Date : 20150416
Dossier : IMM-8340-13
Référence : 2015 CF 484
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Montréal (Québec), le 16 avril 2015
En présence de monsieur le juge Locke
ENTRE : |
BI XING ZENG |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Nature de l’affaire
[1] La décision porte sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 décembre 2013 (la décision) par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans laquelle il a conclu que la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[2] Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’ai conclu que la demande doit être rejetée.
II. Contexte
[3] La demanderesse est une citoyenne chinoise célibataire qui, après avoir été malade pendant un certain temps en mai 2011, a appris qu’elle était enceinte. Elle dit qu’elle a quitté la maison de ses parents, où elle vivait, pour aller se cacher chez son cousin, car elle craignait que les autorités chinoises l’obligent à se faire avorter (parce qu’elle n’était pas mariée). Elle allègue que, en juin 2011, des agents chinois du contrôle des naissances sont venus chez ses parents et lui ont ordonné de se présenter afin de subir un avortement. Ils ont laissé un avis à cet effet (l’avis d’avortement). De plus, la demanderesse affirme que quelques jours plus tard, les agents sont revenus chez ses parents et ont confisqué un téléviseur et une machine à laver, et ont laissé un avis à cet effet (l’avis de confiscation).
[4] La demanderesse prétend que, comme elle craignait un avortement forcé et peut‑être une stérilisation, avec l’aide d’un passeur, munie d’un faux passeport, elle a fui la Chine pour venir au Canada. Elle a présenté sa demande d’asile au Canada en septembre 2011. Elle a dit qu’elle était arrivée au Canada en juillet 2011, mais ce renseignement ne peut pas être vérifié, car elle a présenté sa demande au Canada et n’a soumis aucun document de voyage. Elle a prétendu que le passeur les avait gardés.
[5] Le fils de la demanderesse est né au Canada le 19 janvier 2012. Lors de son audience devant la SPR, le 26 novembre 2013, la demanderesse était enceinte d’un deuxième enfant qui devait naître en avril 2014.
III. Audience et décision
[6] Lors de l’audience, le conseil de la demanderesse ne s’est pas présenté à l’heure convenue. Le commissaire de la SPR qui présidait l’audience a fait remarquer que le conseil de la demanderesse avait pris deux engagements pour la même heure, et qu’il semblait qu’il ne se présenterait pas. Le commissaire a expliqué à la demanderesse qu’il pouvait ajourner l’audience et la reporter à une autre date, mais qu’aucun autre ajournement ne serait accordé si la nouvelle date ne convenait pas à son conseil en raison de son horaire. Le commissaire a dit que, par ailleurs, il pouvait entendre la cause le jour même, en l’absence d’un conseil, et la demanderesse a répondu qu’elle voulait être représentée par un conseil.
[7] Le commissaire et la demanderesse ont convenu de suspendre l’audience en espérant que le conseil de la demanderesse se présente. Au retour, le commissaire a dit que le conseil de la demanderesse l’avait informé qu’il était malade et qu’il ne se présenterait pas. Le commissaire a souligné que ce renseignement avait été transmis une heure après le début prévu de l’audience et qu’aucune date pour la tenue d’une nouvelle audience n’avait été proposée (comme l’exigent les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256). En outre, le commissaire a fait remarquer que le conseil de la demanderesse n’avait déposé aucun document récemment et il a dit ceci à la demanderesse : [traduction] « cela me laisse penser qu’il n’a jamais eu l’intention d’être présent à votre audience, mais ce n’est pas votre faute ». Après que le commissaire eut déclaré que l’audience serait reportée à une date ultérieure et qu’elle aurait lieu devant lui, la demanderesse lui a demandé de tenir l’audience le jour même. L’audience a donc eu lieu, en l’absence d’un conseil.
[8] La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse parce qu’elle a conclu qu’elle n’était pas crédible, minant ainsi son allégation de crainte subjective d’être persécutée. Dans sa décision, le commissaire de la SPR a également conclu que la demanderesse ne courrait aucun risque si elle retournait en Chine, citant des documents indiquant que les parents qui ont donné naissance à plusieurs enfants à l’étranger peuvent retourner en Chine avec ceux-ci sans s’exposer à de graves problèmes.
IV. Question en litige
[9] La demanderesse prétend qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale lors de l’audience relative à sa demande d’asile, car elle a décidé de procéder, en l’absence de son conseil, après que le commissaire de la SPR l’eut convaincu de procéder immédiatement.
[10] La demanderesse prétend également que les conclusions défavorables suivantes qui ont été tirées quant à sa crédibilité sont erronées :
- L’exposé circonstancié inclus dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) qui était joint à la demande d’asile précise que la demanderesse a appris qu’elle était enceinte alors qu’elle était malade depuis une semaine, tandis que, au cours de l’audience de la SPR, la demanderesse a affirmé avoir appris cette nouvelle alors qu’elle était malade depuis environ deux semaines.
- L’avis de confiscation (qui a été reçu après l’avis d’avortement) est daté de juin 2010, alors que ce n’est que l’année suivante que la demanderesse est tombée enceinte.
[11] La demanderesse s’est également opposée à un commentaire formulé dans la décision concernant le fait qu’elle pouvait décider de retourner en Chine sans ses enfants. Toutefois, je n’ai pas à examiner ce commentaire en raison de mes autres conclusions exposées ci‑dessous.
V. Analyse
A. Équité procédurale
[12] En faisant valoir que le commissaire de la SPR l’avait convaincue indûment de procéder à l’audition de sa demande d’asile en l’absence de son conseil, la demanderesse a fait remarquer qu’elle avait dit qu’elle souhaitait que l’audience soit ajournée jusqu’à ce que son conseil puisse être présent, et qu’elle n’a changé d’avis que lorsque le commissaire a fait des commentaires désobligeants sur son conseil. La demanderesse a affirmé qu’elle craignait que le commissaire eût un parti pris contre son conseil et qu’elle estimait que ses chances d’avoir gain de cause seraient meilleures sans lui. La demanderesse a beaucoup insisté sur le fait que le commissaire avait déclaré qu’il doutait que le conseil de la demanderesse ait eu l’intention de se présenter à l’audience.
[13] À mon avis, les déclarations du commissaire manquaient de délicatesse et ont été faites sous le coup de la contrariété plutôt que dans le but d’aider la demanderesse, mais le commissaire n’avait pas tort. Tout ce que le commissaire a dit à propos du conseil de la demanderesse était vrai, ou constituait une conclusion juste dans les circonstances. Il semble que l’inférence du commissaire selon laquelle le conseil de la demanderesse n’avait jamais eu l’intention de se présenter à l’audience repose sur le fait qu’il avait un conflit d’horaire, et qu’il n’avait déposé aucun document au cours des jours précédant l’audience. En fait, certains documents auraient dû être déposés plus tôt. Des documents cruciaux tels que l’avis d’avortement et l’avis de confiscation n’ont été déposés que lors de l’audience devant le commissaire. En outre, ces documents n’étaient pas traduits dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada.
[14] L’argument de la demanderesse laisse entendre que lorsqu’elle a déclaré avoir changé d’avis et vouloir poursuivre l’audience en l’absence de son conseil, le commissaire aurait dû refuser. Je ne suis pas prêt à conclure que la situation obligeait le commissaire à refuser. En fait, le fait de refuser de procéder alors que la demanderesse le demandait explicitement aurait pu exposer le commissaire à des critiques selon lesquelles la demanderesse n’avait pas eu droit à la tenue d’une audience en temps opportun et qu’on avait injustement pris trop de temps avant de rendre une décision concernant sa demande d’asile.
[15] Après avoir accepté de poursuivre l’audience en l’absence du conseil, le commissaire de la SPR a précisé qu’il donnerait des explications plus détaillées que d’habitude en ce qui concerne le déroulement de l’audience. Rien ne donne à penser que le déroulement de l’audience fut tel que la demanderesse a été privée de son droit à l’équité procédurale. La demanderesse a fait valoir qu’elle ne fut pas expressément informée sur son droit de présenter sa propre preuve. Cependant, la transcription de l’audience indique que le commissaire a demandé plusieurs fois à la demanderesse si elle avait des documents à l’appui. Le commissaire a même invité explicitement la demanderesse à dire tout ce qu’elle voulait dire. En outre, la demanderesse a présenté des éléments de preuve. Elle n’a mentionné aucun élément de preuve particulier qui aurait pu être soumis ou qui aurait été soumis si elle avait été expressément invitée à le faire.
[16] La demanderesse a également affirmé que certains commentaires formulés par le commissaire au cours de l’audience étaient inappropriés et qu’ils auraient fait l’objet d’objections de la part de son conseil si celui-ci avait été présent. La demanderesse allègue que ces commentaires l’ont privée de son droit à une audience équitable. J’ai peine à comprendre comment on pourrait s’offusquer de la plupart des commentaires cités. En ce qui concerne un des commentaires, le défendeur a reconnu à l’audience devant moi qu’il était [traduction] « regrettable » qu’après avoir fait remarquer que la Chine est une société traditionnelle et que la demanderesse avait eu deux enfants hors mariage, le commissaire ait demandé à la demanderesse [traduction] « Pourquoi êtes‑vous comme ça? ». Je suis d’accord pour affirmer que ce commentaire était regrettable. Cette question était imprécise et je ne sais trop en quoi la réponse pourrait être pertinente. Cependant, je ne suis pas disposé à conclure que cette question, ou l’un ou l’autre des autres points cités par la demanderesse, a privé celle‑ci d’un son droit à une audience équitable.
B. Conclusions quant à la crédibilité
[17] Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, la demanderesse conteste deux conclusions défavorables tirées par le commissaire quant à sa crédibilité : la période de temps qui s’est écoulée, alors qu’elle était malade, avant d’apprendre qu’elle était enceinte, et la date erronée inscrite sur un avis du gouvernement. J’examinerai successivement chacun de ces points.
(1) Période de maladie
[18] La demanderesse souligne qu’il est question de savoir si elle a été malade pendant « une semaine » ou pendant « environ deux semaines », deux ans et demi avant l’audience de la SPR. La demanderesse est d’avis qu’il s’agit d’une analyse microscopique de son témoignage. Je suis plutôt d’accord avec la demanderesse pour affirmer que ce n’est pas parce qu’il y a eu un manque de précision quant à la période de temps en cause qu’il est justifié de tirer une conclusion défavorable importante quant à sa crédibilité. Cependant, je ne crois pas que le commissaire se soit fortement appuyé sur cette conclusion défavorable. Immédiatement après avoir énoncé sa conclusion à ce sujet, le commissaire s’est penché sur la question de la date erronée inscrite sur l’avis du gouvernement, qu’il a qualifiée de « principale question relative à la crédibilité ». À mon avis, la demanderesse doit réussir à éclaircir la question de la date erronée si elle veut avoir gain de cause dans la présente instance.
(2) Date erronée
[19] Le fondement de l’argument de la demanderesse sur cette question est que le commissaire de la SPR semblait avoir commis une erreur quant au document portant une date erronée. Le paragraphe 26 de la décision est crucial à cet égard. Il est d’abord mentionné dans ce paragraphe que le commissaire exprime des doutes sur l’authenticité de l’avis de confiscation, car la demanderesse a omis d’en parler dans son FRP. Il est ensuite mentionné, à la fin du paragraphe, que l’avis de confiscation n’est pas authentique parce qu’il a été présenté en même temps que l’avis d’avortement, également jugé non authentique par le commissaire. Il est ensuite mentionné que la raison pour laquelle l’avis d’avortement n’est pas authentique est qu’il porte une date qui ne correspond pas aux allégations de la demanderesse. C’est sur ce point que le commissaire s’est trompé car c’est l’avis de confiscation et non l’avis d’avortement qui porte une date erronée.
[20] La demanderesse prétend qu’il ne peut être fait fi de cette erreur du commissaire, car elle a une incidence directe sur sa conclusion relative à l’authenticité de l’avis d’avortement, qui est l’élément central de la crainte de persécution de la demanderesse. En résumé, si le raisonnement du commissaire mène à la conclusion que seul l’avis de confiscation est faux (parce qu’il n’était pas mentionné dans le PIF de la demanderesse et parce qu’il porte une date erronée), il n’y a donc aucune raison de douter de l’authenticité de l’avis d’avortement.
[21] Le défendeur reconnaît que le libellé du paragraphe 26 n’est pas clair, mais il a fait valoir que cela ne change rien au fait qu’il existe un problème sérieux en ce qui concerne la date de l’un des documents invoqués par la demanderesse.
[22] À mon avis, la conclusion défavorable quant à la crédibilité, y compris quant à la question savoir si les autorités chinoises ont vraiment exigé que la demanderesse se fasse avorter, doit être maintenue. Selon l’analyse du commissaire, il semble évident qu’il aurait tiré cette conclusion même si l’erreur concernant le document portant une date erronée avait été portée à son attention. Je fonde cette conclusion sur le passage suivant qui figure plus loin dans le paragraphe 26 de la décision :
[…] Tenue d’expliquer comment cela était possible (la date erronée), la demandeure d’asile a affirmé qu’il devait s’agir d’une erreur d’impression. Toutefois, comme il a été allégué que cet avis était un document officiel du gouvernement, le tribunal n’admet pas cette explication et estime plutôt qu’il s’agit d’un faux document (dont la fabrication a été bâclée). Le tribunal tire donc une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison de la communication d’un faux document. En outre, le tribunal peut tirer à bon droit une conclusion défavorable générale quant à la crédibilité en raison de la communication d’un faux document, et c’est ce qu’il fait en l’espèce. Il s’ensuit également – et le tribunal conclut – que les autorités n’ont pas exigé de la demandeure d’asile qu’elle se fasse avorter. […]
[23] Le commissaire a poursuivi en citant de la documentation indiquant que les faux documents sont répandus en Chine.
[24] Le commissaire était principalement préoccupé par les conséquences découlant de la soumission d’un faux document. Des éclaircissements quant à la question de savoir quel document était faux n’aurait eu aucune conséquence sur les conclusions défavorables tirées par le commissaire.
C. Autres conclusions non sérieusement contestées
[25] À ce stade, il est utile de revenir sur la conclusion de la SPR selon laquelle les parents chinois qui se trouvent à l’étranger et qui ont plus d’un enfant peuvent retourner avec leurs enfants sans s'exposer à des problèmes importants. La demanderesse n’a pas sérieusement contesté ce renseignement. Par conséquent, la demanderesse ne craignait pas avec raison d’être persécuté au sens de l’article 96 de la LIPR.
VI. Conclusion
[26] Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
- La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
- Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« George R. Locke »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM‑8340‑13
|
INTITULÉ : |
BI XING ZENG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
TORONTO (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 26 FÉVRIER 2015
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE LOCKE
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS : |
LE 16 AVRIL 2015
|
COMPARUTIONS :
Jayson Thomas
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Margherita Braccio
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Levine Associates Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
|