Date : 20150507
Dossier : IMM‑1209‑14
Référence : 2015 CF 604
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 7 mai 2015
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE : |
VIKTOR ZLYDNEV |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
(Jugement rendu à l’audience)
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision de l’agent des visas par laquelle il rejetait la demande de permis de séjour temporaire (PST) du demandeur.
II. Le contexte factuel
[2] Le demandeur est un citoyen ukrainien âgé de 81 ans qui demande le statut de résident permanent au Canada. Il vit avec sa famille et sa fille qui ont immigré au Canada en 2002.
[3] Le demandeur était demeuré en Ukraine aux soins de son fils qui a reçu un diagnostic d’alcoolisme et de problèmes de santé mentale liés à sa dépendance. Le demandeur, qui partageait un appartement avec son fils, vivait dans des conditions stressantes et a commencé à montrer des signes de dépression causés par le comportement agressif et violent de son fils.
[4] En 2008, après que le demandeur ait tenté en vain à plusieurs reprises depuis 2004 d’obtenir un visa de visiteur au Canada, sa fille a décidé de le parrainer au titre de la catégorie du regroupement familial; la fille du demandeur a été jugée admissible à titre de répondante.
[5] En novembre 2011, le demandeur a reçu un visa pour entrées multiples valide jusqu’au 24 mai 2013, et il est arrivé au Canada le 10 janvier 2012 avec une double intention manifeste.
[6] Croyant que son visa l’autorisait à demeurer au Canada jusqu’à la date d’expiration, c’est‑à‑dire jusqu’au 24 mai 2013, le demandeur a demandé la prolongation de son visa de visiteur en avril 2013. À peu près au même moment, un agent de Citoyenneté et Immigration l’a informé que son visa était expiré.
[7] La demande de prolongation de son visa et la demande de parrainage de sa fille ont toutes deux été refusées le 17 juin 2013, car le demandeur était demeuré au Canada au‑delà de la durée de six mois autorisée et qu’il avait donc omis de se conformer aux exigences de la LIPR.
[8] Entre‑temps, la fille du demandeur a déposé un appel à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) à l’encontre de la décision de refuser sa demande de parrainage.
[9] En août 2013, puisque le demandeur n’était plus admissible au rétablissement de son statut de résident temporaire et en raison de son interdiction de territoire au Canada, il a présenté une demande de PST en attendant la décision relative à la demande de parrainage de sa fille.
[10] Dans le but d’appuyer cette demande, le demandeur a présenté des observations et des preuves pour montrer :
a) qu’il subirait un préjudice s’il retournait en Ukraine;
b) qu’il n’a ni famille, ni soutien, ni accès aux services sociaux en Ukraine;
c) qu’il s’était établi dans sa famille au Canada et que sa famille s’occupait de lui;
d) qu’il était dans l’intérêt de ses petits‑enfants et de ses arrière‑petits‑enfants de lui accorder la résidence temporairement au Canada.
(Demande de PST datée du 20 août 2013, dossier certifié du tribunal, aux pages 67 à 73, avec p.j.)
[11] Dans une lettre datée du 11 février 2014, l’agent des visas a refusé la demande de PST du demandeur (lettre de l’agent des visas du Centre de traitement des demandes Vegreville, datée du 11 février 2013, dossier certifié du tribunal, aux pages 19 et 20).
III. La décision faisant l’objet du contrôle
[12] Les notes de l’agent entrées dans le Système mondial de gestion des cas fournissent les motifs suivants à l’appui de la décision contestée :
• Le demandeur croyait avoir un statut valide jusqu’au 24 mai 2013 et il a demandé la prolongation de son visa en avril 2013; cette demande fut refusée en juin 2013.
• Le demandeur a présenté une demande de PST de deux ans en attendant la décision de la SAI relativement à la demande de parrainage de sa fille; toutefois, aucune date d’audience n’a été fixée et sa présence à cette audience n’est pas nécessaire.
• Le demandeur a reçu un visa temporaire sur la prémisse qu’il avait une double intention et qu’il retournerait en Ukraine à la fin de son séjour autorisé; cependant, l’agent avait [traduction] « d’importants doutes » sur le fait que le demandeur quitterait le Canada si l’appel de la demande de parrainage de sa fille était refusé.
• Les conditions en Ukraine se sont détériorées depuis que le demandeur a présenté sa demande; toutefois, ce dernier ne serait pas personnellement touché, car son ancienne résidence se trouve à environ 700 km de Kiev, la ville au centre de l’agitation.
• Le demandeur vivait dans un appartement de deux chambres à coucher avec son fils qui a suivi des traitements pour des problèmes de toxicomanie et qui ne traitait pas bien le demandeur. Cependant, il est raisonnable de penser que la famille du demandeur pourra l’aider à éviter certains [traduction] « problèmes propres aux personnes âgées ».
• Le demandeur veut continuer de visiter sa famille au Canada, y compris ses arrière‑petits‑enfants. Toutefois, le demandeur [traduction] « ne peut espérer qu’une situation temporaire jusqu’à ce qu’il obtienne la résidence permanente ».
(Notes entrées par l’agent dans le SMGC, dossier certifié du tribunal)
IV. Les dispositions légales
[13] L’article 24 de la LIPR contient les dispositions suivantes sur la délivrance d’un PST :
Permis de séjour temporaire |
Temporary resident permit |
24. (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire – titre révocable en tout temps. |
24. (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time. |
Cas particulier |
Exception |
(2) L’étranger visé au paragraphe (1) à qui l’agent délivre hors du Canada un permis de séjour temporaire ne devient résident temporaire qu’après s’être soumis au contrôle à son arrivée au Canada. |
(2) A foreign national referred to in subsection (1) to whom an officer issues a temporary resident permit outside Canada does not become a temporary resident until they have been examined upon arrival in Canada. |
Instructions |
Instruction of Minister |
(3) L’agent est tenu de se conformer aux instructions que le ministre peut donner pour l’application du paragraphe (1). |
(3) In applying subsection (1), the officer shall act in accordance with any instructions that the Minister may make. |
V. La question en litige
[14] La question déterminante est celle de savoir si le refus de l’agent des visas d’accorder un PST au demandeur est raisonnable.
VI. La norme de contrôle
[15] La nature hautement discrétionnaire de la décision contestée exige que la Cour fasse preuve d’une grande retenue. Selon la jurisprudence, la norme de contrôle applicable à une décision relative à la délivrance d’un PST est la décision raisonnable (Betesh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] ACF 1749, au paragraphe 23; Shabdeen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 303, au paragraphe 13 [Shabdeen]; Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 667, au paragraphe 18; Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] ACF 985, au paragraphe 9 [Ali]).
[16] À cet égard, la Cour doit déterminer si la décision de l’agent appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 9, au paragraphe 47).
VII. Analyse
[17] Le libellé du paragraphe 24(1) de la LIRP permet à l’agent des visas de décider si les circonstances « pertinentes » justifient la délivrance d’un PST (Ali, précité, au paragraphe 12).
[18] La Cour a conclu que les PST visent à « rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des “raisons impérieuses” pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la LIPR ». Le fardeau de démontrer l’existence de motifs impérieux incombe au demandeur (Farhat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1275, aux paragraphes 22 et 32 [Farhat]; et paragraphe 5.1 du Guide du traitement des demandes au Canada de CIC, chapitre IP‑1 : permis de séjour temporaire [le Guide de CIC]).
[19] Le paragraphe 12.1 du Guide de CIC, ci‑dessous, fournit une série de lignes directrices non exhaustives présentées sous forme de « besoins et facteurs de risques » pour aider les agents des visas à évaluer les demandes de PST. Bien que ces lignes directrices favorisent la cohérence du processus décisionnel, elles n’ont pas force de loi et chaque demande doit être examinée individuellement (Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, aux paragraphes 52 et 53; Farhat, précitée, aux paragraphes 22 et 28; Shabdeen, précitée, aux paragraphes 15 et 16; Afridi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 193, au paragraphe 18).
12.1. Évaluation des besoins
La raison pour laquelle une personne interdite de territoire a besoin d’entrer ou de rester au Canada doit être assez convaincante pour l’emporter sur les risques de santé ou de sécurité que fait courir la personne à la société canadienne. Le degré de besoin est relatif au type de cas. Les éléments qui suivent comprennent des points et des exemples qui, sans être exhaustifs, illustrent la portée et l’esprit d’application du pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis.
L’agent doit tenir compte :
• des facteurs rendant nécessaire la présence de la personne au Canada (p. ex., liens familiaux, qualifications familiales, contribution économique, présence temporaire à un événement);
• de l’intention des dispositions législatives (p. ex., protection de la santé publique ou du système de soins de santé);
L’évaluation peut comprendre :
• le but essentiel de la présence d’une personne au Canada;
• le type ou la catégorie de demande et la composition familiale pertinente, tant dans le pays d’origine qu’au Canada;
• s’il est question de traitements médicaux, l’accessibilité raisonnable, ou non, du traitement au Canada ou ailleurs (des commentaires sur les coûts/l’accessibilité relatifs peuvent s’avérer utiles), et l’efficacité prévue du traitement;
• les avantages corporels ou incorporels auxquels peuvent s’attendre la personne concernée ou d’autres personnes;
• l’identité du répondant (dans les affaires d’étranger) ou de l’hôte ou de l’employeur (dans les affaires de visite).
[20] La Cour est d’avis que les circonstances particulières du demandeur et les raisons impérieuses qu’il a présentées n’ont pas fait l’objet d’une évaluation approfondie. La preuve documentaire montre qu’il s’agit d’une affaire qui repose sur les faits (un cas d’espèce) et qu’un examen plus approfondi de la preuve au dossier est requis.
[21] Le demandeur a soumis des observations et des éléments de preuve pertinents aux facteurs relatifs aux « besoins et risques » et des raisons impérieuses qui penchent en faveur de l’octroi d’un PST, notamment la décision à venir au sujet de l’appel de la demande de parrainage déposé par sa fille; la reconnaissance de sa non‑conformité initiale et les explications fournies à cet égard, une situation attribuable à l’opinion erronée de la répondante que le visa du demandeur expirait en mai 2013, et la tentative faite par le demandeur en vue de corriger l’erreur et de se conformer aux exigences de la LIPR; les besoins du demandeur relativement au soutien de sa famille au Canada et la volonté et la capacité de sa famille de répondre à ses besoins financiers et émotionnels; le degré d’établissement du demandeur au Canada dans sa famille et dans sa communauté; le préjudice disproportionné que subirait le demandeur à son retour en Ukraine, compte tenu de son âge avancé et que les preuves sur les conditions actuelles dans ce pays font état d’un manque de ressources ou de soutien; les conséquences physiques et psychologiques liées à une possible réinstallation en Ukraine et le risque d’itinérance encouru par le demandeur; l’intérêt supérieur de ses petits‑enfants et arrière‑petits‑enfants pour lesquels il est le seul représentant de la génération plus âgée, et les conséquences qu’aurait une séparation sur leur bien‑être et leur éducation – ceci inclut la relation du demandeur avec son arrière‑petite‑fille, à qui il enseigne la langue et les traditions russes.
VIII. Conclusion
[22] Lue attentivement et dans son ensemble, la preuve montre que l’établissement du demandeur avec sa famille et parmi les membres de la communauté au Canada, les préjudices possibles associés à un retour en Ukraine, ainsi que l’intérêt supérieur de ses petits‑enfants et arrière‑petits‑enfants, nécessitent un examen plus approfondi.
[23] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
« Michel M. J. Shore »
Juge
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM‑1209‑14
|
INTITULÉ : |
VIKTOR ZLYDNEV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 7 mai 2015
|
JUGEMENT et MOTIFS : |
Le juge Shore
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DATE DES MOTIFS : |
Le 7 mai 2015
|
COMPARUTIONS :
Alla Kikinova
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Alex Kam
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet d’avocats Loebach Avocats et procureurs London (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR
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