Date : 20150505
Dossier : IMM‑4186‑14
Référence : 2015 CF 582
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 5 mai 2015
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE : |
ALEXANDRE ZAGROUDNITSKI |
KONSTANTSIA ZAGROUDNITSKI‑AZA |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
(prononcés à l’audience le 4 mai 2015)
I. Aperçu
[1] Suivant le paragraphe 60(5) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS 2012/256 [Règles de la SPR], dans le cas d’une personne qui a déjà présenté une demande de rétablissement qui a été refusée, comme en l’espèce, la Section ne peut accueillir la demande subséquente, sauf en cas de « circonstances exceptionnelles fondées sur l’existence de nouveaux éléments de preuve » (paragraphe 60(5) des Règles de la SPR).
II. Introduction
[2] La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté leur demande subséquente de rétablissement d’une demande d’asile retirée, aux termes du paragraphe 60(5) des Règles de la SPR.
III. Contexte factuel
[3] Le demandeur principal et sa fille mineure [les demandeurs], citoyens de la France, sont arrivés au Canada le 23 octobre 2013. Ils ont demandé l’asile en raison des menaces proférées à leur endroit par l’épouse du demandeur principal et les amis de celle‑ci. À leur arrivée, les demandeurs ont été détenus en raison de soupçons d’enlèvement par le père (contrairement à l’enlèvement d’une personne en général, l’« enlèvement d’enfants » porte sur l’enlèvement par l’un des parents au détriment de l’autre).
[4] À l’audience tenue devant la SPR, le 3 mars 2014, les demandeurs ont retiré leurs demandes d’asile (la demanderesse mineure l’avait fait par l’intermédiaire de sa représentante désignée), mais, peu de temps après ont demandé le rétablissement de celles‑ci.
[5] La SPR a rejeté, le 1er et le 16 avril 2014, respectivement, la demande initiale et la demande subséquente des demandeurs visant le rétablissement de leurs demandes d’asile retirées, au motif qu’ils ne répondaient pas aux exigences des paragraphes 60(3) et 60(5) des Règles de la SPR.
[6] Le 2 mai 2014, dans le cadre d’une Demande en vertu de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, [1983] Can TS 35 (la Convention de La Haye), déposée par la mère de la demanderesse mineure, qui vit en France, la juge L.S. Parent de la Cour de justice de l’Ontario a ordonné que la demanderesse mineure soit renvoyée en France, concluant que la mère avait la garde de l’enfant au moment du déplacement de celle‑ci par le père. Le déplacement et la rétention de l’enfant par son père étaient illicites et portaient atteinte au droit de garde de la mère aux termes de la Convention de La Haye (N.A. c A.Z., 2014 ONCJ 293; affidavit de Irena Kakowska, en date du 11 mars 2015).
[7] La demanderesse mineure a été renvoyée en France le 21 août 2014, et le demandeur principal a été renvoyé le 25 août 2014 (affidavit de Jeremy Clipsham, en date du 11 mars 2015).
IV. Dispositions législatives
[8] C’est l’article 60 des Règles de la SPR qui régit la demande de rétablissement d’une demande d’asile retirée :
RÉTABLISSEMENT D’UNE DEMANDE |
REINSTATING A WITHDRAWN CLAIM OR APPLICATION |
Demande de rétablissement d’une demande d’asile retirée |
Application to reinstate withdrawn claim |
60. (1) Toute personne peut demander à la Section de rétablir une demande d’asile qu’elle a faite et ensuite retirée. |
60. (1) A person may make an application to the Division to reinstate a claim that was made by the person and was withdrawn. |
Forme et contenu de la demande |
Form and content of application |
(2) La personne fait sa demande conformément à la règle 50, elle y indique ses coordonnées et, si elle est représentée par un conseil, les coordonnées de celui‑ci et toute restriction à son mandat et en transmet une copie au ministre. |
(2) The person must make the application in accordance with rule 50, include in the application their contact information and, if represented by counsel, their counsel’s contact information and any limitations on counsel’s retainer, and provide a copy of the application to the Minister. |
Éléments à considérer |
Factors |
(3) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi ou qu’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire. |
(3) The Division must not allow the application unless it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice or it is otherwise in the interests of justice to allow the application. |
Éléments à considérer |
Factors |
(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment le fait que la demande a été faite en temps opportun et, le cas échéant, la justification du retard. |
(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including whether the application was made in a timely manner and the justification for any delay. |
Demande subséquente |
Subsequent application |
(5) Si la personne a déjà présenté une demande de rétablissement qui a été refusée, la Section prend en considération les motifs du refus et ne peut accueillir la demande subséquente, sauf en cas de circonstances exceptionnelles fondées sur l’existence de nouveaux éléments de preuve. |
(5) If the person made a previous application to reinstate that was denied, the Division must consider the reasons for the denial and must not allow the subsequent application unless there are exceptional circumstances supported by new evidence. |
V. Question en litige
[9] La seule question à trancher en l’espèce consiste à savoir si la décision par laquelle la SPR a refusé de rétablir les demandes d’asile des demandeurs est raisonnable.
VI. Norme de contrôle
[10] La norme de contrôle applicable à la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable (Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1185, au par. 3). Par conséquent, les facteurs à prendre en considération sont la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au par. 47).
VII. Analyse
[11] Suivant le paragraphe 60(3) des Règles de la SPR, la Section ne peut accueillir la demande que :
1) si un manquement à un principe de justice naturelle est établi,
2) ou qu’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire.
[12] En conséquence, le rétablissement d’une demande d’asile retirée est une exception à la norme. Comme le fait observer le juge Michael L. Phelan dans Ohanyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1078, au par. 13 (voir aussi : Arcila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 210, au par. 16) :
[13] L’expression « par ailleurs dans l’intérêt de la justice » a un sens large et donne à la Commission un pouvoir discrétionnaire étendu pour rétablir une demande, mais cela exige de sa part qu’elle pèse toutes les circonstances d’une affaire, et non pas uniquement sous l’angle des intérêts d’un demandeur. Le rétablissement est une exception à la norme et doit être interprété et appliqué dans ce contexte.
[13] En outre, si le demandeur a déjà présenté une demande de rétablissement qui a été refusée, comme en l’espèce, la Section ne peut accueillir la demande subséquente, sauf en cas de « circonstances exceptionnelles fondées sur l’existence de nouveaux éléments de preuve » (paragraphe 60(5) des Règles de la SPR).
[14] Après examen du dossier certifié du tribunal et des observations des parties, lesquels dressent un portrait pour le moins alarmant des allégations d’enlèvement par un des parents, de mauvais traitements, d’instabilité et détention au sujet de l’enfant, il est évident que la demande est vouée à l’échec.
[15] La décision et les motifs de la SPR sont raisonnables et ont de solides assises dans la preuve.
[16] Dans sa décision, la SPR a pris en considération sa décision initiale et les motifs de cette décision ainsi que l’allégation du demandeur selon laquelle il avait été contraint de retirer sa demande par la crainte d’être séparé de sa fille. La SPR a également pris connaissance du fait que le demandeur principal n’était pas représenté par un conseil à l’audience et a pris les mesures nécessaires pour s’assurer que le demandeur comprenait les conséquences du retrait de sa demande d’asile.
[17] Il était raisonnable pour la SPR de conclure que la demande subséquente de rétablissement d’une demande d’asile retirée présentée par les demandeurs n’était pas étayée par la preuve et ne comportait pas de circonstances exceptionnelles, aux termes du paragraphe 60(5) des Règles de la SPR.
VIII. Conclusion
[18] Compte tenu de ce qui précède, la demande est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
Traduction certifiée conforme
Semra Denise Omer
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM‑4186‑14
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INTITULÉ : |
ALEXANDRE ZAGROUDNITSKI, KONSTANTSIA ZAGROUDNITSKI‑AZA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 4 MAI 2015
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JUGEMENTS ET MOTIFS : |
LE JUGE SHORE
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DATE DES MOTIFS : |
LE 4 MAI 2015 (PRONONCÉS À L’AUDIENCE) LE 5 MAI 2015 (MOTIFS ÉCRITS)
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COMPARUTIONS :
Victor Pilnitz
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POUR LES DEMANDEURS
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Nadine Silverman
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Victor Pilnitz Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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