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Date : 20150310


Dossier : IMM-13181-12

Référence : 2015 CF 300

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 mars 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ANDOR ZOLTANNE JUHASZ

IMRE NAGY

IMRENE NAGY

ZOLTAN MARTIN JUHASZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 24 octobre 2012. La Commission a établi que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personne à protéger (la décision).

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

II.                Faits

[3]               Andor Zoltanne Juhasz (la demanderesse principale) est une Hongroise de souche qui craint d’être persécutée par son époux dont elle est séparée. Sa demande d’asile est jointe à celles de sa fille Imrene Nag, de son gendre Imre Nagy, et de son fils mineur Zoltan Martin Juhasz (collectivement, les demandeurs).

[4]               Peu après la naissance de leur premier enfant, en 1989, l’époux de la demanderesse principale a amorcé un cycle de violences physiques, émotionnelles et sexuelles qui a duré jusqu’à ce qu’elle s’enfuie au Canada, en 2009. Les violences sont décrites dans l’exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse principale.

[5]               La demanderesse principale a donné naissance à quatre autres enfants entre 1992 et 1999. Les violences se sont poursuivies pendant toutes ces années et, à certains moments, ont causé des blessures qui ont nécessité des soins médicaux. La demanderesse principale s’est adressée à la police à quelques occasions, mais les policiers lui ont dit qu’ils ne s’immisçaient pas dans les affaires familiales.

[6]               Le cinquième enfant de la demanderesse principale, le demandeur mineur en l’espèce, a montré des signes de problèmes émotionnels à sa naissance. L’époux de la demanderesse principale a imputé la responsabilité des problèmes à celle-ci et a commencé à battre l’enfant, qui a subi des traumatismes à la suite des violences.

[7]               L’époux de la demanderesse principale a également battu l’aînée, la demanderesse Imrene Nag, qui a souvent quitté la maison pour échapper à la violence. La demanderesse principale a signalé la violence à la police, qui, au début, n’est pas intervenue. Cependant, en 2003, la police a placé sa fille, quand celle-ci avait 14 ans, dans un établissement étatique pour enfants à Szeged, où elle a rencontré l’homme qui est devenu son époux (le demandeur Imre Nagy). La demanderesse principale a autorisé sa fille à l’épouser lorsqu’elle avait 17 ans de sorte qu’elle n’ait pas à rentrer à la maison.

[8]               En 2005, la demanderesse principale et son époux ont quitté la ville de Hódmezővásárhely pour le village de Borota, une collectivité plus petite. Les violences se sont poursuivies. À l’audience devant la Commission, la demanderesse principale a affirmé qu’elle ne s’était pas adressée à la police après avoir déménagé à Borota parce qu’elle [traduction« était lasse de demander de l’aide ».

[9]               En 2009, la demanderesse principale a décidé de quitter le pays. Sa sœur, qui avait auparavant immigré au Canada avec sa mère, l’a aidée à obtenir un passeport et à payer son billet d’avion pour le Canada. Elle n’a pas emmené ses enfants parce qu’ils n’avaient pas de passeports et qu’elle avait besoin du consentement de son époux pour leur faire quitter le pays.

[10]           Après le départ de la demanderesse principale, l’époux de celle‑ci a reporté sa colère sur la demanderesse Imrene Nag, qui vivait avec son époux à Szeged. Il les a menacés et, à une occasion, a agressé Imrene lorsque celle‑ci se rendait à son travail. Imrene a rapporté l’incident à la police, mais celle‑ci n’est pas intervenue parce qu’elle n’avait pas déclaré de blessures.

[11]           En avril 2011, les demandeurs Imrene Nag et Imre Nag ont déménagé à Budapest pour échapper au père d’Imrene. Peu de temps après, ils ont appris de leurs voisins que [traduction« quelqu’un » les cherchait, de sorte qu’ils ont abandonné leurs emplois et sont rentrés à Szeged. Ils ont vécu dans la crainte jusqu’à leur départ pour le Canada, en décembre 2011.

[12]           La Commission a entendu les demandes d’asile des demandeurs le 24 octobre 2012. La décision de la Commission, rejetant leurs demandeurs d’asile, a été rendue le 22 novembre 2012. La présente demande de contrôle judiciaire a été présentée le 27 décembre 2012, et l’autorisation a été accordée le 20 novembre 2013.

[13]           Le 16 janvier 2014, le défendeur a présenté une requête en suspension de la procédure jusqu’à ce que la Section d’appel de l’immigration (SAI) rende une décision concernant la demande de prorogation du délai pour déposer ou peaufiner un appel présenté par le demandeur mineur. Madame la protonotaire Milczynski a rendu une ordonnance à cet égard le 23 janvier 2014.

[14]           Le défendeur a présenté cette requête après avoir découvert que, à la suite de modifications à la LIPR découlant de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, LC 2010, c 8, et de la Loi visant à protéger le système d’immigration au Canada, LC 2012, c 17, les demandes d’asile qui avaient été déférées le ou après le 15 août 2012 ont, par mégarde, pendant une courte période, fait l’objet d’un droit d’appel auprès de la SAI. La demande d’asile du demandeur mineur entrait dans cette catégorie.

[15]           L’appel du demandeur mineur a été entendu par la SAI le 1er mai 2014. Le 23 juillet 2014, la SAI a rendu une décision favorable, selon laquelle les conclusions de la Commission sur la possibilité de refuge intérieur et l’existence de la protection de l’État étaient déraisonnables. Par conséquent, l’affaire a été renvoyée à la Commission pour nouvel examen. La Cour n’est plus saisie de la demande du demandeur mineur.

III.             La décision de la Commission

[16]           La Commission a accepté l’exposé circonstancié sur lequel reposaient les demandes d’asile des demandeurs et n’a pas tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité. La décision de la Commission repose plutôt sur sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

[17]           Au départ, la Commission a déclaré qu’elle avait pris en compte les Directives concernant les Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe du président de la Commission (les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe). Elle a ensuite examiné la documentation concernant la situation en Hongrie et a jugé que, même s’il existe des problèmes de corruption policière, le gouvernement a pris des mesures pour régler le problème et rapporte des « résultats concrets ».

[18]           La Commission a souligné que la preuve se rapportant à la violence conjugale est « mitigée », mais a conclu que la protection offerte aux victimes de violence conjugale n’est pas inadéquate. Pour tirer cette conclusion, la Commission s’est fondée sur trois rapports.

[19]           La Commission a également pris en compte les interactions des demandeurs avec la police. La demanderesse principale a affirmé que, après avoir déménagé à Borota, en 2005, elle n’a pas appelé la police parce qu’elle ne croyait pas qu’elle l’aiderait. La Commission a jugé que cette explication était déraisonnable parce que la demanderesse principale n’a jamais donné à la police la chance de l’aider.

[20]           La Commission a jugé déraisonnable que la fille et le gendre de la demanderesse principale quittent Budapest et retournent à Szeged lorsqu’ils ont pensé que l’époux de la demanderesse était à leur recherche. Les éléments de preuve ne montraient pas qu’il aurait été inutile pour eux d’essayer de contacter la police à Budapest.

[21]           La Commission a aussi pris en compte les éléments de preuve documentaire concernant les expériences vécues par les femmes qui demandent à être protégées contre la violence conjugale à Budapest. Les éléments de preuve montrent que, même s’il n’existe qu’un seul refuge pour les victimes de violence conjugale à Budapest, on y trouve aussi un « réseau régional de gestion de crises » composé de 14 centres d’aide en cas d’urgence répartis dans tout le pays. Le même document indiquait aussi qu’il était difficile pour les victimes de violence conjugale de se réinstaller dans une autre ville sans que leur nouveau lieu de résidence soit révélé au père de leurs enfants. Toutefois, la Commission a, encore, conclu que malgré cette preuve « mitigée », des mécanismes de protection existent à Budapest.

[22]           Le défaut des demandeurs de réfuter la présomption de la protection de l’État a entraîné le rejet de leurs demandes d’asile présentées au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

IV.             Questions en litige

[23]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

A.                Quelle est la norme de contrôle qui s’applique?

B.                 La conclusion de la Commission quant au caractère adéquat de la protection de l’État est‑elle raisonnable?

C.                 La Commission a‑t‑elle appliqué le bon critère pour établir si les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur à Budapest?

D.                La Commission a‑t‑elle dûment pris en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[24]           Les conclusions de la Commission concernant le caractère adéquat de la protection de l’État soulèvent des questions mixtes de fait et de droit, qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Hinzman c Canada (MCI), 2007 CAF 171, au paragraphe 38). La décision de la Commission sur cet aspect ne devrait pas être infirmée tant qu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 45, 47 et 48 [Dunsmuir]).

[25]           La conclusion de la Commission quant au critère juridique applicable à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) est une question de droit qui n’appelle pas la retenue (Lugo c Canada (MCI), 2010 CF 170, [Lugo], au paragraphe 30; Kamburona c Canada (MCI), 2013 CF 1052, au paragraphe 17 [Kamburona]). Une fois que le critère applicable a été correctement déterminé, l’application par la Commission du critère à l’égard des faits est appréciée selon la norme de la raisonnabilité (Lugo, au paragraphe 31; Kamburona, au paragraphe 18).

[26]           La norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique aussi à la prise en compte par la Commission des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (Juarez c Canada, 2010 CF 890, au paragraphe 12).

B.                 Protection de l’État

[27]           Les demandeurs ont fait valoir un certain nombre d’arguments pour démontrer que l’analyse de la protection de l’État effectuée par la Commission était déraisonnable. J’estime que la question pourrait se résumer à une question fondamentale : à la lumière de la preuve mitigée et du témoignage des demandeurs selon lesquels ceux-ci avaient demandé, en vain, la protection de la police, était‑il raisonnable que la Commission conclue que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État en Hongrie?

 i.               Preuve des demandeurs

[28]           La demanderesse principale, sa fille et son gendre ont chacun fait un récit circonstancié détaillé dans leurs Formulaires de renseignements personnels. La Commission n’a contesté aucun de ces éléments de preuve et a affirmé au paragraphe 5 de sa décision que les demandeurs n’avaient pas semblé « éviter les questions ou embellir le récit figurant dans la version modifiée de leurs Formulaires de renseignements personnels ».

[29]           Au paragraphe 16 de la décision, la Commission a analysé le témoignage de la demanderesse principale au sujet de ses interactions avec la police :

De 2005 jusqu’à son départ pour le Canada, la demandeure d’asile principale vivait à Borota, un petit village d’environ 2 000 habitants situé en Hongrie centrale. Lorsque le tribunal a demandé s’il y avait un numéro pour appeler la police, la demandeure d’asile principale a répondu que le numéro était le « 112 ». Le tribunal a demandé à cette dernière si elle avait déjà appelé ce numéro à la suite des menaces proférées par son partenaire. Elle a déclaré qu’elle ne l’avait pas fait. Elle a ajouté qu’elle ne pensait pas que les policiers l’aideraient si elle les appelait. Le tribunal juge que cette explication n’est pas raisonnable dans la mesure où la demandeure d’asile principale n’a jamais donné la chance aux policiers de l’aider, puisqu’elle ne les a jamais appelés.

[30]           Les demandeurs soutiennent que cette conclusion est déraisonnable parce que la demanderesse, dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels, décrivait quatre occasions où elle s’était personnellement rendue au poste de police pour demander de l’aide. L’exposé circonstancié renvoyait aussi à d’autres occasions où sa mère, sa sœur ou un voisin avaient appelé la police pour elle.

[31]           À l’audience devant la Commission, la demanderesse a confirmé qu’elle avait contacté la police trois ou quatre fois au cours d’une période de dix ans pendant laquelle elle avait vécu à Hódmezővásárhely (dossier certifié du tribunal (DCT), à la page 627). Elle a aussi confirmé que, après avoir déménagé à Borota, en 2005, elle n’avait pas appelé la police même si les problèmes avec son époux n’avaient pas cessé (DCT, à la page 624).

[32]           La décision de la Commission ne reflète pas fidèlement l’explication fournie par la demanderesse quant aux raisons pour lesquelles elle n’a pas appelé la police :

[traduction]

COMMISSAIRE : D’accord. Avez‑vous déjà eu l’occasion d’appeler le 112?

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Non

COMMISSAIRE : Pour une raison en particulier?

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Pour contacter la police, je suis allée au poste, personnellement.

COMMISSAIRE : D’accord, mais vous m’avez dit que lorsque vous viviez à Bardejov, vous n’avez jamais vu la police; est-ce exact?

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Non, je ne suis pas allée, je n’ai pas téléphoné.

COMMISSAIRE : Et, pourtant, vous avez eu des problèmes pendant cette période.

DEMANDEURE D’ASILE  PRINCIPALE : Oui

COMMISSAIRE : Donc, si vous avez eu des problèmes et que vous saviez que vous pouviez composer le 112, pourquoi... pourquoi au cours des trois années et demie n’avez‑vous pas demandé la protection de la police pendant... pendant toute la période?

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Je me suis lassée.

COMMISSAIRE : Lassée; lassée de quoi?

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Lassée... d’accord j’étais lasse de façon générale, j’étais lassée de demander de l’aide.

COMMISSAIRE : D’accord. Avez‑vous essayé d’obtenir l’aide de la police dans l’autre ville, dont je n’essaierai pas une autre fois de prononcer le nom?

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Oui

[Non souligné dans l’original.]

(DCT, aux pages 625 et 626).

[33]           Cet échange est pertinent pour ce qui est de la question de savoir si la protection de l’État « aurait pu raisonnablement être assurée » (Canada c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 724 [Ward]). Selon l’arrêt Ward (cité par le juge La Forest), pour déterminer si le défaut d’un demandeur d’asile de demander l’aide de l’État compromettait sa demande d’asile, le critère consiste à établir « s’il est objectivement déraisonnable qu’il n’ait pas sollicité la protection de son pays d’origine » (précité). Il faut confirmer « d’une façon claire et convaincante » l’incapacité de l’État d’assurer la protection par « le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée » (Ward, aux paragraphes 724 et 725).

[34]           En appliquant ces principes à l’affaire, il incombait à la Commission d’analyser la question de savoir si, compte tenu des éléments de preuve fournis par la demanderesse principale « d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’[était] pas concrétisée », il était objectivement déraisonnable pour elle de ne pas avoir appelé la police à Borota. Je conviens avec les demandeurs que le défaut de la Commission d’analyser la décision de la demanderesse de ne pas appeler la police à la lumière de ses tentatives antérieures d’obtenir l’aide de la police rend déraisonnable sa conclusion sur cet élément. Je souligne que la SAI a tiré la même conclusion au paragraphe 15 de sa décision relative à l’enfant mineur.

[35]           De plus, la Commission a aussi trouvé déraisonnable que le gendre ne demande pas la protection de la police à Szeged :

Le gendre de la demandeure d’asile principale a expliqué dans son témoignage la façon dont l’agent de persécution l’a agressé à son lieu de travail dans un centre commercial très fréquenté devant au moins deux témoins. Il a affirmé qu’il n’a pas porté plainte à la police à la suite de cette agression. Le tribunal estime que les éléments de preuve ne portent pas à croire qu’il aurait été inutile pour le gendre de demander la protection de la police. Son défaut de le faire ne permet pas de réfuter la présomption selon laquelle la protection de l’État est suffisante en Hongrie.

(La décision, au paragraphe 17)

[36]           Toutefois, encore, la décision de la Commission ne reflète pas fidèlement l’explication fournie par le gendre quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas contacté la police :

[traduction]

COMMISSAIRE : Avez‑vous porté plainte à la police?

CO-DEMANDEUR D’ASILE : Non, je n’ai pas porté plainte.

COMMISSAIRE : Pourquoi?

CO-DEMANDEUR D’ASILE : Je pense que ce qui s’est produit n’est pas le type d’agression qui doit être signalé à la police.

COMMISSAIRE : Même si vous aviez deux témoins.

CO-DEMANDEUR D’ASILE : Même si j’avais deux témoins, ce qui compte, c’est que c’était lui l’agresseur, et si je l’accusais de quoi que ce soit, je mettais la famille de mon épouse en danger.

COMMISSAIRE : D’accord.

CO-DEMANDEUR D’ASILE : Je ne pensais pas que ça l’empêcherait de se présenter, de venir plusieurs fois.

(DCT, à la page 653).

[37]           J’estime que ce témoignage offre une explication raisonnable des raisons pour lesquelles le gendre n’a pas appelé la police. Il essayait de protéger son épouse. Le fait qu’il pensait qu’appeler la police ferait plus de tort que de bien évoque le commentaire du juge LaForest dans Ward selon lequel « le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l’encontre de l’objet de la protection internationale » (au paragraphe 724).

ii.               Preuve documentaire

[38]           La décision renvoie à trois rapports : le rapport du Département d’État des États‑Unis intitulé Country Reports on Human Rights Practices for 2011 (Rapport du Département d’État des États‑Unis), et deux réponses à une demande d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sur la violence conjugale en Hongrie (les demandes d’information). Même si la Commission a jugé cette preuve « mitigée »,  elle n’en a pas moins conclu que la protection de l’État accordée aux victimes de violence conjugale en Hongrie n’était pas inadéquate.

[39]           Le défendeur soutient que les conclusions de fait de la Commission appellent une retenue considérable. Quoi qu’il en soit, je ne peux pas conclure que le résultat de l’analyse de la Commission appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Je conviens avec les demandeurs que la preuve à laquelle renvoyait la Commission n’était pas « mitigée », mais bien extrêmement négative.

[40]           Par exemple, au paragraphe 13 de la décision, la Commission renvoie à un extrait du rapport du Département d’État des États‑Unis comportant les conclusions suivantes :

         La loi n’interdit pas la violence familiale ou conjugale;

         La Hongrie ne fournit pas une protection appropriée aux victimes et n’insiste pas suffisamment sur la responsabilité des agresseurs;

         La plupart des incidents de violence familiale ne sont pas signalés en raison de la peur ressentie par les victimes ou de mauvaises expériences avec les autorités;

         Les poursuites pour violence conjugale sont rares;

         Le ministère des Ressources nationales a réduit de 80 à 40 le nombre de refuges financés par l’État.

[41]           La demande d’information auquel renvoie la Commission au paragraphe 14 de la décision offre une preuve contraire en mentionnant que « les policiers hongrois auraient suivi, pendant leur formation professionnelle, un cours obligatoire sur l’intervention dans les cas de violence conjugale, à raison de cinq heures par année ». Toutefois, l’auteur du rapport souligne aussi que cette conclusion n’est pas confirmée. Et même si cette conclusion était confirmée, il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que la preuve relative qu’un État fait des efforts pour combattre la persécution ne suffit pas pour établir que la protection de l’État est, en fait, adéquate (Varadi c Canada (MCI), 2013 CF 407, au paragraphe 32; Harinarain c Canada (MCI), 2012 CF 1519, au paragraphe 39 [Harinarain]).

[42]           La décision rendue par le juge O’Keefe dans l’arrêt Harinarain, à laquelle renvoient les demandeurs, est révélatrice à cet égard. Dans cette affaire, qui concernait une femme ayant fui son époux violent au Guyana, la Commission avait aussi conclu que la preuve documentaire concernant la protection de l’État était « contradictoire ». Toutefois, le juge O’Keefe avait conclu que la preuve […] « se compos[ait] de deux catégories d’éléments : 1) des passages déclarant sans ambiguïté que la protection de l’État [était] inadéquate, et 2) la description de divers efforts déployés par l’État guyanien » (au paragraphe 34). Par conséquent, il avait conclu, au paragraphe 40, que la décision de la Commission était déraisonnable pour la raison suivante :

La Commission justifie sa décision en invoquant la nature contradictoire de la preuve relative à la protection de l’État, mais elle ne cite dans ses motifs aucun document ou passage de document qui révélerait des contradictions dans la preuve concernant le caractère adéquat de cette protection. La Commission attribue plutôt la nature contradictoire de la preuve au fait que les éléments de celle‑ci tendant à établir la mise en œuvre d’efforts sérieux lui paraissent contrebalancer ceux qui tendent à établir le caractère inadéquat de la protection de l’État. Or, comme je l’expliquais plus haut, la première catégorie de ces éléments est dénuée de pertinence selon le critère qui doit être appliqué à l’évaluation de la protection offerte par l’État.

[43]           Dans le même ordre d’idées, en l’espèce, les éléments de preuve concernant l’inefficacité de la protection de l’État auquel renvoie le rapport du Département d’État des États‑Unis ne sont contestés que par les preuves des efforts déployés par la Hongrie pour protéger les victimes de violence conjugale. Par exemple, aux paragraphes 19 à 22 de la décision, la Commission cite la seconde réponse à une demande d’information, qui analyse le réseau de centres de gestion de crises établis dans toute la Hongrie, qui fournit « divers services aux victimes de violence conjugale » ainsi que les centres régionaux en cas d’urgence qui offrent des lits aux femmes fuyant la violence conjugale. Toutefois, le même rapport mentionne aussi le fait que le nombre de lits a été réduit, d’une centaine, à une trentaine entre 2010 et le début de 2012.

[44]           Sans autre commentaire de la Commission, ces éléments de preuve ne peuvent pas être considérés comme la preuve que les efforts déployés par la Hongrie ont « dans les faits, véritablement engendré une protection adéquate de l’État » (Hercegi c Canada (MCI), 2012 CF 250, au paragraphe 6, citant l’arrêt Meza Varela c Canada (MCI), 2011 CF 1364, au paragraphe 16).

C.                 Possibilité de refuge intérieur

[45]           Pour conclure qu’il existe une PRI dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que (1) le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans le lieu envisagé comme PRI; et (2) il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulières au demandeur d’asile (Rasaratnam c Canada (MEI), [1992] 1 CF 706, au paragraphe 10 (CA)). Le critère est de nature objective, et le fardeau de la preuve incombe au demandeur d’asile (Thirunavukkarsu c Canada (MCI), [1994] 1 CF 589, au paragraphe 12 (CA)).

[46]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a mal compris que le critère comporte deux volets et que, par conséquent, elle n’a pas analysé comme il se devait le second volet. Je suis d’accord avec les demandeurs. La Commission n’a pas énoncé le second volet du critère; elle n’a même pas non plus énoncé le premier. Elle a plutôt pris en compte les éléments de preuve documentaire relatifs à la protection de l’État et conclu qu’une protection suffisante est offerte aux victimes de violence conjugale à Budapest parce qu’il s’y trouve un refuge pouvant accueillir 24 personnes et deux centres d’aide dans les situations d’urgence disposant de huit places désignées pour les victimes de violence conjugale (la décision, aux paragraphes 19 à 21).

[47]           Il est difficile de voir comment la Commission en est arrivée à conclure qu’un refuge constitue une protection de l’État suffisante pour les victimes de violence conjugale à Budapest. Quoi qu’il en soit, en supposant que cette conclusion satisfait au premier volet du critère relatif à la PRI, la Commission n’a pas évalué ensuite la question de savoir s’il aurait été déraisonnable, dans l’ensemble des circonstances, que les demandeurs déménagent à Budapest. Elle affirme plutôt que « ni la demanderesse d’asile principale ni sa fille n’ont exploré la possibilité de chercher refuge à Budapest avant de demander la protection du Canada » (la décision, au paragraphe 23).

[48]           En exigeant que les demandeurs démontrent qu’ils avaient déjà demandé la protection dans le lieu envisagé comme PRI, la Commission a introduit une exigence supplémentaire dans l’analyse relative à la PRI. Il s’agit d’une erreur de droit. Dans Lugo, la Commission a affirmé qu’il incombait aux demandeurs de déménager dans la PRI avant de quitter le pays. En concluant que les commentaires de la Commission étaient erronés, le juge O’Keefe a affirmé ce qui suit au paragraphe 36 :

La Commission doit non seulement énoncer le bon critère, mais elle doit aussi appliquer le bon critère. L’ajout d’une exigence supplémentaire dans l’application du critère fera que la Commission ira à l’encontre de la norme de raisonnabilité. L’ajout de l’exigence selon laquelle les demanderesses auraient dû tenter de vivre dans une autre région plus sécuritaire du pays témoigne d’une incompréhension du critère juridique concernant une PRI. Comme je l’ai dit plus haut, cela constituait une erreur.

[49]           Dans Kamburona, la juge Strickland a renvoyé à l’arrêt Lugo pour conclure que la Commission avait « mal énoncé et mal appliqué le critère de la PRI » en exigeant que les demandeurs sollicitent d’abord la protection dans le lieu envisagé comme PRI (au paragraphe 29). Elle a aussi renvoyé à la décision du juge Snider dans l’arrêt Ramirez Martinez c Canada (MCI), 2010 CF 600, au paragraphe 6, dans lequel elle soutenait que rien n’obligeait les demandeurs d’asile à tenter de vivre dans le lieu envisagé comme PRI pour démontrer qu’ils sont exposés à la persécution dans cette région du pays. La juge Strickland a conclu dans l’arrêt Kamburona que, parce que la Commission avait commis une erreur en énonçant le critère juridique qui s’appliquait, la Cour n’était pas tenue de faire montre de retenue à l’égard de la décision de la Commission (au paragraphe 33).

[50]           Dans le même ordre d’idées, je ne vois en l’espèce aucune raison de faire montre de retenue à l’égard de la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI viable à Budapest.

[51]           À la lumière de ma conclusion selon laquelle la Commission a commis une erreur en appliquant le bon critère juridique relativement à la question de la PRI, il n’est pas nécessaire que j’examine la question de savoir si sa conclusion selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI viable à Budapest est raisonnable. Toutefois, j’estime qu’il est important de faire quelques commentaires sur l’une des conclusions que la Commission a tirées à l’appui de sa décision. Au paragraphe 19 de la décision, la Commission affirme :

Le tribunal a demandé à la [demandeure d’asile principale] si les policiers de Budapest répondraient à ses préoccupations si elle retournait vivre là‑bas avec sa famille. Elle a répondu qu’elle croyait qu’ils le feraient. La fille et le gendre de la demandeure d’asile principale ont affirmé la même chose.

[52]           Il semble que la conclusion de la Commission repose sur les réponses fournies par la demanderesse au cours de l’échange suivant :

[traduction]

COMMISSAIRE : […] Donc je me demande si, si, en fait, vous pouviez... si vous retourniez vivre à Budapest, ne pourriez‑vous pas faire appel aux services offerts dans la capitale qui auraient pu ne pas être offerts à Bardejov, par exemple?

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Oui

COMMISSAIRE : […] Toutefois, les éléments de preuve documentaire me disent que Budapest est mieux placée pour aider les femmes dans votre situation. Et je me demande s’il y a des raisons pour lesquelles vous n’avez pas envisagé cette possibilité lorsque vous avez quitté Bardejov pour venir au Canada, au lieu de venir jusqu’ici au Canada, où vous avez amené votre famille, de déménager à Budapest?

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : L’obtention de meilleurs services n’aurait pas été réglé mon problème.

COMMISSAIRE : Qu’est-ce qui vous fait dire ça?

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Parce que mon mari viendrait là-bas et pourrait me trouver.

COMMISSAIRE : D’accord, mais il se pourrait aussi que les services offerts vous apportent une meilleure protection à Budapest qu’à Bardejov, par exemple. Et cela, cela nous ramène à la question de la protection de l’État dont nous avons parlé; les deux questions sont en quelque sorte entremêlées à ce point.

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Il est... il est très possible que le service, comme partout dans le monde dans les grandes villes, soit meilleur que dans une petite ville, comme pour les personnes sans abri ou les enfants abandonnés.

COMMISSAIRE : Oui, oui.

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Mais ça ne protègerait… pardon, ça n’empêcherait pas mon mari, ça n’obligerait pas mon mari à cesser cette terreur émotionnelle et ses mauvais traitements juste parce que je déménage dans une plus grande ville où les services sociaux sont meilleurs, mais la corruption et la criminalité sont encore plus grandes dans les grandes villes.

[…]

COMMISSAIRE : Donc, vous pensez, vous dites que vous n’auriez pas une protection suffisante pour vous à Budapest?

DEMANDEURE D’ASILE PRINCIPALE : Je ne pense pas que je l’aurais.

[Non souligné dans l’original.]

(DCT, aux pages 633 et 634).

[53]           La fille de la demandeure d’asile principale n’a pas affirmé non plus qu’elle croyait que la police, à Budapest, pouvait l’aider :

[traduction]

COMMISSAIRE : […] Si vous, si vous retourniez en Hongrie et que vous viviez à Budapest, pensez‑vous, pensez-vous que vous auriez des problèmes avec votre père; oui ou non?

CO-DEMANDEURE D’ASILE : Oui.

COMMISSAIRE : D’accord, et quelle sorte de problèmes auriez‑vous avec votre père si vous retourniez en Hongrie aujourd’hui?

CO-DEMANDEURE D’ASILE : Il nous trouverait encore.

COMMISSAIRE : Et ferait quoi?

CO-DEMANDEURE D’ASILE : Peut-être qu’il m’agresserait, peut‑être qu’il viendrait me voir à mon travail.

COMMISSAIRE : D’accord, s’il faisait ça et que vous vous adressiez à la police, que pensez‑vous que la police ferait à Budapest?

CO-DEMANDEURE D’ASILE : Ils m’écouteraient certainement.

COMMISSAIRE : Donc, ils vous écouteraient?

CO-DEMANDEURE D’ASILE : Ils m’écouteraient certainement, mais... mais, je ne sais pas s’ils pourraient faire quelque chose.

COMMISSAIRE : Mais comment, comment le savez‑vous si vous n’avez jamais essayé?

CO-DEMANDEURE D’ASILE : J’ai essayé. Je les ai appelés par téléphone, et il ne s’est rien passé, ils n’ont rien fait.

[Non souligné dans l’original.]

(DCT, à la page 650).

[54]           Ces passages démontrent que les demandeurs n’ont pas affirmé qu’ils pensaient que la police leur viendrait en aide à Budapest. Leurs témoignages montrent plutôt qu’ils pensaient le contraire. Par conséquent, la conclusion de la Commission sur ce point est erronée parce qu’elle l’a tirée « sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] » (Cepeda-Gutierrez c Canada (MCI) (1998), 157 FTR 35, au paragraphe 17).

D.                Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[55]           Même si la Commission a mentionné les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe au début de la décision, la Cour a déjà soutenu qu’« il ne suffit pas de faire une simple mention de ces Directives sans en démontrer l’application » (D.T. c Canada (MCI), 2012 CF 478, au paragraphe 5, citant Evans c Canada (MCI), 2011 CF 444, et Yoon c Canada (MCI), 2010 CF 1017).

[56]           Je conviens avec les demandeurs que la Commission n’a pas démontré « une connaissance spéciale de la persécution fondée sur le sexe et [appliqué] cette connaissance avec compréhension et sensibilité lorsqu’elle [a abordé] des questions relatives à la violence conjugale » (Keleta c Canada (MCI), 2005 CF 56, au paragraphe 14 [Keleta]).

[57]           Le défaut de la Commission de démontrer « une connaissance spéciale de la persécution fondée sur le sexe » est manifeste dans sa conclusion selon laquelle il était déraisonnable que la demanderesse principale n’ait pas téléphoné à la police lorsqu’elle a déménagé à Borota. Come je l’ai déjà mentionné, cette conclusion ne tient pas compte de l’explication de la demanderesse selon laquelle elle s’était « lassée de demander de l’aide » parce que la police ne l’avait pas aidée par le passé. Le fait de s’attendre à ce qu’une victime de violence conjugale, qui a déjà demandé plus d’une fois, en vain, l’aide de la police, appelle la police parce qu’elle a déménagé dans une nouvelle ville « démontre un certain degré d’insensibilité qui est incompatible avec les directives de la Commission », pour reprendre les propos de la juge Tremblay-Lamer dans Keleta (au paragraphe 18).

VI.             Conclusion

[58]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-13181-12

INTITULÉ :

ANDOR ZOLTANNE JUHASZ, IMRE NAGY, IMRENE NAGY, ZOLTAN MARTIN JUHASZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 FÉVRIER 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 10 MarS 2015

COMPARUTIONS :

Daisy McCabe-Lokos

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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