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Date : 20150813


Dossier : IMM‑2165‑14

Référence : 2015 CF 966

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 août 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

SANG WONG

SUK YI PANG

WEN BIN WONG

SONG JING WONG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.                   Introduction

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), d’une décision par laquelle un agent d’exécution de la loi (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada a rejeté les demandes de report du renvoi des demandeurs.

[2]               Du temps supplémentaire a été accordé aux parties pour fournir tout fait nouveau ou toute autre information qui pouvait avoir été mis au jour concernant des observations antérieures de leur part; aucun fait ni aucune information d’importance n’ont été reçus pour modifier l’issue.

II.                Contexte factuel

[3]               Les demandeurs sont une famille originaire de la Malaisie, d’ethnicité chinoise, qui se compose de deux adultes et deux enfants et qui fait face à un renvoi du Canada.

[4]               Les demandeurs sont d’abord arrivés au Canada le 25 décembre 2011, comme visiteurs, et ont demandé l’asile le 6 février 2012.

[5]               Monsieur Wong, le demandeur principal, prétend qu’il a été victime d’une fraude au Canada de plus de 10 000 dollars, montant qui a été versé à un agent immobilier qui se faisait passer pour un consultant en immigration et qui a convaincu les demandeurs de retirer leur demande d’asile. Avec l’aide de différents consultants en immigration, les demandeurs ont retiré leur demande d’asile et présenté une demande pour considérations d’ordre humanitaire qui a finalement été refusée.

[6]               Par conséquent, le 26 mars 2013, les demandeurs ont été informés que leur date de renvoi avait été fixée au 2 avril 2014.

[7]               Le 28 mars et le 31 mars 2014, les demandeurs ont présenté deux demandes de report, dans lesquelles ils cherchaient à obtenir un report administratif de leur renvoi.

[8]               Les demandes des demandeurs ont été rejetées par voie de lettres datées du 31 mars et du 1er avril 2014, qui forment les décisions contestées.

[9]               Le 1er avril 2014, monsieur le juge James Russell de la présente Cour a accordé aux demandeurs un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre eux, en attendant l’issue de la demande de contrôle judiciaire.

III.             Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[10]           Dans sa décision et ses motifs, après avoir révisé les arguments des demandeurs et les éléments de preuve fournis à l’appui de leur demande, l’agent constate qu’il n’y a pas suffisamment de motifs justifiant un report, en particulier en raison du pouvoir discrétionnaire restreint qui lui est conféré en application de l’article 48 de la LIPR (lettres de refus datées du 31 mars 2014 et du 1er avril 2014, dossier certifié du tribunal, aux pages 1 à 8).

IV.             Dispositions législatives

[11]           Les dispositions législatives pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Mesure de renvoi

Enforceable removal order

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

Conséquence

Effect

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and the order must be enforced as soon as possible.

V.                Norme de contrôle judiciaire

[12]           Il est établi que la décision de l’agent est assujettie à la norme déférente du caractère raisonnable (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 25 (Baron); Ortiz c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 18, au paragraphe 39; Ovcak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1178, au paragraphe 8).

[13]           La Cour doit donc évaluer si la décision contestée est justifiée, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑ Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

VI.             Question s en litige

a.       La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

b.      L’agent a‑t‑il omis de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants touchés?

VII.          Analyse

[14]           Le paragraphe 48(2) de la LIPR dispose que les agents doivent exécuter les mesures de renvoi « dès que possible ».

[15]           Les agents chargés du renvoi ont un pouvoir discrétionnaire limité pour évaluer les demandes visant à reporter un renvoi (Baron, précité, au paragraphe 80; Simoes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. nº 936 (Simoes); Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. nº295 (Wang); Perez c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2007] A.C.F. nº849). Comme l’a expliqué le juge Marc Nadon de la Cour d’appel fédérale dans Simoes au paragraphe 12 :

À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l’agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d’exécuter une mesure de renvoi, l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face7 . Ainsi, en l’espèce, le renvoi de la demanderesse, qui devait avoir lieu le 10 mai 2000, a pour des raisons de santé été reporté au 31 mai 2000. En outre, à mon avis, l’agent chargé du renvoi avait le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi tant que l’enfant de la demanderesse, qui était âgée de huit ans, n’avait pas terminé son année scolaire.

[16]           Les limites du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution de différer l’exécution d’un renvoi sont circonscrites par la Cour dans l’arrêt Wang, précité, où le juge J.D. Denis Pelletier a conclu qu’il convient « de réserver l’exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain » (Wang, précité, au paragraphe 48). Les principes qui sont souvent cités par la Cour ont eu l’avantage d’être résumés par le juge Nadon dans l’arrêt Baron, précité :

- Il existe divers facteurs qui peuvent avoir une influence sur le moment du renvoi, même en donnant une interprétation très étroite à l’article 48. Il y a ceux qui ont trait aux arrangements de voyage, et ceux sur lesquels ces arrangements ont une incidence, notamment le calendrier scolaire des enfants et les incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage ou les naissances ou décès imminents.

- La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute ligne de conduite en matière de report doit respecter cet impératif de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, on devrait accorder une grande importance à l’existence d’une autre réparation, comme le droit de retour, puisqu’il s’agit d’une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi. Dans les affaires où le demandeur a gain de cause dans sa demande CH, il peut obtenir réparation par sa réadmission au pays.

- Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.

- Il est possible de remédier aux affaires où les difficultés causées à la famille sont le seul préjudice subi par le demandeur en réadmettant celui‑ci au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était en instance.

[Souligné dans l’original.]

[17]           La Cour note que le pouvoir discrétionnaire d’un agent lorsqu’il évalue les demandes de report de renvoi est restreint aux aspects techniques, en règle générale, tels que des préparations de voyage ou l’incidence d’une interruption de l’année scolaire d’un enfant (Munar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 664 au paragraphe 40). Bien que l’intérêt supérieur de l’enfant soit un élément important à prendre en compte dans le processus de renvoi, ce n’est pas un critère qui, en soi, peut empêcher l’exécution d’une mesure de renvoi (Simoes, précité, au paragraphe 15).

[18]           En outre, bien que cela ne soit pas le devoir de l’agent d’exécution d’effectuer d’importantes évaluations du risque lorsqu’il traite une demande de report de renvoi, de nouvelles situations qui comportent un risque accru ou lorsque les demandeurs pourraient être exposés à une menace à la sécurité personnelle, un risque de décès, des sanctions excessives ou un traitement inhumain justifieraient un report de renvoi dans des circonstances exceptionnelles (Toth c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1051 au paragraphe 23).

[19]           Après avoir examiné la décision et les motifs de l’agent, les propositions des parties et les données probantes au dossier, il est évident que l’agent a procédé à une analyse approfondie et transparente des circonstances particulières des demandeurs et des facteurs applicables lorsqu’il a rendu sa décision.

[20]           Les motifs de l’agent examinent en profondeur les observations des demandeurs et les preuves à l’appui, y compris celles qui s’appliquent aux éléments qui suivent :

a)      La fraude alléguée dont les demandeurs ont été victimes et leur demande en instance afin de réinscrire leur demande d’asile;

b)      Les allégations de risque de décès, de sanctions excessives ou de traitement inhumain auxquels s’exposent les demandeurs en Malaisie;

c)      les plaintes des demandeurs déposées auprès du Service de police de Toronto et du Conseil ontarien de l’immobilier;

d)     les rapports psychologiques présentés pas les demandeurs qui démontrent le préjudice;

e)      l’intérêt supérieur des enfants touchés par la décision.

(Lettres de l’agent datées du 31 mars et du 1er avril 2014, dossier certifié du tribunal, aux pages 8 à 14.)

[21]           L’agent démontre qu’il a véritablement veillé à ce que toutes les variables possibles soient prises en compte en rendant sa décision. Il l’a notamment démontré lorsqu’il a rendu une décision en réponse à la deuxième demande des demandeurs qui était datée du 1er avril 2014, malgré le fait que l’agent avait déjà rendu et communiqué sa décision aux demandeurs le 31 mars 2014.

[22]           Les motifs de l’agent dénotent également un examen soigneux et bien avisé de l’intérêt supérieur des demandeurs mineurs, Song Jing et Wen Bin. L’agent reconnaît notamment que le processus de renvoi est particulièrement difficile pour les enfants visés et qu’il y aura une période d’adaptation pour eux à leur retour en Malaisie. L’agent a également pris en compte les conséquences du renvoi sur le cheminement pédagogique des enfants, et il a cherché à obtenir des éclaircissements à cet égard.

[23]           Après avoir passé en revue les décisions de l’agent et les motifs à l’appui, les observations des parties et les données probantes, y compris les éléments de preuve liés à l’intérêt supérieur immédiat des enfants visés, la Cour ne voit aucune raison valable justifiant son intervention.

[24]           En outre, la Cour souligne que les demandeurs avaient présenté une demande en vue d’obtenir un report administratif de 90 jours afin de permettre aux enfants de terminer leur année scolaire (en juin 2014), date qui est maintenant dépassée.

VIII.       Conclusion

[25]           À la lumière de ce qui précède, la demande est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2165-14

 

INTITULÉ :

SANG WONG, SUK YI PANG, WEN BIN WONG, SONG JING WONG c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE l’AUDIENCE :

le 7 mai 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

Le juge SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 AOÛT 2015

 

COMPARUTIONS :

Joel Etienne

 

POUR LES DEMANDEURs

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joel Etienne

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LEs DEMANDEURs

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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