l’article 13,1 de la Loi sur la citoyenneté n’était pas encore entré en vigueur. À cette époque, et avant cette modification, le ministre pouvait seulement mettre une demande en attente au titre des interdictions énumérées à la Loi sur la citoyenneté. En l’espèce, aucune de ces interdictions ne visait la demanderesse.
[53] De plus, lorsque CIC a renvoyé le dossier de la demanderesse aux fins de la procédure de constat de perte d’asile, CIC a mentionné le fait que la demanderesse était retournée au Mexique deux fois en 2008, puis de nouveau en 2010. Toutefois, ces renseignements étaient disponibles depuis que la demanderesse avait renouvelé son statut de résidente permanente en 2010. CIC n’avait pas cherché à faire enclencher une procédure de constat de perte d’asile à cette époque.
[54] En outre, je n’estime pas que les précédents judiciaires invoqués par le défendeur sont particulièrement utiles puisque les situations factuelles dans ces affaires se distinguent de celle de la présente espèce.
[55] Dans Jaber, la Cour a examiné l’effet d’une procédure de constat de perte d’asile dans le contexte d’une demande de résidence permanente. Elle a conclu qu’une demande de constat de perte d’asile doit être menée à terme et qu’aucune demande antérieure de résidence permanente alors en instance ne peut être tranchée avant qu’une décision n’ait été rendue sur la question du statut de réfugié. Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse a un statut de résidente permanente valide.
[56] Dans Khan, le demandeur avait quitté le pays après avoir déposé sa demande de citoyenneté. Son statut de résident permanent avait expiré. En outre, il ne remplissait pas toutes les conditions préalables, comme celles du questionnaire relatif à la résidence. En l’espèce, aucune question semblable ne se pose dans le cas de la demanderesse.
[57] Dans Tapie, le demandeur avait obtenu le statut de réfugié frauduleusement. Il avait fait l’objet d’une enquête et avait été déclaré interdit de territoire. Étant donné ces circonstances, la Cour a conclu que le délai de deux ans écoulé avant le prononcé de la décision statuant sur la demande de résidence permanente du demandeur n’était pas déraisonnable. En l’espèce, la demanderesse n’est pas interdite de territoire et ne fait pas l’objet d’une enquête en matière d’interdiction de territoire.
[58] Dans Seyoboka, le demandeur avait fait certains ajouts importants à son dossier, en corrigeant deux fausses déclarations antérieures. La Cour a conclu que le ministre avait eu raison de mener à terme ses vérifications sur le plan de la sécurité étant donné ces ajouts qui démontraient une activité militaire. Le ministre avait déposé une demande visant à faire annuler le statut de réfugié du demandeur. En l’espèce, la demanderesse n’a fait aucun ajout à son dossier qui ait pu remettre en question ses attestations et autorisations.
[59] J’estime que la présente affaire s’apparente à l’affaire Stanizai. Dans Stanizai, le demandeur satisfaisait à toutes les exigences de la loi concernant la citoyenneté et sa demande avait été approuvée par un juge de la citoyenneté. Le ministre n’avait pas interjeté appel de la décision du juge de la citoyenneté dans le délai imparti. Suite à l’approbation du juge de la citoyenneté, sans qu’aucun nouveau renseignement n’ait été versé au dossier du demandeur, celui-ci avait été renvoyé afin de faire l’objet d’une procédure de constat de perte d’asile. En conséquence, CIC avait refusé d’accorder le statut de citoyen au demandeur. Madame la juge Anne Mactavish a statué en faveur du demandeur et a délivré un bref de mandamus ordonnant que le statut de citoyen soit accordé au demandeur. Bien que le demandeur dans Stanizai ait été approuvé par un juge de la citoyenneté, ce fait, selon moi, ne constitue pas une distinction pertinente aux fins de mon analyse.
[60] En l’espèce, la demanderesse a satisfait à toutes les exigences relatives à la citoyenneté, et le juge de la citoyenneté aurait été saisi de sa demande, n’eût été la mise en attente. En l’espèce, le défendeur était parfaitement au courant, au moins depuis 2010, de tous les renseignements dont il dit maintenant qu’ils soulèvent des préoccupations quant à la validité actuelle du statut de réfugiée de la demanderesse. De plus, il a été inscrit au SGMC le 15 août 2013 que la demanderesse avait [traduction] « obtenu » l’attestation requise en matière d’immigration. Une chose n’est pas claire dans mon esprit : si le ministre avait alors des préoccupations ou faisait alors des vérifications quant à savoir si la demanderesse satisfaisait aux exigences de la loi, pourquoi a-t-il attendu huit mois avant d’infirmer l’attestation en matière d’immigration de la demanderesse?
[61] Les parties ont également formulé des observations concernant la décision de monsieur le juge Russell dans Godinez Ovalle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 935. Je suis d’avis que cette décision n’est d’aucun secours au défendeur. Dans cette affaire, un bref de mandamus avait été délivré après que le défendeur eut suspendu la procédure d’examen de la demande de citoyenneté du demandeur en vertu de l’article 13.1 de la Loi.
[62] Si CIC avait infirmé l’attestation en matière d’immigration de la demanderesse le 15 août 2013 en attendant le résultat d’enquêtes, il n’aurait pas été satisfait aux exigences du paragraphe 11(1) du Règlement, et l’obligation du greffier de saisir un juge de la citoyenneté de la demande en vertu du paragraphe 11(5) du Règlement n’aurait donc pas été requise.
[63] Mais ce n’est pas cela qui est arrivé. À mon avis, ce qui est arrivé, c’est que CIC a mis la demande de citoyenneté de la demanderesse en attente alors qu’il n’avait aucun pouvoir légal de le faire.
[64] Le défendeur souligne à juste titre qu’il y aurait une course entre le traitement de la demande de citoyenneté et le prononcé d’une décision sur la demande de constat de perte d’asile. Cela n’est toutefois pas le fait de la demanderesse.
[65] Dans Conille, la Cour a statué qu’un délai dans l’exécution d’une obligation légale peut être considéré comme déraisonnable s’il est établi que :
a) le délai a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;
b) ni le demandeur ni son conseiller juridique n'en sont responsables;
c) l'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante.
[66] Quant au premier élément, je conclus que, bien que le délai n’ait pas été plus long que ce qu’exige la nature de l’ensemble du processus de demande de citoyenneté, la demande de citoyenneté de la demanderesse a été mise en attente sans autorisation légale en août 2013. Cela a retardé déraisonnablement le renvoi de la demande à un juge de la citoyenneté pour examen. Quant au deuxième élément, la demanderesse et son avocate ne sont pas responsables de la mise en attente, et, quant au troisième élément, soit la justification de la mise en attente, bien que celle-ci soit maintenant autorisée par l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté, elle n’était pas alors autorisée par la loi. Par conséquent, je conclus que la mise en attente a entraîné un délai déraisonnable dans l’exécution par CIC de son obligation légale de saisir le juge de la citoyenneté du dossier de la demanderesse pour examen.
[67] Ayant réglé la question qui précède, je conclus que, en l’espèce, pour les motifs suivants, il est satisfait au critère régissant la délivrance du bref de mandamus.
[68] Premièrement, le ministre a l’obligation de continuer la procédure d’examen de la demande de la demanderesse parce que sa mise en attente en août 2013 n’était pas autorisée par la loi.
[69] Deuxièmement, la demanderesse a rempli les conditions préalables faisant naître l’obligation faite au greffier, au paragraphe 11(5) du Règlement, de saisir un juge de la citoyenneté de la demande.
[70] Troisièmement, la demanderesse avait demandé à CIC de continuer la procédure d’examen de sa demande le 30 janvier 2014, puis de nouveau le 25 mars 2014.
[71] Quatrièmement, je conclus que la demanderesse ne dispose d’aucun autre recours adéquat et qu’un bref de mandamus enjoignant le ministre de continuer la procédure d’examen de sa demande est un recours pratique.
[72] Cinquièmement, je ne vois aucun obstacle, en equity, à l’octroi de la mesure sollicitée.
[73] Sixièmement, je conclus que la « prépondérance des inconvénients » penche en faveur de la demanderesse et qu’un bref de mandamus devrait être délivré.
[74] En conséquence, pour les motifs exposés ci-dessus, j’accueillerais la présente demande et je délivrerais un bref de mandamus enjoignant au ministre de continuer la procédure d’examen de la demande de citoyenneté de la demanderesse tel qu’exposé dans l’ordonnance rendue antérieurement dans la présente affaire.
[75] Le défendeur a présenté une requête préliminaire en vue d’obtenir une ordonnance autorisant le défendeur à produire les affidavits de Sunil Sahota et Chen Tan. La demanderesse s’oppose à ce que la Cour fasse droit à cette demande d’ordonnance. Je suis d’avis que la production de ces affidavits devrait être autorisée, et elle est autorisée. Les affidavits ne comportent aucun élément controversé.
[76] Il n’y aura pas d’adjudication des dépens.
« John A. O'Keefe »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 24 septembre 2015
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1014-14
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INTITULÉ : |
CARLOTA SEGURA VALVERDE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Vancouver (cOLOMBIE-bRITANNIQUE)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 16 MARS 2015
|
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE O'KEEFE
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 24 SEPTEMBRE 2015
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COMPARUTIONS :
Michelle Poulsen
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pour la demanderesse
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Banafsheh Sokhansanj Timothy Fairgrieve
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pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michelle Poulsen Avocate Vancouver (Colombie-Britannique)
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pour la demanderesse
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Vancouver (Colombie-Britannique
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pour le défendeur
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