Date : 20150922
Dossier : IMM‑8229‑14
Référence : 2015 CF 1099
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2015
En présence de monsieur le juge Boswell
ENTRE : |
RAJU POURNAMINIVAS V (alias RAJU POURNAMINIVAS VASUDEVAN) |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, M. Pournaminivas, est un citoyen de l’Inde âgé de 47 ans qui, selon ses allégations, a été persécuté du fait qu’il est homosexuel. Il est arrivé au Canada muni d’un visa d’affaires pour visiteur en septembre 2009. En 2014, il a demandé l’asile au Canada après avoir rencontré Anthony, un homosexuel d’origine ethnique tamoule, qui l’a informé qu’il pouvait demander l’asile en raison de son orientation sexuelle.
[2] La Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur pour manque de crédibilité, après avoir conclu que le demandeur n’est pas crédible et n’est pas homosexuel. De plus, la SPR a déclaré, conformément au paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], que la demande déposée par le demandeur était dénuée d’un minimum de fondement. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est intervenu dans l’instance devant la SPR en présentant des observations et de la documentation ayant trait à l’état matrimonial et à la crédibilité du demandeur ainsi qu’au fait que ce dernier avait tardé à déposer sa demande.
[3] La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible pour diverses raisons, notamment : 1) il n’a pas formulé un récit crédible ou cohérent de la relation homosexuelle qu’il aurait entretenue avec un homme du nom de Mathew à Chennai; 2) des incohérences ont été observées quant au lieu de résidence du demandeur en Inde avant son arrivée au Canada; 3) des incohérences et des contradictions ont été soulevées relativement à l’état matrimonial du demandeur et à sa relation avec sa femme; 4) des contradictions ont été constatées en ce qui concerne ses relations homosexuelles au Canada; 5) des doutes ont été soulevés quant à la crédibilité du demandeur au regard de son orientation sexuelle; 6) le demandeur a tardé à présenter sa demande d’asile. Par conséquent, la SPR a tiré la conclusion suivante :
[31] Le tribunal estime que le demandeur d’asile n’a pas présenté d’éléments de preuve cohérents ou fiables montrant qu’il a entretenu deux relations homosexuelles de longue durée depuis son arrivée à Toronto, et cela à la lumière des conclusions défavorables tirées du fait des divergences et incohérences dans son propre témoignage et entre son témoignage et celui de Sutharshan, relativement à ces présumées relations, comme il a été énoncé ci-dessus. Le tribunal accorde également peu de poids au témoignage du demandeur d’asile au sujet de ses autres relations homosexuelles en Inde, parce qu’il estime, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’est pas homosexuel, en raison des nombreuses conclusions défavorables tirées quant à sa crédibilité en tant que témoin, comme il a été mentionné ci‑dessus. Par conséquent, le tribunal conclut que le demandeur d’asile ne devrait pas craindre la persécution en Inde du fait de son homosexualité, et il n’a pas considéré les éléments de preuve sur les conditions des homosexuels en Inde.
II. Questions à trancher
[4] La demande de contrôle judiciaire dont est actuellement saisie la Cour, qui a été présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi, soulève deux questions dignes de mention : 1) celle de savoir si les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité du demandeur et au fait que ce dernier a tardé à présenter sa demande sont raisonnables; 2) celle de savoir si la conclusion de la SPR selon laquelle la demande est dénuée d’un minimum de fondement est raisonnable.
III. Crédibilité et dépôt tardif de la demande
[5] J’estime que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité du demandeur sont raisonnables. Les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR ont été décrites comme l’« essentiel de la compétence de la Commission », vu qu’il s’agit fondamentalement de pures questions de fait qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26, [2013] ACF no 687; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL), au paragraphe 4, 160 NR 315 (CA); Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 486 (QL), au paragraphe 3, 169 NR 107 (CA); Cetinkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, au paragraphe 17, 403 FTR 46). La Cour doit respecter l’évaluation de la crédibilité et n’intervenir à cet égard que si elle juge que les motifs de la SPR ne sont pas justifiés, transparents ou intelligibles et que la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).
[6] J’estime également que la conclusion de la SPR quant au fait que le demandeur a attendu près de cinq ans avant de déposer sa demande est raisonnable. Il est bien établi qu’en l’absence d’une explication satisfaisante de la lenteur à présenter une demande d’asile, celle‑ci peut être déclarée irrecevable, même s’il n’existe aucune autre raison de douter de la crédibilité du demandeur d’asile (voir Velez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 923, au paragraphe 28; voir aussi Guarin Caicedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 109, au paragraphe 21 [Guarin Caicedo]). Bien que la lenteur à présenter une demande d’asile ne soit pas en soi déterminante, « le retard peut, dans les cas appropriés, constituer un motif suffisant de rejet de la demande. Cela dépendra en fin de compte des faits de l’affaire » (Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988, au paragraphe 14, 125 ACWS (3d) 137; voir aussi Guarin Caicedo). En l’espèce, la SPR pouvait raisonnablement tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur et à sa crainte subjective de persécution du fait que le demandeur a attendu longtemps avant de présenter sa demande d’asile.
IV. Conclusion relative à l’absence de minimum de fondement
[7] Il n’était toutefois pas raisonnable que la SPR conclue à l’absence de minimum de fondement de la demande déposée par le demandeur. Pour cette raison, la décision de la SPR doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée à la SPR en vue d’un nouvel examen. Je conviens avec le demandeur que la SPR a confondu ses conclusions quant à la crédibilité du demandeur et une conclusion relative à l’absence de minimum de fondement. La SPR a omis d’évaluer comme il se doit s’il existait un élément de preuve crédible quelconque, y compris le témoignage d’autres témoins, qui étayait la demande déposée par le demandeur.
[8] Il n’y avait aucune conclusion explicite quant à la crédibilité des deux témoins, à savoir Anthony et Sutharshan (le partenaire homosexuel actuel du demandeur). L’absence de conclusions défavorables quant à la crédibilité de Sutharshan est particulièrement préoccupante puisque c’est l’homosexualité du demandeur qui a carrément été mise en doute devant la SPR. Sutharshan a déclaré précisément qu’il entretient une relation amoureuse et sexuelle avec le demandeur. Pour conclure que le demandeur n’est pas homosexuel, la SPR a dû juger, du moins implicitement, que Sutharshan n’était pas crédible à cet égard. Cette conclusion ne peut être justifiée. Par conséquent, il était déraisonnable que la SPR n’ait pas déterminé si le témoignage de Sutharshan et la preuve documentaire suffisaient à établir le bien‑fondé de la demande du demandeur.
[9] La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas crédible ne pousse pas nécessairement à conclure à l’« absence de minimum de fondement » (voir Foyet c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1591, aux paragraphes 23 à 26 (CF)). Le seuil à atteindre pour conclure à l’absence de minimum de fondement est élevé puisque cette conclusion a pour effet d’annuler le sursis automatique à l’exécution d’une mesure de renvoi en attendant le contrôle judiciaire pour les demandeurs d’asile provenant de pays faisant l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1) de la Loi. Comme l’a souligné récemment ma collègue, la juge Cecily Strickland, dans la décision Behary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794 :
[53] […] La SPR doit examiner des éléments de preuve documentaire objectifs avant de pouvoir tirer une telle conclusion [absence de minimum de fondement]. Ce n’est que s’il n’y a aucun élément de preuve documentaire indépendant ou crédible ou que si ces éléments de preuve ne permettent pas de rendre une décision favorable que la SPR peut tirer une telle conclusion (Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, aux paragraphes 19, 28 et 51 [Rahaman]; Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314, au paragraphe 19 [Levario]; Sinko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 903, au paragraphe 21; Sadeghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1083, au paragraphe 24).
[10] En l’espèce, en plus du témoignage non contesté de l’un des témoins du demandeur, la SPR disposait de nombreux éléments de preuve documentaire sur la persécution des homosexuels en Inde. La SPR n’a pas apprécié cette preuve avant de conclure à l’absence de minimum de fondement. Par conséquent, la décision de la SPR est déraisonnable et ne constitue pas une issue acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
V. Conclusion
[11] Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR en vue d’un nouvel examen. Ni l’une ni l’autre des parties n’ayant proposé de question à certifier, la Cour n’en certifie aucune.
JUGEMENT
LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vue d’un nouvel examen; aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« Keith M. Boswell »
Juge
Stéphanie Pagé, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM‑8229‑14
|
INTITULÉ : |
RAJU POURNAMINIVAS V (alias RAJU POURNAMINIVAS VASUDEVAN) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 10 SeptembrE 2015
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE BOSWELL
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 22 septembrE 2015
|
COMPARUTIONS :
Clarisa Waldman
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Christopher Ezrin
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POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
|
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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