Dossier : T-1843-14
Référence : 2014 CF 1186
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 9 décembre 2014
En présence de monsieur le protonotaire Kevin R. Aalto
ENTRE : |
APOTEX INC. |
demanderesse |
et |
PFIZER CANADA INC. |
défenderesse |
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] La requête en l’espèce est présentée pour le compte de la défenderesse (Pfizer). Cette dernière y réclame, entre autres, le redressement suivant :
1. Une ordonnance radiant les paragraphes 1, 11 et 17 (les paragraphes contestés) de la déclaration d’Apotex Inc. (Apotex) datée du 26 août 2014;
2. Subsidiairement, une ordonnance exigeant d’Apotex qu’elle expose les faits concrets et les détails concernant les paragraphes contestés suivants de la déclaration :
a) En ce qui concerne les paragraphes 1 et 17 de la déclaration :
(i) la nature des dommages-intérêts qu’elle réclame;
(ii) le type de pertes qu’elle aurait subies;
(iii) le montant des pertes qu’elle réclame, notamment la question de savoir si ce montant excède 50 000,00 $, comme l’exige l’article 182 des Règles des Cours fédérales.
b) En ce qui concerne le paragraphe 11 de la déclaration, la manière avec laquelle l’Apo-Eletriptan « est devenu approuvable » sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues le 22 mai 2012.
[2] Il s’agit d’une réclamation en dommages-intérêts au titre l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement AC).
[3] La déclaration est très brève : elle compte moins de 7 pages de texte et 18 courts paragraphes. L’alinéa 1a) de la déclaration réclame les dommages-intérêts suivants :
1. La demanderesse, Apotex Inc. (Apotex), réclame :
a) les dommages qu’elle a subis relativement au retard dans la délivrance d’un avis de conformité (AC) pour ses comprimés de bromhydrate d’élétriptan de 20 mg et 40 mg destinés à l’administration par voie orale (Apo‑Eletriptan), retard attribuable à l’introduction, par la défenderesse, de procédures fondées sur le Règlement AC et à la poursuite de ces procédures;
b) des intérêts avant et après jugement;
c) les dépens afférents à la présente action, selon l’échelle qui sera établie par la Cour;
d) toute autre ordonnance connexe que la Cour estime justifiée.
[4] La déclaration décrit ensuite en termes simples le fondement de la réclamation en dommages-intérêts, notamment la signification d’un avis d’allégation ainsi que l’introduction, et l’abandon subséquent, d’un avis de demande visant à interdire la délivrance d’un avis de conformité à Apotex pour son médicament. La déclaration fait aussi valoir le prétendu échéancier à l’appui d’une réclamation en dommages-intérêts au titre de l’article 8. Cette forme de déclaration, rédigée en des termes presque identiques, a été employée par Apotex dans d’autres causes liées aux dommages-intérêts au titre de l’article 8.
[5] Pfizer cherche à obtenir des détails quant à divers paragraphes de la déclaration. Pfizer formule, dans ses observations écrites, des énoncés surprenants : [traduction] « la défenderesse est incapable de comprendre la cause à l’égard de laquelle elle doit se défendre » (paragraphe 2) et [traduction] « Pfizer ne peut savoir, à ce stade-ci, ce qu’elle doit prouver, elle ne peut recueillir d’éléments de preuve ni organiser son dossier de manière informée et elle doit adopter la stratégie la plus large, et possiblement la plus inefficace possible, pour l’interrogatoire préalable » (au paragraphe 14). Pfizer a qualité de défenderesse dans au moins une des autres instances où une déclaration similaire a été présentée, et dans lesquelles aucune requête en radiation ou requête en précisions n’a été présentée.
[6] Pfizer soulève trois points qui, selon elle, devraient faire l’objet d’une radiation en l’espèce ou à l’égard desquels des précisions devraient être fournies.
[7] La première question se rapporte à l’usage de l’expression [traduction] « devenu approuvable » au paragraphe 12 de la déclaration en ce qui a trait aux médicaments d’Apotex. Cette question a été réglée par Apotex, lorsque cette dernière a décrit la nature de l’expression [traduction] « devenu approuvable » dans ses observations écrites. Sans égard à la précision exposée dans les observations écrites d’Apotex, le sens de cette expression est évident; elle n’aurait pas été radiée, et la Cour n’aurait pas ordonné que des précisions soient fournies.
[8] La deuxième question se rapporte à la portée des dommages-intérêts au titre de l’article 8. Pfizer prétend que la portée des dommages-intérêts réclamés n’est pas claire. Elle prétend que les actes de procédure ont pour but de fournir aux parties opposées une compréhension limpide de la preuve invoquée contre elles. À titre d’argument, elle s’est fondée sur les articles des règles se rapportant aux actes de procédure et aux précisions (les articles 181 et 182 en particulier), ainsi que sur plusieurs précédents qui traitaient de ces exigences.
[9] Malgré l’argument éloquent formulé par l’avocat de Pfizer, je ne suis pas convaincu que des précisions devraient être données concernant les dommages-intérêts réclamés. Les dommages-intérêts au titre de l’article 8, selon l’évolution de la jurisprudence, constituent une forme unique de dommages-intérêts, définie dans le Règlement AC. Comme il a été énoncé, dans des motifs donnés de vive voix dans la décision datée du 6 avril 2011 dans l’affaire Apotex c Pfizer Canada Inc. et al. (dossier de la Cour no T‑1736‑10) :
[traduction]
Les défenderesses prétendent qu’elles ont besoin de précisions afin de se défendre relativement à la réclamation d’Apotex et pour s’assurer qu’elles connaissent les types de réclamations pour dommages-intérêts qui les visent. Elles en ont besoin pour présenter des observations quant à la question de savoir si une catégorie de dommages est appropriée ou non, ou si elle peut faire l’objet d’une réclamation au titre de l’article 8.
Cet argument bien précis n’est pas sans fondement. Cependant, la difficulté réside dans le fait que les dommages‑intérêts représentent une certaine inconnue; pas nécessairement en ce qui concerne le montant, mais plutôt dans le contexte à savoir à quoi ceux-ci se rapportent. Il s’agit d’une cible quelque peu changeante, parce que les renseignements sont exigés aux défenderesses Pfizer pour que l’on puisse déterminer certains des éléments précis qui constitueront les catégories de dommages‑intérêts.
La Cour est très réceptive quant au fait que les règles exigent que la nature des dommages soit plaidée. En l’espèce, la nature des dommages n’est pas évidente, à la lecture de l’acte de procédure, parce que l’acte de procédure ne fait que réclamer des dommages-intérêts. Plus précisément, à l’alinéa 1a), [traduction] « les dommages subis par Apotex en ce qui a trait au retard dans la délivrance de l’avis de conformité à Apotex », etc.
La portée de ces dommages-intérêts n’est d’aucune façon définie. Pour que les actes de procédure soient conformes aux règles, il doit y avoir une certaine explication quant à la nature des dommages-intérêts. En temps normal, cela constituerait une demande de précisions légitime. Cependant, dans le cas des instances au titre de l’article 8, la présence d’inconnues fait en sorte que ces affaires ne doivent pas être examinées de la même manière que les cas de manquement contractuel, dans lesquels une personne peut affirmer [traduction] « vous pourriez avoir vendu un nombre X de gadgets à un coût donné, et, en fonction de vos coûts de production, voici le bénéfice net que vous auriez réalisé ». C’est un peu, comme je l’ai décrit au stade des arguments, un exercice de lecture dans une boule de cristal, en ce sens qu’il faut essayer de prédire ce qui se serait produit lors d’une période donnée.
Les renseignements détenus par Pfizer sont essentiels pour qu’Apotex puisse définir véritablement la nature exhaustive de ces dommages. On tient pour acquis que cela comprendra, à un stade ou à un autre, les bénéfices perdus ou les coûts engagés par Apotex au cours des nombreuses instances. Il s’agit de clients spécialisés, qui vont comprendre ces questions précises. À ce stade‑ci, cela n’a aucun sens pour Apotex de fournir une longue liste d’épicerie contenant toute possible revendication qu’elle pourrait faire valoir en ce qui a trait aux dommages-intérêts, lorsque les éléments d’une telle liste seraient, en partie, grandement conjecturaux en raison des éléments inconnus dans une telle situation.
Dans cette mesure, je suis d’avis que la nature des dommages-intérêts en l’espèce est une question qu’il convient de laisser entre les mains des experts, au regard des faits qui seront élucidés au cours des interrogatoires.
Les défenderesses Pfizer peuvent prétendre que cela ne leur donne pas la possibilité de procéder à un interrogatoire préalable quant à la nature des dommages-intérêts. Cependant, comme je l’ai mentionné précédemment dans les motifs de la présente requête, il s’agit d’une affaire qui fait l’objet d’une gestion de l’instance. Pfizer doit connaître la cause contre elle bien avant le procès, de manière à ce qu’elle puisse informer ses experts et tenter d’obtenir la preuve pertinente dont elle a besoin.
[10] Selon moi, ces observations s’appliquent tout aussi bien en l’espèce. Les dommages‑intérêts au titre de l’article 8 sont une réparation prévue par la loi, et la Cour ainsi que la Cour d’appel fédérale ont déterminé, et continuent de déterminer, la portée de ces dommages. Ces dommages‑intérêts sont calculés à partir d’une fiction juridique, créée par des experts, en fonction de ce qui se serait produit si un titulaire de brevet n’avait pas délivré un avis de demande par lequel il visait à empêcher le ministre de délivrer un AC à un fabricant de médicaments génériques. Des décisions comme Apotex Inc c Merck & Co., Inc., 2012 CF 620, exposent le mécanisme de calcul des dommages-intérêts au titre de l’article 8, tandis que les balises quant à la portée des dommages-intérêts au titre de l’article 8 ont été établies, entre autres, dans les décisions Teva Canada Limited c Sanofi-Aventis Inc., 2014 CAF 67, Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited, 2013 CF 677. Des précédents, commeApotex Inc. c Merck & Co. Inc., 2009 CAF 187, ont créé des balises en ce qui concerne la portée des dommages‑intérêts au titre de l’article 8. Pfizer n’a pas besoin de précisions quant aux dommages-intérêts au titre de l’article 8 qui sont réclamés, puisqu’il s’agit du seul type de dommages-intérêts réclamés. De plus, la présente affaire fera l’objet d’une gestion spéciale, et toute question surgissant au cours de l’instance pourra être réglée de manière efficace.
[11] Pfizer soulève un troisième point, très technique celui-là, qui se rapporte au fait que la déclaration n’est pas conforme aux règles techniques en ce qui a trait aux actes de procédure, en ce sens que, « lorsqu’une réparation pécuniaire est réclamée, une mention indiquant si le montant demandé excède 50 000 $, intérêts et dépens non compris » (alinéa 182a)) doit être apportée, et que la déclaration ne contient pas une telle mention. Peut-être est-ce parce que, dans les instances introduites au titre du Règlement AC, on tient implicitement pour acquis que les dommages‑intérêts au titre de l’article 8 excèdent sans aucun doute le seuil de 50 000,00 $ pour les actions simplifiées, et que le seuil prescrit à l’alinéa 182a) des Règles n’a pas à être respecté. Cependant, des précédents appuient la thèse selon laquelle l’alinéa 182b) des Règles est « dépourvu d’ambiguïté » et que c’est « néanmoins une condition obligatoire que doit respecter la déclaration » [voir la décision International Water-Guard Industries Inc. c Bombardier Inc., 2007 CF 285, au paragraphe 14] et que la mention doit apparaitre dans les actes de procédure, ce qui signifie que la réclamation peut être réputée ne pas excéder 50 000,00 $. L’inclusion de cette mention précise n’est qu’un simple détail et qu’à l’avenir, cette mention devrait être incluse, afin d’éviter des requêtes comme celle dont je suis saisi. En l’espèce, je suis cependant convaincu qu’il convient d’accorder une exemption d’application fondée sur l’article 55 des Règles relativement à ce détail technique et que la présente action devrait être instruite au motif que les dommages‑intérêts au titre de l’article 8 excèdent 50 000,00 $.
[12] Comme il a été mentionné, la présente instance sera instruite en tant qu’instance à gestion spéciale. Cela permettra de garantir que l’affaire sera instruite de la manière la plus équitable, économique et rapide possible. Pfizer a aussi sollicité une prorogation du délai pour déposer sa défense relativement à la déclaration. Bien qu’Apotex prétende que la Cour devrait uniquement accorder à Pfizer une prorogation de quelques jours, compte tenu des circonstances, la demande de Pfizer en vue d’obtenir une prorogation de deux semaines est raisonnable, compte tenu du fait qu’un juge chargé de la gestion de l’instance devra être désigné.
[13] Apotex a droit aux dépens relatifs à la présente instance, lesquels seront fixés à 3 500,00 $, incluant les débours et la TVH, et ceux-ci seront exigibles sur-le-champ.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. La présente affaire sera instruite à titre d’audience à gestion spéciale et sera renvoyée au bureau du juge en chef pour qu’un juge chargé de la gestion de l’instance soit désigné.
2. La requête en radiation, ou subsidiairement, la requête en précision est rejetée.
3. Une prorogation du délai jusqu’au 31 décembre 2014 est accordée à Pfizer Canada Inc., pour que celle-ci signifie et dépose sa défense et toute demande reconventionnelle qu’elle pourrait chercher à faire valoir.
4. Dans les 20 jours suivant la désignation d’un juge chargé de la gestion de l’instance, les parties donneront des dates qui leur conviendront pour qu’une conférence de gestion de l’instance soit tenue en vue d’examiner l’état de l’instance et d’établir un calendrier relativement aux prochaines étapes de l’instance.
5. Apotex Inc. a droit à ses dépens relativement à la présente requête, lesquels sont par les présentes fixés à 3 500,00 $, incluant débours et TVH, et exigibles sur‑le‑champ.
« Kevin R. Aalto »
Protonotaire
Traduction certifiée conforme
Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1843-14
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INTITULÉ : |
APOTEX INC. c PFIZER CANADA INC.
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 25 NOVEMBRE 2014
|
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
lE PROTONOTAIRE AALTO
|
DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE : |
LE 9 DÉCEMBRE 2014
|
COMPARUTIONS :
Jenene Roberts Sandon Shogilev
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pour la demanderesse
|
Matthew P. Gottlieb Paul Fruitman
|
pour la défenderessse
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Goodmans LLP Barristers and Solicitors Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE APOTEX INC. |
Lax O’Sullivan Scott Lisus LLP Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE PFIZER CANADA INC. |