Date : 20150306
Dossier : IMM-5315-14
Référence : 2015 CF 285
Ottawa (Ontario), le 6 mars 2015
En présence de monsieur le juge LeBlanc
ENTRE : |
SALAH-EDDINE BELOUADAH |
demandeur |
et |
LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
défenderesse |
ORDONNANCE ET MOTIFS
I. Introduction
[1] Le demandeur conteste une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié (la SPR), prononcée le 12 juin 2014, lui refusant le statut de réfugié de même que celui de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.
II. Contexte
[3] Le demandeur est citoyen de l’Algérie, qu’il a quittée en février 2008. En novembre de la même année, après avoir séjourné en Irlande, où il a sans succès demandé l’asile, le demandeur arrive au Canada et formule une demande de même nature. Se disant avoir été victime d’un attentat terroriste perpétré à Alger en décembre 2007 et craindre pour sa vie en raison de l’insécurité sévissant en Algérie, il réclame la protection du Canada en cherchant à se voir reconnaître le statut réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), respectivement.
[4] En septembre 2011, le Ministre de la Sécurité publique dépose auprès de la SPR le résultat de vérifications d’antécédents judiciaires. Cette vérification révèle une communication provenant d’Interpol faisant état du fait que le demandeur « est connu sur le plan judiciaire pour détention illégale d’arme à feu le 10-04-1995 et pour trafic illicite de drogue le 29-07-97 » (la Pièce M-1). Le Ministre songe alors à réclamer l’exclusion du demandeur sur la base de l’effet combiné des articles 98 de la Loi et 1F(b) de la Convention sur les réfugiés aux termes desquels une personne dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elle a commis un crime grave de droit commun hors du Canada n’est pas admise à se voir reconnaître la qualité de réfugié ou de personne à protéger.
[5] En marge de l’obtention de ces renseignements, le Ministre demande au demandeur de l’autoriser à faire un suivi auprès des autorités algériennes tout en lui garantissant que le fait qu’il ait soumis une demande d’asile au Canada ne leur serait pas révélé. Le demandeur refuse de donner son autorisation.
[6] Comme réponse à la Pièce M-1, le demandeur amende, en mars 2012, son Formulaire de Renseignements Personnels [FRP]. Il y allègue qu’il s’agit là de renseignements inexacts probablement liés à un événement survenu en 1995 durant la guerre civile en Algérie où il relate avoir été arrêté par la police algérienne, accusé d’avoir agi contre l’autorité du pays et détenu et torturé pendant 26 jours. Il y indique aussi avoir été relâché sans qu’aucune accusation formelle ne soit portée contre lui et avoir pu, par la suite, entamer et compléter son service militaire et vivre sans avoir de problèmes avec les autorités jusqu’aux événements ayant précipité son départ d’Algérie tard en 2007.
[7] Le 16 août 2012, la SPR fait droit à la demande d’asile du demandeur sur la base de l’exception prévue au paragraphe 108 (4) de la Loi, lequel stipule qu’il n’y a pas de perte de l’asile lorsque les raisons qui justifiaient la demande à l’origine n’existent plus si le demandeur d’asile parvient à prouver qu’il est devenu, depuis son arrivée au Canada, un « réfugié sur place ». Cette décision de la SPR est annulée par la Cour le 10 mai 2013, au motif que la SPR a commis une erreur de droit en omettant de déterminer que le demandeur rencontrait la définition de réfugié ou de personnes à protéger avant que les raisons sous-jacentes à la demande d’asile ne cessent d’exister.
[8] L’affaire a donc été renvoyée à la SPR, différemment constituée, pour qu’elle procède de nouveau à l’analyse de la demande d’asile du demandeur. Au cours de cette nouvelle audience devant la SPR, le demandeur a témoigné, cette fois, avoir eu des démêlés avec les autorités algériennes entre 1995 et 2007, précisant qu’il avait été arrêté à deux ou trois reprises et que les policiers se seraient rendus à son domicile et à celui de ses parents en 2001 et 2002 pour vérifier où il se trouvait.
[9] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur sur la base qu’il ne lui semblait pas crédible en raison, notamment, du caractère vague et général de son récit et des nombreuses contradictions affligeant son témoignage et les différentes versions de son FPR. Elle a aussi rejeté l’allégation voulant que le demandeur se qualifie désormais comme un « réfugié sur place » en raison du dépôt à son dossier de la Pièce M-1, au motif qu’il n’avait pas été démontré que les autorités algériennes avaient été contactées par les autorités canadiennes ou encore qu’elles l’auraient été d’une manière pouvant mettre en danger la sécurité du demandeur s’il devait retourner en Algérie.
[10] Enfin, la SPR n’a pas retenu l’argument selon lequel le demandeur ferait partie d’un groupe social au sens de l’article 96 de la Loi, celui des « demandeurs d’asile déboutés », sur la base, notamment, de l’absence de preuve que le gouvernement algérien est au courant que le demandeur a demandé l’asile au Canada et qu’il existe une possibilité raisonnable que celui-ci soit persécuté à son retour en Algérie du fait qu’il a produit une telle demande.
III. La question en litige et la norme de contrôle
[11] La présente affaire ne soulève qu’une question, celle de savoir si en concluant que le demandeur n’est ni un réfugié, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi, la SPR a commis, sur la base du dossier qu’elle avait devant elle, une erreur justifiant l’intervention de la Cour.
[12] Il est bien établi que la détermination du statut de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi soulève des questions mixtes de droit et de fait relevant de l’expertise de la SPR et commande qu’elle soit révisée, lorsqu’elle est contestée devant cette Cour, selon la norme de la décision raisonnable. Ce principe vaut notamment pour les conclusions que tire la SPR en matière de crédibilité, lesquelles, étant donné son rôle de tribunal des faits, commandent la plus grande déférence (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au para 89; Camara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 362, au para 12; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, au para 13; Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7, au para 14; Dong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 55, au para 17; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558, au para 11; Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 491, au para 12).
[13] Suivant cette norme de contrôle, le rôle de la Cour n'est pas d'apprécier de nouveau la preuve présentée à la SPR, ni de substituer ses conclusions à celles de la SPR. Son rôle se limite à n’intervenir que si la décision contestée ne possède pas les attributs de la justification, de la transparence et de l'intelligibilité, ou n'appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para 47).
[14] Cette même norme s’applique tout autant aux décisions de la SPR rejetant une demande d’asile fondée sur la notion de « réfugié sur place » Djouah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 884, 438 FTR 178, au para 14).
IV. L’analyse
A. La crédibilité du demandeur
[15] Comme la Cour d’appel fédérale le rappelait dans l’affaire Sellan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 FCA 381, une conclusion négative quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile sera normalement fatale à sa demande, à moins que le dossier ne contienne une preuve documentaire fiable et indépendante permettant de renverser cette conclusion (Sellan, au para 3).
[16] Le demandeur reproche ici à la SPR d’avoir été « trop difficile » envers lui en s’attardant aux détails et en se montrant insensible au stress de devoir témoigner de nouveau devant elle, à ses problèmes de mémoire et à l’ancienneté des événements.
[17] À mon avis, ce reproche est sans fondement, ce qui explique sans doute que le procureur du demandeur n’ait pas insisté sur ce point à l’audience et qu’il ait préféré concentrer ses efforts sur l’impact de la Pièce M-1 sur la demande d’asile de son client.
[18] Il existe en effet suffisamment de contradictions et de zones d’ombre dans les récits écrits et le témoignage du demandeur pour donner ouverture à la conclusion à laquelle en est arrivée la SPR. C’est le cas, notamment, de la preuve relative :
- à l’endroit (le domicile ou la rue) et à la date (1994 ou 1995) de la première arrestation du demandeur, dont s’en serait suivi 26 jours de détention lors desquels il aurait été torturé;
- au nombre de fois qu’il aurait eu des démêlés avec la police, le demandeur ayant témoigné qu’il n’y avait jamais eu d’autres incidents que celui de 1994 (ou 1995) avant de se dédire et avancer qu’il y en avait eu deux ou trois autres;
- au fait que l’arrestation de 1994 (1995) n’est pas mentionnée dans le premier FPR du demandeur et ne fait son apparition dans le récit du demandeur que lorsqu’il lui a bien fallu répondre à la Pièce M-1;
- au fait que les recherches dont il dit avoir fait l’objet en 2001 et 2002 de la part de la police ne sont mentionnées ni dans le FPR initial ni dans le FPR amendé; et
- au caractère vague et imprécis du témoignage du demandeur sur la nature des blessures subies lors de l’attentat terroriste qui l’aurait convaincu de quitter l’Algérie.
[19] Le demandeur relie ses trous de mémoire et le caractère vague et imprécis de son récit au traumatisme qu’il aurait subi des suites dudit attentat. Or, il n’y a aucune preuve médicale au dossier appuyant cette allégation faisant en sorte qu’il était raisonnable pour la SPR de l’écarter. Le même constat s’impose en ce qui a trait à l’argument de l’ancienneté des événements, lesquels, au moment où le demandeur a complété sa demande d’asile en 2008, remontaient à 10 ans à peine. Cette ancienneté est ainsi toute relative. De surcroît, il est difficilement concevable que quelqu’un qui prétend aujourd’hui avoir été détenu et torturé pendant 26 jours ne soit pas arrivé à se souvenir d’un tel événement au moment de remplir sa demande d’asile.
[20] Comme l’a noté la procureure du défendeur à l’audience, tout porte à croire que le demandeur s’est construit de toutes pièces une histoire de persécution à partir de son passé criminel révélé par la Pièce M-1. La SPR était en droit de n’accorder aucune crédibilité à cette histoire.
B. L’appartenance au groupe social des « demandeurs d’asile déboutés »
[21] La SPR a noté ici que le demandeur n’avait pas fait la preuve que les autorités algériennes étaient au courant qu’il avait fait une demande d’asile et qu’il serait persécuté pour cette raison s’il devait être déporté vers ce pays.
[22] Le demandeur ne m’a pas convaincu que cette conclusion est déraisonnable. Bien au contraire, elle trouve appui dans la preuve documentaire qui était devant la SPR et que cite d’ailleurs le demandeur dans le mémoire qu’il a produit en l’instance, laquelle preuve indique que les autorités algériennes ne s’intéressent aux demandeurs d’asile déboutés que dans la mesure où ceux-ci sont soupçonnés d’être impliqués dans le terrorisme international. Or, il n’y a pas l’ombre d’une preuve au dossier que les demandeurs feraient l’objet de tels soupçons. Le procureur du demandeur a bien tenté de me convaincre que le fait d’avoir un antécédent criminel de possession illégale d’une arme à feu était de nature à lier son client au terrorisme international. Malgré l’effort louable du procureur du demandeur, il y a là un pas que je ne saurais franchir. Cet argument relève du domaine de la supposition et de l’hypothèse. On ne saurait y faire droit d’autant plus qu’il est en preuve que le demandeur a pu faire son service militaire sans encombre malgré l’existence de cet antécédent criminel.
[23] Qui plus est, selon la preuve documentaire récente émanant du Home Office du Royaume Uni et produite par le défendeur dans le cadre du présent recours, les citoyens algériens qui retournent dans leur pays après avoir tenté, sans succès, d’obtenir l’asile à l’étranger, peuvent le faire sans problème et sans faire l’objet d’un traitement particulier.
[24] Il n’est donc pas nécessaire de décider si le groupe des « demandeurs d’asile déboutés » constitue un « groupe social » au sens de l’article 96 de la Loi puisque même en supposant que c’est le cas, le demandeur n’a pas établi qu’il existait une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté en tant que membre de ce groupe advenant son éventuel retour en Algérie.
C. La revendication du statut de « réfugié sur place »
[25] Le demandeur soutient que le Ministre de la Sécurité publique a lui-même fourni la preuve, au moyen du dépôt de la pièce M-1, qu’il encourt une possibilité sérieuse de persécution une fois de retour en Algérie puisque ce document, devenu public en raison des procédures de contrôle judiciaire dont sa demande d’asile a fait l’objet et, donc, théoriquement accessible aux autorités algériennes, démontre qu’il est désormais ciblé par Interpol et sujet à des suivis.
[26] Le dépôt de la Pièce M-1 procurerait ainsi, selon le demandeur, un fondement entièrement nouveau et indépendant à sa demande d’asile. Il s’agirait ainsi d’un événement survenu après l’arrivée du demandeur au Canada, justifiant une crainte raisonnable de persécution de la part des autorités algériennes et donnant ouverture, de ce fait, à l’application du concept de « réfugié sur place ».
[27] Encore faut-il toutefois une preuve, dont le fardeau appartient au demandeur, que les autorités algériennes sont au fait qu’il a été le sujet d’une communication entre Interpol et les autorités canadiennes et qu’il est raisonnable de penser qu’elles réagiront, advenant son retour en Algérie, par des gestes de persécution (Bastamie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 246, aux paras 23-24).
[28] Or, comme l’a noté, à juste titre, la SPR, cette preuve n’a pas été faite. Bien au contraire, comme on l’a vu, le demandeur n’a pas fait la preuve de communications entre les autorités canadiennes et algériennes en rapport avec la Pièce M-1, alors que l’on sait qu’il a refusé aux autorités canadiennes son consentement à ce qu’elles puissent contacter leurs homologues algériens. Il n’a pas fait la preuve non plus que les autorités algériennes étaient maintenant au fait de la pièce M-1, qu’elles s’intéressaient donc désormais à lui, et qu’il en découlait qu’il risquait d’être persécuté à son retour dans ce pays.
[29] Toute la théorie du demandeur repose sur la dernière phrase de la Pièce M-1 où Interpol prie les autorités canadiennes « de bien vouloir nous tenir informés des suites réservées à cette affaire ». La SPR y a vu là une simple formalité d’usage. Le demandeur y voit là la preuve irréfutable qu’il est désormais ciblé et qu’il risque la persécution.
[30] Considérée à la lumière de l’ensemble des faits au dossier, cette phrase ne peut avoir la portée que lui prête le demandeur. Il était dès lors loisible à la SPR, à mon avis, de juger que la Pièce M-1 était insuffisante pour établir que le demandeur était maintenant ciblé par les autorités algériennes.
[31] Il est utile de rappeler ici que le demandeur, avant de changer sa version des faits lors de son témoignage de mai 2014, a toujours indiqué qu’il a pu vivre sans problèmes en Algérie jusqu’à l’attentat de décembre 2007 et qu’il a pu faire son service militaire sans ambages. Il faut rappeler aussi que la preuve démontre sans équivoque qu’à l’exception de ceux qui sont soupçonnés d’être impliqués dans le terrorisme international, les autorités algériennes ne ciblent pas les demandeurs d’asile déboutés.
[32] Contrairement à l’affaire Djouah, précitée, que le demandeur a invoquée au soutien de ses prétentions, il n’y a pas de preuve que les autorités algériennes ont proféré des menaces à son endroit. Le demandeur n’a tout simplement pas le profil de quelqu’un qui serait recherché par les autorités de son pays. En somme, la SPR était tout à fait justifiée de conclure que le demandeur n’a rien d’un « réfugié sur place » malgré l’existence de la Pièce M-1.
[33] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[34] Ni l’une ni l’autre des parties n’a sollicité la certification d’une question pour la Cour d’appel fédérale, tel que le prévoit le paragraphe 74(d) de la Loi.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question n’est certifiée.
« René LeBlanc »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-5315-14 |
|
INTITULÉ : |
SALAH-EDDINE BELOUADAH c LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec) |
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 26 février 2015 |
|
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE LEBLANC |
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 6 mars 2015 |
|
COMPARUTIONS :
Me Éric Taillefer |
Pour le demandeur |
Me Anne-Renée Touchette |
Pour la défenderesse |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Handfield & Associés, avocats Avocat(e)s Montréal (Québec) |
Pour le demandeuR |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour la défenderesse |