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Date : 20150529


Dossier : IMM-3167-14

Référence : 2015 CF 693

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

XUWEN GAN,

LIFEI ZHU ET YUXI GAN

demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sont une famille de la Chine. La mère, Lefei Zhu, pratique le Falun Gong. Le commissaire de la Section de la protection des réfugiés a conclu qu’elle n’était pas crédible et a donc rejeté sa demande d’asile et les demandes des membres de sa famille qui reposaient sur la sienne.

[2]               Le commissaire a relevé plus d’un problème dans le témoignage de la demanderesse, ce qui l’a poussé à conclure qu’elle n’était pas un témoin crédible; toutefois, il a tiré cette conclusion principalement parce qu’il jugeait invraisemblable que la demanderesse se soit exposée aux risques inhérents à l’adhésion à un groupe d’adeptes du Falun Gong, plutôt que de trouver une autre solution à son problème de santé allégué.

[3]               J’estime que cette conclusion d’invraisemblance est déraisonnable pour les motifs exposés ci‑dessous. Parce que cette conclusion a teinté l’évaluation des autres éléments de preuve effectuée par le commissaire, il n’est pas prudent de se fonder sur la décision. Les demandes d’asile des demandeurs doivent être réexaminées.

[4]               En 2004, Mme Zhu souffrait de maux de tête et d’insomnie. Selon son témoignage, elle s’était mise à croire qu’elle éprouvait ces ennuis parce que son petit ami l’avait quittée et qu’elle avait le cœur brisé. Mme Zhu a demandé l’aide d’un voisin qui était médecin. Il lui a prescrit des médicaments chinois traditionnels et des médicaments occidentaux, sans succès. La tante de Mme Zhu, adepte du Falun Gong depuis de nombreuses années, a encouragé sa nièce à pratiquer le Falun Gong pour purifier son corps et rétablir sa santé. Mme Zhu a commencé à pratiquer le Falun Gong en secret, même si elle savait que cette pratique était interdite en Chine.

[5]               Le 9 octobre 2011, la police chinoise a découvert un des lieux secrets où le Falun Gong était pratiqué et a arrêté trois membres du groupe, dont la tante de Mme Zhu. Mme Zhu a réussi à s’enfuir et s’est cachée dans la maison d’un ami. La police s’est présentée à la maison de son époux le lendemain et l’a arrêté. Il a été battu, interrogé, puis libéré le jour d’après.

[6]               La conclusion d’invraisemblance tirée par le commissaire reposait également sur ce qui suit : i) il n’était pas plausible que Mme Zhu ait adhéré au Falun Gong étant donné les risques courus; les maux de tête et l’insomnie dont souffrait Mme Zhu étaient des problèmes de santé courants qui pouvaient se soigner facilement, et Mme Zhu n’avait fait que de superficielles tentatives pour les régler; avoir recours au Falun Gong pour traiter ces problèmes de santé ne constituait pas une motivation suffisante pour pousser une personne raisonnable à se mettre délibérément en danger, elle et sa famille; et il n’était pas crédible que Mme Zhu n’ait pas cherché à obtenir d’autres soins médicaux dans un hôpital pour ses problèmes de santé.

[7]               Le défendeur soutient qu’il était loisible au commissaire de tirer la conclusion raisonnable selon laquelle il n’était pas plausible que Mme Zhu ait adhéré au Falun Gong étant donné les risques courus et qu’elle ait été motivée par des problèmes de santé courants comme les maux de tête et l’insomnie. Le défendeur affirme que la présente affaire s’apparente à celle dont il est fait état dans la décision Lin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2008 CF 1052 [Lin], au paragraphe 19, où le juge Teitelbaum de la Cour a écrit ceci :

Le demandeur trouve également à redire à la conclusion de la Commission selon laquelle, vu la probabilité qu’il soit arrêté et sévèrement puni, il était invraisemblable qu’il se soit joint au Falun Gong pour venir à bout de son stress. Le demandeur fait valoir que des gens sont encore arrêtés en Chine parce qu’ils sont des adeptes du Falun Gong, et que c’est là une preuve prima facie que des gens se joignent encore au Falun Gong pour accéder à la tranquillité, même s’ils craignent de se faire prendre. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de tirer cette conclusion défavorable. D’abord, l’appréhension des adeptes du Falun Gong n’est pas une preuve prima facie de la motivation de ces adeptes. Deuxièmement, comme l’a soutenu le défendeur, une conclusion défavorable peut être raisonnablement tirée lorsqu’il est invraisemblable qu’une personne puisse agir d’une manière qui la mette en danger, elle et sa famille (Rani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 73). Troisièmement, lorsqu’elle évalue la crédibilité d’un demandeur d’asile, la Commission est fondée à s’en remettre à un critère tel que la raison et le bon sens (voir Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 415). En l’espèce, il était raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable au motif qu’il est invraisemblable qu’une personne puisse décider de devenir adepte du Falun Gong pour réduire son stress alors que le risque associé à cette pratique lui causera probablement un stress additionnel. (Non souligné dans l’original.)

[8]               À mon avis, les faits de l’affaire Lin sont différents et n’appuient pas l’observation du défendeur. Dans l’affaire Lin, la Cour a jugé invraisemblable qu’une personne devienne adepte d’une pratique pour réduire son stress alors que cette pratique augmenterait fort probablement son stress. En l’espèce, le commissaire a jugé invraisemblable que la demanderesse devienne adepte d’une pratique qui pourrait mettre sa famille en danger plutôt que de chercher à obtenir de l’aide médicale.

[9]               Le défendeur s’appuie aussi sur la décision que j’ai rendue dans l’affaire Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1067 [Jiang], où la Cour était saisie du contrôle d’une décision visant une demandeure d’asile déboutée qui s’était tournée vers le Falun Gong plutôt que vers de l’aide médicale pour soigner sa dépression. En plus des autres conclusions qu’elle avait tirées, y compris une conclusion d’embellissement, il a semblé à la Commission qu’il était « raisonnable qu[e la demandeure d’asile] examine d’autres possibilités plutôt que de simplement s’exposer au risque associé à la pratique du Falun Gong ». Au paragraphe 16, j’ai fait observer ceci : « Je ne puis qualifier de déraisonnable l’opinion du commissaire selon laquelle une personne instruite tenterait d’abord de soigner la dépression dont elle est atteinte, laquelle peut se traiter par des soins médicaux (ce que la demanderesse n’a pas contesté), en ayant recours à des moyens légaux plutôt qu’en se tournant vers une pratique qui l’exposerait au risque de se faire arrêter et emprisonner. »

[10]           Les faits de l’affaire Jiang sont bien différents des faits exposés à la Cour dans la présente demande. Tout d’abord, Mme Zhu n’est pas très instruite. Le dossier montre qu’elle a fréquenté l’école jusqu’à la neuvième année seulement. Plus important encore, contrairement à Mme Jiang, Mme Zhu a reçu des traitements médicaux tant chinois qu’occidentaux avant de recourir au Falun Gong, et elle l’a fait seulement parce que les traitements médicaux n’avaient pas été efficaces.

[11]           La Cour a fréquemment mis en garde les commissaires à propos des conclusions d’invraisemblance, lesquelles ne doivent être tirées que dans les situations les plus nettes. Dans la décision Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 225, le juge Rennie s’exprime ainsi :

Il faut faire preuve de prudence avant de rejeter des éléments de preuve pour cause d’invraisemblance (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7), et ce pour deux raisons. En premier lieu, ce type de conclusion est intrinsèquement subjectif. En second lieu, ainsi que je l’ai fait observer dans la décision Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452, au paragraphe 11 : « Les demandeurs d’asile sont de cultures diverses et les événements qu’ils décrivent n’ont souvent rien à voir avec le quotidien des Canadiens. Les faits qui semblent peu plausibles dans une perspective canadienne peuvent être tout ce qu’il y a de plus ordinaires ou habituels dans d’autres pays. »

[12]           La situation soumise à l’examen du commissaire n’était pas visée par une exception à ce principe. Dans le présent cas, le commissaire a entendu le témoignage d’une femme ayant fait certaines études (mais pas très instruite), qui avait été dévastée par la perte de son petit ami, qui avait demandé l’aide d’un voisin médecin, qui avait essayé des traitements tant chinois qu’occidentaux pendant trois mois, mais dont les problèmes avaient persisté, et qui avait été persuadée que le Falun Gong l’aiderait par une tante, laquelle pratiquait cette discipline depuis de nombreuses années sans avoir eu de problème. Dans ce scénario, je ne vois pas comment le fait d’avoir essayé le Falun Gong pourrait être qualifié d’invraisemblable, même si la demanderesse savait que le Falun Gong était interdit et qu’il pouvait l’exposer à un risque.

[13]           Je conviens que certaines des autres réserves du commissaire concernant la crédibilité de Mme Zhu et de son époux sont raisonnables; toutefois, comme le commissaire a tiré sa principale conclusion sur la crédibilité en se fondant sur la conclusion d’invraisemblance déraisonnable, je ne puis dire que l’issue aurait nécessairement été la même en l’absence de cette conclusion d’invraisemblance. Par conséquent, la présente demande doit être accueillie.

[14]           Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et je n’en vois aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, la décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée, et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3167-14

 

INTITULÉ :

XUWEN GAN ET AUTRES c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 maI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

John Savaglio

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Savaglio

Avocat

Pickering (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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