Date : 20150710
Dossier : IMM-8404-14
Référence : 2015 CF 850
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2015
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE : |
FARID AZZIZ |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] Il s’agit d’une demande de révision judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre de la décision défavorable rendue à l’égard de la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire du demandeur.
II. Le contexte factuel
[2] Le demandeur, Farid, est un enfant âgé de six ans, né à Casablanca. Toute sa vie, il a résidé au Maroc avec ses parents qui sont citoyens du Canada, et aussi du Maroc.
[3] À deux occasions, les parents du demandeur ont cherché à obtenir pour lui la citoyenneté canadienne en s’appuyant sur l’alinéa 3(1)(b) de la Loi sur la Citoyenneté, LRC 1985, c C-29. Ils ont échoué, car ils n’ont pu faire la preuve d’un lien génétique entre eux et leur fils.
[4] Le 17 juin 2010, le juge Luc Martineau de la Cour rejetait la demande de révision judiciaire de la première demande de citoyenneté dans la décision Azziz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 663 (Azziz). Le rejet de la seconde demande de citoyenneté, daté du 29 novembre 2012, n’a pas été contesté devant la Cour fédérale.
[5] Subséquemment, les parents du demandeur ont demandé de le parrainer à titre de membre de la catégorie de la famille. Cette demande a été rejetée en octobre 2014, au motif que le demandeur ne correspondait pas à la définition d’« enfant à charge » prévue à l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.
[6] Conséquemment, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. Il y allègue l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que les difficultés subies par l’appelant et sa famille, découlant de la séparation de cette dernière.
[7] Le 31 octobre 2014, un agent des visas de l’ambassade du Canada à Rabat, au Maroc, a rejeté la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire du demandeur.
III. Les dispositions législatives
[8] Le paragraphe 25(1) de la LIPR est ainsi libellé :
Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger |
Humanitarian and compassionate considerations – request of foreign national |
25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. |
25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected. |
IV. Analyse
[9] Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable à la décision rendue par un agent des visas sur une demande pour considérations d’ordre humanitaire est la décision raisonnable (Hamida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 998, au paragraphe 36; Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 802, au paragraphe 10, conf. par 2014 CAF 113, au paragraphe 18; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] ACF no 713 (Kisana), au paragraphe 18), alors que les questions d’équité procédurale sont soumises à la norme de la décision correcte (Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79).
[10] De plus, la question de l’intérêt supérieur de l’enfant est une question de fait à laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique (Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166, au paragraphe 18).
[11] La question déterminante est de savoir si la décision de l’agent de refuser d’accorder au demandeur la résidence permanente en s’appuyant sur l’exemption prévue au paragraphe 25(1) de la LIRP est raisonnable.
[12] Le processus de prise de décision pour considérations d’ordre humanitaire prévu par le paragraphe 25(1) de la LIRP est de nature hautement discrétionnaire. Son but est de prévoir un allégement exceptionnel des exigences de la LIRP. L’objectif d’une telle solution est d’atténuer les conséquences d’une application stricte de la LIRP dans des circonstances exceptionnelles (Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 133, au paragraphe 2; Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 835, au paragraphe 23).
[13] Lors de son appréciation, l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants visés par la décision. Cependant, ce facteur n’est pas, à lui seul, déterminant quant au résultat d’une demande (Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] ACF no 211, au paragraphe 8; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACS no 39, au paragraphe 75).
[14] Dans sa décision, l’agent a fondé ses conclusions quant aux considérations d’ordre humanitaire sur les observations suivantes :
i. Le demandeur vit dans son environnement naturel et est entouré de ses parents et d’autres membres de sa famille au Maroc;
ii. Le demandeur fréquente l’école au Maroc;
iii. Selon les dossiers médicaux fournis, le demandeur est en très bonne santé;
iv. Le père du demandeur n’a pas établi de manière satisfaisante qu’il maintenait sa résidence permanente au Canada. La preuve donne plutôt à penser qu’il vit au Maroc avec son épouse et le demandeur;
v. Le demandeur ne subirait pas de préjudice s’il continuait à résider au Maroc avec sa famille immédiate.
(Décision de l’agent des visas datée du 31 octobre 2014, dossier certifié du tribunal, à la page 142)
[15] La Cour remarque que le demandeur a fourni peu d’éléments probants établissant l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives pour lui et les membres de sa famille. Le demandeur allègue qu’il éprouve des difficultés à cause de la séparation de sa famille et que l’agent a commis une erreur en décidant que son père n’habitait pas au Canada; cependant, un certificat, daté du 3 juin 2014, énonce que les deux parents du demandeur vivent ensemble au Maroc avec le demandeur depuis sa naissance en mars 2009 (Certificat d’engagement à Sidi Rahal Chatai, dossier certifié du tribunal, à la page 256).
[16] Le demandeur allègue que l’agent aurait dû accorder une plus grande attention à l’absence de qualité parentale des parents du demandeur à son endroit. Cet argument ne peut être retenu, étant donné la nature non concluante de la preuve présentée à l’appui de la demande pour considérations d’ordre humanitaire du demandeur.
[17] En fait, la question de savoir si les parents du demandeur sont ses parents biologiques ou ses parents de facto ne compte pas parmi les facteurs déterminants dans le cadre de la présente demande, tout particulièrement vu l’absence de preuve claire et convaincante présentée à l’agent chargé des considérations d’ordre humanitaire, à l’appui de leurs allégations. De toute manière, ces questions ont été réglées par la Cour dans la décision Azziz, précitée :
[69] Faut-il le rappeler, dans le cas sous étude, l’acte de naissance de l’état civil du Maroc et le passeport marocain semblent avoir été émis par les autorités en vertu des simples déclarations des parents présumés à l’effet qu’ils sont les parents naturels de l’enfant, déclarations que l’agent consulaire et l’analyste pouvaient mettre en doute en raison de l’ensemble du dossier.
[70] Or, même devant cette Cour, les demandeurs n’ont pas produit des preuves matérielles crédibles de l’accouchement présumé de Mme Mesbahi, sinon un certificat fourni par l’accoucheuse. Aucune personne ayant assisté à l’accouchement, incluant la mère présumée, n’a fourni un affidavit venant confirmer le caractère vrai et exact des inscriptions que l’on retrouve dans l’acte de l’état civil marocain. Il n’y a non plus aucune preuve au dossier du tribunal expliquant comment les demandeurs ont obtenu des autorités marocaines la délivrance d’un acte de naissance et d’un passeport au nom de l’enfant. Bref, nous ignorons totalement de quelle façon la naissance de l’enfant a été rapportée et qui a fait cette déclaration. À l’instar des autorités canadiennes, cette Cour entretient des doutes sérieux sur la véracité et l’exactitude des informations mentionnés dans les documents semi-authentiques produits par les demandeurs.
[71] Dans cette instance, le défendeur ne conteste pas la naissance de l’enfant au Maroc à la date inscrite dans son certificat de naissance. Ce qui pose problème, c’est plutôt son lien de filiation avec l’un ou l’autre des parents présumés. Une fois que M. Azziz a déclaré que l’enfant avait été conçu à la suite d’une fécondation in vitro, il était parfaitement légitime de pousser l’enquête plus loin.
(Azziz, précitée, aux paragraphes 69 à 71)
[Non souligné dans l’original.]
[18] Pour terminer, la Cour rejette les observations du demandeur selon lesquelles l’agent n’a pas rempli son obligation d’équité procédurale. Ces observations ne sont pas étayées par la preuve.
[19] D’abord, il incombe au demandeur de fournir une preuve suffisante au soutien de sa demande, et l’agent n’est pas tenu de signaler les lacunes d’une demande ni de réclamer d’autres observations visant à les combler (Kisana, précitée, au paragraphe 45).
[20] En l’espèce, la conclusion de l’agent trouve son fondement dans l’insuffisance de la preuve présentée, plutôt que dans des questions de crédibilité. Le demandeur n’a pas, dans le cas présent, le droit à une entrevue ou à une audience.
[21] La Cour conclut qu’il a été fourni au demandeur une occasion valable de présenter pleinement et équitablement son dossier.
[22] Deuxièmement, la Cour considère que les motifs de l’agent sont suffisants. Pour décider du caractère raisonnable des décisions de la SPR, la Cour doit examiner ses motifs « en corrélation avec le résultat », et ces motifs « doivent permettre de savoir si [le résultat] fait partie des issues possibles » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14; Juncaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1183, au paragraphe 5; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), au paragraphe 48).
[23] En l’espèce, les motifs de l’agent permettent à la Cour de comprendre le rapport de causalité entre la décision de l’agent et ses motifs ainsi que la preuve versée au dossier, et de décider si la conclusion de l’agent fait partie des issues possibles acceptables, conformément à l’arrêt Dunsmuir, précité.
V. Conclusion
[24] La Cour reconnaît que les parents du demandeur désirent vivre avec lui au Canada. Ils désirent élever leur enfant dans un environnement plus favorable à sa sécurité et à son développement.
[25] La Cour juge néanmoins que la conclusion de l’agent, selon laquelle le demandeur ne s’est pas déchargé du fardeau lui incombant en ne faisant pas la preuve de considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour accorder une exemption servant à obtenir la résidence permanente, est raisonnable.
[26] Par conséquent, la demande sera rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de révision judiciaire est rejetée. Il n’existe aucune question grave de portée générale à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
Traduction certifiée conforme
C. Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-8404-14
|
INTITULÉ : |
FARID AZZIZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 9 juillet 2015
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
Le juge SHORE
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS : |
LE 10 juillet 2015 |
COMPARUTIONS :
Peter Shams
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Pour le demandeur
|
Pavol Janura
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Peter Shams, avocat Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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