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Date : 20150911


Dossier : T -1646-14

Référence : 2015 CF 1058

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Beaudry

ENTRE :

JARRETT DERKSEN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, à l’encontre d’une décision rendue le 18 juin 2014 par une arbitre de grief de la Commission des relations de travail dans la fonction publique [CRTFP] (aujourd’hui la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique [CRTEFP] [l’« arbitre de grief »]. Dans sa décision, elle rejette les griefs du demandeur concernant la suspension sans rémunération et le licenciement subséquent de ce dernier.

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs énoncés ci-dessous.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur était agent correctionnel [CX] à l’Établissement de Kent, un établissement à sécurité maximale situé en Colombie-Britannique, du 18 mars 2009 au 24 août 2012, au moment où le Service correctionnel du Canada [SCC] l’a suspendu sans rémunération puis licencié par la suite.

[4]               Au cours de l’été 2012, le demandeur a fait l’objet d’une enquête relativement à son rôle dans deux incidents allégués de recours excessif à la force distincts à l’endroit du détenu « Z » (les incidents des 20 et 21 juillet 2012).

[5]               Le 11 août 2012, le demandeur a été témoin d’un autre incident allégué de recours excessif à la force par l’agent correctionnel Mark Legere à l’endroit du détenu « B ».

[6]               Il a également fait l’objet d’une enquête pour avoir facilité deux agressions distinctes sur le détenu « N » par un autre détenu le 12 août 2012.

[7]               Le demandeur aurait également tenté de cacher les incidents en collusion avec d’autres agents, notamment en omettant des détails essentiels dans les « rapports d’observation ou déclarations des agents » [RODA]. Il aurait expressément eu des rencontres à deux reprises avec d’autres agents à l’extérieur de l’Établissement de Kent afin de discuter de la façon dont ils rendraient compte de ces incidents.

[8]               Le SCC a suspendu le demandeur sans rémunération le 24 août 2012, après avoir été informé des événements d’août. Le SCC a accusé le demandeur d’avoir facilité les agressions commises à l’endroit du détenu « N ». Ce n’est que par la suite que le SCC a eu vent des incidents survenus en juillet.

[9]               Trois enquêtes ont été lancées. Mary Danel a mené l’enquête sur l’incident du 20 juillet 2012, alors que Brian Podesta et Laura Contini ont respectivement mené les enquêtes sur les incidents du 21 juillet 2012 et des  11 et 12 août 2012.

[10]           Le 11 septembre 2012, le demandeur a déposé deux griefs à l’encontre de sa suspension sans rémunération qui ont tous deux été rejetés.

[11]           Le 13 mars 2013, le SCC a procédé au licenciement du demandeur, avec effet rétroactif au 24 août 2012. Le 20 mars 2013, le demandeur a déposé un grief contestant son licenciement. Le grief a été rejeté par le SCC, puis renvoyé à l’arbitrage.

II.                La décision visée par le contrôle judiciaire

[12]           L’arbitre de grief a entendu tant les griefs du demandeur et de l’agent correctionnel Mark Legere, ce dernier ayant également été licencié relativement aux événements d’août 2012.

[13]           Dans sa décision, l’arbitre de grief a affirmé qu’elle convenait de la déclaration des plaignants selon laquelle le rapport de Mme Contini était partial. Elle a par ailleurs jugé que les rapports de M. Podesta et de Mme Danel étaient complets et appuyés par les vidéos des événements visionnées et analysées par l’arbitre de grief.

[14]           Elle a entendu plusieurs témoignages, dont celui du demandeur. Elle a notamment refusé que M. John McKay, convoqué à témoigner pour le compte du demandeur à titre de témoin expert, donne son opinion quant à la force employée par le demandeur lors des incidents du 20 et du 21 juillet 2012. Elle a plutôt accepté que M. McKay témoigne « comme spécialiste du recours à la force dans le maintien de l’ordre, dans les enquêtes sur le recours à la force et dans le recours à la force dans le contexte du Code criminel du Canada » [paragraphe 123 de la décision de l’arbitre de grief].

[15]           L’arbitre de grief a accueilli en partie les griefs de l’agent correctionnel Legere et ordonné sa réintégration, jugeant son licenciement « manifestement déraisonnable » [paragraphe 248 de la décision de l’arbitre de grief].

[16]           Elle a conclu que la décision de licencier le demandeur était raisonnable, estimant qu’il avait enfreint à la fois la Directive du commissaire 568-1 et le Code de conduite professionnelle « en omettant de rapporter un incident, en tentant de dissimuler de l’information liée à un recours à la force dans lequel il était impliqué et en maltraitant un détenu sous sa garde » [paragraphe 250 de la décision de l’arbitre de grief].

[17]           L’arbitre de grief a de plus conclu que l’employeur avait le pouvoir de fixer rétroactivement la date de licenciement à la date de suspension sans rémunération, qu’il s’agissait d’enquêtes administratives (et non disciplinaires), et que le grief du demandeur concernant sa suspension sans rémunération était théorique [paragraphe 254 de la décision de l’arbitre de grief].

III.             Questions en litige

[18]           La Cour est d’avis que les questions pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

(1)               Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre de grief?

(2)                La décision de l’arbitre de grief est-elle entachée par un manquement à l’équité procédurale?

(3)                L’arbitre de grief a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a rejeté le grief du demandeur à l’encontre de son licenciement?

IV.             La norme de contrôle

[19]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable en matière d’équité procédurale est la norme de la décision correcte. Le défendeur soutient quant à lui que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

V.                Analyse

(1)   Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre de grief?

[20]           Le demandeur fait valoir que les décisions de l’arbitre de grief quant à l’admissibilité de la preuve et à l’absence de documents écrits devraient être infirmées, car il s’agit là de questions relevant de l’équité procédurale, pour lesquelles la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte tel que l’a statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa].

[21]           À l’opposé, le défendeur fait valoir que les cours de révision ont déjà établi que la norme de contrôle de la décision raisonnable était la norme pertinente en ce qui a trait à l’admissibilité de la preuve, et que tant la Cour fédérale que la Cour d’appel fédérale ont systématiquement statué en ce sens. Il cite l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au soutien de cette proposition. Le défendeur souligne que l’article 233 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 [LRTFP] est une clause privative non équivoque témoignant de la reconnaissance de l’expertise de l’arbitre de grief relativement à des questions comme celles dont il s’agit en l’espèce.

[22]           Le défendeur fait aussi valoir que la question de l’admissibilité du témoignage d’un témoin expert est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Rhéaume c Canada (Procureur général), 2003 CAF 188.

[23]           Le demandeur soutient que l’arbitre de grief a violé son droit de se faire entendre. Les manquements à l’équité procédurale sont généralement considérés comme étant des questions de compétence et, partant, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[24]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Amos, 2011 CAF 38, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’article 233 de la LRTFP constitue une clause privative rigoureuse, et qu’il y a lieu de faire preuve de déférence envers la décision de l’arbitre de grief. La LRTFP institue un tribunal spécialisé constitué d’arbitres de griefs qui sont des experts dans l’instruction de différends en matière de relations de travail dans la fonction publique fédérale. Qui plus est, le licenciement d’un fonctionnaire fédéral est manifestement assujetti à la LRTFP.

[25]           En l’espèce, l’arbitre de grief était tenue d’apprécier et d’analyser la preuve avant de tirer des conclusions. Il convient de faire preuve de la plus grande déférence à l’égard de sa décision et il est assurément du ressort de l’arbitre de grief de trancher ces questions. Par conséquent, la Cour est d’avis que la norme de contrôle de la décision raisonnable devrait s’appliquer dans le cadre du contrôle de la décision de l’arbitre de grief dans son ensemble.

(2)   La décision de l’arbitre de grief est-elle entachée par un manquement à l’équité procédurale?

[26]           Le demandeur soutient que l’arbitre de grief a manqué à l’équité procédurale en refusant le témoignage du témoin expert John McKay sur la force employée par le demandeur lors des incidents des 20 et 21 juillet; a violé son droit de se faire entendre en n’enregistrant pas la procédure, le privant de ce fait de la possibilité d’examiner la décision et en ne prenant pas en compte la crédibilité du demandeur en ce qui a trait à son recours à la force dans le cadre des incidents de juillet.

[27]           Il a été permis à M. McKay de témoigner sur les principes généraux encadrant le recours à la force, mais non quant au recours à la force exercé par le demandeur dans le cas particulier des incidents des 20 et 21 juillet 2012, alors que plusieurs témoins convoqués à témoigner par le défendeur ont pourtant pu donner leur opinion à ce sujet. Par conséquent, l’arbitre de grief n’a entendu que la version des événements présentée par le défendeur et a exclu la preuve pertinente soumise par le demandeur à cet égard (Université du Québec à Trois-Rivières c Larocque, [1993] 1 RCS 471 [UQTR]).

[28]           Le demandeur ajoute qu’en négligeant d’enregistrer sa décision relativement à l’admissibilité du rapport de M. McKay, l’arbitre de grief a empêché la Cour de dûment exercer son contrôle judiciaire à l’égard de cette décision (mémoire des faits et du droit du demandeur, au paragraphe 43).

[29]           Le demandeur admet que la Cour suprême du Canada a statué qu’un tribunal administratif n’était pas généralement tenu de fournir une transcription ou un enregistrement de l’audience, faisant toutefois valoir que, dans l’affaire qui nous occupe, la Cour ne dispose pas d’un compte rendu convenable lui permettant de fonder sa décision concernant le contrôle judiciaire de la décision visée (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (Ville), [1997] 1 RCS 793 [SCFP]). Les deux parties ont déposé des affidavits contradictoires au sujet des motifs énoncés oralement par l’arbitre de grief justifiant sa décision de refuser d’admettre une partie du témoignage de M. McKay, confirmant d’autant plus le fait que la décision n’était pas susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[30]           L’arbitre de grief a donné foi aux déclarations du demandeur quant aux événements des 11 et 12 août 2012, mais pas en ce qui concerne les événements des 20 et 21 juillet 2012. Le demandeur soutient que sa crédibilité en ce qui a trait à ces deux incidents était fondamentale et déterminante. Un tel manquement constitue une violation des règles de justice naturelle (Yu c Canada (Procureur général), 2011 CF 38). Il ajoute que l’arbitre de grief était tenue d’énoncer en termes clairs et non équivoques les motifs pour lesquels elle préférait la preuve présentée par le défendeur par rapport à celle du demandeur en ce qui avait trait aux événements de juillet (Fuentes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 CF 249).

[31]           Le défendeur n’est pas d’accord. Il affirme que l’exclusion d’une partie du témoignage du témoin expert, M. McKay, était judicieuse eu égard au fait que cette partie du témoignage enfreignait la règle de la nécessité : R c Mohan, [1994] 2 RCS 9. Qui plus est, M. McKay n’était pas dûment qualifié pour rendre un témoignage au sujet du recours à la force dans un établissement correctionnel.

[32]           Le défendeur soutient qu’il arrive régulièrement qu’un arbitre de grief soit appelé à décider si un plaignant a eu recours à une force excessive, et ce généralement sans que le témoignage d’un témoin expert soit nécessaire. De la même façon, les arbitres de griefs visionnent couramment des éléments de preuve sur vidéo sans faire appel à une aide complémentaire.

[33]           En ce qui a trait à l’absence de motifs écrits relativement à la décision interlocutoire, le défendeur souligne que de telles décisions sont habituellement rendues verbalement et ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Agnaou c Canada (Procureur général), 2014 CF 850). Le dossier est suffisamment complet pour que la Cour soit en mesure de soumettre la décision à un contrôle judiciaire. Si la décision dans son ensemble est raisonnable, il n’est pas nécessaire que le décideur émette de commentaires ou des observations au sujet de chacun des éléments présentés par les parties (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses]).

VI.             Analyse

a)      Le refus d’accepter John McKay à titre de témoin expert en ce qui a trait aux événements de juillet.

[34]           Le demandeur s’est fondé en grande partie sur l’arrêt UQTR, dans lequel le juge en chef Lamer s’est exprimé en ces termes :

Pour ma part, je ne suis pas prêt à affirmer que le rejet d’une preuve pertinente constitue automatiquement une violation de la justice naturelle. L’arbitre de griefs est dans une situation privilégiée pour évaluer la pertinence des preuves qui lui sont soumises et je ne crois pas qu’il soit souhaitable que les tribunaux supérieurs, sous prétexte d’assurer le droit des parties d’être entendues, substituent à cet égard leur appréciation à celle de l’arbitre de griefs. Il pourra toutefois arriver que le rejet d’une preuve pertinente ait un impact tel sur l’équité du processus, que l’on ne pourra que conclure à une violation de la justice naturelle. [Non souligné dans l’original.]

[35]           La partie du témoignage de M. McKay exclue par l’arbitre de grief n’était pas essentielle afin de trancher la question à savoir si le demandeur avait agi de manière convenable ou non dans les circonstances. L’arbitre de grief était libre de déterminer si la force à laquelle le demandeur a eu recours les 20 et 21 juin était excessive. Elle n’était pas liée par les opinions émises par les témoins du défendeur. En fait, elle a expressément tiré des conclusions de fait en se fondant sur son évaluation personnelle de la preuve sur vidéo se rapportant aux événements de juillet.

[36]           L’opinion d’un expert n’était pas nécessaire afin de décider si la conduite du demandeur avait été conforme ou non aux consignes du SCC en la matière ou si une telle conduite avait été ou non convenable à l’intérieur d’une unité d’isolement d’un établissement correctionnel à sécurité maximale. Il était du ressort de l’arbitre de grief de tirer de telles conclusions.

[37]           Le demandeur renvoie au paragraphe 71 de l’arrêt Camaso Estate v Egan, 2013 BCCA 6, au soutien de la proposition voulant que le témoignage du témoin expert soit nécessaire afin de pouvoir évaluer convenablement les événements de juillet 2012. Dans cette affaire, le témoignage du témoin expert avait été essentiel, car les faits en cause (notamment l’usage par l’agent de son arme de service dans le cadre d’une intervention visant à arrêter un individu constituant une menace à la sécurité publique) allaient au-delà de l’expérience ordinaire. Les faits en l’espèce sont très différents. Les coups de genou donnés par le demandeur à la tête du détenu que l’on voit dans la vidéo sont en soi suffisamment évidents pour justifier la conclusion de l’arbitre de grief selon laquelle le demandeur ait eu recours à une force excessive. Elle a décrit de façon détaillée ce qu’elle a observé dans les vidéos des incidents des 20 et 21 juillet 2012 (décision de l’arbitre de grief, aux paragraphes 246 et 249).

[38]           Par conséquent, il ne peut être reproché à l’arbitre de grief de ne pas avoir accepté le témoignage de M. McKay à titre d’expert relativement aux incidents de juillet.

b)      La décision est susceptible de contrôle malgré l’absence d’enregistrement de l’audience.

[39]           L’audience n’a pas été enregistrée, ce qui était habituel dans les audiences de la CRTFP à l’époque, tout comme il l’est aussi aujourd’hui dans les audiences de la CRTEFP. Ceci étant, la Cour est convaincue que le dossier est suffisamment complet pour lui permettre de comprendre la décision de l’arbitre de grief.

[40]           L’extrait ci-après des motifs de la décision de l’arbitre de grief porte sur les conclusions qu’elle a tirées au sujet du témoignage de M. McKay :

[123] John McKay a témoigné comme spécialiste du recours à la force dans le maintien de l’ordre, dans les enquêtes sur le recours à la force et dans le recours à la force dans le contexte du Code criminel du Canada […] ensemble pour le compte des fonctionnaires. Après interrogatoire des deux parties et après présentation de son curriculum vitae, j’ai qualifié M. McKay de spécialiste dans ce domaine.

[41]           Les affidavits produits au dossier par les parties ne sont pas contradictoires comme le laisse entendre le demandeur. Patricia Demers (pour le compte du défendeur) affirme que le témoignage de M. McKay a été exclu en partie en raison du fait qu’il n’était pas spécialisé dans les établissements correctionnels, parce que son témoignage d’opinion n’était pas nécessaire au regard du critère de l’arrêt Mohan et parce que l’évaluation du recours à la force était du ressort de l’arbitre de grief dans le cadre de son expérience . Corinne Blanchette (pour le compte du demandeur) indique, en consultant ses notes, que l’arbitre de grief a affirmé qu’il était de son ressort de tirer des conclusions de fait et qu’il lui revenait de décider si la force à laquelle le demandeur avait eu recours lors des événements des 20 et 21 juillet était excessive ou non (dossier du demandeur, volume 2, aux paragraphes 59 et 60).

[42]           Les deux mettent en lumière un élément fondamental du raisonnement suivi par l’arbitre de grief, à savoir que cette dernière n’estimait pas nécessaire le témoignage d’opinion de M. McKay pour lui permettre de tirer ses conclusions de fait relativement aux incidents de juillet.

[43]           Par conséquent, la Cour ne peut se rallier à l’argumentation du demandeur quant à l’absence d’enregistrement.

c)      L’arbitre de grief n’était pas tenue de tirer explicitement une conclusion quant à la crédibilité.

[44]           Les décisions citées par le demandeur à l’appui de sa prétention selon laquelle l’arbitre de grief devait tirer explicitement une conclusion quant à la crédibilité sont toutes des décisions en matière d’immigration. De telles affaires sont intrinsèquement tributaires des faits et ne sont guère d’intérêt dans l’affaire qui nous occupe.

[45]           En l’espèce, l’arbitre de grief a analysé la preuve présentée. Il importe ici de souligner la dernière phrase de la décision de l’arbitre de grief, au paragraphe 246 : « L’application de la force par M. Derksen, comme en font foi les vidéos, constituait une menace pour sa sécurité et celle des autres en raison de l’agitation accrue du détenu, ce qui l’a amené à se débattre contre les agents qui tentaient de le maîtriser. » Cette conclusion était raisonnable et elle était étayée par la preuve.

[46]            La description faite par l’arbitre de grief des coups de genou donnés par le demandeur (décision de l’arbitre de grief, deux dernières phrases du paragraphe 249) : « Les coups de genou auxquels il a eu recours n’étaient pas faibles, comme l’a décrit le représentant du fonctionnaire. La bande magnétoscopique fait ressortir de façon manifeste que M. Derksen a ramené sa jambe vers l’arrière, l’a étendue complètement et l’a levée du plancher pour la ramener avec force sur le côté du détenu », concorde clairement avec la vidéo. L’arbitre de grief a eu raison de conclure que « […] M. Derksen n’a pas fait la preuve qu’il a vraiment compris les conséquences possibles de ses gestes et il aurait sans doute recours à ces stratégies s’il faisait face à des circonstances semblables dans l’avenir, ce qui mettrait l’établissement, les détenus et ses collègues en péril […] » (Décision de l’arbitre de grief, au paragraphe 250).

[47]           Dans les circonstances précitées, l’arbitre de grief n’était pas tenue de se pencher davantage sur la crédibilité du demandeur relativement aux incidents de juillet.

(3)   L’arbitre de grief a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a rejeté le grief du demandeur à l’encontre de son licenciement?

[48]           L’arbitre de grief s’est convenablement enquise de sa compétence au regard de la présente affaire.

[49]           La Cour convient avec le défendeur que l’arbitre de grief a énoncé des motifs détaillés justifiant ce qui l’amenait à croire que la conduite du demandeur avait entraîné des mesures disciplinaires, et les raisons pour lesquelles ces mesures n’étaient pas injustifiées.

[50]           La décision de l’arbitre de grief appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

[51]           En l’espèce, l’arbitre de grief a rejeté le grief du demandeur déposé à l’encontre de son licenciement. Elle a conclu que le demandeur avait été impliqué dans divers incidents ayant eu des répercussions néfastes sur la relation avec son employeur au point de donner à l’employeur un motif suffisant de le licencier. Une telle conclusion était raisonnable.

[52]           La preuve présentée à l’arbitre de grief était abondante. L’arbitre de grief a notamment passé en revue le compte rendu de l’audience disciplinaire du demandeur, ses rapports d’observation et déclarations sur les incidents, les règles de conduite professionnelle du SCC, la directive du commissaire sur le recours à la force, la documentation portant sur la formation obligatoire, les rapports d’enquête et le manuel d’enquête, les rapports concernant le détenu impliqué dans les incidents, ainsi que les vidéos se rapportant aux incidents. Elle a entendu le témoignage du demandeur. Elle a de plus visité l’établissement correctionnel et entendu le témoignage d’un spécialiste sur la théorie relative au recours à la force.

[53]           L’arbitre de grief s’est fondée en particulier sur la preuve sur vidéo qui était également à la disposition de la Cour. Les vidéos illustrent clairement la force excessive à laquelle le demandeur a eu recours à l’égard d’un détenu les 20 et 21 juillet 2012.

[54]           En ce qui a trait aux événements des 11 et 12 août 2012, l’arbitre de grief a fait remarquer que plusieurs agents correctionnels avaient omis de signaler les incidents et qu’ils n’avaient pas tous fait l’objet des mêmes mesures disciplinaires. Le demandeur a avoué avoir pris part à un arrangement collusoire et avoir planifié avec ses collègues de ne pas signaler les incidents en cause.

[55]           L’arbitre de grief a conclu que tous ces incidents mis ensemble constituaient de l’inconduite et qu’il y avait lieu d’imposer des mesures disciplinaires.

[56]           Les motifs donnés par l’arbitre de grief pour justifier sa décision sont détaillés. Elle commence par un examen approfondi de la preuve qui lui a été présentée. La précision avec laquelle elle relate les événements montre qu’elle connaît le dossier à fond. Les observations des parties ont été entendues et analysées. L’arbitre de grief prend soin de faire des distinctions entre les circonstances propres à chaque situation ayant entraîné la prise de mesures disciplinaires à l’égard de chacun des agents correctionnels impliqués dans les divers incidents signalés. Elle fait dûment ressortir le caractère partial du rapport de Mme Contini et énonce clairement en quoi cela a une incidence sur sa décision finale.

[57]           Enfin, la décision de l’arbitre de grief de rejeter le grief du demandeur à l’encontre de sa suspension sans rémunération parce qu’il devenait théorique n’était pas déraisonnable eu égard aux circonstances en l’espèce.

[58]           Les parties ont convenu qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

S. Tasset


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T -1646-14

 

INTITULÉ :

JARRETT DERKSEN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 26 Août 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE BEAUDRY

 

DATE :

le 11 septembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Richard Fader

POUR LE DEMANDEUR

Ravi R. Hira, c. r.

Sarah Conroy

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Fader

Groupe Droit du travail et de l’emploi

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Ravi R. Hira, c. r.

Affleck Hira Burgoyne LLP

Vancouver (C.-B.)

Sarah Conroy

Affleck Hira Burgoyne LLP

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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