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Date : 20150908


Dossier : IMM‑7389‑14

Référence : 2015 CF 1041

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MAZIN HELMY ISMAEL AL‑OBEIDI

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En 1998, M. Mazin Helmy Ismael Al‑Obeidi a fui l’Iraq pour se rendre au Liban, car il craignait d’être persécuté parce qu’il s’opposait à Saddam Hussein. En 2002, il a obtenu l’asile au Canada, ce qui l’a rendu admissible au statut de résident permanent après le traitement de sa demande. Il est arrivé au Canada en 2007 et a obtenu le statut de résident permanent.

[2]               Au cours des années qui ont suivi, M. Al‑Obeidi est retourné six fois en Iraq. Il a d’abord utilisé un passeport canadien, puis a obtenu un passeport iraquien qu’il a utilisé pour ses voyages subséquents.

[3]               En 2012, après que M. Al‑Obeidi a présenté sa demande de citoyenneté canadienne, des fonctionnaires canadiens lui ont posé des questions au sujet de ses voyages en Iraq. Ses réponses ont poussé le ministre à présenter une demande pour que M. Al‑Obeidi perde son statut de réfugié au Canada au motif qu’il s’était réclamé de nouveau de la protection de l’Iraq en y retournant (demande fondée sur l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] – les dispositions citées sont reproduites à l’annexe). La demande de citoyenneté de M. Al‑Obeidi est actuellement suspendue.

[4]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a instruit la demande du ministre et a déterminé que M. Al‑Obeidi n’avait effectivement plus qualité de réfugié. Toutefois, la Commission ne s’est pas penchée sur l’allégation du ministre relative au fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays. Elle a plutôt conclu que M. Al‑Obeidi n’avait plus qualité de réfugié du fait que le fondement de sa demande d’asile a cessé d’exister en raison du changement dans la situation en Iraq (conclusion fondée sur l’alinéa 108(1)e) de la LIPR).

[5]               Si la Commission avait accepté la position du ministre relativement au fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays, M. Al‑Obeidi aurait perdu son statut de résident permanent (alinéa 46(1)(c.1)) et aurait été interdit de territoire au Canada (paragraphe 40.1(2)). La conclusion de la Commission selon laquelle M. Al‑Obeidi n’a plus qualité de réfugié en raison du changement dans la situation dans le pays n’avait pas de telles conséquences.

[6]               Le ministre soutient que la Commission ne s’est pas acquittée de son obligation d’examiner les motifs qui sous‑tendent la demande de constat de perte de l’asile. Bien qu’il soit loisible à la Commission de tenir compte d’autres motifs de perte de l’asile, ce que le ministre reconnaît, elle n’a pas le pouvoir de refuser de traiter d’un motif expressément soulevé par le ministre, en particulier lorsqu’il existe, comme c’est le cas en l’espèce, des éléments de preuve à l’appui de cette position. Selon le ministre, la décision de la Commission est arbitraire et constitue une démarche délibérée pour éviter l’application des lois dûment adoptées par le Parlement. Le ministre me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner que la demande de constat de perte de l’asile soit réexaminée par un autre tribunal de la Commission.

[7]               Je ne suis pas d’accord avec l’argument du ministre. À mon avis, la Commission peut examiner tout motif de perte de l’asile découlant de la demande du ministre et n’est pas tenue de rendre sa décision au regard du motif particulier qui a été soulevé dans la demande. La LIPR confère expressément à la Commission compétence pour trancher une demande de constat de perte de l’asile à la lumière de tout motif qui est énoncé dans cette loi. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[8]               La seule question à trancher est celle de savoir si la Commission a interprété les dispositions applicables de la LIPR de façon raisonnable.

II.                Décision de la Commission

[9]               Devant la Commission, le ministre a soutenu que cette dernière avait l’obligation d’examiner uniquement le motif précis sur lequel est fondée la demande de constat de perte de l’asile. À titre subsidiaire, le ministre a affirmé que la Commission était tenue de tenir compte de l’ensemble des motifs possibles de perte de l’asile. En ce qui a trait à l’éventualité d’une perte de l’asile en raison de l’évolution de la situation en Iraq, le ministre a en fait déclaré que les améliorations observées en Iraq étaient vraisemblablement temporaires, ce qui signifie qu’il serait risqué pour M. Al‑Obeidi d’y retourner. La Commission a jugé que cette position allait à l’encontre des efforts déployés par le ministre en vue de retirer à M. Al‑Obeidi son statut de réfugié.

[10]           La Commission a conclu qu’elle avait compétence, dans le cadre d’une demande présentée par le ministre, pour examiner tout éventuel motif de perte de l’asile et non seulement le motif précis sur lequel le ministre fonde sa demande. Plus particulièrement, selon la LIPR, la Commission peut, à la demande du ministre, déterminer si l’asile est perdu sur constat « de tels faits » mentionnés au paragraphe 108(1) de la LIPR (paragraphe 108(2)).

[11]           La Commission a jugé que la perte de l’asile de M. Al‑Obeidi était attribuable aux changements durables, permanents et substantiels survenus en Iraq. En fait, M. Al‑Obeidi a reconnu qu’il ne craignait plus d’être persécuté en Iraq. La Commission a également conclu qu’une fois qu’un des motifs de perte de l’asile s’applique, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres motifs possibles. De ce fait, elle ne s’est pas penchée sur la question de se réclamer de nouveau de la protection du pays comme éventuel motif de la perte de l’asile.

[12]           Bien que la Commission ait affirmé qu’elle ne devrait pas se préoccuper des conséquences d’une conclusion relative à la perte de l’asile, elle a néanmoins décrit les conséquences d’une conclusion fondée sur des motifs autres qu’un changement de conditions (perte du statut de résident permanent) comme étant contraires aux obligations internationales du Canada et aux objectifs de la LIPR.

III.             La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

[13]           Le ministre soutient que l’approche de la Commission était déraisonnable parce que cette dernière n’a pas examiné la question soulevée dans la demande de constat de perte de l’asile dont elle était saisie et a plutôt fondé sa décision sur un motif qui n’a pas été avancé.

[14]           Je ne suis pas d’accord. La LIPR confère un vaste pouvoir discrétionnaire à la Commission en ce qui a trait aux questions de perte de l’asile, pouvoir qui, la plupart du temps, joue en faveur du ministre. Lorsque le ministre ne parvient pas à justifier la perte de l’asile sur la base d’un motif, la Commission peut déterminer si un autre motif existe. Le fait que le ministre n’a pas atteint l’objectif ultime de la demande de constat de perte de l’asile (révocation du statut de résident permanent de M. Al‑Obeidi) ne justifie pas, à mon avis, une conclusion selon laquelle l’approche de la Commission était déraisonnable. 

[15]           Le libellé de la loi énonçant la compétence de la Commission est clair. Selon la LIPR, à la demande du ministre, « l’asile […] est perdu […] sur constat […] de tels faits mentionnés au [paragraphe 108 (1)] ». Au nombre de ces motifs figurent le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays (alinéa 108(1)a)) et le changement de la situation dans le pays (alinéa 108(1)e)), de même que le fait de se rétablir dans le pays quitté et celui de recouvrer volontairement sa nationalité.

[16]           Si le Parlement avait souhaité imposer à la Commission l’obligation d’examiner précisément le motif soulevé dans la demande du ministre, il aurait clairement pu le faire. Par exemple, il aurait pu ordonner à la Commission d’examiner les autres motifs de perte de l’asile uniquement dans les cas où le ministre n’a pas justifié la perte de l’asile pour le motif soulevé dans la demande. Or, il ne l’a pas fait.

[17]           Le ministre fait également valoir que la Commission a outrepassé sa compétence et est délibérément allée à l’encontre de la volonté du Parlement en fondant sa décision sur un motif qui éviterait à M. Al‑Obeidi de perdre son statut de résident permanent. Je ne souscris pas à cet argument. Il ressort clairement d’une simple lecture de la LIPR que le Parlement a accordé à la Commission le pouvoir discrétionnaire d’examiner des motifs de perte de l’asile autres que ceux qui sont soulevés dans la demande du ministre, y compris un changement dans la situation du pays d’origine. Il a également été précisé qu’une personne ne devrait perdre son statut de résident permanent que si la Commission juge qu’elle n’a plus qualité de réfugié pour des motifs autres qu’une amélioration des conditions dans le pays. L’approche de la Commission semble, à mon avis, cadrer avec le régime adopté par le Parlement.

[18]           Le ministre renvoie également à une décision subséquente du même commissaire qui, selon le ministre, contredit l’approche adoptée par le commissaire en l’espèce (Re X, VB4‑00719, 20 février 2015). Dans cette affaire subséquente, le ministre a présenté une demande de constat de perte de l’asile au motif que le défendeur s’était réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine (alinéa 108)1)a)) et avait acquis la nationalité d’un autre pays qui pouvait lui offrir une protection (alinéa 108(1)c)). Le défendeur a quant à lui fait valoir que le motif de la demande d’asile n’existe plus du fait du changement de la situation dans le pays (alinéa 108(1)e)), et que la Commission devrait refuser de tenir compte des motifs avancés par le ministre.

[19]           La Commission a accepté l’argument du défendeur selon lequel l’alinéa 108(1)e) s’applique. Toutefois, elle n’a pas souscrit à l’argument selon lequel elle ne devrait tenir compte d’aucun autre motif. Plus particulièrement, la preuve dont disposait la Commission montrait clairement que le défendeur est un citoyen des États‑Unis; en effet, il n’a pas contesté ce point. La Commission a conclu qu’il ne conviendrait pas de faire abstraction de la preuve de la citoyenneté américaine du défendeur et a jugé qu’il n’avait plus qualité de réfugié aux termes des alinéas 108(1)c) et 108(1)e). Il n’était pas nécessaire, selon la Commission, de traiter de l’alinéa 108(1)a).

[20]           Je ne vois aucune contradiction dans l’approche de la Commission. Dans les deux cas, la Commission a conclu qu’elle pouvait tenir compte de tout motif énoncé au paragraphe 108(1) et qu’il n’était pas nécessaire dans les circonstances de se pencher sur la question de s’être réclamé de nouveau de la protection du pays aux termes de l’alinéa 108(1)a). La seule différence réside dans le fait que, dans l’affaire Re X, la Commission s’est sentie obligée de statuer au regard de l’alinéa 108(1)c) compte tenu de la preuve claire dont elle disposait et de la concession du défendeur sur ce point. Cette circonstance distingue cette affaire de celle qui nous occupe.

[21]           Le ministre soutient également que la décision de la Commission en l’espèce est incompatible avec la décision d’un autre commissaire (TB3‑05609, 12 août 2014). Dans cette affaire, la Commission a conclu que la concession de l’intimée selon laquelle elle n’avait plus qualité de réfugié aux termes de l’alinéa 108(1)e) ne limite pas la compétence de la Commission pour examiner les autres éventuels motifs de perte de l’asile. Encore là, je ne vois pas de contradiction. Comme il a été mentionné, la Commission est autorisée, selon la LIPR, à examiner tout motif de perte de l’asile énoncé au paragraphe 108(1). Le fait qu’un défendeur concède que l’un des motifs existe ne devrait pas empêcher la Commission de tenir compte d’un autre motif. Dans les circonstances de cette affaire, la Commission s’est sentie obligée d’examiner d’autres motifs de perte de l’asile ayant été avancés par le ministre. Le fait que la Commission ait tenu compte de ces autres motifs ne signifie pas qu’elle a commis une erreur en ne les examinant pas en l’espèce.

[22]           En somme, dans le cadre d’une demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre, la Commission peut examiner tout motif énoncé au paragraphe 108(1) de la LIPR. Si le réfugié intimé convainc la Commission, ou concède, qu’il a perdu son statut en raison du changement de la situation dans le pays (alinéa 108(1)e)), la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire de tenir compte d’autres motifs. On ne peut ni l’obliger à le faire, ni l’empêcher de le faire. Toutefois, lorsqu’il existe une preuve non contredite et non contestée de la perte de l’asile pour un autre motif (p. ex. l’acquisition d’une nationalité d’un pays offrant une protection), la Commission devrait en tenir compte.

[23]           Par conséquent, j’estime que la Commission a raisonnablement interprété sa compétence aux termes de la LIPR.

IV.             Conclusion et dispositif

[24]           À mon avis, la Commission a raisonnablement conclu qu’elle pouvait trancher la question de la perte de l’asile selon un motif qui n’a pas été avancé par le ministre. De ce fait, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Le ministre s’est opposé à la certification d’une question de portée générale et, compte tenu de la manière dont j’ai tranché la présente demande, aucune question ne sera énoncée.


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  rejette la demande de contrôle judiciaire;

2.                  n’énonce aucune question de portée générale.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Perte de l’asile — résident permanent

Cessation of refugee protection — permanent resident

40.1 (2) La décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile d’un résident permanent emporte son interdiction de territoire.

40.1 (2) A permanent resident is inadmissible on a final determination that their refugee protection has ceased for any of the reasons described in paragraphs 108(1)(a) to (d).

Résident permanent

Permanent resident

46. (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

46. (1) A person loses permanent resident status

[…]

c.1) la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile;

(c.1) on a final determination under subsection 108(2) that their refugee protection has ceased for any of the reasons described in paragraphs 108(1)(a) to (d);

Rejet

Rejection

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

[…]

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

[…]

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7389‑14

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c MAZIN HELMY ISMAEL AL‑OBEIDI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 SEPTEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Douglas Cannon

Maria Sokolova

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Maria Sokolova

Avocate

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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