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Date : 20150916


Dossier : IMM-1484-15

Référence : 2015 CF 1085

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ROGHAYEH AZIZI MIRMAHALEH

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   L’aperçu

[1]               Madame Roghayeh Azizi Mirmahaleh est une citoyenne iranienne née en 1956. Elle conteste une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada concluant qu’elle était interdite de territoire au Canada en raison de son appartenance à un groupe au sujet duquel il y a des motifs raisonnables de croire qu’il s’est livré à des actes terroristes.

[2]               Lorsqu’elle habitait en Iran, Madame Mirmahaleh était enseignante dans un village. À la fin des années 70, elle s’implique dans une organisation nommée Mujaheddin-e-Khalq [MeK]. Elle lit et distribue les publications du MeK. Elle instruit les enfants de ses classes, ainsi que les femmes de sa région, au sujet de leurs droits. Suite à ces activités, elle perd son emploi; son mari et elle doivent mener une vie secrète et changer constamment d’adresse pendant trois ans. Puis, en 1984, elle est arrêtée et est emprisonnée pendant quelques années, tout comme son mari, lui aussi activiste. En 1988, le régime iranien exécute son mari. Par la suite, leur fille est harcelée en raison des activités politiques de ses parents.

[3]               Madame Mirmahaleh vient au Canada en octobre 2012, avec un visa de visiteur temporaire d’une durée d’un an. Arrivée au Canada, elle participe à des réunions ainsi qu’à des manifestations, notamment pour un groupe de réfugiés politiques iraniens tués par le régime iraquien.

[4]               En novembre 2013, elle présente une demande d'asile au Canada en raison de la persécution dont elle dit avoir été victime de la part des autorités iraniennes en raison de ses activités politiques au soutien du MeK. Le Ministre intervient au dossier et dépose un rapport d’inadmissibilité. Le 12 mars 2015, un commissaire à la Section de l’immigration de la CISR rejette la demande d’asile de Madame Mirmahaleh. Il détermine qu’elle est inadmissible au Canada en raison de son appartenance à un groupe terroriste, en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[5]               Madame Mirmahaleh demande aujourd’hui la révision judiciaire de la décision du commissaire lui refusant sa demande d’asile. Elle plaide que la décision est déraisonnable et que le tribunal a erré en qualifiant le MeK de groupe terroriste et en concluant qu’elle en était membre. Madame Mirmahaleh affirme aussi que le commissaire, dans sa décision, a en fait renversé le fardeau de preuve qui incombait au Ministre pour le faire reposer sur elle.

[6]               Les questions en litige sont les suivantes:

  • Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le MeK est une organisation terroriste?
  • Est-ce que le tribunal a commis une erreur dans son évaluation de l’appartenance de Madame Mirmahaleh au MeK?
  • Est-ce que le tribunal a commis une erreur de droit en renversant le fardeau de preuve dans son analyse?

[7]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Madame Mirmahaleh doit échouer car la Cour conclut que la décision du tribunal est raisonnable et fait partie des issues possibles acceptables dans les circonstances. Ses conclusions tant sur le caractère terroriste du MeK que sur l’appartenance de Madame Mirmahaleh au groupe trouvent appui dans la preuve au dossier. De plus, lorsque lue dans son ensemble, la décision ne reflète aucunement un renversement du fardeau de preuve sur les épaules de Madame Mirmahaleh.

II.                Le contexte

A.                La décision

[8]               Dans sa décision, le commissaire expose d’abord le test qu’il doit appliquer aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR afin de déterminer si une personne doit être interdite de territoire pour des raisons de sécurité. Ce test comporte deux volets : il faut déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire que Madame Mirmahaleh est membre de l’organisation en cause et si l’organisation a commis, commet ou commettra des actes terroristes.

[9]               Dans son analyse, le commissaire répond aux six motifs soulevés par Madame Mirmahaleh et son avocate pour attaquer la conclusion du Ministre sur l’interdiction de territoire de Madame Mirmahaleh.

[10]           Le commissaire conclut d’abord que le simple fait d’être membre d’une organisation terroriste suffit pour répondre aux exigences d’appartenance de l’alinéa 34(1)f). Il refuse notamment l’application du test de la complicité de l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola] à l’interprétation de la notion de « membre » et à l’interdiction de territoire prévus à l’alinéa 34(1)f). Il invoque la jurisprudence récente établissant qu’une conclusion d’appartenance à un groupe terroriste comporte des exigences peu strictes (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 FCA 86 [Kanagendren] au para 22); Haqi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1167 [Haqi] aux paras 36-37).

[11]           S’appuyant sur la définition de membre établie par la décision Jalloh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 317, le commissaire conclut que Madame Mirmahaleh est membre du MeK. Elle a en effet commis des actes afin que les buts du groupe soient atteints, tels qu’organiser des sessions d’information avec ses étudiants et les femmes de la région, distribuer de la propagande et participer à des activités politiques. De plus, les idéaux de Madame Mirmahaleh concordaient avec les objectifs du groupe. Le commissaire note aussi que Madame Mirmahaleh a continué à appuyer la cause du MeK après son arrivée au Canada au début de la présente décennie.

[12]           Le commissaire détermine ensuite que le MeK est une organisation terroriste en se basant sur la preuve documentaire. Cette preuve lie notamment le MeK à des assassinats aveugles, des attaques à la bombe ou au mortier qui ont fait des victimes civiles, des attentats suicides et des prises d’otages.

[13]           Le commissaire rejette l’affirmation de Madame Mirmahaleh voulant qu’elle soit contre la violence. Il juge cette affirmation non crédible car rien dans son « Basis of Crime », durant son entrevue avec l’agent de l’immigration, ou dans son témoignage devant lui n’indique que Madame Mirmahaleh ait protesté ou se soit opposée aux méthodes violentes du MeK. Le commissaire réfère entre autres à la prétention de Madame Mirmahaleh à l’effet qu’elle condamne la violence utilisée par le MeK pour mener ses objectifs politiques. Il en déduit que condamner ainsi la violence reflète au contraire une certaine connaissance des agissements du MeK de la part de Madame Mirmahaleh.

[14]           Enfin, le commissaire écarte l’argument de Madame Mirmahaleh à l’effet que le MeK n’apparaît plus sur la liste des organisations terroristes du Canada et de plusieurs autres pays. Il mentionne que l’alinéa 34(1)f) n’a pas de considération temporelle et qu’à tout événement, Madame Mirmahaleh partageait les objectifs du MeK au moment où elle y militait.

B.                 La norme de contrôle

[15]           La norme de contrôle applicable pour l’application du test régissant l’interdiction de territoire pour raisons de sécurité est celle de la décision raisonnable. Aucune des parties ne le conteste. Les questions concernant le caractère terroriste d’une organisation et l’appartenance d’une personne à une organisation terroriste sont en effet des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit qui doivent être examinées suivant la norme de la décision raisonnable (Farkohondehfall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 471 [Farkohondehfall] aux para 25-26; Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 [Poshteh] aux para 21-24).

[16]           Quant à la norme de preuve à satisfaire pour établir l’existence de « motifs raisonnables de croire », elle exige davantage que de simples soupçons mais demeure moins rigoureuse que celle de la « prépondérance des probabilités » en matière civile. C’est une croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi, qui s’apprécie aussi à la lumière de la norme raisonnable (Jalil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 246 au para 27).

[17]           Ce caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16 [Newfoundland Nurses]). Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve de retenue et de déférence envers la décision du tribunal et ne peut lui substituer ses propres motifs. Elle peut toutefois, au besoin, examiner le dossier pour mesurer et apprécier le caractère raisonnable de la décision (Newfoundland Nurses au para 15).

III.             Analyse

A.                Est-ce que le MeK est une organisation terroriste?

[18]           Madame Mirmahaleh soumet que le tribunal a erré en concluant que le MeK est une organisation terroriste. Elle plaide que le tribunal a ignoré la décision récente du gouvernement canadien de retirer le MeK de la liste des organisations terroristes. Elle souligne aussi la preuve à l’effet que plusieurs gouvernements étrangers ne le considèrent plus comme un groupe terroriste. Madame Mirmahaleh ajoute que ces retraits appuient ses prétentions quant à la manipulation des informations par le gouvernement iranien à l’époque où elle participait aux activités du MeK. Pour toutes ces raisons, elle affirme que la conclusion du commissaire est déraisonnable.

[19]           La Cour ne souscrit pas à ces arguments. Je conclus au contraire qu’à la lumière de la preuve dont le commissaire disposait, sa décision fait partie des issues raisonnables possibles en regard des faits et du droit. Madame Mirmahaleh invite simplement la Cour à apprécier de nouveau la preuve, et à substituer sa lecture à celle du commissaire. Or, ce n’est pas là le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire.

[20]           Dans sa décision, le commissaire reprend une preuve documentaire abondante quant aux actes terroristes commis par le MeK. Il mentionne des attentats à la bombe, des assassinats de civils entre 1973 et 1976, la prise d’otage à l’ambassade des États-Unis à Téhéran en 1979, des attentats suicides, un attentat à la bombe faisant 70 morts, ainsi que des attaques simultanées contre des représentations iraniennes dans une dizaine de pays différents y compris aux Nations Unies à New York. Ces actes correspondent à la définition de terrorisme telle qu’établie dans l’arrêt Suresh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 1 [Suresh] cité par le commissaire dans son analyse : un acte terroriste est un « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » (au para 98).

[21]           Par ailleurs, le fait que le MeK ne soit plus classifié comme une organisation terroriste n’est pas pertinent dans les circonstances puisque l’alinéa 34(1)f) ne requiert pas de lien temporel entre l’appartenance et les actes de terrorisme (Najafi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262 [Najafi] au para 101; Gebreab c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CAF 274). De plus, le MeK a été retiré de la liste des organisations terroristes parce qu’il n’a plus recours à la violence, et non pas en raison d’une réévaluation de la preuve sur laquelle les classifications antérieures du groupe avaient été fondées. En d’autres termes, son retrait de la liste n’efface pas les attributs passés de terrorisme qui affligent le MeK.

[22]           Enfin, je souligne que le MeK a déjà été désigné comme une organisation terroriste par les cours (Poshteh au para 5; Motehaver c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 141 au para 3). Il est donc manifeste que la conclusion du commissaire à cet égard n’est pas déraisonnable.

[23]           Le commissaire a construit son analyse sur les motifs raisonnables de croire que le MeK était une organisation terroriste, et a procédé à une évaluation objective de la preuve. Certes, la norme des motifs raisonnables de croire exige davantage qu'un simple soupçon, mais elle demeure moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au para 114). Madame Mirmahaleh soutient que le commissaire aurait passé sous silence plusieurs éléments de preuve soumis par elle, notamment des articles de journaux commentant sur le non-lieu des accusations de terrorisme contre le MeK devant la justice française, des extraits de la réglementation canadienne qui soustrait le MeK de la liste des organisations terroristes, et des décisions américaines, européennes et britanniques retirant le MeK des listes d’organisations terroristes. Elle prétend que le tribunal n’aurait pas évalué et pris en compte toute la preuve.

[24]           Je ne suis pas d’accord.

[25]           Un tribunal est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve et n’est pas tenu de référer à chaque élément qui la compose (Newfoundland Nurses au para 16). Le défaut de faire référence à chaque élément de preuve ne veut pas dire que toute la preuve n'a pas été considérée (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] FCJ No 1425 au para 16). Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait (au para 17).

[26]           Or, la décision du commissaire recense plusieurs éléments documentaires auxquels le tribunal a accordé plus d’importance que ne l’aurait souhaité Madame Mirmahaleh. Il s’est basé sur les preuves tirées d’un article du National Defense Research Institute et de rapports du Jane’s World Insurgency and Terrorism, du US Department of Justice et d’autres sources gouvernementales. Ces documents décrivaient des assassinats aveugles, des attaques à la bombe ou au mortier qui faisaient des victimes civiles, des attentats suicides et des prises d’otages. Il ne fait aucun doute qu’à la lumière de cette preuve, la décision du tribunal fait partie des issues acceptables et possibles qui s’offraient au commissaire.

B.                 Est-ce que le tribunal a commis une erreur dans son évaluation de l’appartenance de Madame Miramaleh au MeK?

[27]           Eu égard à son appartenance au MeK, Madame Mirmahaleh soumet qu’en Iran, elle n’a appuyé le MeK que pour une période de temps très limitée, dans le cadre d’une implication réduite où elle n’était pas consciente des activités violentes de l’organisation. Elle ajoute qu’au Canada, elle s’est limitée à participer à des manifestations sans s’immiscer davantage dans les activités du MeK.

[28]           Madame Mirmahaleh plaide qu’en Iran, elle ignorait les activités terroristes du MeK et était plutôt attirée par le message de liberté de presse, d’égalité entre hommes et femmes et de droit aux élections libres que l’organisation véhiculait. Son travail en était un de discussion avec ses élèves et les femmes de son village et de distribution de la documentation du MeK. Selon elle, les publications du MeK ne mentionnaient pas le recours à la violence pour arriver à ces fins. Elle soumet qu’il appartenait au Ministre de démontrer que les publications du MeK faisaient l’apologie de la violence et des activités terroristes, ce qui n’a pas été fait. Madame Mirmahaleh affirme n’avoir pas eu connaissance des activités terroristes attribuées au MeK puisqu’elle habitait un petit village reculé que l’information ne pouvait rejoindre à l’époque et qu’elle n’avait pas de sources fiables quant aux activités réelles de l’organisation. Ses activités n’étaient donc pas suffisantes pour permettre au commissaire de raisonnablement conclure à son statut de membre du MeK.

[29]           Je ne partage pas la position de Madame Mirmahaleh. Encore une fois, je ne peux pas conclure que l’appréciation des faits par le tribunal puisse être qualifiée de déraisonnable dans les circonstances.

[30]           Le terme « membre » d’une organisation à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR doit recevoir une interprétation large et libérale (Poshteh au para 27). Une personne qui fait de la propagande en distribuant des tracts rencontre ce critère d’appartenance, même si elle ne le fait qu’une fois ou deux par mois (Poshteh au para 5). Il n’y a pas non plus d’exigence que la personne ait été complice de la perpétration d’un acte terroriste ou qu’elle y ait pris part sciemment (Kanapathy c Canada (Sécurité civile et Protection publique), 2012 CF 459 [Kanapathy] au para 35). Dans Kanapathy, un journaliste travaillant pour un journal qui soutenait et était contrôlé par une organisation terroriste a été considérée comme appartenant à cette organisation. D’ailleurs, la Cour y soulignait l’importance de la propagande médiatique en faveur des activités d’une organisation et réaffirmait la portée très large du concept d’appartenance à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR (Kanapathy au para 36).

[31]           Le commissaire a jugé peu crédible la prétention de Madame Mirmahaleh à l’effet qu’elle ignorait l’utilisation de la violence par le MeK. À la lumière de la preuve au dossier, je suis d’avis qu’un tel constat n’est pas déraisonnable. Je rappelle que Madame Mirmahaleh était une des femmes les plus instruites de son village et avait été attirée par le MeK après avoir étudié ses publications. De plus, elle était désignée pour publiciser et diffuser les activités et la propagande du MeK dans son village. Il ne s’agissait pas là d’un rôle banal ou insignifiant. De considérer que, dans ces circonstances, il était invraisemblable que Madame Mirmahaleh ne soit pas au courant de la violence du MeK tombe assurément dans l’éventail des issues acceptables et possibles qui étaient ouvertes au commissaire. Il est en effet difficile d’imaginer que Madame Mirmahaleh ait pu être ignorante de la violence généralisée qui sévissait alors en Iran tout en étant suffisamment digne de confiance pour être le porte-étendard du MeK dans son village.

[32]           Par ailleurs, l’affirmation de Madame Mirmahaleh à l’effet qu’elle n’aurait appuyé le MeK que pour une période de temps très limitée (de 1979 à 1982) ne lui est pas d’un grand secours. D’abord, ses activités ont duré suffisamment longtemps pour lui faire perdre son emploi et lui valoir une peine d’emprisonnement. De plus, son soutien aux activités du MeK s’est poursuivi au Canada par la suite, même si ce n’était que dans le cadre de manifestations.

[33]           Je mentionne enfin que les motivations derrière l’implication politique de Madame Mirmahaleh, aussi louables soient-elles, ne constituent pas un critère admis par la jurisprudence pour rescaper et bonifier une activité terroriste. Le fait pour un groupe d’avoir un but légitime ne justifie pas de se livrer à des activités terroristes (Najafi aux para 89-90; Kanagendran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 384 au para 21; Erbil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 780 aux para 60-61; Oremade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1486 au para 12).

[34]           Dans sa plaidoirie devant la Cour, Madame Mirmahaleh a discuté de l’application de l’arrêt Ezekola de la Cour suprême à la présente affaire. Il suffit à cet égard de rappeler les propos de la juge Gagné dans Haqi, que je fais miens : elle y mentionnait au para 37 que l’arrêt Ezekola portant sur la notion de complicité dans le cadre d’une convention internationale n’a pas d’incidence sur l’interprétation de la notion de « membre d’une organisation » donnée par la Cour d’appel fédérale aux alinéas 34(1)b) et f) de la LIPR. Cette conclusion a aussi été explicitement réaffirmée par la Cour d’appel fédérale dans Kanagendren, au para 28.

[35]           Le commissaire s’est fondé sur la participation active de Madame Mirmahaleh aux activités du MeK pour conclure à l’existence de motifs raisonnables de croire qu’elle appartenait à l’organisation aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Il n’était donc pas déraisonnable dans les circonstances que le commissaire retienne de la preuve que Madame Mirmahaleh était membre du MeK.

C.                Est-ce que le tribunal a commis une erreur de droit en renversant le fardeau de preuve sur Madame Mirmahaleh?

[36]           Il est clair qu’en vertu de l’article 33 de la LIPR, le fardeau de preuve appartient au Ministre de démontrer l’interdiction de territoire pour raisons de sécurité, et que celui-ci doit avoir des motifs raisonnables de croire que les faits ou actes mentionnés sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. Madame Mirmahaleh critique l’approche empruntée par le commissaire dans sa décision, qui s’est affairé à répondre à chacun des arguments soulevés par son avocate devant la CISR. Elle prétend que, ce faisant, le commissaire aurait erré en n’analysant pas la preuve soumise par le Ministre et en remettant le fardeau de la preuve sur elle.

[37]           Je suis d’avis qu’une telle lecture de la décision n’a aucun mérite. Il est clair de la décision que le tribunal a énoncé et appliqué le bon test. Il a déterminé que ses deux composantes (soit le caractère terroriste du MeK et l’appartenance de Madame Mirmahaleh au groupe) avaient été rencontrées. Qu’il l’ait fait en reprenant chacun des arguments avancés par Madame Mirmahaleh plutôt qu’en optant pour une structure plus directement axée sur le test lui-même ne signifie pas que le fardeau de la preuve ait été inversé. Il est manifeste, à la lecture de la décision, que l’analyse des arguments de Madame Mirmahaleh a permis au commissaire de revoir l’ensemble de la preuve et d’en faire ressortir les raisons pour lesquelles toutes les exigences de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR étaient satisfaites.

[38]           En réponse au Ministre, Madame Mirmahaleh invoque que ce n’est pas la structure de la décision qui a créé un renversement de preuve, mais plutôt l’application du test aux faits, notamment quant à la désignation du MeK comme organisation terroriste. Selon Madame Mirmahaleh, les éléments de preuve devant le commissaire concernant la désignation du MeK auraient dû être interprétés différemment. Encore une fois, Madame Mirmahaleh invite la Cour à réévaluer la preuve et à substituer son opinion à celle du commissaire. Ce n’est pas là son rôle dans une demande de contrôle judiciaire.

IV.             Conclusion

[39]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Madame Mirmahaleh est rejetée. La décision du commissaire concluant à des motifs raisonnables de croire que le MeK est une organisation terroriste dont Madame Mirmahaleh est membre est transparente et intelligible, et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les parties n’ont pas soulevé de question à certifier dans leurs représentations écrites et orales, et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune dans ce dossier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire soit rejetée, sans dépens;
  2. Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1484-15

INTITULÉ :

ROGHAYEH AZIZI MIRMAHALEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 septembre 2015

jugement et motifs :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 16 septembre 2015

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

Pour la partie demanderesse

Me Émilie Tremblay

Pour la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Valois et Associés

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour la partie demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour la partie défenderesse

 

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