Dossier : T-299-13
Référence : 2015 CF 178
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 février 2015
En présence de monsieur le juge de Montigny
ENTRE : |
ELI LILLY CANADA INC. |
demanderesse |
et |
MYLAN PHARMACEUTICALS ULC ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ |
défendeurs |
et |
ICOS CORPORATION |
défenderesse/brevetée |
JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS
(Jugement et motifs confidentiels rendus le 13 février 2015)
[1] La Cour est saisie d’une demande d’Eli Lilly Canada Inc. (Lilly) en vue d’obtenir, aux termes du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, et de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, une ordonnance visant à interdire la délivrance d’un avis de conformité (AC) à Mylan Pharmaceuticals ULC (Mylan) pour une version générique du tadalafil vendu par Lilly sous le nom de marque CIALIS, et ce, jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2,379,948 (le brevet 948). Le brevet 948 vise une formulation pharmaceutique de particules de tadalafil de taille réduite renfermant des excipients particuliers en vue du traitement de la dysfonction érectile (DE).
[2] Mylan, en revanche, allègue dans son avis d’allégation (AA) que le brevet 948 ne sera pas contrefait parce que son produit ne contiendra pas la taille des particules de tadalafil et les quantités d’excipients qui sont revendiquées dans le brevet 948. Elle allègue en outre que le brevet 948 est invalide pour cause d’évidence. D’autres motifs d’invalidité ont aussi été allégués dans l’AA, mais ils ont été abandonnés par la suite.
[3] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que les allégations de Mylan quant à l’invalidité du brevet 948 et à l’absence de contrefaçon sont justifiées.
I. Les faits
[4] Pour que l’on puisse administrer un médicament quelconque à des patients en vue du traitement d’une maladie ou d’un trouble en particulier, il faut que le composé soit transformé en une formulation acceptable. Le médicament à lui seul n’est généralement pas administré à un humain, mais, pour pouvoir le faire, on le combine à d’autres éléments, souvent appelés « excipients ». Pour être considérée comme acceptable, la formulation ne doit comporter que des éléments non toxiques pour l’humain et demeurer stable pendant un temps suffisant, de façon à pouvoir l’expédier, la stocker, la distribuer et l’administrer à des patients. Un autre aspect tout aussi important est que la formulation doit pouvoir libérer facilement le composé actif dans l’organisme des patients. Le travail de mise au point d’une formulation est évidemment plus complexe lorsque le médicament est peu soluble dans l’eau, ou chimiquement instable.
[5] Le tadalafil a été découvert dans les laboratoires de Glaxo; pendant un certain temps, Glaxo a collaboré avec ICOS à la mise au point du composé. Le problème était la faible solubilité du tadalafil. Glaxo et ICOS ont donc dû faire des travaux pour trouver une formulation convenable, et deux des études ont été transférées à Mme Kral, chez Lilly US, lorsque la collaboration entre ICOS et Glaxo a pris fin et que Lilly a décidé de s’associer à ICOS. Mme Kral est la coinventrice de l’invention divulguée et revendiquée dans le brevet 948, et elle s’est jointe à Lilly en novembre 1998. J’en aurai davantage à dire sur ces études et sur l’affidavit de Mme Kral quand je traiterai de l’argument relatif à l’évidence. Il semble toutefois que les études toxicologiques sur le tadalafil ont été reportées parce qu’on ne savait pas avec certitude s’il était possible de mettre au point une formulation commerciale. De nombreux cosolvants et excipients différents ont été mis à l’essai dans des formulations et des suspensions liquides, de même que des formes solides et des tailles de particules de tadalafil différentes. Tous ces premiers essais n’ont pas permis de produire une formulation qui pouvait être lancée sur le marché, avant que l’on mette au point la nouvelle formulation visée par le brevet 948.
II. Le brevet 948
[6] Le brevet 948 est intitulé « Compositions pharmaceutiques à base de béta‑carboline »; il a été déposé le 26 avril 2000, et sa date de priorité est le 3 août 1999. Sous la rubrique [traduction] « Domaine de l’invention », le brevet indique qu’il est lié à des formulations de composés à base de béta‑carboline, dont le but est de réaliser une activité uniforme, ainsi que des caractéristiques souhaitables en matière de stabilité et de biodisponibilité. Il s’agit là des objectifs standards d’une formulation pharmaceutique, car un organisme de règlementation n’approuvera pas un produit si ce dernier n’a pas une activité uniforme et une stabilité souhaitable.
[7] La structure chimique du tadalafil et son utilisation dans le traitement de la DE ont été divulguées dans deux brevets canadiens antérieurs, portant les numéros 2,181,377 (le brevet 377) et 2,226,784 (le brevet 784). Les équivalents internationaux de ces brevets sont mentionnés à la page 2 du brevet 948. Ces brevets divulguent des comprimés de tadalafil administrés par voie orale. Des formulations antérieures du tadalafil ont également été divulguées dans la demande PCT no WO 96/38131 (la demande 131 ou le brevet Butler; voir l’affidavit de Mme Potter, pièce « D », doc. no 4, DD vol. 5, page 860).
[8] Le brevet fait ensuite état du problème à résoudre. Il signale que de nombreuses béta‑carbolines présentent une faible solubilité, un aspect qui, comme le saurait un formulateur, doit être réglé si l’on veut administrer le produit par voie orale. Le brevet 948 indique que les travaux de formulation antérieurs de Butler ont consisté principalement à surmonter le problème de la faible solubilité en coprécipitant le tadalafil avec un polymère tel que l’hydroxypropylméthylcellulose (HPMCP), mais il fait mention de problèmes de reproductibilité et de biodisponibilité réduite. Il s’agit là des études dont Mme Kral a parlé dans son affidavit. De plus, ces études cliniques sur l’administration de comprimés contenant un tel coprécipité ont révélé qu’après une administration par voie orale, on n’obtenait pas une concentration maximale dans le sang avant un délai de trois à quatre heures après l’ingestion, ce qui était considéré comme une action d’une lenteur peu souhaitable lorsqu’on utilisait ces comprimés pour le traitement de la DE.
[9] Sous la rubrique [traduction] « Sommaire de l’invention », le brevet explique la formulation du tadalafil (et non celle de la catégorie plus générale des béta‑carbolines) ainsi que des sels et des solvates qui en font partie :
[traduction] […] produit sous la forme d’un médicament libre, mélangé à un diluant, à un lubrifiant, à un liant hydrophile choisi parmi le groupe formé d’un dérivé cellulosique, de povidone et de leur mélange, à un délitant choisi parmi le groupe formé de la crospovidone, du croscarmellose sodique et de leur mélange, et, facultativement, à de la cellulose microcristalline et/ou à un agent mouillant. Facultativement, la formulation comporte en outre un second diluant.
(Brevet 948, page 4, lignes 4 à 12, DD vol. 1, page 13)
Le brevet décrit ensuite la formulation privilégiée, indique que l’invention a trait à l’utilisation de telles formulations pour le traitement de la dysfonction sexuelle et ajoute que ces formulations peuvent être administrées par voie orale sous la forme de comprimés ou dans des capsules.
[10] Le brevet définit ensuite un certain nombre de termes et d’abréviations, dont le plus pertinent est [traduction] « médicament libre ». Ce terme désigne des [traduction] « particules solides constituées essentiellement du composé de la formule structurale (I) [tadalafil], par opposition au composé intimement inclus dans un coprécipité polymérique (brevet 948, page 5, lignes 24 à 27). Le brevet décrit également les termes [traduction] « lubrifiant », [traduction] « diluant soluble dans l’eau » et [traduction] « agent mouillant ».
[11] Les quantités précises des différents excipients requis sont ensuite indiquées, et il est dit au lecteur que le tadalafil lui‑même peut être fabriqué selon des procédures établies, comme celles divulguées dans le brevet Daugan (l’équivalent du brevet 377).
[12] Le brevet indique aussi que la taille des particules de tadalafil améliore [traduction] « la biodisponibilité et la manipulation » de la formulation (page 8, lignes 10 à 12). Le formulateur versé dans l’art comprendrait donc que la brevetée affirme que tant les excipients choisis que la distribution des tailles de particules sont responsables des effets importants de la formulation qui sont mentionnés. Comme ce paragraphe fait l’objet d’une vive controverse, je le cite dans son intégralité :
[traduction] Il a aussi été conclu que la taille des particules du composé actif améliore la biodisponibilité et la manipulation des formulations actuelles. C’est donc dire que la taille des particules du composé possédant la formule structurale (I) [tadalafil] avant la formulation est contrôlée par le broyage du composé de base (sous forme de cristal, de précipité amorphe ou d’un mélange d’entre eux) de sorte qu’au moins 90 % des particules sont d’une taille inférieure à moins de 40 microns environ (d90=40) et mieux encore à 30 microns environ. De préférence, au moins 90 % des particules sont d’une taille inférieure à 25 microns environ, de préférence encore, à 15 microns environ et, idéalement, à 10 microns environ.
(Brevet 948, page 8, lignes 10 à 20)
[13] Le brevet enseigne ensuite en détail comment obtenir et mesurer la distribution des tailles de particules de tadalafil dans la formulation de l’invention. Pour ce qui est de la mesure, le brevet indique : [traduction] « [l]es méthodes employées pour déterminer la taille des particules sont bien connues dans le domaine. La méthode non limitative qui suit, divulguée dans le brevet américain no 4,605,517, peut être employée » (page 8, lignes 22 à 24). Le brevet 948 présente aussi une procédure hautement détaillée qui décrit de quelle façon la mesure des tailles de particules a été obtenue pour les exemples qu’il renferme (page 8, ligne 24 – page 9, ligne 23). Mylan n’ayant pas traité de cet aspect, il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails de l’explication que donne le brevet quant à la manière de mesurer les tailles des particules.
[14] À partir de la page 9, le brevet présente les définitions applicables des termes suivants : [traduction] « diluant soluble dans l’eau, liant hydrophile, délitant, lubrifiant et agent mouillant », et il donne également des exemples de chaque catégorie d’excipient. Il y est indiqué qu’un liant hydrophile est fourni en quantité suffisante pour agir comme un adhésif retenant ensemble le tadalafil et les excipients dans un comprimé, mais il est également présent dans une formulation à base de poudre introduite dans une enveloppe de gélatine dure. Certaines des revendications du brevet portent sur des capsules et d’autres types de formulations, mais les seules revendications qui sont en litige en l’espèce sont celles qui se rapportent aux formulations en comprimés.
[15] À la page 10, le brevet traite ensuite des liants hydrophiles privilégiés, et il analyse la povidone et certains des délitants qui sont employés. Il examine ensuite les lubrifiants et relève certains lubrifiants privilégiés et certaines quantités privilégiées (page 11). Il parle de la cellulose microcristalline, qui peut remplir de multiples fonctions dans la formulation, par exemple, comme délitant et/ou second diluant; cette substance apparaît dans certaines des revendications dépendantes comme l’un des diluants possibles. Il est ensuite question des agents mouillants et d’autres ingrédients facultatifs possibles, comme des agents colorants ou aromatisants.
[16] À la page 12, il y a un exemple de formulation privilégiée qui comporte des pourcentages de poids différents et, ensuite, une liste de techniques auxquelles il est possible de recourir pour préparer les formulations de l’invention. Aux pages 13 et 14, figurent la dose et la forme posologique privilégiées (comprimé et capsule dure) du composé visé.
[17] Aux pages 15 à 28, le brevet décrit 13 exemples, qui sont présentés [traduction] « à titre illustratif seulement » et qui ne visent pas à restreindre la portée de l’invention. L’exemple 1 prescrit tout d’abord l’emploi d’un broyeur à jet de type « pancake » de 12 pouces en vue de produire un composé actif (le tadalafil) caractérisé par une granulométrie d90 de 4 microns. (La valeur « d90 » est une mesure de distribution de la taille des particules : par exemple, une valeur d90 de 40 signifie qu’au moins 90 % des particules ont une taille inférieure à 40 microns.) Il prescrit ensuite la formulation d’un comprimé contenant le composé actif à taille réduite et les excipients privilégiés dont il a été question plus tôt, et ce, en recourant à un procédé de granulation humide. Ce procédé consiste à mélanger à sec l’ingrédient actif au diluant, au liant, au délitant et aux excipients en vue de former une poudre; vient ensuite, à partir de cette poudre, la formation de granules humides au moyen d’une solution aqueuse contenant un liant additionnel et le surfactant (agent mouillant), dans un granulateur à fort cisaillement. Un broyeur sert ensuite à « émotter » les granules humides; ces dernières sont séchées et, ensuite, calibrées pour éliminer les gros agglomérats. Le diluant et le délitant additionnels, de même que le lubrifiant, sont ensuite mélangés à sec aux granules secs et transformés par compression en comprimés.
[18] Les exemples restants, soit 2 à 13, modifient la formulation en changeant la proportion relative des ingrédients.
[19] À la suite des exemples, le brevet énumère 33 revendications. Lilly a déposé la présente demande sur le fondement des revendications 1 à 8, 10 à 15, 17 à 21, 23 à 31 et 33, lesquelles sont toutes reproduites à l’annexe jointe aux présents motifs.
[20] La revendication 1 est la seule qui soit indépendante. Elle vise la formulation pharmaceutique comprenant le tadalafil, produit sous la forme d’un médicament libre comprenant des particules de tadalafil dont au moins 90 % ont une taille inférieure à 40 microns environ, un diluant soluble dans l’eau, un lubrifiant, un liant hydrophile et un délitant, le tout à divers pourcentages en poids.
[21] Les revendications 2 à 8, 10 à 15 et17 et 18 revendiquent des éléments précis de la formulation.
[22] Les revendications 19 à 21 revendiquent un comprimé comprenant la formulation visée par la revendication 1.
[23] Les revendications 23 à 25 revendiquent des tailles de particules précises de la formulation visée par la revendication 1.
[24] Les revendications 26 à 29 revendiquent des comprimés comprenant la formulation visée par la revendication 1, où le composé est présent en une quantité d’environ 10 mg, 1 à 5 mg, 2,5 mg et 20 mg par comprimé, respectivement.
[25] Les revendications 30, 31 et 33 revendiquent l’utilisation de la formulation et des comprimés en vue du traitement de la dysfonction sexuelle, et plus précisément de la DE.
III. Les preuves
[26] Lilly a présenté le témoignage d’un témoin de fait (Mme Kral), de deux témoins experts (MM. Bugay et Bodmeier) ainsi que d’une technicienne juridique (Mme Potter). Ce dernier affidavit présente en tant que pièces le brevet 948, l’AA de Mylan, toutes les pièces jointes à l’AA de Mylan, un brevet connexe, un document scientifique ainsi que des documents relatifs aux essais réalisés par Mylan. Cette dernière, en revanche, n’a présenté le témoignage que d’un seul témoin expert (M. Brittain). Passons brièvement en revue leurs témoignages.
A. Les témoins de Lilly
Mme Kral
[27] Le témoin de fait de Lilly est Mme Martha Kral, l’un des trois inventeurs du brevet 948. Elle exerce les fonctions de conseillère en recherche chez Lilly, pour laquelle elle travaille depuis 1998. À partir de 1998, Mme Kral a dirigé les travaux de formulation faits chez Lilly qui ont mené au brevet 948. Son témoignage se compose d’un affidavit assorti de pièces, ainsi que d’un contre‑interrogatoire assorti lui aussi de pièces.
[28] Dans son affidavit, Mme Kral passe en revue les travaux de formulation du tadalafil qui ont été faits tant avant que pendant sa participation. Elle examine les premiers travaux de formulation qui ont été faits chez Glaxo et ICOS, y compris le dépôt du brevet Butler. Elle décrit ensuite les travaux de formulation de son équipe, chez Lilly, qui ont mené au brevet 948. Enfin, elle annexe à son affidavit les formulations ainsi que les rapports sur les études cliniques connexes qui concernent la totalité des exemples donnés dans le brevet 948. Le sommaire de son affidavit qui suit s’inspire en grande partie des observations écrites et orales de Lilly.
[29] Deux des premières études menées par Glaxo ont été transférées à Mme Kral après l’arrivée de celle-ci chez Lilly US. La première étude, désignée en tant que pièce « B » jointe à son affidavit, est une étude de formulation préliminaire dans le cadre de laquelle les chercheurs de Glaxo ont tenté de formuler du tadalafil à administrer par voie intraveineuse (IV) à des chiens. Leur objectif était de mettre au point une formulation [expurgé] contenant une concentration de [expurgé] de tadalafil. En cas d’échec, ils étaient à la recherche d’un [expurgé] qui était en mesure de fournir au moins [expurgé]. Glaxo voulait entreprendre des études toxicologiques sur des animaux, et avait besoin d’une formulation capable d’atteindre les doses élevées qu’exigeaient ces études.
[30] Au départ, des solutions IV ont été mises à l’essai, car on pensait que cela pouvait maximiser la dose de tadalafil pour les études toxicologiques. Cependant, il fallait disposer de concentrations élevées de [expurgé] et d’autres excipients pour pouvoir augmenter la solubilité du tadalafil. De nombreux excipients ont été essayés, mais les travaux se sont tous soldés par une toxicité des excipients plutôt que par un accroissement de la solubilité du tadalafil. À ce stade, les chercheurs ont conclu qu’une formulation [expurgé] acceptable serait impossible à trouver et ils ont plutôt entrepris de chercher une formulation [expurgé]. Là encore, un grand nombre des formulations [expurgé] n’ont pas pu atteindre une stabilité acceptable, et celles qui y sont parvenues manifestaient une toxicité inacceptable. À la fin de ce rapport, les chercheurs de Glaxo ont conclu qu’aucune des formulations mises à l’essai in vivo n’avaient donné un profil toxicologique satisfaisant pour le véhicule à lui seul. C’est donc dire que les premières études toxicologiques n’ont pas pu être lancées.
[31] L’étude suivante que l’on a transférée à Mme Kral figure à la pièce « C » jointe à son affidavit. Là encore, la faible solubilité du tadalafil a été confirmée. Le rapport indique aussi que le tadalafil [expurgé]. Les chercheurs de Glaxo ont étudié 27 formulations, mais sans succès. Ils ont mis à l’essai des formulations IV, mais sans obtenir de résultats. Ils sont ensuite passés à des formulations administrables par voie orale. En premier lieu, des suspensions ont été mises à l’essai dans [expurgé], un émulsifiant à base de glycéride. Des études ont été réalisées à partir de tadalafil à la fois [expurgé] et [expurgé]. Glaxo a découvert que la biodisponibilité du tadalafil était d’environ 32 % quand on le mélangeait à [expurgé]. Quand on réduisait la taille des particules à un niveau situé entre [expurgé] microns, la biodisponibilité augmentait [expurgé]. La biodisponibilité du tadalafil [expurgé] dans [expurgé] était encore supérieure, à [expurgé]. Étant donné que Glaxo était à la recherche d’une biodisponibilité d’au moins [expurgé] dans une formulation, on a considéré que ce résultat était bon. Cependant, les études de formulation portant sur [expurgé] ont dû être abandonnées à cause de rapports faisant état d’effets défavorables lors de schémas posologiques à doses multiples dans des études d’innocuité.
[32] On a ensuite fait l’essai de suspensions aqueuses, à partir de tadalafil [expurgé] et [expurgé]. Toutes ces tentatives se sont soldées par un échec. Le tadalafil [expurgé] a une biodisponibilité acceptable, mais il présente de sérieux désavantages. Premièrement, il y a le problème potentiel d’instabilité physique et, deuxièmement, il faut se servir de solvants pour [expurgé] le médicament et la solubilité du tadalafil dans [expurgé]. Il y a eu un certain succès quand le tadalafil a été [expurgé], un excipient qui avait montré dans le passé qu’il pouvait améliorer un peu la biodisponibilité; cette tentative a démontré une biodisponibilité [expurgé]. Cependant, cela faisait aussi accroître la variabilité de la biodisponibilité, ce qui rendait ces formulations inutilisables. Quant au tadalafil [expurgé], des études antérieures avaient montré que, dans une solution aqueuse, il ne produisait pas une biodisponibilité adéquate. Le recours à la réduction des tailles de particule en vue de rehausser la biodisponibilité étant un stratagème bien connu au sein de l’industrie, [expurgé] ont été préparées avec des tailles de particules de tadalafil de [expurgé] microns. La biodisponibilité de ces formulations chez des chiens privés de nourriture a été [expurgé], respectivement, ce qui était nettement trop faible. Les chercheurs ont ensuite essayé d’ajouter [expurgé], mais cela n’a pas amélioré la biodisponibilité du produit [expurgé].
[33] Ayant observé de bons résultats avec [expurgé], les chercheurs ont ensuite étudié un certain nombre de techniques de dispersion solide : 1) la coévaporation, dans laquelle le médicament et un véhicule sont dissous dans un solvant, qu’on fait ensuite évaporer lentement, 2) la cofusion, dans laquelle le médicament et un véhicule sont tous deux fondus et ensuite resolidifiés ensemble, 3) le cobroyage, dans lequel le médicament et un véhicule sont broyés ensemble et 4) la coprécipitation, dans laquelle le médicament et le véhicule sont dissous ensemble dans un solvant et ensuite précipités à partir de ce solvant au moyen d’un antisolvant. La plupart de ces techniques n’ont pas fonctionné, mais les chercheurs ont découvert que lorsqu’on mélangeait le tadalafil à [expurgé] dans un [expurgé], il présentait une biodisponibilité [expurgé].
[34] À l’issue de toutes ces études, les chercheurs de Glaxo ont déterminé que la [expurgé] et les formulations [expurgé] étaient les seules qui présentaient une biodisponibilité acceptable. La matière [expurgé] avait une biodisponibilité plus constante, mais sa fabrication allait être nettement plus difficile. De plus, on craignait que le médicament [expurgé] se transforme à la longue en un médicament [expurgé]. C’est donc le [expurgé] que l’on a choisi pour aller de l’avant, même si les chercheurs ignoraient le mécanisme exact par lequel on obtenait une meilleure biodisponibilité pour l’une ou l’autre de ces formulations.
[35] Les premières études de la phase I ont été fondées sur [expurgé] du tadalafil [expurgé]. Il fallait toutefois une formulation en comprimés pour les essais cliniques de la phase II ainsi que pour le marché. Le rapport de Glaxo indique que le coprécipité a été choisi pour la formulation en comprimés. Glaxo semblait toutefois se préoccuper du profil pharmacocinétique du coprécipité. Les chercheurs ont donc mis également au point le produit [expurgé] sous forme de comprimés. Une fois que les deux comprimés ont été mis au point et testés, les chercheurs de Glaxo ont recommandé d’utiliser le tadalafil coprécipité.
[36] La conclusion de ce rapport vaut la peine d’être citée :
[traduction] Diverses techniques ont été étudiées en vue d’optimiser la biodisponibilité du [tadalafil]. Ce travail s’est soldé par la mise au point du coprécipité (HPMCP), qui permettait au médicament d’être bien absorbé et qui faisait appel, pour sa préparation, à des techniques bien établies et peu coûteuses. Le coprécipité a été formulé en comprimés, dont la biodisponibilité était semblable à celle d’un [expurgé]. Les comprimés sont produits en ayant recours à des techniques bien établies, qui se prêtent à une fabrication à grande échelle.
L’obtention d’une biodisponibilité acceptable pour des médicaments insolubles tels que le [tadalafil] peut être un défi redoutable. Certaines des techniques décrites dans le présent rapport sont également appliquées de manière fructueuse avec [expurgé] dans des solvants organiques appropriés. Même si le [tadalafil] n’est pas traité par GlaxoWellcome le [expurgé] devrait être pris en considération parmi un éventail d’autres techniques pour produire d’autres médicaments à faible solubilité.
(Affidavit de Mme Kral, pièce « C », DD vol. 10, page 1848)
[37] ICOS a ensuite choisi Lilly comme associée pour lancer sur le marché une formulation en comprimés. Mme Kral et son groupe ont procédé à d’autres études en vue de déterminer de quelle façon formuler le tadalafil, de même que les excipients qu’il fallait utiliser. En particulier, Lilly a évalué la possibilité que [expurgé] améliore le [expurgé] du tadalafil. Des excipients [expurgé] ont été mis à l’essai dans des solutions [expurgé] en combinaison avec du tadalafil. Cet essai a été conçu pour examiner l’incidence qu’avaient des excipients différents sur le [expurgé] du tadalafil en solution, ce qui, par ricochet, peut avoir une incidence sur le taux de dissolution. Des candidats de premier plan ont été choisis et étudiés dans le cadre d’une étude de compatibilité formelle. Lilly a également soumis d’éventuels excipients à des études de stress. De plus, certains des excipients ont été remplacés dans le cadre d’une étude portant sur des excipients de substitution.
[38] Pendant que se déroulaient les études concernant les excipients, Mme Kral et son équipe se sont dits qu’un [expurgé] pouvait fonctionner avec un [expurgé] de plus petite taille si un [expurgé] faisait partie du [expurgé]. Cette formulation a été mise à l’essai dans [expurgé] et comparée aux résultats de la version [expurgé] de la nouvelle formulation. Les résultats [expurgé] ont été fort variables. Toutefois, la nouvelle formulation à base de granulation humide montrait une absorption acceptable, et c’est cette technique qui a donc été adoptée.
[39] La nouvelle formulation à base de granulation humide, le [expurgé] et l’une des formulations [expurgé] ont tous été mis à l’essai chez des humains. Cette étude a déterminé la formulation qui servirait de fondement à la formulation commerciale définitive. La nouvelle granulation humide avait un Tmax (temps requis pour atteindre une concentration maximale dans le sang) qui, en moyenne, était plus court que le [expurgé], ce qui indiquait qu’il permettrait d’obtenir une entrée en action plus rapide.
[40] Une seconde étude clinique, portant elle aussi sur le [expurgé] et la nouvelle formulation à base de granulation humide, a été menée simultanément. Cette seconde étude a mesuré le délai de réponse du patient. [expurgé], il y avait une réponse statistiquement significative à la nouvelle formulation à base de granulation humide, comparativement à, à la fois, un placébo et au [expurgé]. De plus, la tendance vers la signification statistique a été relevée à [expurgé], et un certain nombre de patients ont réagi au traitement dès [expurgé]. Les résultats fructueux de cette étude ont déterminé que la nouvelle granulation humide était la formulation de choix.
[41] Mylan a fait valoir que la Cour ne devait accorder aucun poids au témoignage de Mme Kral parce que celle‑ci n’avait jamais été au service de Glaxo et qu’elle n’avait pas pris part en personne aux premiers travaux de recherche que Glaxo et ICOS avaient accomplis. En contre‑interrogatoire, Mme Kral a confirmé qu’elle n’avait commencé à s’occuper du tadalafil qu’à l’époque où elle s’était jointe à Lilly, en novembre 1998. La connaissance qu’elle avait des premiers travaux de Glaxo et d’ICOS ne venait que des rapports de ces deux sociétés.
[42] Mylan a soulevé cette objection pour la première fois dans son mémoire des faits et du droit, et n’y a pas accordé beaucoup d’importance lors de sa plaidoirie. Le fait que Mme Kral n’ait pas pris part en personne aux premières études menées par Glaxo ne l’empêche pas d’introduire ces études en preuve. À titre d’inventeure, elle s’est servie de ces études pour pousser le procédé de formulation à son stade ultime, et la partie de son témoignage qui est consacrée aux premiers travaux de formulation relatifs au tadalafil chez Glaxo se limite réellement à une description de ces travaux qui s’inspire de ces études. Selon moi, il n’y a rien d’irrégulier à ce qu’elle le fasse; elle s’est abstenue de faire part de ses propres opinions sur ces études, car elle n’a pas été appelée à titre de témoin expert, et elle n’a pas témoigné sur les travaux de Glaxo concernant le tadalafil au‑delà du strict cadre des études qui lui ont été transférées. Quoi qu’il en soit, comme Mylan l’a fait remarquer elle‑même, le point culminant des travaux de Glaxo – la formulation du tadalafil à base de coprécipité – a été divulgué dans le brevet Butler et, dans cette mesure, le témoignage de Mme Kral sur les travaux de formulation faits chez Glaxo est redondant.
M. Bodmeier
[43] M. Bodmeier est professeur de technologie pharmaceutique. Il enseigne et mène des recherches en sciences pharmaceutiques, ce qui inclut la formulation et l’utilisation d’excipients. Il a témoigné sur deux aspects : les questions de contrefaçon concernant la formulation du tadalafil de Mylan, ainsi que la validité du brevet 948.
[44] Dans son affidavit, M. Bodmeier fait état de ses antécédents et de son mandat, et il expose les instructions juridiques qu’on lui a données. Il brosse ensuite un tableau scientifique de la formulation des médicaments, avant de décrire le brevet 948 et de faire part de son opinion sur l’interprétation des revendications. Il fait part de son opinion sur plusieurs questions de validité initialement soulevées par Mylan, dont l’évidence, et ensuite sur la question de la contrefaçon du liant hydrophile.
[45] Pour ce qui est de l’évidence, M. Bodmeier évalue tout d’abord les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art et il passe en revue les diverses références qui figurent dans l’AA de Mylan. Il indique ensuite que l’idée originale du brevet 948 est [traduction] « une formulation pharmaceutique particulière du tadalafil, un composé peu soluble, qui procure un effet thérapeutique rapide ainsi qu’une concentration suffisante de tadalafil au site d’action intracellulaire, ce qui procure une durée d’action relativement prolongée » (affidavit de M. Bodmeier, par. 133, DD vol. 2, page 221). Il émet ensuite l’opinion qu’une personne versée dans l’art ne considérerait pas comme évident en soi que l’on puisse obtenir un effet thérapeutique rapide en raison de la faible solubilité du tadalafil dans l’eau, et que l’on saurait bien qu’il sera vraisemblablement difficile de trouver un moyen de prévoir pour ce médicament un effet thérapeutique rapide.
[46] Dans son AA, Mylan a présenté les excipients des revendications du brevet 948 en les comparant à des plages précises suggérées pour ces excipients dans l’édition de 1994 de l’ouvrage de Wade et coll., intitulé « Handbook of Pharmaceutical Excipients, 2e éd. (Londres : American Pharmaceutical Association, 1998; voir l’affidavit de Mme Potter, pièce « D », Doc. no 9, DD vol. 6, page 1061 [Wade]), et elle a prétendu que les différences sont minimes. M. Bodmeier n’est pas d’accord, et ce, pour un certain nombre de raisons. Premièrement, les plages indiquées dans le brevet 948 sont, dans certains cas, au‑delà de celles qui sont indiquées dans l’ouvrage de référence, et le tableau de Mylan ne fait pas référence à un agent mouillant; il ne s’agit pas là, selon lui, de différences minimes. Par ailleurs, Mylan admet que du tadalafil, en tailles de particules d’une valeur d90 inférieure ou égale à 40 microns, était inconnu dans le domaine. À son avis, il s’agit là de différences inventives et importantes entre les réalisations antérieures et le brevet 948. Il existe pour chaque formulation d’un médicament des possibilités quasi infinies, allant du fait de choisir chaque excipient particulier à employer jusqu’à la plage de quantités possibles pour chacun; par ailleurs, le choix d’une taille de particule convenant à un médicament n’est pas aussi simple que Mylan le laisse entendre, car chaque médicament a des propriétés différentes qui sont affectées par la taille des particules.
[47] À son avis, les revendications que formule Lilly ne sont donc pas évidentes :
[traduction] Avant que chaque formulation et taille de particule ait été établie et mise à l’essai, la PVA ne serait pas sûre qu’une telle formulation ou taille de particule fonctionnerait, et encore moins qu’elle assurerait l’action rapide de l’invention du brevet 948.
De plus, ces différences ne pourraient pas faire l’objet d’un essai allant de soi et ne réussiraient vraisemblablement pas. Comme il a été mentionné plus tôt, le nombre de solutions possibles à un problème de formulation est infini, et une PVA ne serait pas capable de prévoir l’issue de chaque possibilité sans faire d’essais. Ceux‑ci obligeraient à mener de nombreuses expériences et prendraient un temps considérable. C’est ce que démontrent les expériences dont il est question dans l’affidavit de Kral. Glaxo et Lilly ont mené de nombreuses expériences différentes pendant plusieurs années, dans le cadre de leur recherche d’une formulation pour le tadalafil. Ces expériences ne seraient pas considérées comme des essais courants.
(Affidavit de M. Bodmeier, paragraphes 143 et 144, DD vol. 2, pages 223 et 224)
[48] M. Bodmeier convient avec Mylan qu’une personne versée dans l’art connaîtrait les différentes techniques qu’il est possible d’employer pour rehausser le taux de dissolution d’un médicament. Il est possible d’augmenter la solubilité du médicament en utilisant un sel plus soluble, en utilisant une forme polymorphique plus soluble du médicament ou en formant des systèmes de dispersion solide. Il est possible aussi d’augmenter la surface en réduisant la taille des particules du médicament ou en utilisant des surfactants, mais cela ne mènerait pas forcément à une absorption accrue et il existe des désavantages dont il faudrait tenir compte au moment de décider de tenter de réduire la taille des particules ou non. Une transformation est toujours un défi dans le cas des particules de petite taille, et il peut survenir un chargement électrostatique et une agglomération; il peut être difficile aussi d’obtenir une bonne homogénéité si l’on emploie des doses plus petites. Une personne versée dans l’art pourrait aussi prendre en considération la modification chimique de la molécule du médicament en vue de changer la solubilité. Si ces stratégies se révèlent infructueuses, il y a le domaine des solutions solides et des dispersions solides. M. Bodmeier est d’avis qu’il ne serait pas évident en soi que l’une quelconque de ces techniques, sinon toutes, réussiraient à créer une formulation de tadalafil qui donnerait lieu à un effet thérapeutique rapide. Comme il l’a déclaré :
[traduction] Rien ne garantit que l’une des options mènerait à une formulation utilisable. Autrement dit, il n’est pas évident en soi qu’il serait possible d’obtenir une formulation réalisable à action rapide.
De plus, je m’attendrais à ce qu’un inventeur qui entreprend de réaliser une telle formulation ne procède pas juste à un essai courant. Il y a beaucoup d’habileté et de réflexion qui entrent dans le travail d’une PVA qui s’efforce de trouver une nouvelle formulation, et, souvent, il est nécessaire de mener un grand nombre d’expériences pour déterminer la formulation précise. Il existe d’innombrables variables qui ont une incidence sur chaque décision. Trouver une formulation pour un médicament ne consiste pas juste à greffer ce médicament à une formulation bien connue. Le choix de chaque élément comporte une nouvelle série de décisions, et il s’agit habituellement d’un long processus itératif.
(Affidavit de M. Bodmeier, paragraphes 161 et 162; DD vol. 2, pages 226 et 227).
[49] Pour ce qui est de la contrefaçon, l’analyse de M. Bodmeier est relativement succincte et ne traite pas de l’argument de Mylan selon lequel elle ne contrefera aucune des revendications 1 à 33 parce que son produit ne contiendra pas la taille de particules requise.
[50] Les revendications 1 à 33 du brevet 948 requièrent, en plus du tadalafil, la présence de plusieurs excipients, dont un liant hydrophile, qui sont des éléments essentiels de ces revendications. Mylan prétend que son produit ne contiendra que de 1 % à 5 % environ, en poids, d’un liant hydrophile et qu’il ne contrefera donc aucune des revendications 1 à 33. Elle fonde sa prétention sur le fait que [expurgé], principalement connu comme un liant hydrophile, est présent en une quantité égale à [expurgé] dans ses comprimés.
[51] M. Bodmeier conteste cette affirmation et fait remarquer que cette proportion [expurgé] est plus liante que celle que l’on ajouterait habituellement comme excipient dans une formulation en comprimés. Cela s’explique, selon lui, par le fait que [expurgé] peut également agir comme un agent solubilisant, ce qui est particulièrement le cas lorsqu’on s’en sert comme excipient pour un médicament lipophile tel que le tadalafil.
[52] Il semble, d’après l’examen que fait M. Bodmeier du procédé de fabrication de Mylan, que [expurgé]. Ensuite, [expurgé] pour fabriquer des granules.
[53] La principale conclusion de M. Bodmeier quant à la fonction exacte de [expurgé] figure au paragraphe 188 de son affidavit :
[traduction] Habituellement, dans le cas d’un médicament lipophile tel que le tadalafil, on s’attendrait à la présence de solubilisants dans une proportion variant de 10 % environ à 12 % environ, en poids, du comprimé. [expurgé]. On s’attendrait donc à ce que le [expurgé] agisse comme solubilisant dans la proportion de [expurgé] du comprimé. Cela laisserait [expurgé] du [expurgé] pour agir comme liant.
(Affidavit de M. Bodmeier, paragraphe 188, DD vol. 3, page 328)
M. Bugay
[54] M. Bugay est un chimiste analytique, spécialisé dans l’analyse des produits pharmaceutiques. Il a témoigné sur la question de la contrefaçon des tailles de particules. Plus particulièrement, l’objet de son analyse a consisté à déterminer la taille des particules de tadalafil intégrée au tadalafil de Mylan. On lui a demandé aussi de faire des commentaires sur les essais concernant les tailles de particules dont il était question dans les documents relatifs à la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) de Mylan ainsi que dans le rapport de Micron Technologies Inc. (Micron) que Mylan avait déposé.
[55] Après avoir interprété les revendications du brevet 948 au sujet de la taille des particules et expliqué certains principes de l’analyse des tailles de particules, il a fait part de ses commentaires sur les propres essais que Mylan avait effectués sur sa taille de particules. Après avoir revu sous un angle critique le rapport de Micron Technologies, il est arrivé à la conclusion que les résultats sont inexacts et peu fiables, et ce, pour diverses raisons (exposées au paragraphe 44 de son affidavit) : 1) une valeur d’indice de réfraction des particules n’a pas été employée et a plutôt été fixée à zéro, ce qui a peut‑être contribué en fin de compte à donner des résultats inexacts, 2) la valeur résiduelle est supérieure à 0,5 % pour la majorité des déterminations expérimentales, ce qui dénote que le modèle n’est pas en mesure de correspondre entièrement aux données, 3) le rapport indique que la méthode d’essai n’a pas été officiellement nuancée ou validée par Micron, ce qui est un aspect crucial pour la fiabilité et l’exactitude de n’importe quel résultat déclaré, 4) la valeur de l’écart‑type déclarée pour chaque lot de tadalafil est supérieure aux critères admis dans les directives de l’ISO, ce qui signifie qu’il ne faudrait pas accepter les valeurs déterminées pour le tadalafil‑Mylan, et 5) chaque distribution graphique de la taille des particules affiche une distribution multimodale des particules. La présence d’un second mode élevé dénote la présence d’agglomérats, ce qui veut dire que les échantillons n’ont pas été convenablement préparés pour leur analyse. De ce fait, la distribution des tailles de particules est elle aussi inexacte pour cette raison.
[56] M. Bugay commente aussi les essais supplémentaires de Mylan (les essais liés à la PADN). Il critique également ces essais parce qu’il est impossible de déterminer si les résultats sont fiables. Il n’existe aucune description de la façon dont les matières ont été recueillies, aucune vérification indiquant que l’instrument fonctionne convenablement, ni aucun paramètre de préparation des échantillons ou d’acquisition des données pour la détermination.
[57] M. Bugay commente ensuite l’effet du procédé de formulation de Mylan sur la taille des particules. Il déclare que non seulement la taille des particules de tadalafil déclarée est inexacte, mais aussi que le procédé de formulation de Mylan réduit davantage la taille des particules du tadalafil qui est finalement incorporé dans son propre produit. Il émet l’opinion que l’emploi du [expurgé] dans le procédé de fabrication du tadalafil de Mylan réduit la taille des granules après qu’ils sont soumis à une granulation par voie humide. Ce procédé de fabrication l’amène à tirer deux conclusions :
[traduction]
a) comme le procédé de fabrication des comprimés intègre une étape de réduction de la taille des particules comprises dans les granules dans lesquels l’ingrédient pharmaceutique actif [IPA] est incorporé, la détermination de l’IPA, par Mylan, n’a rien à voir avec la taille réelle des particules de tadalafil qui sont présentes dans le produit médicamenteux de Mylan;
b) la seule façon de déterminer de manière exacte la taille des particules de tadalafil que comporte le produit médicamenteux de Mylan est d’extraire l’IPA du tadalafil du produit médicamenteux et de déterminer ensuite la taille des particules.
(Affidavit de M. Bugay, paragraphe 52, DD vol. 3, page 346)
[58] M. Bugay explique ensuite qu’il a mis au point un procédé d’extraction dans le cadre duquel l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) du tadalafil est retiré du produit médicamenteux de Mylan et déposé dans un instrument de calibrage des particules en vue de le mesurer. Comme l’analyse de la taille des particules mesurera toutes les particules déposées dans l’instrument, il est tout d’abord nécessaire d’extraire le tadalafil du produit médicamenteux, car c’est la taille des particules de tadalafil qui est l’objet du présent litige. Il est possible de séparer les matières présentes dans un mélange d’un certain nombre de façons différentes, mais M. Bugay sait par expérience qu’il est possible d’extraire l’IPA d’un produit médicamenteux formulé en comprimés en recourant à une simple méthode d’analyse densimétrique qui prend, comme point de départ de la séparation, les densités différentes de chaque élément. M. Bugay a donc créé un procédé d’extraction dans le cadre duquel les diverses étapes séparent des éléments précis jusqu’à isoler le tadalafil, et il décrit ce procédé aux paragraphes 59 à 75 de son affidavit, ainsi que dans un organigramme joint en tant que pièce « O » à ce dernier.
[59] Comme il est analysé et enseigné dans le brevet 948, l’analyse de la taille des particules met habituellement en suspension le solide à l’étude dans un milieu en vue de l’introduire par la suite dans la zone de mesure de l’instrument de calibrage des particules. M. Bugay a donc préparé un milieu de dispersion des tailles de particules en vue de disperser les particules de tadalafil extraites pour pouvoir les analyser. L’instrument de calibrage des particules a également été soumis à une procédure de pertinence du système, qui en a évalué le rendement le jour de l’analyse des échantillons. Les résultats moyens de l’analyse de la taille des particules et de la déclaration de la valeur d90 du tadalafil contenu dans les deux lots du produit médicamenteux de 20 mg de Mylan étaient de [expurgé] microns.
[60] Pour confirmer que le procédé d’extraction n’extrayait que le tadalafil des échantillons du produit médicamenteux de Mylan, les solides extraits des deux lots différents de comprimés de Mylan ont été soumis à une technique d’analyse bien établie et très sensible (analyse spectroscopique Raman). Les résultats confirment que le procédé d’extraction du tadalafil des comprimés de Mylan est sélectif pour le tadalafil seulement. Cela repose sur le fait que les matières extraites des comprimés de Mylan n’affichent des maxima qu’aux mêmes longueurs d’onde que celles d’une préparation semblable de la norme de référence correspondante de l’USP (United States Pharmacopeia) et que les spectres Raman n’indiquent pas la présence de pics excédentaires qui ne peuvent pas être attribués au tadalafil.
[61] Au dernier paragraphe de son affidavit, M. Bugay conclut :
[traduction] Mon analyse de la taille des particules a montré que le tadalafil contenu dans les deux lots de comprimés du produit médicamenteux de 20 mg de Mylan qui ont été soumis ont un d90 inférieur à 40 microns et sont visés par cet élément de la revendication 1 du brevet 948. De plus, mon analyse a montré que ces deux mêmes lots affichent, pour le tadalafil, une valeur d90 inférieure à 10, 30, 25 et 15 microns, conformément aux éléments additionnels présents dans les revendications 15, 23, 24 et 25 du brevet 948, respectivement.
(Affidavit de M. Bugay, paragraphe 91, DD vol. 3, pages 358 et 359)
B. Le témoin de Mylan
M. Brittain
[62] M. Brittain est un expert en formulation et en analyse de médicaments. Il a fait part de son opinion sur deux aspects : la contrefaçon (taille des particules et liant hydrophile) et l’évidence. Il a également répondu aux opinions de MM. Bodmeier et Bugay. Son témoignage consiste en un affidavit et un contre‑interrogatoire, tous deux assortis de pièces. Je signale que M. Brittain a une vaste expérience des pharmacopées en tant que membre de l’USP, un organisme américain indépendant et sans but lucratif qui publie un ensemble de méthodes, de méthodologies et d’attentes en matière de spécifications qui servent à établir la qualité de substances médicamenteuses et des produits qui en découlent. Par une loi du Congrès des États‑Unis, les monographies pharmacopéiques (aussi appelées « Pharmacopée des États‑Unis ») ont obtenu un statut juridique et la Pharmacopée est reconnue par la Food and Drug Administration des États‑Unis comme l’organe officiel d’archivage des normes et des spécifications en matière de médicaments. M. Brittain a été membre du Groupe consultatif de l’USP sur les méthodes d’essai physique relatives aux excipients de 1991 à 1995, membre du Comité de révision des méthodes d’essai relatives aux excipients de l’USP de 1995 à 2000 et membre du Comité d’experts des chapitres généraux de l’USP de 2005 à 2010. L’une de ses principales responsabilités dans le cadre de ces comités avait trait aux techniques de détermination de la distribution des tailles de particules. Il a aussi abondamment écrit sur la détermination de la taille des particules.
[63] M. Brittain fait tout d’abord état de son opinion sur la question de l’évidence. Il écrit qu’il faisait nettement partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art qu’il fallait augmenter le taux de dissolution de médicaments à faible solubilité tels que le tadalafil pour obtenir une biodisdisponibilité suffisante et une entrée en action thérapeutique appropriée. La personne versée dans l’art saurait également que, parmi d’autres modifications possibles de la substance médicamenteuse, il est possible d’augmenter le taux de dissolution d’un médicament à faible solubilité en recourant à des excipients et en réduisant la taille des particules du composé médicamenteux lui‑même.
[64] Les facteurs agissant sur le taux de dissolution d’une substance ont été exprimés dans le cadre d’une relation (l’équation Noyes‑Whitney) qui date des années 1890 et selon laquelle l’un des facteurs qui détermine le taux de dissolution d’une substance est sa surface. Le fait d’accroître la surface d’une substance médicamenteuse (ce que l’on peut obtenir en réduisant la distribution de la taille de ses particules) fera augmenter son taux de dissolution. Dès les années 1960 au moins, l’effet de la réduction de la taille des particules sur le taux de dissolution d’une substance médicamenteuse avait été étudié et publié dans d’importantes revues pharmaceutiques. En fait, avant le dépôt du brevet 948, il y avait eu un certain nombre d’exemples dans lesquels on s’était servi de la réduction de la taille des particules pour faire augmenter les taux de dissolution de substances médicamenteuses. Ces connaissances générales courantes au sujet de l’emploi de particules d’une substance médicamenteuse de taille inférieure dans des formulations se retrouvent également dans un certain nombre de traités qui, pour les formulateurs, sont des manuels faisant autorité. En fin de compte, la personne moyennement versée dans l’art s’attendrait dans tous les cas à ce qu’une dissolution plus rapide soit suivie d’une biodisponibilité plus efficace et d’un effet thérapeutique amélioré, et le formulateur versé dans l’art aurait étudié de manière systématique la réduction des tailles de particules.
[65] Il est également bien connu, d’après M. Brittain, que l’inclusion d’un surfactant peut aider à activer le taux de dissolution d’un médicament peu soluble. À son avis, les excipients privilégiés qui sont divulgués dans le brevet 948 faisaient partie de ceux qui étaient les plus couramment disponibles et utilisés à l’époque pertinente. Par ailleurs, les plages exprimées en pourcentage de poids pour ces excipients dans le brevet 948 sont presque identiques à celles qui sont divulguées dans les principaux traités. Il est donc [traduction] « tout à fait » en désaccord avec M. Bodmeier quant au fait qu’il y ait quoi que ce soit d’inventif dans le choix des plages précises dont fait état le brevet 948.
[66] M. Brittain conçoit que l’idée originale du brevet 948 est une formulation comprenant des particules de tadalafil ayant une distribution de taille précise. Ces particules sont combinées à des excipients pharmaceutiques dans des quantités et des plages spécifiques et produisent une forme posologique orale qui assure une activité uniforme, une stabilité et des caractéristiques de biodisponibilité souhaitables. À son avis, l’aspect essentiel de l’idée originale du brevet 948 est un taux amélioré de dissolution du tadalafil sous une forme posologique orale, un résultat obtenu par la diminution de la taille des particules de la substance médicamenteuse en vue d’en améliorer la surface de contact avec des fluides gastro-intestinaux, ainsi que par l’utilisation d’excipients spécifiques en quantités précises dans la formulation, et tout particulièrement un surfactant.
[67] Selon M. Brittain, la réduction de la taille des particules est un outil de formulation bien connu pour améliorer le taux de dissolution de composés peu solubles dans l’eau. De plus, l’utilisation de catégories générales d’excipients dans le brevet 948 en vue d’obtenir des formes posologiques orales stables et biodisponibles relevait des connaissances générales courantes du formulateur versé dans l’art. La seule différence entre l’idée originale et les connaissances générales courantes réside donc dans le fait de réduire la taille des particules et dans les quantités exactes de ces excipients dans une formulation à base de tadalafil. M. Brittain n’est pas d’accord avec l’affirmation de M. Bodmeier selon laquelle il y avait des choix infinis d’excipients qu’il était possible de faire pour le tadalafil, car il y avait deux brevets concernant ce médicament que la personne versée dans l’art aurait cherchés et étudiés comme point de départ pour la formulation (les brevets 377 et 784); ces deux brevets présentent comme point de départ un certain nombre des mêmes excipients que ceux qui sont revendiqués dans le brevet 948.
[68] M. Brittain a de plus émis l’opinion qu’il aurait été évident aux yeux d’une personne versée dans l’art que l’on améliorerait vraisemblablement la biodisponibilité du tadalafil en réduisant la distribution des tailles de particules de la substance médicamenteuse. Pour ce qui est des distributions de taille précises qui sont revendiquées dans le brevet 948, ce résultat aurait été obtenu au moyen d’essais courants, en gardant à l’esprit que le principe directeur de la réduction de la taille des particules en vue d’améliorer le taux de dissolution est [traduction] « plus c’est petit, mieux c’est ». Quant au choix du surfactant et des autres excipients revendiqués dans le brevet 948, il s’agit simplement d’excipients standards que l’on emploie pour leurs objets types dans des formes posologiques orales, et ils ont été, pour la plupart, divulgués dans les brevets 377 et 784 et on les aurait déterminés au moyen d’essais courants. M. Brittain conclut :
[traduction] On aurait pu faire l’essai d’autres moyens de formuler un composé peu soluble comme le tadalafil, mais les techniques divulguées dans le brevet 948 sont au nombre de celles que l’on utilise le plus couramment. […] La formulation est souvent un processus itératif, mais courant, d’essais et d’erreurs. La réduction de la taille des particules et les excipients spécifiques que comporte le brevet 948 étaient des candidats évidents pour ce genre d’expérience.
(Affidavit de M. Brittain, paragraphe 133, DD vol. 13, page 2700)
[69] M. Brittain est également d’avis que le produit que propose Mylan n’est pas visé par les revendications du brevet 948 car il contient plus de liant hydrophile qu’on ne le spécifie dans les revendications et sa substance médicamenteuse à une distribution de taille de particules plus large que celle qui est indiquées. Pour ce qui est de la proportion de liant hydrophile, il n’est pas d’accord avec l’opinion de M. Bodmeier selon laquelle ce n’est pas la totalité du [expurgé] dans les comprimés de Mylan qui agit comme liant. M. Brittain croit que l’on peut uniquement considérer que [expurgé] agit comme un liant parce que la totalité du [expurgé] formulé lors de la transformation des comprimés de Mylan est ajoutée avant la compression des comprimés. Non seulement n’a‑t‑on pas montré que [expurgé] peut solubiliser le tadalafil, mais la solubilisation est un procédé qui n’a lieu qu’au moment où le comprimé se dissout dans les fluides de l’appareil gastrointestinal de la personne qui ingère le comprimé. Depuis [expurgé], la substance est clairement incluse dans la formulation en raison de ses propriétés de liaison.
[70] En ce qui concerne la distribution des tailles de particules, le mémoire descriptif du brevet 948 fournit à la personne versée dans l’art une méthode détaillée de diffusion de la lumière laser pour sa détermination. Selon M. Brittain, la personne moyennement versée dans l’art examinerait le mémoire descriptif du brevet 948 et comprendrait que n’importe quelle détermination des tailles de particules devrait avoir lieu avant que la substance médicamenteuse soit formulée en une forme posologique. Même si le mémoire descriptif indique que la méthode d’analyse de la distribution des tailles de particules ne se limite pas à celle qui est décrite, il ne donne pas à penser qu’il serait utile d’analyser les tailles des particules de la substance médicamenteuse récupérées à la suite d’une formulation traitée pour déterminer si les particules de la substance médicamenteuse étaient visées ou non par les revendications. Selon M. Brittain, ni Technologies, ni Mylan, ni M. Bugay n’ont décidé d’employer le procédé exact d’analyse des tailles de particules qui est décrit dans le mémoire descriptif du brevet 948. Les essais de Micron Technologies, admet-il, sont probablement peu fiables : il partage les préoccupations de M. Bugay au sujet des essais, et principalement le fait que la distribution multimodale est vraisemblablement le résultat d’une agglomération, ce qui rend peu fiables les lectures des tailles de particules. Cela dit, il croit que l’analyse faite par Mylan dans le cadre de la PADN est probablement la mesure la plus fiable qui soit pour la distribution des tailles de particules de la substance médicamenteuse de Mylan, et les résultats font état d’une valeur d90 de [expurgé] pour la substance médicamenteuse de Mylan.
[71] Enfin, M. Brittain exprime l’avis qu’il faudrait rejeter les données de M. Bugay en faveur des essais que Mylan a effectués, et ce, pour un certain nombre de raisons. Le plus important est que la méthode d’extraction de M. Bugay est inappropriée, car elle contredit ce que le brevet 948 enseigne clairement, à savoir qu’il faut réaliser et déterminer la réduction des tailles de particules avant la formulation et la compression des comprimés. Par ailleurs, rien ne permet de savoir si le procédé d’extraction de M. Bugay lui‑même a changé la distribution des tailles de particules de tadalafil dans le produit proposé par Mylan. En outre, dans son affidavit, M. Bugay ne fait état d’aucun résultat lié à la distribution des tailles de particules qu’il a obtenu pour la substance médicamenteuse elle‑même, et ce, malgré qu’on lui ait envoyé non seulement des comprimés de Mylan pour analyse, mais aussi des échantillons de la substance médicamenteuse de Mylan. Cela est surprenant, selon M. Brittain, car le brevet 948 enseigne qu’il faut déterminer la distribution des tailles avant de procéder à la formulation. Enfin, M. Brittain ne souscrit pas à la conclusion de M. Bugay selon laquelle l’utilisation par Mylan d’un [expurgé] à la fin de son étape de granulation humide réduirait encore plus la distribution des tailles de particules de tadalafil. Cette étape a pour seul résultat de rompre tout agglomérat de grande taille dans la matrice de granulation séchée. La documentation technique [expurgé] jointe à l’affidavit de M. Bugay confirme que la réduction des tailles s’entend d’un [traduction] « broyage jusqu’à < 500 microns ». Il conclut : [traduction] « [i]l est absolument impossible que cette étape du processus réduise la valeur d90 des particules de la substance médicamenteuse de Mylan à moins de 40 microns » (affidavit de M. Brittain, paragraphe 176, DD vol. 14, page 2773).
IV. Les questions en litige
[72] Le 10 octobre 2014, Lilly a déposé une requête visant à faire radier du mémoire des faits et du droit de Mylan un certain nombre de mots et de notes infrapaginales qui étaient censément fondés sur des conclusions de fait tirées dans une décision d’une cour de district des États‑Unis (Apotex v Cephalon, 2012 WL 1080148 (ED Pa)) [Cephalon], au sujet d’un médicament appelé « modafinil ». Lors du contre‑interrogatoire de M. Bugay, l’avocat de Mylan lui a posé une question sur Cephalon (une affaire dans laquelle M. Bugay avait témoigné), mais l’avocat de Lilly s’est opposé à ce que l’on utilise cette décision. Le 15 octobre 2014, Mylan a fait savoir, par un avis transmis par courriel, qu’elle entendait maintenant se fonder sur l’opinion émise et l’ordonnance rendue dans l’affaire Cephalon à titre de preuve, conformément aux articles 23 et 25 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5. Lilly a alors déposé une nouvelle requête en vue de faire radier cet avis.
[73] Au début de l’audience, l’avocat de Lilly a déclaré qu’au lieu de déposer immédiatement les requêtes, il préférait intégrer ses arguments découlant de ces dernières à ses arguments sur le fond. Mylan ayant souscrit à cette manière de procéder, je traiterai du fond de ces requêtes dans la mesure où il est pertinent pour traiter des arguments invoqués à l’égard des principales questions en litige que soulève la présente instance.
[74] Dans son AA, Mylan a allégué qu’elle ne contrefera aucune des revendications du brevet 948 et, subsidiairement, que celui-ci est invalide pour les motifs suivants : a) ses revendications pertinentes sont imprécises, b) ses revendications pertinentes n’en divulguent pas assez ou ne permettent pas à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention, c) subsidiairement aux motifs a) et b), ses revendications pertinentes sont évidentes, et d) ses revendications pertinentes sont invalides pour cause de double brevet par rapport au brevet 087. Pourtant, dans son mémoire des faits et du droit, Mylan n’a pas traité de la question du double brevet, du caractère imprécis et de la suffisance. L’avocat de Mylan a déclaré au début de l’audience qu’il n’avait pas eu pour instruction de renoncer à ces arguments, mais il est devenu évident au cours de l’audience que l’on avait renoncé à ces motifs d’invalidité.
[75] En conséquence, les questions à trancher en l’espèce consistent à savoir si les allégations suivantes sont justifiées :
A. La formulation de Mylan contrefait‑elle le brevet 948?
B. Le brevet 948 est‑il invalide pour cause d’évidence?
V. L’analyse
[76] Il n’y a pas de désaccord marquant entre les parties au sujet de la personne versée dans l’art et de l’interprétation du brevet. M. Bodmeier a déclaré que la personne versée dans l’art serait un formulateur, qui détiendrait un diplôme universitaire assorti de quelques années d’expérience de travail dans le domaine des formes posologiques, et ce, dans un milieu de recherche, habituellement au sein d’une société pharmaceutique. De plus, cette personne connaîtrait très bien les techniques de formulation générales ainsi que les manuels généralement reconnus dans le domaine. La définition de M. Bugay est semblable et inclut, de plus, une expérience de la mesure des tailles de particules et des aspects scientifiques qui sous‑tendent ce genre de travail. La définition de M. Brittain est semblable à celle de M. Bodmeier, et elle est axée sur l’expérience acquise au sein de l’industrie. Je conviens avec l’avocat de Lilly que ces définitions sont en grande partie compatibles, sauf peut‑être pour ce qui est de l’importance de l’expérience acquise au sein de l’industrie. Sur ce dernier point, je souscris à l’explication de M. Brittain, à savoir qu’une personne dotée d’une telle expérience apprend habituellement ce qui fonctionne en élaborant concrètement des formulations et que, dans cette mesure, cette personne peut avoir un léger avantage sur les théoriciens qui n’ont aucune expérience pratique.
[77] Quant à l’interprétation du brevet 948, Mylan n’en traite même pas explicitement et les revendications ne semblent susciter aucun différend, sauf pour ce qui est du moment où il y a lieu de mesurer la taille des particules. Nous traiterons de cette question au moment d’examiner l’allégation d’absence de contrefaçon de Mylan, laquelle repose sur son argument selon lequel son produit ne contiendra pas la taille des particules de tadalafil qui est revendiquée dans le brevet 948.
A. La formulation de Mylan contrefait‑elle le brevet 948?
[78] L’article 42 de la Loi sur les brevets confère à un breveté le droit exclusif de fabriquer, d’exploiter et de vendre l’invention qui est revendiquée dans le brevet. Comme la protection d’un brevet est fondée sur la notion d’un marché conclu entre l’inventeur et le public, un marché dans le cadre duquel cet inventeur acquiert pendant un temps restreint le droit exclusif d’exploiter l’invention divulguée au public, il est indispensable de délimiter le plus clairement possible la portée de cette protection. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Free World Trust c Électro Santé Inc, (2000 CSC 66, au paragraphe 41, [2000] 2 RCS 1024 [Free World Trust]) : « [a]près tout, un brevet est un document public établi en application d’un pouvoir légal, et sa contrefaçon peut avoir de graves répercussions financières. La portée de l’interdiction qui y est faite doit être claire, de façon que les citoyens sachent quelles avenues leur demeurent ouvertes ». Par souci de prévisibilité, le breveté est donc lié à ses revendications; ces dernières, cependant, ne doivent pas être interprétées littéralement, mais de façon éclairée et en fonction de l’objet visé.
[79] Il est également bien établi que certains éléments d’une invention revendiquée sont essentiels, et que d’autres ne le sont pas. Dans le cadre de l’exercice d’interprétation, la personne versée dans l’art doit donc déterminer les éléments qui sont essentiels dans chaque revendication. Pour ce faire, le libellé des revendications est d’une importance capitale :
51. […] L’interprétation des revendications avec le concours d’un destinataire versé dans l’art donne au breveté l’assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d’un expert concernant leur sens technique. Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.
(Arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 51)
[80] Dans son affidavit, M. Bodmeier a relevé les éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 948, et Mylan ne les conteste pas :
[traduction]
a. du tadalafil sous forme de médicament libre;
b. dans lequel 90 % des particules de tadalafil ont une taille inférieure à 40 microns environ;
c. de 50 % environ à 85 % environ, en poids, d’un diluant hydrosoluble;
d. un lubrifiant;
e. de 1 % environ à 5 % environ, par poids, d’un liant hydrophile choisi parmi le groupe formé d’un dérivé cellulosique, de povidone et de leur mélange;
f. un délitant choisi parmi le groupe formé du croscarmellose sodique, de la crospovidone et de leur mélange.
(Affidavit de M. Bodmeier, paragraphe 179, DD vol. 3, page 327)
[81] Lorsqu’un fabricant de produits génériques allègue une absence de contrefaçon dans son AA, il est présumé que les déclarations faites à cet égard sont véridiques. En l’espèce, Mylan a formulé au sujet du brevet 948 deux allégations d’absence de contrefaçon qui sont toujours en jeu :
i) le tadalafil‑Mylan [il s’agit du nom donné par Mylan à ses comprimés de tadalafil dans sa demande d’AC] ne contiendra pas de tadalafil dans lequel au moins 90 % des particules sont d’une taille inférieure à 40 microns environ, inférieure à 30 microns environ, inférieure à 25 microns environ, inférieure à 15 microns environ ou inférieure à 10 microns environ, et il ne contrefera donc pas les revendications 1 à 33;
ii) le tadalafil‑Mylan ne contiendra pas de 1 % environ à 5 % environ, en poids, d’un liant hydrophile, et il ne contrefera donc pas les revendications 1 à 33.
[82] Étant donné que Mylan n’allègue pas une absence de contrefaçon à l’égard des autres éléments des revendications du brevet 948, il faut présumer qu’elles sont contrefaites. En revanche, Lilly a le fardeau de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’absence de contrefaçon sont injustifiées : Novopharm Ltd c Pfizer Canada, 2005 CAF 270, au paragraphe 20 [Novopharm]; Eli Lilly c Apotex, 2009 CF 320, au paragraphe 41. Il va sans dire que de pures hypothèses d’un expert ne seront pas suffisantes pour s’acquitter de ce fardeau : arrêt Novopharm, précité, au paragraphe 24; Glaxo Group Ltd c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1998), 80 CPR (3d) 424, au paragraphe 9, 147 FTR 298 (C.F. 1re inst.).
(1) L’allégation de Mylan selon laquelle sa formulation n’utilisera pas la quantité de liant hydrophile qui est revendiquée
[83] Toutes les revendications invoquées requièrent une formulation pharmaceutique de tadalafil de [traduction] « 1 % environ à 5 % environ, en poids, d’un liant hydrophile choisi parmi le groupe formé d’un dérivé cellulosique, de povidone et de leur mélange ». Le mot [traduction] « environ » n’est pas défini dans le brevet, mais Lilly ne conteste pas que les revendications n’engloberaient manifestement pas un pourcentage de 6 % ou plus. Une différence de 1 % représenterait 20 % de la limite supérieure de la plage établie par la brevetée, et elle dépasserait clairement l’interprétation correcte du mot [traduction] « environ » qui figure dans les revendications. À mon avis, Lilly ne conteste pas cette interprétation.
[84] M. Bodmeier a passé en revue la teneur de la formulation de tadalafil‑Mylan et a relevé la présence de [expurgé] dans une proportion de [expurgé] du poids total du comprimé. À priori, à cause d’un tel pourcentage, cette formulation déborde clairement le cadre des revendications invoquées. Le problème, selon M. Bodmeier, est que la quantité normale de [expurgé] utilisée comme liant dans les comprimés varie habituellement de 2 % à 5 %. Comme nous l’avons vu, il émet l’hypothèse que cette différence est imputable au fait que [expurgé] agit à la fois comme liant et comme solubilisant. À son avis, cette hypothèse concorde avec le fait que les comprimés de Mylan ont [expurgé], tandis que [traduction] « l’on s’attendrait à ce que » des solubilisants soient présents en une quantité variant de 10 % environ à 12 % dans le cas d’un médicament lipophile tel que le tadalafil. En conséquence, [traduction] « l’on s’attendrait à ce que » [expurgé] agisse en sa qualité de solubilisant en une quantité de [expurgé] dans le tadalafil‑Mylan, ce qui laisserait donc une quantité de [expurgé] pour agir comme liant et le ferait entrer dans les limites du brevet 948.
[85] Mylan soutient que la théorie de Lilly n’est pas pertinente car rien dans les revendications du brevet 948 n’exige qu’elle établisse que la totalité du liant hydrophile présent dans ses comprimés agit comme tel en tout temps durant la formulation. L’idée que les revendications exigent uniquement la présence d’un liant hydrophile en une quantité précise est sans fondement. À mon avis, il est au moins implicite dans les revendications que les divers éléments de la formulation pharmaceutique pour lesquels un poids proportionnel est fixé doivent agir en fonction de leur objet principal. Sinon, il serait inutile d’indiquer la proportion respective, en poids, de certains excipients.
[86] Cela dit, je conviens avec Mylan que l’argument qu’invoque Lilly s’appuie sur de multiples couches de conjectures. Tout d’abord, M. Bodmeier émet l’opinion que [expurgé] est plus liant qu’il ne le serait [traduction] « habituellement » s’il était ajouté comme excipient dans une formulation en comprimés. Certes, M. Brittain a confirmé en contre‑interrogatoire qu’un pourcentage de 2 % à 5 % est un chiffre normal. Mais cela ne ressemble en rien au fait d’établir que des quantités supérieures à cette plage cessent de produire la fonction adhésive d’un liant. Aucun des deux experts n’a affirmé catégoriquement que [expurgé] ne peut agir comme liant dans une proportion de [expurgé] et, en tout état de cause, aucun essai n’a été réalisé à l’appui d’une telle conclusion. Des conjectures, même si elles émanent d’experts, ne sont pas des preuves, et elles ne sont manifestement pas suffisantes pour s’acquitter du fardeau de la preuve dans une affaire de contrefaçon.
[87] Fait intéressant, l’idée qu’une partie du [expurgé] dans le tadalafil‑Mylan agit probablement comme un solubilisant plutôt que comme un liant parce qu’il est présent en une quantité supérieure à une plage caractéristique va tout à fait à l’encontre de l’opinion qu’émet M. Bodmeier dans son analyse concernant l’évidence. Dans cette partie de son affidavit, celui-ci affirme que le fait de choisir pour d’autres excipients (par exemple, un diluant hydrosoluble, un lubrifiant et un délitant) une plage qui se situe en dehors de celles qui sont suggérées pour ces excipients dans le Handbook of Pharmaceutical Excipients requiert de l’inventivité (voir l’affidavit de M. Bodmeier, aux paragraphes 137 à 139; DD vol. 2, pages 222 et 223). Commentant cet aspect de l’affidavit de M.Bodmeier, M. Brittain a déclaré :
[traduction] Je trouve curieux que M. Bodmeier dise que les écarts par rapport aux plages suggérées pour les excipients soient inventifs dans le cas des revendications du brevet 948 (par exemple, au paragraphe 139) mais qu’ils ne concordent pas avec l’utilisation indiquée des excipients dans le cas de la formulation que propose Mylan (paragraphes 185 à 189). À mon avis, tant les choix de formulation d’Eli Lilly que ceux de Mylan ne sont que des exemples de formulateurs versés dans l’art qui déterminent les quantités optimales d’excipients standards en vue de réaliser leurs fonctions prévues, y compris dans le cas de [expurgé].
(Affidavit de M. Brittain, paragraphe 160, DD vol. 14, page 2768)
[88] Par ailleurs, on trouve aussi dans le dossier une preuve que les liants hydrophiles revendiqués dans le brevet 948 sont utilisés dans une proportion de plus de 5 % dans des formulations orales antérieures du tadalafil. Par exemple, les brevets 377 et 784 divulguent une formulation du tadalafil en comprimés dans laquelle la povidone, l’un des liants hydrophiles, représentait 30 % du comprimé. Dans le même ordre d’idées, le brevet Butler divulgue une formulation du tadalafil en comprimés qui comporte 10 % de povidone. Dans une affaire que la Cour a tranchée en 2010 (Sanofi c Ratiopharm, 2010 CF 230), l’une des revendications en litige était une composition pharmaceutique contenant un liant dans une proportion de 2 % environ à 20 % environ. Enfin, il y a aussi dans le dossier une preuve que les liants hydrophiles revendiqués dans le brevet 948 ont été utilisés dans une proportion de plus de 5 % dans les propres brevets de M. Bodmeier (voir les demandes de brevet américain portant les nos 2001/0007680 A1 et 2013/0287847 A1; voir le contre‑interrogatoire de M. Bodmeier, aux pages 54 et 55, DD vol. 18, pages 3483 et 3484, ainsi que les pièces « 1 » et « 2 », DD vol. 20, pages 3997, 3999, 4000 et 4005).
[89] Par ailleurs, il n’existe aucune preuve que le [expurgé] dans la formulation de Mylan agit à titre de solubilisant. Dans son affidavit, M. Brittain déclare qu’il a été démontré que [expurgé], tout en étant capable d’agir comme solubilisant pour certaines substances médicamenteuses, ne les solubilise pas toutes. En contre‑interrogatoire, il a admis que [expurgé] peut agir comme solubilisant pour un [traduction] « tas de choses » à des concentrations très élevées (30 %, a‑t‑il indiqué), mais qu’il n’est pas très efficace en petites quantités. Loin d’être incohérent, comme le prétend Lilly, M. Brittain a ajouté qu’à de faibles concentrations [traduction] « c’est réellement au cas par cas. Et plus souvent qu’autrement, à de faibles concentrations il n’agirait pas comme solubilisant » (contre‑interrogatoire de M. Brittain, page 46, DD vol. 22, page 4223). En l’absence d’une preuve quelconque, il n’a donc pas été établi que le [expurgé] présent dans la formulation de Mylan peut agir comme solubilisant même à une concentration de [expurgé].
[90] L’opinion de M. Bodmeier selon laquelle le [expurgé] présent dans le tadalafil‑Mylan agit à la fois comme liant et comme solubilisant repose également sur l’hypothèse que le solubilisant est censé être présent en une quantité variant entre 10 % environ et 12 % environ, tandis que le tadalafil‑Mylan [expurgé]. Mais il ne s’agit là que d’une hypothèse, rien de plus. Non seulement aucun essai n’a-t-il été mené, mais cette idée selon laquelle des solubilisants doivent être présents dans une proportion de 10 % à 12 % dans les formulations de tadalafil va à l’encontre des exemples de formulation que l’on trouve dans le brevet 948, et dont aucun ne recourt à un solubilisant.
[91] En fin de compte, je conviens avec M. Brittain que la question de savoir si une partie quelconque de [expurgé] agit comme un solubilisant dans le tadalafil‑Mylan est peu pertinente. Comme l’a expliqué M. Brittain, la liaison et la solubilisation sont deux rôles différents à deux stades différents. Étant donné que [expurgé] est intégré à la formulation de Mylan à [expurgé] avant la compression des comprimés, la substance est fort probablement intégrée à la formulation pour ses propriétés liantes, et elle est bel et bien inscrite comme un « liant » dans un document intitulé [traduction] « Description et composition » qui fait partie de la présentation règlementaire décrivant la composition du produit proposé par Mylan (voir le DD vol. 17, page 3330). Même si [expurgé] pourrait également aider à solubiliser le tadalafil une fois qu’un patient prend un comprimé - une hypothèse qui n’a pas été prouvée - cela ne pourrait pas changer le fait que la totalité de [expurgé] dans les comprimés de Mylan agit comme liant lors de la production de ces derniers.
[92] À la fin de ses observations sur ce point, l’avocat de Lilly a déclaré que [traduction] « tout cela se résume en bonne partie au fait de savoir quel expert la Cour va suivre » (transcription, page 297), et il a fait valoir qu’il y a lieu de privilégier l’opinion de M. Bodmeier plutôt que celle de M. Brittain parce que c’est lui le véritable expert dans le domaine, tandis que l’expertise de M. Brittain se limite à celle d’un [traduction] « simple analyste » (transcription, page 144). Malheureusement pour Lilly, il m’est impossible d’adhérer à cet argument. Tout d’abord, même si la Cour ne disposait que de l’opinion de M. Bodmeier, celle‑ci serait loin d’être suffisante pour s’acquitter du fardeau de dépasser le cadre des conjonctures et des hypothèses, et elle ne satisfait donc pas à la norme de la prépondérance des probabilités.
[93] Par ailleurs, je conclus que M. Brittain jouit d’une expérience considérable, tant sur le plan théorique qu’au sein de l’industrie, en matière de conception et de mise au point de formulations médicamenteuses. Il a obtenu un doctorat en chimie physique et a débuté sa carrière dans un milieu universitaire. Il a également abondamment travaillé comme consultant auprès de l’industrie pharmaceutique dans le domaine de la conception et de la formulation de produits médicamenteux, et ce, à divers titres. Il a également participé personnellement à la formulation de plus d’une centaine de produits médicamenteux. Au cours des 15 dernières années, il a conseillé l’industrie sur toutes les étapes du processus de formulation de médicaments dans le cadre de sa propre société de consultation. Comme il a été mentionné plus tôt, il a acquis une vaste expérience à titre de membre de la Pharmacopée des États‑Unis. Il serait donc injuste de dire de M. Brittain qu’il est un [traduction] « simple analyste » et qu’il ne possède que peu d’expérience pratique, sinon aucune, en matière de formulation. Au contraire, c’est M. Bodmeier qui correspondrait davantage à ce profil, lui qui exerce les fonctions de professeur titulaire à la Faculté de pharmacie de la Freie Universität de Berlin depuis 1994.
[94] Lilly a également tenté de mettre en doute la crédibilité de M. Brittain en disant que ce dernier a travaillé surtout pour des fabricants de produits génériques et que l’on demande parfois aux consultants de ces entreprises de donner des conseils sur la façon d’éviter les brevets qui comportent des formulations. Après avoir lu avec soin son contre‑interrogatoire sur ces questions, je ne crois pas que ces observations tiennent la route. Au contraire, les réponses qu’il a données en contre‑interrogatoire sont crédibles et honnêtes, et il ne donne certes pas l’impression de défendre la cause de Mylan. Comme je l’ai constaté au moment d’examiner son affidavit, il est allé jusqu’à dire que l’analyse que Micron a faite à propos de la taille des particules de la substance médicamenteuse de Mylan est probablement peu fiable. Ce n’est manifestement pas là la marque distinctive d’une personne qui défend la cause de la société qui a retenu ses services en tant qu’expert. J’estime donc que M. Brittain est aussi crédible comme témoin que M. Bodmeier.
[95] Pour toutes les raisons qui précèdent, je conclus que Lilly n’est pas parvenue à s’acquitter de son fardeau de prouver selon la prépondérance des probabilités que le tadalafil‑Mylan contiendra [traduction] « de 1 % environ à 5 % environ, en poids, d’un liant hydrophile ».
(2) L’allégation de Mylan selon laquelle sa formulation n’utilisera pas la distribution des tailles de particules revendiquée
[96] La revendication 1 du brevet 948 fait état d’une formulation du tadalafil [traduction] « dans laquelle ledit [tadalafil] est produit sous la forme d’un médicament libre comprenant des particules et dans lequel au moins 90% des particules du composé sont d’une taille inférieure à 40 microns environ ». Les revendications 15 et 23 à 25 limitent davantage la distribution des tailles de particules de tadalafil à 10, 30, 25 et 15 microns, respectivement.
[97] Dans son AA, Mylan allègue que son produit ne contiendra pas la taille de particules de tadalafil et les excipients qui sont revendiqués dans le brevet 948. Elle confirme cet énoncé plus loin dans l’AA, en disant qu’aucune revendication [traduction] « du brevet [948] ne serait contrefaite par la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente, par Mylan, du tadalafil‑Mylan » (DD vol. 1, page 138). Elle déclare aussi que [traduction] le « tadalafil‑Mylan ne contiendra pas du tadalafil dans lequel au moins 90 % des particules de tadalafil sont d’une taille inférieure à 40 microns environ, à 30 microns environ, à 25 microns environ, à 15 microns environ ou à 10 microns environ » (DD vol. 1, page 139).
[98] Le premier argument de Lilly, à l’instar des deux autres demandes visant à empêcher Mylan de commercialiser du tadalafil (T‑296‑13 et T‑298‑13), est que Mylan n’a pas allégué dans son AA qu’il faudrait déterminer la taille des particules avant la formulation, et qu’on ne peut l’autoriser à modifier son AA en changeant l’interprétation du brevet 948 après que Lilly a déposé ses preuves. Cet argument ne peut pas être retenu, et ce, pour les raisons qui suivent.
[99] Premièrement, le brevet 948 ne dit rien à propos du moment où il faudrait mesurer la taille des particules, et Mylan a laissé en suspens la question de savoir si les particules devraient être mesurées avant la formulation, ou après, au lieu de s’engager vis‑à‑vis d’une interprétation particulière des revendications. C’est ainsi que cela doit se passer, car l’interprétation des revendications est presque toujours déclenchée par une affirmation d’absence de contrefaçon et doit être tranchée par la Cour au moment où elle traite du bien‑fondé d’une allégation. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire d’évoquer dans un AA la question de l’interprétation des revendications : voir AB Hassle c Apotex, 2001 CFPI 530, aux paragraphes 61 à 65, [2001] ACF no 809; TR Hughes et D Clarizio, Hughes and Woodley on Patents, 2e éd. (Markham, LexisNexis Butterworths, 2005) vol 1, §23 à la page 215). À l’évidence, le fardeau serait trop contraignant pour une seconde personne s’il fallait qu’elle doive invoquer des arguments et produire des éléments de preuve portant sur toutes les interprétations possibles des revendications en litige.
[100] Quoi qu’il en soit, Lilly ne peut prétendre sérieusement qu’elle a été laissée dans l’ignorance totale au sujet de l’allégation précise de Mylan dans son AA, ou que Mylan a modifié son AA après que Lilly a déposé ses éléments de preuve. Mylan a utilisé des termes neutres dans son AA pour parler de la taille des particules présentes à la fois dans l’IPA (donc avant la formulation) et dans le comprimé. En fait, dans son AA Mylan a allégué l’absence de contrefaçon en se basant sur la taille des particules revendiquée dans le brevet 948. Mylan a également indiqué qu’elle avait retenu les services d’un laboratoire indépendant pour mettre à l’essai la distribution des tailles de particules (DTP) [traduction] « du tadalafil utilisé par Mylan dans la fabrication des comprimés de tadalafil‑Mylan, ainsi que [la DTP] des comprimés de tadalafil‑Mylan » (DD vol. 1, page 139). Dans le même ordre d’idées, Mylan a déclaré qu’elle avait également déterminé [traduction] « la DTP des particules de tadalafil utilisées dans le tadalafil‑Mylan ainsi que la DTP des comprimés de tadalafil‑Mylan » (ibidem). Cela indique clairement qu’il était possible de mesurer la distribution des tailles de particules de tadalafil avant la formulation, ou en tant qu’élément des comprimés. On ne peut donc pas faire valoir d’une manière sérieuse que Mylan a [traduction] « modifié » son AA ou que celui-ci n’a pas procuré à Lilly un fondement factuel et juridique suffisant pour l’aviser des raisons pour lesquelles elle considère que son médicament ne contrefera pas le brevet 948.
[101] S’il subsistait des doutes quelconques à cet égard, ils seraient dissipés par la lettre que l’avocat de Lilly a envoyée à l’avocat de Mylan pour demander des échantillons non seulement des comprimés de tadalafil de Mylan, mais aussi du tadalafil en vrac de Mylan ainsi que des extraits de la PADN exposant en détail la taille des particules du produit en vrac de Mylan. Lilly a déclaré qu’elle avait besoin de ces informations pour déterminer s’il y avait lieu d’engager une action ou non. Cela étant, je conviens avec l’avocat de Mylan qu’il serait malhonnête de la part de Lilly de soutenir qu’elle n’a pas été suffisamment avisée que la taille des particules, avant l’étape de la formulation, était un élément pertinent pour l’allégation d’absence de contrefaçon de Mylan. Si Lilly avait des réserves quelconques à l’égard de cet argument, elle aurait pu répondre aux preuves d’expert de Mylan; elle ne l’a pas fait. Dans ces circonstances, je suis d’avis de rejeter l’argument fondé sur le caractère suffisant de l’AA de Lilly.
[102] Le point le plus crucial qui divise les parties et les experts est le stade auquel il faut mesurer la taille des particules. Faisant entièrement abstraction du libellé du brevet, Lilly soutient qu’une interprétation fondée sur l’objet visé amène à conclure que la taille des particules doit être mesurée après la formulation. D’après Lilly, comme l’un des objets du brevet est de produire des formulations présentant une plus grande biodisponibilité, c’est la taille des particules de tadalafil présentes dans le comprimé qui dictera l’amélioration de la dissolution et donc celle de la solubilité. Autrement dit, une interprétation fondée sur l’objet visé signifie que la taille des particules doit être mesurée au stade où la biodisponibilité peut être modifiée.
[103] Le problème que pose cette interprétation est qu’elle n’est étayée ni par le libellé du brevet lui‑même, ni par les experts. La revendication 1 définit la formulation pharmaceutique en ces termes : [traduction] « où ledit composé [tadalafil] est produit sous la forme d’un médicament libre comprenant des particules » qui correspondent aux tailles définies. Cela indique clairement que la taille des particules revendiquée est celle des particules de tadalafil qui entrent dans la formulation. En fait, l’expression [traduction] « médicament libre » désigne des [traduction] « particules solides formées essentiellement du composé de [tadalafil], par opposition au composé faisant partie intégrante d’un coprécipité polymérique » (brevet 948, page 5). Il ne saurait donc être plus clair que les particules à mesurer sont celles du tadalafil, avant qu’elles soient combinées aux excipients. Cette interprétation concorde avec le mémoire descriptif du brevet 948, selon lequel [traduction] « […] la taille des particules de [tadalafil] avant la formulation est contrôlée par le broyage du composé de base […] de sorte qu’au moins 90 % des particules sont d’une taille inférieure à 40 microns environ […] » (brevet 948, page 8, lignes 12 à 20).
[104] Tant M. Bugay que M. Brittain souscrivent à cette interprétation du brevet 948. M. Bugay ne traite pas explicitement de cet aspect dans son affidavit mais, quand on lui a posé la question en contre‑interrogatoire, il a admis que la mesure de la taille des particules mentionnée à la page 8 du brevet se fait avant que celles‑ci soient ajoutées à un mélange quelconque (contre‑interrogatoire de M. Bugay, pages 17 à 22, DD vol. 18, pages 3567 à 3572). Quant à M. Brittain, il a confirmé, tant dans son affidavit qu’en contre‑interrogatoire, que la personne versée dans l’art comprendrait que la distribution des tailles de particules de tadalafil doit être réalisée et mesurée avant la formulation afin de déterminer si elle est visée par les revendications, et, a-t-il ajouté, il est d’usage dans le secteur pharmaceutique de déterminer la taille des particules d’une substance médicamenteuse avant l’étape de la formulation (affidavit de M. Brittain, paragraphes 67, 163 et 172, DD vol. 14, pages 2738, 2769 et 2772; et contre‑interrogatoire de M. Brittain, pages 12 à 16, DD vol. 22, pages 4189 à 4193).
[105] Dans son mémoire des faits et du droit, Lilly a tenté de faire valoir qu’il faut prendre en compte le mot [traduction] « comprimé » dans les revendications 26 à 29 au moment d’interpréter le brevet. Aucun des deux experts qui ont exprimé une opinion sur cette question n’a souscrit à cet argument, et M. Brittain l’a explicitement rejeté. Comme il l’a fait remarquer, les revendications 26 à 29 sont des revendications dépendantes et elles limitent la portée de la revendication 1. Cette dernière définit la formulation pharmaceutique, et un comprimé n’est qu’un seul exemple de cette formulation pharmaceutique, tout comme une capsule ou une autre forme posologique. Il se peut fort bien que dans ces autres formes posologiques la taille des particules soit différente de celle du médicament libre avant l’étape de la formulation, suivant le procédé de formulation. Mais là n’est pas le problème, car une interprétation correcte de la revendication 1 du brevet et du mémoire descriptif enseigne clairement que l’on détermine la taille des particules avant la formulation. Par ailleurs, à titre de revendications dépendantes, les revendications 26 à 29 doivent être interprétées à la lumière de la revendication 1 et du mémoire descriptif, et non le contraire. En d’autres termes, les revendications 26 à 29 intègrent la totalité des éléments de la revendication 1, et toute interprétation des revendications 26 à 29 doit intégrer les éléments essentiels de la revendication 1.
[106] Je suis donc d’avis que, selon une interprétation correcte du brevet, la taille de particules revendiquée est celle des particules de tadalafil qui entrent dans la formulation, c’est‑à‑dire avant que les particules soient combinées aux excipients. Il s’agit là de la seule interprétation qui concorde avec le libellé du brevet 948. Bien que l’équité exige que l’on interprète les revendications de façon éclairée et en fonction de l’objet visé, la Cour suprême a clairement indiqué que la Loi sur les brevets préconise de s’en tenir au libellé des revendications et elle a confirmé de nouveau, dans l’arrêt Free World Trust, précité, la primauté de la teneur des revendications, ce qui est essentiel pour garantir la prévisibilité.
[107] La seule preuve de l’existence d’une taille de particules avant la formulation consiste en des essais réalisés par Micron Technologies Inc. et commandés par Mylan, ainsi que les essais dont il était question dans la PADN de Mylan. Les essais de Micron ont mesuré des valeurs d90 pour trois lots d’IPA de Mylan, [expurgé]. Les essais réalisés pour la PADN de Mylan ont mesuré des valeurs d90 pour l’IPA de Mylan à [expurgé]. Ces deux analyses situent la valeur d90 de Mylan nettement au‑delà de 40 microns et, par conséquent, nettement au-delà des revendications du brevet 948.
[108] Comme il a été indiqué plus tôt, au paragraphe 56 des présents motifs, M. Bugay a jugé les essais de Micron peu fiables, et ce, pour un certain nombre de raisons. M. Brittain a souscrit à l’opinion de M. Bugay sur ce point et il a également exprimé l’avis que l’on ne pouvait tirer aucune conclusion de ces relevés (affidavit de M. Bugay, paragraphes 41 à 45, DD vol. 3, pages 342 à 344; affidavit de M. Brittain, paragraphes 168 et 169; DD vol. 14, page 2771). Il n’est pas nécessaire d’en dire plus sur ces essais.
[109] M. Bugay était d’avis que les données relatives à la PADN étaient elles aussi peu fiables parce qu’il n’existait aucune description de la manière dont les matières avaient été recueillies et aucune indication que l’on avait vérifié le bon fonctionnement des instruments. Je ne suis pas convaincu qu’il faille faire grand cas de ces présumées lacunes. Comme l’a fait remarquer Mylan, l’avocat de Lilly aurait pu demander de plus amples informations pour le compte de M. Bugay si l’on pensait que la méthode de collecte des matières était cruciale, mais cela n’a jamais eu lieu. Par ailleurs, rien ne donne à penser qu’avant les essais les instruments utilisés n’ont pas été vérifiés et calibrés comme il faut. Il peut arriver que les organismes de règlementation demandent des documents en vue d’établir les qualités des instruments utilisés, mais il n’en demeure pas moins que les essais ont été réalisés selon une procédure d’exploitation standard en vue d’une présentation règlementaire, et rien ne donne à penser que les instruments n’ont pas été convenablement vérifiés et calibrés. Il va sans dire que M. Bugay aurait pu vérifier l’IPA de Mylan lui‑même, mais il a décidé de ne pas le faire. Il s’agissait là d’une décision que Lilly et son expert étaient en droit de prendre, en se fondant sur leur interprétation du brevet 948, mais maintenant ils ne peuvent plus revenir en arrière. En fait, M. Bugay a eu la franchise d’admettre en contre‑interrogatoire que [traduction] « comme je n’ai pas mesuré l’IPA dans le produit en vrac, je ne peux faire aucun commentaire sur la question, un point c’est tout » (contre‑interrogatoire de M.Bugay, page 76, DD vol. 19, page 3950).
[110] Quant aux résultats eux‑mêmes, Lilly a formulé deux critiques. S’appuyant sur l’affidavit de M. Bugay, elle a tout d’abord fait valoir que les courbes de distribution sont multimodales, ce qui dénote donc que les matières soumises aux essais contenaient sûrement des agglomérats. Comme l’a expliqué M. Bugay dans son affidavit, (au paragraphe 40), l’exactitude d’une mesure de la taille de particules dépend en grande partie du fait de s’assurer que les matières mesurées sont représentatives de particules individuelles, et non de masses agglomérées. Toutes les mesures de la taille de particules, quel que soit l’instrument employé, sont conçues pour mesurer des échantillons représentatifs des particules individuelles de la matière à l’étude, par opposition à des masses agglomérées de ces particules, comme des agrégats ou des agglomérats. Il s’agissait effectivement d’un point qui préoccupait à la fois M. Bugay et M. Brittain au sujet des essais que Micron avait réalisés, et qui les avait amenés à ne pas tenir compte de ces résultats.
[111] M. Bugay n’a pas fait de commentaires particuliers sur les essais portant sur la taille des particules dont il était question dans les documents relatifs à la PADN de Mylan, à part les rejeter pour manque de fiabilité. Quant à M. Brittain, les seuls commentaires qu’il a faits dans son affidavit étaient que tous les paramètres d’exploitation utilisés dans cette analyse se situaient dans les plages caractéristiques pour ce type d’analyse, ce qui l’amenait à croire que cette dernière était [traduction] « probablement la mesure la plus fiable qui soit de la distribution des tailles de particules de la substance médicamenteuse de Mylan » (affidavit de M. Brittain, paragraphe 166, DD vol. 14, page 2770). Cependant, en contre‑interrogatoire, il est allé un peu plus loin que cela et a reconnu que les matières soumises aux essais devaient contenir des agglomérats étant donné que les courbes de distribution pouvaient être multimodales. Il a néanmoins exprimé l’avis que ces données étaient [traduction] « beaucoup plus fiables » que celles que Micron avait obtenues, à cause de l’emploi de l’indice de réfraction approprié, un point dont je traiterai plus loin.
[112] M. Brittain a indiqué par ailleurs que la taille des agglomérats, si ces derniers étaient véritablement présents dans l’IPA (il pourrait également s’agir de grosses particules, mais cela est peu probable à cause de la taille dont il est question), devrait être incluse dans la distribution des tailles de particules. Selon Mylan, comme rien n’est dit dans le brevet à propos du fait que les échantillons doivent être désagglomérés avant les essais, il faudrait considérer que le mot [traduction] « particules » employé dans les revendications inclut les agglomérats de particules de tadalafil de plus petite taille. Mylan a invoqué deux décisions à l’appui de cette thèse : Fournier Pharma c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CF 740; Takeda Pharmaceutical Co Ltd v Zydus Pharmaceuticals USA Inc, 743 F (3d) 1359 (Fed Cir 2014) [Takeda]. Après avoir lu ces deux décisions, je ne vois pas en quoi elles étayent la position de Mylan.
[113] Lorsqu’on interprète une revendication, le point de départ doit toujours être les mots qui y sont employés, tout en tenant compte du mémoire descriptif figurant dans le brevet. Dans l’affaire Takeda, par exemple, la question en litige consistait à savoir si les mots [traduction] « fins granules ayant un diamètre de particule moyen de 400 <<mu>> m ou moins », qui figuraient dans la revendication 1, devaient être interprétés comme incluant un écart de ± 10 %. La Cour d’appel des États‑Unis pour le circuit fédéral a conclu que non, et que ce passage voulait dire de fins granules ayant un diamètre de particules moyen d’exactement 400 <<mu>> m ou moins. Elle a clairement indiqué qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si le brevet exigeait une désagglomération dans son analyse concernant la contrefaçon, car, même si l’on recourait à une dissection virtuelle, le diamètre de particule moyen se situait bien au‑delà de la plage revendiquée. Cependant, dans le contexte de son analyse relative à l’invalidité, la Cour a conclu qu’une désagglomération était inutile, car elle ne pouvait pas conclure que le brevet [traduction] « exige affirmativement une étape qui était tout à fait absente du procédé (et même interdite par ce dernier) qui est décrit dans le mémoire descriptif » (décision Takeda, à la page 1369). La Cour a fondé sa conclusion sur un certain nombre de facteurs : a) la seule méthode de mesure dont il est question dans le mémoire descriptif est la diffraction par laser, laquelle ne peut pas rendre compte des agglomérats durs; b) rien dans le mémoire descriptif n’indique que les inventeurs eux‑mêmes ont entrepris de désagglomérer leurs propres échantillons avant de procéder aux mesures, ni même évaluer s’il était nécessaire de le faire; c) l’objectif sous‑jacent du brevet était d’éviter une sensation de rugosité dans la bouche, et c’est la taille réelle du granule lui‑même – indépendamment du nombre de noyaux qui le constitue – qui détermine si les granules ont cette sensation rugueuse ou non.
[114] Dans la présente affaire, il n’est certes pas indiqué de manière explicite que les échantillons doivent être désagglomérés avant de les soumettre à des essais. Rien ne prouve non plus que la présence d’agglomérats aurait une incidence sur la dissolution du produit, ce qui est manifestement l’objectif sous‑jacent du brevet 948. Cela amènerait une personne à croire que le brevet n’exige pas une désagglomération, mais je ne souhaite pas tirer une conclusion définitive sur cet aspect. Non seulement est‑ce inutile pour déterminer si Lilly s’est acquittée de son fardeau de prouver que le tadalafil‑Mylan emploie la distribution de taille de particules revendiquée, mais les experts n’ont pas étudié la question de manière exhaustive et seul M. Brittain l’a soulevée en répondant à une question à l’issue de son contre‑interrogatoire.
[115] La seconde raison qu’invoque Lilly pour critiquer les essais faits par Mylan en vue de la PADN est que l’exploitant a consigné un indice de réfraction de [traduction] « compromis » de 1,5, plutôt que de le mesurer expressément pour le tadalafil. En contre‑interrogatoire, M. Brittain a admis que la mesure aurait été plus exacte si l’exploitant avait en fait mesuré l’indice de réfraction de la particule de tadalafil, plutôt que d’opter pour une valeur de compromis de 1,5. Cela dit, il a indiqué aussi que l’indice de réfraction de la plupart des particules organiques se situe quelque part entre 1,4 et 1,6, que l’emploi de la valeur de 1,5 est [traduction] « assez répandu » parmi les laboratoires travaillant à contrat parce qu’il s’agit d’un bon compromis, et que le degré d’erreur attribuable au fait d’avoir choisi 1,5 plutôt que 1,4 ne serait pas [traduction] « tant que cela » (contre‑interrogatoire de M. Brittain, pages 131 à 133, DD vol. 23, pages 4445 et 4447).
[116] Compte tenu de ce qui précède, je suis disposé à souscrire à l’évaluation de M. Brittain selon laquelle l’analyse de Mylan que l’on trouve dans sa PADN est [traduction] « probablement la mesure la plus fiable de la distribution des tailles de particules de la substance médicamenteuse de Mylan » (affidavit de M. Brittain, paragraphe 166; DD vol.14, pages 2770 et 2771). Bien sûr, cela repose sur une interprétation du brevet 948 selon laquelle une telle mesure aurait lieu avant la formulation. Cela ne veut pas dire que les valeurs d90 qui s’appliquent à l’IPA de Mylan à [expurgé] sont absolument exactes et représentent vraiment la taille exacte de la particule de tadalafil‑Mylan. Cependant, même si l’on tient compte du fait que les matières soumises à des essais contenaient sûrement des agglomérats, et même si j’en venais à rejeter l’argument de Mylan selon lequel ces agglomérats devraient être inclus dans la distribution des tailles de particules, il n’en reste pas moins que les valeurs d90 se situent nettement au‑delà de celles qui sont revendiquées dans le brevet 948.
[117] La seule preuve que Lilly a présentée au sujet de la taille des particules est les essais postérieurs à la formulation que M. Bugay a réalisés. Je conviens avec Mylan que même si j’en venais à considérer que les revendications du brevet 948 se rapportent à la taille de particules que l’on trouve dans les comprimés, les résultats de M. Bugay sont critiquables et la fiabilité de ces résultats est douteuse.
[118] Étant d’avis que la détermination, par Mylan, de la taille des particules de l’IPA en vrac est peu pertinente pour déterminer la taille réelle des particules de tadalafil que contient le produit médicamenteux de Mylan, parce que le procédé de fabrication des comprimés incorpore une étape de réduction de la taille de particules des granules dans lequel l’IPA du tadalafil est intégré, M. Bugay a mis au point un procédé d’extraction au moyen duquel l’IPA du tadalafil est retiré du produit médicamenteux de Mylan pour fins d’essais. M. Bugay a décrit ce procédé de manière très détaillée dans son affidavit (affidavit de M. Bugay, paragraphes 56 et 91, DD vol. 3, pages 347 et 359). Il a donc constaté que le tadalafil extrait avait une valeur de d90 de [expurgé] dans un cas et de [expurgé] dans l’autre, ce qui est manifestement bien en deçà des limites supérieures revendiquées dans le brevet 948.
[119] L’un des problèmes que présente l’affidavit de M. Bugay est que ce dernier signale que la valeur d90 qu’il a obtenue grâce au procédé complexe qu’il a mis au point pour extraire des comprimés l’IPA du tadalafil, mais qu’il ne fournit aucune donnée ou aucune courbe graphique sous‑jacente. Voilà qui est surprenant, c’est le moins que l’on puisse dire, car c’est précisément pour cette raison qu’il a conclu que l’analyse des tailles de particules que Mylan a réalisée était peu fiable. Ce qui est surprenant aussi c’est qu’on lui a signifié une assignation à comparaître qui l’obligeait à apporter à son contre‑interrogatoire des documents portant sur les résultats des essais relatifs aux tailles de particules qu’il avait obtenus, [traduction] « y compris l’ensemble des données produites, des courbes de distribution des tailles de particules, des notes de laboratoire, ainsi que des résultats d’analyse produits ou obtenus en rapport avec ces éléments » (contre‑interrogatoire de M. Bugay, pièce « 1 », DD vol. 20, page 4155A).
[120] L’avocat de Lilly s’est opposé à ce que l’on pose des questions sur l’assignation à comparaître et il a, semble‑t‑il, donné instruction à M. Bugay de ne pas apporter les données demandées, parce que la demande avait été faite hors délai et que, dans le cadre d’une instance relative à un AC, on ne tient pas d’interrogatoires préalables. À strictement parler, ces objections de Lilly sont fondées. Mais elles amènent toutefois à se demander pourquoi les données n’ont pas été fournies au départ. Bien que je ne sois pas nécessairement disposé à tirer une inférence défavorable du fait que M. Bugay n’a pas obtempéré à la demande qui lui avait été faite d’apporter les documents relatifs aux résultats obtenus par ses essais concernant les tailles de particules, je suis enclin à accorder moins de poids à son opinion vu l’absence des faits sur lesquels repose cette opinion. M. Bugay détenait manifestement les courbes des données, comme il l’a admis, et pourtant il ne les a pas divulguées dans son affidavit ou lors de son contre‑interrogatoire; la Cour n’est donc pas en mesure d’évaluer la fiabilité de ses résultats d’essai.
[121] L’opinion de M. Bugay est également critiquable pour une deuxième raison. Selon la description du procédé de fabrication et des contrôles du procédé que Mylan a déposée dans le cadre de sa PADN (voir l’affidavit de M. Brittain, pièce « 23 », paragraphes 1 et 5, DD vol. 17, pages 3338 et 3342), le procédé de formulation de Mylan combine l’IPA du tadalafil avec d’autres excipients et soumet ce mélange à un procédé de granulation par voie humide qui produit des granules. Les granules sont séchés et [expurgé], et ensuite combinés à des excipients extragranulaires et transformés par voie de compression en comprimés. M. Bugay émet l’hypothèse que l’emploi de ce procédé de broyage réduit la taille des granules après qu’ils sont soumis à une granulation par voie humide, mais il ne fournit aucune preuve à l’appui de cette affirmation.
[122] Dans son affidavit, M. Brittain explique que [traduction] « [l]’objet d’une étape de broyage comme celle décrite dans [le document de Mylan] consiste simplement à déterminer la taille requise et à rompre les agglomérats de granules (qui sont formés d’une matrice de particules de la substance médicamenteuse et d’excipients, et qui sont d’une taille nettement supérieure à celle des particules de la substance médicamenteuse) » (affidavit de M. Brittain, paragraphe 175, DD vol. 14, page 2773). Cela concorde avec la description que l’on fait du procédé dans le brevet 948, description selon laquelle [traduction] « [u]n broyeur peut être utilisé pour concasser les granules humides et faciliter le séchage. Les granules humides sont séchés à l’aide d’un séchoir à lit fluidisé ou d’un four de séchage. Une fois la matière séchée, il est possible d’en déterminer la taille en vue d’éliminer les gros agglomérats. (Brevet 948, page 16). Cela concorde également avec le [expurgé], qui indique de quelle façon choisir l’outillage qui convient à une taille de particules (voir l’affidavit de M. Brittain, pièce « 24 », DD vol. 16, page 3290). Selon ce document : [traduction] « [e]n règle générale, le broyage mécanique du [expurgé] produira une réduction de la taille [expurgé] des particules broyées » (DD vol. 16, page 3290). Comme Mylan utilise un [expurgé], ce qui équivaut au [expurgé], la réduction estimative de la taille des particules se situera entre [expurgé], et sera donc au moins [expurgé] fois plus grande que la valeur d90 du brevet 948 (voir le contre‑interrogatoire de M. Bugay, pages 38 à 41, DD vol. 18, pages 3588 à 3591, ainsi que la pièce « 2 », DD vol. 20, page 4155). Les granules de plus petite taille traverseront donc tout simplement le tamis.
[123] Selon M. Brittain [traduction] « [i]l n’y a absolument aucun moyen de réduire par ce procédé à moins de 40 microns la valeur d90 des particules de la substance médicamenteuse de Mylan » (affidavit de M. Brittain, paragraphe 176, DD vol. 14, page 2773). À première vue du moins, l’idée selon laquelle ce procédé de broyage pourrait laisser passer des granules d’une taille plusieurs fois supérieure à celle de la valeur d90 la plus élevée (40 microns) dont il est question dans le brevet 948, tout en réduisant en même temps la taille des particules de tadalafil présentes dans ces granules (qui composent [expurgé] de ces granules) à une valeur d90 de moins de 40 microns, ne paraît pas plausible. Il semble fort improbable qu’une machine puisse rompre des morceaux de particules de tadalafil à l’intérieur de ces granules sans rompre ces derniers eux‑mêmes.
[124] Il est bien sûr impossible d’établir avec certitude que le procédé de broyage ne rompra aucun fragment des particules de tadalafil. Il se peut fort bien que lorsque les granules de grande taille sont fracturés ou coupés par le [expurgé], l’IPA, à l’instar de n’importe quel autre élément de ce granule, sera coupé à moins de 40 microns, ainsi que l’a fait valoir M. Bugay. Cependant, il n’existe aucune preuve qui corroborerait cette théorie; et étant donné que l’IPA du tadalafil représente une très faible proportion des granules, il semble peu probable que le procédé de broyage finisse par rompre les particules de tadalafil à un point tel que 90 % de ces dernières seraient d’une taille inférieure à 40 microns. Même si la Cour serait disposée à admettre que le procédé de broyage est capable de réduire la taille de particules de tadalafil, il n’existe aucune preuve que cette réduction est importante, et encore moins suffisante pour faire correspondre le produit final aux limites des revendications du brevet 948.
[125] Mylan a fait valoir que si M. Bugay voulait vraiment évaluer l’effet du procédé de broyage sur le produit de Mylan, il aurait pu facilement vérifier la taille des particules de l’IPA de Mylan, tant avant de l’avoir soumis à un [expurgé] qu’après, à titre d’expérience de contrôle. En contre‑interrogatoire, M. Bugay a déclaré qu’une telle expérience serait peu pertinente, car nous savons déjà, d’après le mémoire descriptif du brevet 948, que l’IPA de Lilly a été réduit à une valeur d90 de 4 microns quand il a été soumis au broyeur, et nous ignorons quel effet auraient les granules intégrant du tadalafil, après la formulation, sur la réduction de la taille de l’IPA. M. Bugay a également expliqué qu’il ne pourrait y avoir aucun contrôle, parce que, une fois que l’on soumet un échantillon à une analyse de la taille des particules, il est détruit et ne peut pas ensuite être soumis au procédé d’extraction et mesuré à nouveau pour vérifier si la taille des particules a changé.
[126] Ces explications sont loin d’être convaincantes, comme l’a laissé entendre M. Brittain. Premièrement, le broyeur utilisé dans le brevet 948 est différent de celui que Mylan a utilisé. Deuxièmement, il n’existe aucune preuve quant à l’effet de la granulation sur la réduction de la taille de l’IPA; autrement dit, nous ne savons pas comment (et si) la présence des excipients et l’importance de la taille des particules se répercuteront sur le degré de réduction. Même si un échantillon est détruit après avoir été soumis à des essais, on aurait pu reproduire l’expérience un certain nombre de fois avec des échantillons différents pour déterminer s’il y avait de nets écarts entre les résultats. En fin de compte, M. Bugay semble dire qu’il faut lui faire confiance. Après une série de questions portant sur les mesures de contrôle, il a déclaré : [traduction] « [n]ous savons déjà, c’est un fait donné, maître, que la taille du tadalafil va être réduite si on soumet cela à un [expurgé] » (contre‑interrogatoire de M. Bugay, page 45, DD vol. 18, page 3595). Cela est manifestement insuffisant pour satisfaire au fardeau de preuve de Lilly.
[127] Dans son mémoire des faits et du droit, Mylan a tenté de s’appuyer sur l’affaire Cephalon, qui mettait en cause des revendications de distribution de taille de particules concernant un médicament appelé « modafinil ». Les essais relatifs à l’IPA d’Apotex montraient qu’il n’y avait pas de contrefaçon, mais Cephalon a fait valoir que le fait qu’Apotex faisait passer l’IPA dans un broyeur Quadro Comil réduirait sa distribution de tailles de particules à un niveau correspondant aux revendications. La Cour a fait remarquer qu’aucun expert n’avait réellement fait passer l’IPA dans un broyeur Comil dans le cadre des mémoires descriptifs concernant l’ANDA (Abbreviated New Drug Application, ou Demande abrégée de drogue nouvelle) et mesurer par la suite la taille des particules, de sorte qu’il était impossible de quantifier une réduction de taille quelconque. La Cour a donc conclu que Cephalon n’avait pas produit une preuve suffisante pour montrer que l’étape du broyage réduisait la taille des particules au niveau indiqué dans les revendications pertinentes et qu’elle n’avait donc pas prouvé la contrefaçon.
[128] Je conviens avec l’avocat de Lilly que cette affaire n’est pas invoquée à titre d’autorité ou à l’appui d’un principe de droit, mais plutôt pour prouver un fait important qui se rapporte à l’une des questions que la Cour doit trancher. Cela étant, Mylan aurait dû faire état de cette décision dans son AA si elle entendait l’invoquer. En fait, aucun des affidavits que Mylan a déposés dans le cadre de la présente instance ne fait référence à la décision Cephalon. Cette preuve n’a donc pas été soumise régulièrement à la Cour et elle ne sera pas prise en considération. La Cour doit trancher la présente affaire en fonction des faits, des éléments de preuve et des témoignages d’expert qui lui sont soumis. Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de se fonder sur cette décision pour conclure que Lilly n’a fourni aucune preuve montrant qu’il est plus que probable que le procédé de broyage aura non seulement pour effet de réduire la taille des particules de tadalafil, mais aussi qu’il le fera de manière suffisamment importante pour que la taille soit visée par les revendications du brevet 948.
[129] Pour répondre à cette préoccupation, M. Bugay a essentiellement répliqué que les faits parlent d’eux‑mêmes. Comme il a été mentionné plus tôt, M. Bugay a mis au point un procédé d’extraction en vue de retirer l’IPA du tadalafil‑Mylan, censément sans en changer la taille des particules. Grâce à ce procédé, il a découvert que la particule de tadalafil avait une valeur d90 qui se situait nettement en deçà des limites supérieures revendiquées dans le brevet 948, ce qui tendrait à montrer que le procédé de broyage réduit bel et bien la taille des particules de tadalafil.
[130] Ce procédé d’extraction est toutefois fort incertain. Je souscris sur ce point au témoignage de M. Brittain, selon qui la fiabilité des résultats de M. Bugay est douteuse car il n’a pas validé son protocole d’extraction. M. Bugay n’a pas fait état du produit de son extraction (c’est‑à‑dire, quelle quantité de tadalafil il avait obtenue grâce au procédé d’extraction, en pourcentage de la quantité de tadalafil qui était présente dans les comprimés) et, de ce fait, il est impossible de savoir avec une certitude quelconque si les particules de tadalafil appartenant à l’ensemble de la distribution des tailles présentes dans les comprimés étaient présentes aussi dans l’échantillon de tadalafil isolé. De plus, il n’y a aucun moyen de savoir si le procédé d’extraction change la distribution des tailles de particules de l’IPA de tadalafil. À cet égard, la réponse de M. Bugay, à savoir qu’il est impossible d’évaluer s’il survient un changement lors du procédé d’extraction parce que les essais relatifs aux tailles de particules détruisent l’échantillon analysé, est loin d’être convaincante. Comme l’a fait valoir Mylan, une personne versée dans l’art pourrait prélever des échantillons représentatifs différents du lot d’IPA et mesurer la taille des particules, soumettre des échantillons représentatifs additionnels provenant du même lot d’IPA aux étapes d’extraction et mesurer la taille des particules, et comparer ensuite les résultats afin de déterminer s’il y a des différences importances. En l’absence d’une telle validation, il est impossible de savoir avec certitude si les matières analysées lors du procédé d’extraction contiennent toutes les particules de tadalafil. M. Bugay s’est assuré, grâce à la spectroscopie Raman, qu’il n’y avait que du tadalafil dans la partie intermédiaire du tube qui était centrifugé, mais il est possible que de grandes particules de tadalafil soient restées dans la partie inférieure du tube de centrifugation. Le procédé de M. Bugay est une garantie contre la sur-inclusivité, mais pas contre la sous‑inclusivité.
[131] Une fois de plus, Mylan a tenté d’invoquer la décision Cephalon, pas tant pour sa conclusion factuelle que pour contester la crédibilité de M. Bugay. Dans cette affaire, M. Bugay était chargé de vérifier la taille des particules après l’extraction. Comme le procédé d’extraction utilisé dans cette affaire avait été validé en recourant précisément à des moyens qui, d’après M. Bugay, étaient peu pertinents (c’est‑à‑dire, en faisant état du résultat et en soumettant l’IPA au procédé d’extraction), Mylan voudrait que la Cour infère que cette explication de M. Bugay pour ne pas avoir fait la validation n’est pas crédible. Je conviens avec Lilly qu’une telle inférence serait injustifiée et que les déclarations d’un autre témoin dans l’affaire Cephalon ne peuvent constituer le fondement qui est exigé pour contester la crédibilité de M. Bugay dans la présente affaire. On ne peut mettre en doute le témoignage d’une personne à cause d’une déclaration antérieure incompatible que s’il s’agit d’une déclaration antérieure de ce même témoin; il ne suffit pas de dire que M. Bugay était peut-être présent en cour quand l’expert qui avait effectué l’extraction a témoigné. De plus, l’affaire Cephalon porte sur un brevet différent, sur des faits différents ainsi que sur des preuves différentes. Cette affaire n’est donc pas pertinente pour ce qui est des conclusions à tirer en l’espèce, et elle ne peut servir à mettre en doute le témoignage de M. Bugay à titre d’expert dans la présente affaire.
[132] Indépendamment des tentatives de Mylan pour invoquer l’affaire Cephalon, dans l’ensemble je conclus que les données de M. Bugay sont sujettes à critique et je leur accorde peu de poids. Par conséquent, même si j’en venais à considérer que les revendications se rapportent à des tailles de particules mesurées après la formulation, je conclurais que les résultats de M. Bugay ne sont pas suffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que la taille des particules du tadalafil‑Mylan contrefait le brevet.
[133] Pour toutes les raisons qui précèdent, j’estime donc que Lilly ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir que les allégations d’absence de contrefaçon du brevet 948 que Mylan a formulées sont injustifiées. Bien sûr, cette conclusion suffirait pour trancher l’affaire soulevée en l’espèce, mais j’analyserai néanmoins l’argument relatif à la validité, non seulement parce que les avocats en ont traité de manière exhaustive, mais aussi par souci de prudence, au cas où, en appel, on infirmerait mes conclusions au sujet de la contrefaçon.
B. Le brevet 948 est-il invalide pour cause d’évidence?
[134] J’ai déjà énoncé les principes de droit qui s’appliquent à ce motif d’invalidité dans une décision antérieure, qui mettait en cause les mêmes parties et le même médicament (voir la décision Eli Lilly Canada c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 125, aux paragraphes 156 à 159), et il n’est donc pas nécessaire de les réitérer. Il suffit de dire que l’article 28.3 de la Loi sur les brevets traite de l’évidence, et que cette question doit être évaluée à la date de la revendication, laquelle, en l’espèce, est la date de priorité (le 3 août 1999) selon l’article 28.1 de la Loi. Les parties s’entendent de façon générale sur le droit relatif à l’évidence.
[135] Avant que l’on applique les principes de droit aux faits particuliers de l’espèce, Lilly a fait valoir qu’il fallait ne pas tenir compte de l’analyse de M. Brittain au sujet des connaissances générales courantes parce que ce dernier avait utilisé à titre d’antériorités une publication datant d’après la date de revendication, ainsi qu’un certain nombre d’autres documents non cités dans l’AA.
[136] Cet argument n’est pas fondé. M. Brittain fait effectivement référence à un document publié en 2004, mais il s’agit d’un chapitre dont il est l’auteur et qu’il a joint à son affidavit à titre d’exemple en vue de démontrer son expertise. En contre‑interrogatoire, il a effectivement dit qu’il se basait sur ce document dans la mesure où celui-ci reflétait les connaissances générales courantes, mais cela est loin d’être suffisant pour miner son témoignage sur ce que savait la personne versée dans l’art. Non seulement M. Brittain était-il bien au courant des dates pertinentes pour l’établissement de l’évidence, mais Lilly n’a rien relevé dans ce document qui ne faisait pas partie des connaissances générales courantes en 1999.
[137] Quant aux documents spécialisés sur lesquels M. Brittain s’est fondé et qui n’étaient pas cités dans l’AA de Mylan, l’avocat de Lilly n’a pu fournir aucune jurisprudence à l’appui de son opinion selon laquelle chacun des documents sur lesquels Mylan avait l’intention de se fonder pour justifier ses allégations doit être divulgué dans son AA. La seule décision à laquelle on m’a renvoyé est AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 7 CPR (4th) 272 (CAF), où la Cour d’appel fédérale a effectivement radié la preuve de la seconde personne car elle se rapportait à des antériorités non citées dans l’AA. Cependant, cette décision était subordonnée aux faits de l’affaire. Je conviens avec la protonotaire Tabib que le ratio decidendi de cette affaire n’est pas qu’il est interdit à une seconde personne de se fonder sur un document non cité dans l’AA, mais plutôt que cette personne ne peut pas se fonder sur des faits non cités dans l’AA : voir Teva c Mylan (dossier T‑894‑13, 2 décembre 2013). Ce que doit produire une personne qui allègue qu’un brevet est invalide ou ne sera pas contrefait, selon l’alinéa 5(3)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), c’est « un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation » (non souligné dans l’original). On ne peut pas assimiler un document à un fondement factuel. L’esprit de cette disposition est qu’un breveté ne doit pas être pris par surprise et doit avoir en main tous les renseignements nécessaires pour décider avec confiance s’il s’opposera ou non à la délivrance d’un AC. Bien sûr, si c’est un document qui est la source d’un nouveau fondement factuel, ce document doit être exclu avec raison s’il n’a pas été divulgué dans l’AA. Dans la présente affaire, Lilly n’a pas invoqué de tel argument et n’a pas relevé de nouveaux fondements factuels irréguliers qui découleraient de documents non indiqués dans l’AA. De ce fait, le témoignage de M. Brittain est tout à fait approprié et il n’y a pas lieu de lui accorder moins de poids qu’il n’en mérite.
[138] MM. Bodmeier et Brittain s’entendent dans une large mesure sur l’idée originale du brevet 948. Pour ces deux experts, l’aspect essentiel est l’amélioration de la dissolution et de la stabilité du tadalafil que l’on obtient en réduisant la taille de ses particules et en intégrant à sa formulation des excipients particuliers. Selon M. Bodmeier, l’idée originale est [traduction] « une formulation pharmaceutique particulière du tadalafil, un composé peut soluble, qui assure un effet thérapeutique rapide ainsi qu’une concentration suffisante de tadalafil au site d’action intracellulaire, ce qui procure une durée d’action relativement prolongée » (affidavit de M. Bodmeier, paragraphe 133, DD vol. 2, page 221). Quant à M. Brittain, l’idée originale est [traduction] « une formulation qui comprend des particules de tadalafil ayant une distribution de tailles particulière » et [traduction] « [c]es particules sont combinées à des excipients pharmaceutiques dans des quantités et des plages spécifiques qui produisent une forme posologique orale assurant une activité uniforme, une stabilité ainsi que des caractéristiques de biodisponibilité souhaitables (dont un effet rapide) » (affidavit de M. Brittain, paragraphe 113, DD vol. 13, page 2693). La seule différence d’opinion entre les deux experts semble concerner l’importance de la durée d’action prolongée, que M. Brittain ne semble pas considérer comme faisant partie de l’idée originale. Cependant, cette différence n’est pas importante pour l’analyse relative à l’évidence qui suit.
[139] Nul ne conteste que, pour qu’un médicament candidat donné puisse être administré à des patients dans le cadre du traitement de la maladie ou du trouble visé, il est nécessaire que le composé soit mis au point dans une formulation acceptable. Dans la plupart des cas, le médicament seul n’est pas administré à un humain, mais il est combiné à d’autres éléments, souvent appelés excipients (voir l’affidavit de M. Bodmeier, paragraphes 36 à 38, DD vol. 2, page 202). Le formulateur recevra habituellement des informations sur les caractéristiques du composé pharmaceutique qui peuvent avoir une incidence sur sa formulation, dont sa solubilité (voir l’affidavit de M. Brittain, paragraphes 22 et 94, DD vol. 13, pages 2664 à 2685).
[140] M. Bodmeier a déclaré qu’il n’y a aucune étape fixe qu’un formulateur doit suivre lorsqu’il met au point une formulation, car il s’agit d’un procédé itératif qui comporte un certain nombre d’expériences et aucune promesse de succès. Il existe un certain nombre de catégories d’excipients, comme les diluants, les lubrifiants, les liants, les délitants et les surfactants, qui jouent un rôle différent dans une formulation, mais ce ne sont pas toutes les formulations qui contiennent toutes les catégories d’excipients. De plus, il peut y avoir de nombreux choix d’excipients dans ces catégories, et les quantités de ces excipients peuvent aussi se répercuter sur la dissolution d’un médicament. M. Bodmeier résume son opinion au paragraphe 54 de son affidavit :
[traduction] En conclusion, il existe de nombreux choix de systèmes d’administration, d’excipients et de transformations dont dispose un formulateur pour la mise au point d’un système d’administration d’un médicament. De plus, chaque médicament est différent, relativement à ses propriétés physicochimiques et pharmacocinétiques. Ces propriétés médicamenteuses, telles que la solubilité, la stabilité et la pharmacocinétique, ajoutent à la complexité du procédé de mise au point. Comme il a été mentionné plus tôt, il n’y a aucune étape fixe qu’un formulateur peut suivre pour mettre au point une formulation à partir de n’importe quel médicament donné.
(Affidavit de M. Bodmeier, paragraphe 54, DD vol. 2, page 206)
[141] Manifestement, la Cour doit garder à l’esprit le rappel utile suivant : pour évaluer si une invention est évidente ou non, il ne faut pas recourir à une analyse a posteriori ou ex post facto. Comme l’a déclaré le juge Hugessen dans l’arrêt Beloit Canada Ltd c Valmet Oy (1986), 64 NR 287, à la page 291, 8 CPR (3d) 289 (CAF) :
Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « J’aurais pu faire cela » : avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez‑vous pas fait? »
[142] Cela dit, la faible solubilité du tadalafil aurait été facilement vérifiée, et elle pouvait être au moins inférée des réalisations antérieures, notamment à partir du brevet Butler (voir DD vol. 5, page 860). Selon M. Bodmeier, la personne versée dans l’art aurait bien su de façon générale et courante qu’il était nécessaire d’augmenter le taux de dissolution d’un médicament peu soluble en vue d’atteindre une biodisponibilité suffisante et une action thérapeutique appropriée. La personne versée dans l’art saurait aussi que, entre autres modifications possibles à la substance médicamenteuse (principalement l’altération d’une forme cristalline ou d’une forme saline), il était possible d’augmenter le taux de dissolution d’un médicament peu soluble en recourant à des excipients et en réduisant la taille des particules du composé pharmaceutique lui‑même. La seule différence entre l’idée originale et les connaissances générales courantes réside donc dans le recours à une réduction des tailles de particules ainsi que dans les quantités exactes de ces excipients dans une formulation contenant du tadalafil. Selon M. Brittain, [traduction] « un formulateur versé dans l’art aurait jugé évident d’essayer de réduire les tailles de particules, d’utiliser un surfactant et les excipients particuliers dans le brevet 948 en vue de formuler une forme posologique orale de tadalafil qui serait stable et rapidement biodisponible » (affidavit de M. Brittain, paragraphe 125, DD vol. 13, page 2698).
[143] Je ne pense pas que l’on puisse dire que les excipients utilisés dans le brevet 948 ont été entièrement divulgués dans le brevet 377, le brevet 784 ou le brevet Butler. Même si ces brevets portent tous sur le tadalafil et si les formulateurs les auraient connus, ils ne donnent que des descriptions très générales de la composition de comprimés. Cela dit, la plupart des excipients qui figurent dans le brevet 948 sont mentionnés dans ces brevets, même si, dans le brevet 377 et dans le brevet Butler, aucun détail n’est donné sur les quantités et les pourcentages qu’il faudrait utiliser, et, dans le brevet 784, les quantités et les proportions étaient différentes de celles dont il est question dans le brevet 948. Par ailleurs, ces brevets ne divulguent aucun élément indiquant qu’un surfactant peut en fait être nécessaire pour surmonter les problèmes de dissolution, même si on en utilise un dans les brevets 377 et 784, comme le fait remarquer M. Bodmeier (affidavit de M. Bodmeier, paragraphe 112, DD vol. 2, page 217).
[144] En revanche, je souscris au témoignage de M. Brittain selon lequel quatre excipients standards sont inclus dans presque toutes les formulations en comprimés, en plus de la substance médicamenteuse (comme des diluants, des délitants, des liants et des lubrifiants). M. Bodmeier a indiqué que les manuels fournissent des informations générales et sont utiles pour comprendre les principes de base, mais qu’ils ne sont d’aucune utilité lorsqu’on tente de régler un problème de formulation particulier. Toutefois, l’un de ces manuels (ME Aulton, éd., Pharmaceutics: The Science of Dosage Form Design (Churchill Livingstone, 1988), contre‑interrogatoire de M. Bodmeier, pièces « 5 » et « 6 », DD vol. 20, pages 4067 à 4070 et 4109 [Aulton]) mentionne que les excipients qui suivent sont les plus courants dans ces catégories et sont des excipients principaux que l’on a recommandé d’utiliser pour une sélection initiale dans le cadre d’une formulation de comprimés : lactose (diluant), cellulose microcristalline (diluant), povidone (liant), HPMC (liant), stéarate de magnésium (lubrifiant), crospovidone (délitant) et croscarmellose sodique (délitant). Il s’agit précisément des excipients qui, d’après le brevet 948, sont mélangés au tadalafil (voir le brevet 948, page 4). Je souscris également au témoignage de M. Brittain selon lequel, comme on savait que le tadalafil était peu soluble dans l’eau, le formulateur versé dans l’art prévoirait qu’un agent mouillant ou surfactant pourrait être inclus dans une formulation de tadalafil, et que le laurylsulfate de sodium employé dans le brevet 948 était couramment utilisé et expressément divulgué pour le tadalafil dans les brevets 377 et 784 (affidavit de M. Brittain, paragraphes 31, 75, 108 et 128, DD vol. 13, pages 2667, 2681, 2691 et 2699; voir aussi Aulton, précité).
[145] Dans son affidavit, M. Bodmeier signale qu’un formulateur dispose d’un nombre infini de possibilités lorsqu’il doit formuler un nouveau médicament. De plus, avant que chaque formulation et taille de particules soient établies et mises à l’essai, la PVA ne saurait pas avec certitude qu’une telle formulation fonctionnerait, et encore moins qu’elle assurerait la rapidité d’action que procure l’invention du brevet 948 (affidavit de M. Bodmeier, paragraphes 143 et 144, DD, vol. 2, pages 223 et 224). Cependant, dans son AA, Mylan a énoncé les excipients qui figurent dans les revendications du brevet 948 en les comparant à des plages précises suggérées pour ces excipients dans un manuel bien connu (Wade, précité, cité dans l’AA, DD vol. 1, page 142), et il a montré que les différences sont très minimes.
[146] Il ne suffit pas de répondre que ce manuel contient plus de 200 excipients, qu’il existe des catégories habituellement différentes pour chacun de ces derniers et qu’il y avait donc un nombre infini de possibilités parmi lesquelles le formulateur devait faire un choix pour obtenir la survenue rapide d’un effet thérapeutique. On ne peut pas dire non plus que Mylan a fait un choix sélectif parmi les excipients qui sont présents dans les revendications du brevet 948 et a ensuite rebroussé chemin pour établir son analyse relative à l’évidence.
[147] Il semble que même s’il existait plus de 200 excipients dans le manuel susmentionné, le brevet 948 fait appel à des catégories d’excipients classiques et choisit les plus ordinaires d’entre elles. En fait, un traité de premier plan sur le sujet mentionne que les possibilités ne sont pas aussi difficiles qu’il peut le sembler : [traduction] « aux yeux du formulateur, il deviendra évident, en examinant la documentation spécialisée, que le nombre total d’excipients importants qui sont actuellement utilisés est probablement inférieur à 25. Ces 25 matières répondent aux besoins des six grandes catégories d’excipients : les diluants, les liants, les lubrifiants, les délitants, les couleurs et les adoucisseurs (saveurs exclues) » (voir HA Lieberman, L. Lachman et JB Schwartz, dir., Pharmaceutical Dosage Forms, 2e éd. (New York : Marcel Dekker Inc, 1989), aux pages 91 et 92, affidavit de M. Brittain, pièce « 15 », DD vol. 16, pages 3124 et 3125 [Lieberman]). De plus, il existe fort peu d’écarts entre les plages suggérées pour chaque excipient qui figure dans les réalisations antérieures et le pourcentage réel que l’on trouve dans les comprimés du brevet 948, et, d’après M. Brittain, ces rajustements ne sont pas inventifs :
[traduction] Chaque catégorie d’excipients est habituellement utilisée dans une certaine plage de pourcentages du poids total du comprimé. Cette information provient, en partie, de manuels couramment disponibles et largement consultés et, en partie, d’une expérience personnelle directe à l’égard de formulations et de composés différents. Cependant, le simple fait qu’un manuel particulier fasse état d’une plage de pourcentages de poids pour un excipient donné ne veut pas dire que les formulateurs doivent s’en tenir à cette plage particulière, et ils auraient les compétences et l’expérience requises pour faire des rajustements en dehors de la plage indiquée s’il était nécessaire de le faire pour que la forme posologique fonctionne convenablement.
(Affidavit de M. Brittain, paragraphe 35, DD vol. 13, page 2668)
[148] Je trouve un appui supplémentaire pour l’opinion selon laquelle il n’y a rien d’inventif à utiliser les excipients particuliers qui ont été choisis dans le brevet 948 dans le fait que les propres spécialistes des formulations de Lilly les ont qualifiés d’[traduction] « excipients classiques » et ont qualifié le comprimé qui en résultait de [traduction] « comprimé classique » (affidavit de M. Kral, pièce « I », page 2 et pièce « M », page 2, DD vol. 10, pages 2009 et 2138).
[149] Compte tenu de ce qui précède, je suis disposé à admettre qu’il n’y a rien d’inventif au fait d’utiliser les excipients ordinaires qui entrent dans la formulation du tadalafil que l’on trouve dans le brevet 948. Je conviens avec M. Brittain que les excipients privilégiés qui sont divulgués dans le brevet 948 faisaient partie des excipients qui étaient les plus facilement accessibles et employés à l’époque pertinente. De plus, les taux de pourcentage en poids qui s’appliquent à ces excipients dans le brevet 948 sont presque identiques à ceux divulgués dans les traités de premier plan. Le choix de ces excipients ainsi que de leur quantité précise faisait nettement partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art.
[150] Je suis également d’avis que la personne versée dans l’art aurait jugé qu’il était évident de mettre à l’essai les excipients dans le brevet 948 en vue d’atteindre un comprimé de tadalafil stable et à action rapide. Comme il a été mentionné plus tôt, il ne s’agit pas ici d’une affaire dans laquelle il existait un nombre infini de solutions possibles. De plus, le critère applicable n’est pas de savoir si une personne versée dans l’art saurait avec certitude qu’une formulation fonctionnerait ou s’il y a une garantie que des formulations particulières fonctionneraient, comme l’a laissé entendre M. Bodmeier dans son affidavit (voir les paragraphes 143 et 161, DD vol. 2, pages 223 et 226). On fixerait la barre trop haut. Le critère consiste plutôt à savoir si la personne versée dans l’art avait de bonnes raisons de chercher des solutions prévisibles ou des solutions offrant des [traduction] « chances raisonnables de succès ». Cela ne doit pas être assimilé au critère de quelque chose « valant d’être tenté », que la Cour d’appel fédérale a rejeté dans Pfizer Canada c Apotex, 2009 CAF 8. La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont clairement indiqué à un certain nombre de reprises que les « chances raisonnables de succès » sont la norme à appliquer lorsqu’il est justifié de procéder à une analyse fondée sur l’« essai allant de soi ». Comme l’a déclaré le juge Near dans la décision AstraZeneca Canada c Teva Canada Ltd, 2013 CF 245, au paragraphe 41 :
La décision Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CAF 8, [2009] ACF no 66 [Pfizer c Apotex] invite la Cour à adopter la norme des « chances raisonnables de succès ». Au paragraphe 44, la Cour d’appel fédérale estime que les solutions « prévisibles », et donc évidentes, équivalent à des « solutions qui comportent [traduction] “des chances raisonnables de succès” » (Pfizer c Apotex, précité). La Cour a également souscrit à cette norme. Dans Pfizer Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2010 CF 612, [2010] ACF no 748, par exemple, la Cour a décidé qu’il était évident ou manifeste que le médicament en cause avait une chance raisonnable de parvenir à la solution décrite dans le brevet, compte tenu de l’art antérieur (voir le paragraphe 171).
(Voir aussi la décision Shire Biochem c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 538, au paragraphe 82)
[151] Si je prends en compte les antériorités et si j’applique cette norme, je conviens avec M. Brittain qu’une personne versée dans l’art s’attendrait à avoir de bonnes chances de succès si elle utilisait les excipients et le surfactant du brevet 948 en vue d’obtenir une formulation de tadalafil présentant la biodisponibilité souhaitable, et qu’il allait effectivement plus ou moins de soi qu’une telle stratégie fonctionnerait. Par conséquent, même si la norme n’est pas celle des « chances raisonnables de succès », je conclus que l’invention était un « essai allant de soi », conformément aux critères énoncés dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, au paragraphe 69, [2008] 3 RCS 265. Dans un domaine où l’on réalise des essais courants, on ne peut pas dire que l’ampleur, la nature et le degré d’efforts requis pour choisir les excipients et leur pourcentage sont tels que cela ferait passer l’analyse au‑delà du domaine de l’analyse fondée sur l’« essai allant de soi ». Je souscris donc aux propos suivants, relevés dans l’affidavit de M. Brittain :
[traduction] Le tadalafil est reconnu pour être peu soluble dans l’eau, et le formulateur versé dans l’art prévoirait qu’un excipient favorisant la dissolution serait utile à inclure dans une formulation de tadalafil. Je crois que l’un des principaux candidats à une amélioration de la dissolution aurait été le laurylsulfate de sodium, couramment utilisé et expressément divulgué pour le tadalafil dans les brevets 377 et 784. De plus, le formulateur versé dans l’art se serait attendu à avoir de bonnes chances de succès avec l’utilisation d’un surfactant en vue d’améliorer le taux de dissolution et la biodisponibilité.
Comme je l’ai indiqué plus tôt, je crois que les autres excipients spécifiques, dans les plages revendiquées dans le brevet 948, ne sont que des excipients standards que l’on emploie pour leurs objets standards dans des formes posologiques orales. La personne versée dans l’art aurait eu des attentes élevées quant au fait d’obtenir avec succès un comprimé stable, fabricable et compressible en utilisant les diluants, les liants, les lubrifiants et les délitants spécifiés dans le brevet 948, compte tenu surtout du fait que ces excipients étaient, pour la plupart, divulgués dans les brevets 377 et 784. On serait arrivé aux combinaisons privilégiées qui sont précisées dans le brevet 948 au moyen d’essais courants, en commençant surtout avec les brevets antérieurs concernant le tadalafil.
(Affidavit de M. Brittain, paragraphes 128 et 129, DD vol. 13, page 2699)
[152] M. Bodmeier a également déclaré qu’il y a de nombreuses variables qu’il faut prendre en considération au moment de la mise au point d’un médicament peu soluble. Ces variables incluraient le fait de changer la taille des particules, d’utiliser une forme physique différente ou une forme saline différente, d’ajouter des agents solubilisants, de préparer des solutions ou des dispersions solides du médicament, ou d’intégrer le médicament dans une formulation huileuse (affidavit de M. Bodmeier, paragraphes 116 à 122, DD vol. pages 217 à 219).
[153] Il est indubitable que ni le brevet 377 ni le brevet 784 ne divulguent des formulations qui donnent des informations sur la taille de particules de tadalafil, ou n’indiquent que la formulation du comprimé est à action rapide. Il est vrai aussi que les antériorités ne divulguent pas de particules de tadalafil présentant une valeur d90 égale ou inférieure à 40 microns. Ce que l’on sait, cependant, c’est que [traduction] « des particules plus petites devraient rehausser le taux de dissolution et, de ce fait, donner lieu à une absorption gastrointestinale plus rapide » (AR Gennaro, éd. Remington’s Pharmaceutical Sciences, 18e éd. (Easton: Mack Publishing Company, 1990), page 1437, affidavit de Mme Potter, pièce « D », doc. no 7, DD vol. 6, page 933). Il était également notoire que la réduction de la taille des particules améliorait la biodisponibilité de nombreux médicaments, selon M. Brittain (voir son affidavit, paragraphes 43 et 44, DD vol. 13, pages 2670 à 2672). Dans un article publié en 1968 par JH Fincher (« Particle Size of Drugs and its Relationship to Absorption and Activity » 50:11 Journal of Pharmaceutical Sciences 1825, affidavit de M. Brittain, pièce « 12 », DD vol. 16, page 3097), auquel fait référence M. Brittain dans son affidavit (aux paragraphes 98 et 99), un tableau montre que, parmi les 27 médicaments que l’on avait étudiés jusqu’en 1964, la réduction de la taille des particules avait rehaussé l’effet clinique dans 25 d’entre eux; un autre tableau montre que dans des études faisant l’objet de rapports depuis 1964, l’effet clinique avait été rehaussé dans les 11 études portant sur des médicaments. Cependant, il était recommandé de broyer tous les médicaments à faible solubilité [traduction] « à, de préférence, la plage de 10 à 40 [microns] » : voir Lieberman, précité, DD vol. 16, pages 3116 et 3117.
[154] Si la personne versée dans l’art n’était pas en mesure de prévoir avec une certitude quelconque que la réduction de la taille des particules améliorerait la biodisponibilité du tadalafil, il s’agissait certainement d’une stratégie évidente, d’une stratégie pour laquelle il y avait certainement des chances raisonnables de succès. Comme il a été mentionné plus tôt, la faible solubilité du tadalafil aurait été facile à déterminer et avait été divulguée dans les antériorités. La personne versée dans l’art qui souhaitait préparer une formulation de tadalafil stable et à action rapide aurait eu recours à la réduction de la taille des particules pour y arriver.
[155] Parmi les trois grands moyens d’améliorer la solubilité (changer la taille des particules, utiliser une forme physique différente ou utiliser une forme saline différente), la taille des particules était manifestement la méthode la plus prometteuse aux yeux de la personne versée dans l’art. Selon M. Brittain, la personne versée dans l’art aurait compris d’après la structure chimique du tadalafil que la formation de formes salines différentes était impossible (affidavit de M. Brittain, paragraphe 54, DD vol. 13, page 2675).
[156] Quant au fait de modifier la forme physique du tadalafil, l’essai en a été fait dans le brevet Butler avec le procédé de coprécipitation afin de tenter de maintenir le composé dans un état physique amorphe (c’est‑à‑dire non cristallin). Lilly fait valoir que, en fait, le brevet Butler a amoindri l’importance d’utiliser le tadalafil comme un médicament libre si l’on cherchait à rehausser la biodisponibilité. Selon Lilly, une personne versée dans l’art apprendrait qu’une dispersion solide aurait amélioré la biodisponibilité, comparativement à l’utilisation de la forme libre du tadalafil. Mais, comme le fait remarquer M. Brittain, bien qu’un composé dans un état physique amorphe soit plus facilement soluble que le même composé se présentant sous la forme de l’un de ces polymorphes cristallins, le brevet 948 explique que l’on découvert que la méthode de la coprécipitation n’était pas viable en raison de problèmes de reproductibilité (faisant probablement référence à des problèmes de stabilité ou de fabrication) (affidavit de M. Brittain, paragraphes 49 à 51, DD vol. 13, pages 2673 et 2674). Par ailleurs, on aurait enseigné à la personne versée dans l’art de ne pas examiner d’autres formes polymorphes une fois que l’on aurait déterminé que la technique de coprécipitation ne permettait pas d’atteindre le profil de dissolution voulu dans le cadre d’une tentative de stabilisation de la forme amorphe du tadalafil (voir l’affidavit de M. Brittain, paragraphe 52, DD vol. 13, page 2674). Par conséquent, si la forme amorphe se révélait inadéquate, le formulateur reviendrait à une forme cristalline stable du composé, mais aurait recours à d’autres options pour améliorer le taux de dissolution. Ici encore, il n’y avait pas un nombre infini de choix.
[157] À l’audience et dans son mémoire des faits et du droit, Lilly a passé un temps considérable à décrire les premiers travaux de formulation relatifs au tadalafil qui avaient été faits chez Glaxo, soutenant que ces travaux avaient duré plus de six ans. Je ne trouve pas que cette preuve sur les mesures concrètes qui ont été prises est très convaincante, et ce, pour quelques raisons. Premièrement, Mme Kral n’a commencé à étudier le tadalafil qu’au moment où le projet a été transféré à Lilly, en 1998. Elle n’a pas participé aux recherches menées chez Glaxo, et, sans un déposant ayant pris part aux travaux faits chez Glaxo, la Cour ne peut pas évaluer le bien‑fondé des mesures prises par Glaxo. Par exemple, il semble, d’après un premier rapport d’étude de Glaxo, que la biodisponibilité par voie orale du tadalafil [expurgé] a été mise à l’essai dans [expurgé] et que l’on a observé un degré élevé de biodisponibilité (affidavit de Mme Kral, pièce « C », DD vol. 10, page 1832). Glaxo a néanmoins renoncé à poursuivre à cause, semble‑t‑il, des effets défavorables associés au [expurgé], l’excipient utilisé dans le cadre de cet essai. Pourtant, nous n’avons aucune explication de la raison pour laquelle Glaxo n’a pas mis à l’essai le tadalafil [expurgé] avec un autre excipient qui aurait aidé de la même façon [expurgé], par exemple, un [expurgé] courant utilisé dans le cadre du brevet 948. Il n’y a pas d’autre moyen de savoir si Glaxo aurait dû étudier [expurgé] davantage, comme l’a laissé entendre M. Brittain (affidavit, paragraphe 137, DD vol. 14, page 2761), ou s’il y avait une bonne raison de ne pas le faire. Nous n’avons également aucune preuve de ce qui s’est passé dans le cas des formulations orales divulguées dans les brevets 377 et 784. Quant au fait que la même étude a révélé qu’un tadalafil [expurgé] comportant des tailles de particules de [expurgé] microns n’améliorait la biodisponibilité que d’environ [expurgé], cette étude montrait qu’un simple [expurgé] ne fonctionnait pas, mais elle n’a pas enseigné qu’il fallait éviter d’utiliser [expurgé] comme l’un des outils permettant d’améliorer la biodisponibilité.
[158] Je conviens également avec Mylan que, pour les besoins de l’examen relatif à l’évidence, la personne versée dans l’art ne se serait pas trouvée dans une position semblable à celle des formulateurs de Glaxo. Le point culminant des travaux de Glaxo – la formulation de tadalafil à base de coprécipité – a été divulgué dans le brevet Butler, et la personne versée dans l’art aurait également profité des brevets 377 et 784. Partant de ce point, la première mesure qu’aurait prise la personne versée dans l’art aurait été de caractériser physiquement le tadalafil et la formulation à base de coprécipité de Glaxo, ce que Lilly a fait et ce qui, comme l’a reconnu Mme Kral, est habituellement fait afin d’aider les formulateurs (contre‑interrogatoire de Mme Kral, paragraphes 48 et 49, DD vol. 19, pages 3717 et 3718). Cette étude aurait révélé, comme elle l’a fait pour Lilly, que la taille des particules du tadalafil a été réduite dans le cadre du procédé de fabrication du coprécipité et que la biodisponibilité accrue était le résultat d’une combinaison de la taille réduite des particules et du tadalafil dispersé. L’étude a conclu, sur ce fondement, comme l’aurait fait la personne versée dans l’art, qu’une « formulation qui utilise un [expurgé] et le maintien dans un [expurgé] sera vraisemblablement supérieure à l’actuelle formulation [à base de coprécipité] » (affidavit de Mme Kral, pièce « F », DD vol. 10, page 1931).
[159] Pour toutes les raisons qui précèdent, je suis donc d’avis que la réduction de la taille des particules était une voie d’essai évidente, même s’il était impossible d’être sûr que cette voie mènerait au succès. Là encore, le critère applicable n’est pas celui de savoir si une personne versée dans l’art aurait pu prévoir le résultat avec certitude, mais plutôt s’il pouvait y avoir des chances raisonnables de succès. Une fois que l’on prend en considération les réalisations antérieures, il y avait un nombre limité de moyens d’améliorer la solubilité, et deux des plus évidents ont été écartés parce qu’ils n’étaient pas disponibles ou qu’on en avait fait l’essai, mais sans succès. Je souscris à la conclusion de M. Brittain selon laquelle [traduction] « le degré d’efforts requis pour réaliser l’invention déclarée du brevet 948 se serait rangé dans la catégorie des essais courants », tant en ce qui a trait à la taille des particules qu’en ce qui a trait au choix des excipients (affidavit de M. Brittain, paragraphes 131 et 132, DD vol. 13, page 2700). En conséquence, Lilly ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation d’invalidité de Mylan est injustifiée.
VI. La conclusion
[160] En résumé, je conclus que les allégations d’absence de contrefaçon de Mylan, relativement au liant hydrophile et à la taille des particules, sont justifiées. Je conclus par ailleurs que l’allégation de Mylan selon laquelle le brevet 948 est invalide pour cause d’évidence est justifiée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. la demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Mylan jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2,379,948 est rejetée;
2. la défenderesse Mylan est en droit de recouvrer de la demanderesse les dépens qu’elle a engagés dans le cadre de la demande; aucuns dépens ne seront adjugés à l’égard de la requête; si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant, la question des dépens pourra être soumise par la voie d’un avis de requête;
3. aucuns dépens ne sont adjugés en faveur ou à l’encontre du ministre.
« Yves de Montigny »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
ANNEXE
1. Une formulation pharmaceutique comprenant un composé dont la formule de constitution est la suivante :
où ledit composé est produit sous la forme d’un médicament libre comprenant des particules dont au moins 90 % sont d’une taille inférieure à 40 microns environ, de 50 % environ à 85 % environ, en poids, d’un diluant soluble dans l’eau, un lubrifiant, de 1 % environ à 5 % environ, par poids, d’un liant hydrophile choisi parmi le groupe formé d’un dérivé cellulosique, de povidone et de leur mélange, ainsi qu’un délitant choisi parmi le groupe formé du croscarmellose sodique, de la crospovidone et de leur mélange.
2. La formulation visée par la revendication 1, comprenant en outre de la cellulose microcristalline.
3. La formulation visée par la revendication 1, comprenant en outre un agent mouillant.
4. La formulation visée par la revendication 1, où le composé actif est présent en une quantité de 0,5 % environ à 10 % environ, en poids, de la formulation.
5. La formulation visée par la revendication 1, où le diluant soluble dans l’eau est choisi parmi le groupe formé d’un sucre, d’un polysaccharide, d’un polyol, d’une cyclodextrine et de leur mélange.
6. La formulation visée par la revendication 3, où le diluant soluble dans l’eau est choisi parmi le groupe formé de lactose, de sucrose, de dextrose, d’un dextrate, d’une maltodextrine, de mannitol, de xylitol, de sorbitol, d’une cyclodextrine et de leur mélange.
7. La formulation visée par la revendication 1, où le lubrifiant est présent en une quantité de 0,25 % environ à 2 % environ, en poids, de la formulation.
8. La formulation visée par la revendication 1, où le lubrifiant est choisi parmi le groupe formé de talc, de stéarate de magnésium, de stéarate de calcium, d’acide stéarique, de dioxyde de silicone colloïdal, de silicate de calcium, d’un amidon, d’huile minérale, d’une cire, de béhénate de glycéryle, de polyéthylène glycol, de benzoate de sodium, d’acétate de sodium, de stéaryl fumarate de sodium, d’huiles végétales hydrogénées et de leur mélange.
9. La formulation visée par la revendication 1, où le dérivé cellulosique est choisi parmi le groupe formé d’hydroxypropylcellulose, d’hydroxypropylmethylcellulose et de leur mélange.
10. La formulation visée par la revendication 1, où le délitant est présent en une quantité de 3 % environ à 100 % environ, en poids, de la formulation.
11. La formulation visée par la revendication 2, où la cellulose microcristalline est présente en une quantité de 5 % environ à 40 % environ, en poids, de la formulation.
12. La formulation visée par la revendication 3, où l’agent mouillant est présent en une quantité de 0,1 % environ à 5 % environ, en poids, de la formulation.
13. La formulation visée par la revendication 12, où l’agent mouillant est choisi parmi le groupe formé de laurylsulfate de sodium, de ducosate sodique, d’huile de ricin éthoxylée, d’un glycéride polyglycolysé, d’un monoglycéride acétylé, d’un ester d’acide gras, de sorbitan, d’un polyoxyéthylène, d’un ester d’acide gras de sorbitan, de polyoxyéthylène, d’un monoglycéride, d’un diglycéride et de leur mélange.
14. La formulation visée par la revendication 3, où l’agent mouillant est choisi parmi le groupe formé de laurylsulfate de sodium, de polysorbate 80 et de leur mélange.
15. La formulation visée par la revendication 1, où le composé est produit sous forme de particules d’un médicament libre dans lequel au moins 90 % des particules sont d’une taille inférieure à 10 microns environ.
16. La formulation visée par la revendication 1, comprenant :
a) 1 % environ à 4 % environ, en poids, de la formulation du composé;
b) 50 % environ à 75 % environ, en poids, de la formulation de lactose;
c) 0.25 % environ à 2 % environ, en poids, de la formulation de stéarate de magnésium;
d) 1 % environ à 5 % environ, en poids, de la formulation d’hydroxypropylcellulose;
e) 3 % environ à 10 % environ, en poids, de la formulation de croscarmellose sodique.
17. La formulation visée par la revendication 15, comprenant en outre de 5 % environ à 40 % environ, en poids, de la formulation de cellulose microcristalline.
18. La formulation visée par la revendication 15, comprenant en outre de 0,1 % environ à 5 % environ, en poids, de la formulation de laurylsulfate de sodium.
19. Un comprimé comprenant la formulation visée par la revendication 1, où le composé est présent en une quantité de 1 mg à 20 mg environ par comprimé.
20. Un comprimé comprenant la formulation visée par la revendication 1, où le composé est présent en une quantité d’environ 5 mg à 15 mg environ par comprimé.
21. Un comprimé comprenant la formulation visée par la revendication 1, où le composé est présent en une quantité de 5 mg environ à 10 mg environ par comprimé.
22. Une capsule comprenant une enveloppe dure contenant la formulation visée par la revendication 1 sous forme de particules libres sèches, où le composé est présent en une quantité de 1 mg environ à 20 mg environ par capsule.
23. La formulation visée par la revendication 1, où le composé est produit sous forme de particules d’un médicament libre dans lequel au moins 90 % des particules sont d’une taille inférieure à 30 microns environ.
24. La formulation visée par la revendication 1, où le composé est produit sous forme de particules d’un médicament libre dans lequel au moins 90 % des particules sont d’une taille inférieure à 25 microns environ.
25. La formulation visée par la revendication 1, où le composé est produit sous forme de particules d’un médicament libre dans lequel au moins 90 % des particules sont d’une taille inférieure à 15 microns environ.
26. Un comprimé comprenant la formulation visée par la revendication 1, où le composé est présent en une quantité de 10 mg environ par comprimé.
27. Un comprimé comprenant la formulation visée par la revendication 1, où le composé est présent en une quantité de 1 mg environ à 5 mg environ par comprimé.
28. Un comprimé comprenant la formulation visée par la revendication 1, où le composé est présent en une quantité de 2,5 mg environ par comprimé.
29. Un comprimé comprenant la formulation visée par la revendication 1, où le composé est présent en une quantité de 20 mg environ par comprimé.
30. L’utilisation d’une quantité effective d’une formulation selon l’une quelconque des revendications 1 à 18, ou 23 à 25 pour le traitement de la dysfonction sexuelle chez un patient.
31. L’utilisation d’une quantité effective d’un comprimé selon l’une quelconque des revendications 19 à 21 ou 26 à 29 pour le traitement de la dysfonction sexuelle chez un patient.
32. L’utilisation d’une quantité effective d’une capsule selon la revendication 22 pour le traitement de la dysfonction sexuelle chez un patient.
33. L’utilisation selon l’une quelconque des revendications 30 à 32, où la dysfonction sexuelle est la dysfonction érectile.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-299-13
|
INTITULÉ : |
ELI LILLY CANADA INC. c MYLAN PHARMACEUTICALS ULC ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET ICOS CORPORATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LES 27, 28, 29 et 30 octobre 2014
|
JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS : |
LE JUGE DE MONTIGNY
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS CONFIDENTIELS :
|
LE 13 FÉVRIER 2015
|
JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS : |
LE JUGE DE MONTIGNY
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS PUBLICS : |
LE 23 FÉVRIER 2015 |
COMPARUTIONS :
Jamie Mills Beverley Moore Ryan Steeves
|
POUR LA DEMANDERESSE ET LA DÉFENDERESSE BREVETÉE
|
Tim Gilbert Maxwell Morgan Zarya Cynader |
POUR LA DÉFENDERESSE mylan pharmaceuticals ulc
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Borden Ladner Gervais LLP Avocats Ottawa (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE ET LA DÉFENDERESSE BREVETÉE
|
Gilbert's LLP Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LA DÉFENDERESSE mylan pharmaceuticals ulc
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ |