Date : 20150302
Dossiers : IMM-2916-13
IMM-2918-13
Référence : 2015 CF 259
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 2 mars 2015
En présence de monsieur le juge Boswell
ENTRE : |
VINCENT EVANS |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Nature des affaires et contexte
[1] En application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), M. Evans (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de deux décisions rendues par une même agente d’immigration (l’agente) : dans la première décision, l’agente a rejeté sa demande de résidence permanente pour cause d’interdiction de territoire et a refusé de lui accorder les dispenses demandées sur le fondement du paragraphe 25(1) de la Loi; dans la deuxième, elle a refusé de lui délivrer un permis de séjour temporaire (PST) en vertu du paragraphe 24(1) de la Loi. Les deux demandes de contrôle judiciaire ont été entendues ensemble conformément aux ordonnances, en date du 15 octobre 2014, par lesquelles la Cour a accordé l’autorisation d’exercer un recours en contrôle judiciaire.
[2] Le demandeur demande à la Cour d’annuler ces deux décisions et de renvoyer les affaires à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur les demandes. Par les présents motifs de jugement, la Cour statue sur les deux demandes de contrôle judiciaire. J’ordonne donc qu’un exemplaire du présent jugement et motifs soit versé dans chacun des dossiers IMM-2916-13 et IMM-2918-13.
[3] Le demandeur est un citoyen de Sainte-Lucie, âgé de 35 ans, qui est arrivé au Canada le 5 octobre 2003. En septembre 2010, à la suite du rejet à la fois de sa demande d’asile et de sa demande d’évaluation des risques avant renvoi, le demandeur s’est efforcé de régulariser sa situation en présentant une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.
[4] Le 18 décembre 2012, toutefois, le demandeur a été reconnu coupable de trafic de cocaïne et d’entrave à un agent de la paix. Le surlendemain, l’agente lui a envoyé une lettre l’informant que sa demande pouvait être refusée, puisqu’il était apparemment interdit de territoire au Canada en vertu des alinéas 36(1)a) et 36(2)a) de la Loi. Le demandeur a répondu par une lettre, datée du 31 janvier 2013, dans laquelle il admettait qu’il était interdit de territoire, mais affirmait qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire (CH) lui permettant de rester au Canada. Il a demandé qu’on lui délivre un PST ou qu’on le dispense de l’application des dispositions de la Loi selon lesquelles il était interdit de territoire.
II. Décisions faisant l’objet du contrôle
A. La décision relative au parrainage conjugal (la décision relative au parrainage)
[5] Dans une lettre datée du 9 avril 2013, l’agente a refusé la demande de résidence permanente du demandeur, estimant qu’en raison de sa condamnation pour trafic de drogues, il était interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a), et qu’en raison de sa condamnation pour entrave à un agent de la paix, il était interdit de territoire pour criminalité en vertu de l’alinéa 36(2)a).
[6] Bien qu’elle ait reconnu le caractère véritable de la relation du demandeur avec son répondant, l’agente a conclu que les motifs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur n’étaient pas suffisants pour l’emporter sur l’interdiction de territoire. Sur la question de l’établissement, l’agente a noté que le demandeur avait travaillé pendant quatre ans -- sans interruption -- comme coiffeur à Sainte-Lucie avant son arrivée au Canada, et a donc rejeté sa prétention qu’il lui serait impossible de trouver un emploi s’il était renvoyé à Sainte-Lucie.
[7] L’agente a reconnu que le demandeur a quatre enfants mineurs dont les intérêts sont touchés : Misha et Inika, qui sont nées à Sainte-Lucie et y résident encore; Malachi, qui est né au Canada, mais qui a accompagné sa mère à Sainte-Lucie lorsque celle-ci a été renvoyée du Canada; Amai, née au Canada et fille du demandeur et de sa conjointe, qui cherche à le parrainer. Cette dernière a aussi deux autres filles qui considèrent le demandeur comme leur père.
[8] Le demandeur avait soutenu que son renvoi, et la perte conséquente de revenus, porteraient préjudice à ses enfants à Sainte-Lucie. Or, le demandeur n’a pas établi de façon suffisante qu’il subvenait aux besoins de ces enfants, et l’agente a jugé qu’il ne se retrouverait pas au chômage à Sainte-Lucie. S’agissant de Malachi, l’agente a noté qu’il souffre d’un trouble du langage nécessitant le recours à un orthophoniste. Dans une lettre présentée par le demandeur, un médecin affirmait qu’il n’y avait pas d’orthophoniste permanent à Sainte‑Lucie et qu’il est difficile d’y trouver une école adaptée, mais l’agente a conclu que cette lettre ne précisait pas s’il y avait des orthophonistes à temps partiel, ou qu’il serait impossible de trouver une école. N’ayant été saisie d’aucun autre élément de preuve sur cette question, l’agente a dit qu’elle ne pouvait pas déterminer les ressources qui s’offriraient à Malachi à Sainte-Lucie. De plus, le demandeur n’avait ni fourni le motif du renvoi de la mère de Malachi, ni indiqué s’il existait pour elle une possibilité de retour au Canada.
[9] L’agente a jugé que les incidences du renvoi du demandeur sur Amai étaient un facteur positif important et déterminant, mais elle a toutefois mentionné qu’il existait peu d’éléments démontrant que le demandeur ne pourrait ni subvenir à ses besoins depuis Sainte-Lucie, ni l’emmener advenant qu’il soit renvoyé du pays. Le renvoi du demandeur toucherait aussi sa conjointe, mais l’agente a observé que celle-ci savait au moins dans une certaine mesure, quand elle a entamé une relation avec lui, que le demandeur n’avait pas de statut. Rien ne prouvait non plus qu’elle ne pourrait pas lui rendre visite à Sainte-Lucie.
[10] L’agente a aussi reconnu que les deux autres enfants de sa conjointe, Cheyelle (qui a maintenant 22 ans) et Chamaul (qui a maintenant 19 ans), considèrent tous deux le demandeur comme un père. Cependant, rien ne permettait de croire qu’il les soutenait financièrement ou qu’il lui serait impossible d’entretenir une relation avec elles s’il était renvoyé.
[11] Enfin, l’agente a soupesé les éléments favorables en fonction de la gravité du crime et de la décision par la cour de l’assigner à résidence pendant six mois, à titre de sanction. Il s’agissait de ses premières condamnations, mais l’agente a observé que le demandeur avait été déjà été accusé de crimes. Bien qu’il ait manifesté des remords et fait part de sa volonté de s’améliorer, le demandeur n’avait suivi aucun programme de réadaptation. L’agente a fini par conclure que, en l’espèce, les difficultés n’étaient pas inhabituelles et injustifiées ou excessives, ajoutant que [traduction] « la gravité du crime du demandeur ne l’emporte pas sur les facteurs favorables » (non souligné dans l’original).
B. Décision relative au permis de séjour temporaire (décision relative au PST)
[12] Dans des motifs distincts également datés du 9 avril 2013, l’agente a refusé de délivrer un PST au demandeur (bien que la lettre lui signifiant la décision porte la date incorrecte du 3 octobre 2012), invoquant essentiellement les mêmes motifs, relativement aux considérations d’ordre humanitaire, que pour sa décision relative au parrainage.
[13] La seule différence notable dans cette décision était le traitement par l’agente des circonstances entourant les condamnations du demandeur. L’agente a ajouté à ses observations précédentes que le fait que le demandeur a purgé sa peine dans la communauté était un élément en sa faveur, dans la mesure où cela démontrait que la cour estimait que le demandeur ne constituait pas un danger pour la société. L’agente a cependant noté que le comportement du demandeur faisait quand même l’objet d’un contrôle très serré par la cour et que son prétendu intérêt dans les programmes de réadaptation semblait plutôt intéressé. Comme pour la décision relative au parrainage, l’agente a conclu que [traduction] « la gravité du crime du demandeur ne l’emporte pas sur les facteurs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur. Ce dernier n’a pas démontré de façon suffisante qu’il avait du remord ou qu’il ne récidiverait pas » (non souligné dans l’original).
III. Arguments des parties
A. Arguments du demandeur
[14] Le demandeur soutient que l’agente a omis de tenir compte d’éléments de preuve probants dans sa décision sur son établissement au Canada (citant Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL), au paragraphe 17, 157 FTR 35 (1re inst.)). Le demandeur affirme que la décision de l’agente était déraisonnable en ce qu’elle ne tenait pas dûment compte de la preuve selon laquelle il avait dû fermer son salon de coiffure à Sainte-Lucie parce qu’il avait reçu des menaces de trafiquants de drogue. Il ajoute que l’agente n’a tenu aucun compte du fort taux de chômage qui sévit à Sainte-Lucie, comme en témoigne le fait que ses frères étaient sans emploi depuis leur retour à Sainte-Lucie, et qu’elle n’a pas dûment examiné les autres indices d’établissement, comme le soutien familial dont il jouit au Canada : Raudales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385, au paragraphe 19; Jamrich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804, 29 Imm LR (3d) 261.
[15] Concernant l'intérêt supérieur des enfants, le demandeur déclare que les conclusions de l’agente sont ambigües en ce sens que celle‑ci a affirmé que le demandeur ne soutenait pas financièrement sa famille, tout en concluant que rien ne prouvait qu’il ne pourrait pas continuer de subvenir aux besoins de sa famille depuis Sainte-Lucie. Quant à Malachi, le demandeur affirme que l’agente a tiré des inférences injustifiées de la lettre du médecin, et qu’elle n’avait aucune raison de conclure que la mère de Malachi pourrait peut-être retourner au Canada.
[16] Le demandeur soutient aussi que l’agente ne s’est pas acquittée de son obligation d’expliquer en termes clairs et non équivoques sa conclusion concernant la gravité de son crime (citant Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 130 NR 236, 15 Imm LR (2d) 199 (CA)). Le demandeur soutient que la conclusion de l’agente sur la question de la criminalité est ambigüe en ce que l’agente a indiqué, dans les deux décisions, que la gravité de son crime [traduction] « ne l’emporte pas sur les facteurs favorables », mais a néanmoins rejeté les demandes. Selon le demandeur, il ne s’agit pas nécessairement d’une simple erreur typographique.
[17] Quant à la décision relative au PST, le demandeur reprend plusieurs des arguments invoqués à l’égard de la décision relative au parrainage, mais soutient aussi qu’il était déraisonnable pour l’agente de ne pas tenir compte de son intérêt pour la réadaptation, qu’elle a qualifié d’intéressé; il lui incombait d’établir le bien‑fondé de ses prétentions, et l’agente aurait probablement conclu qu’il avait très peu de chance de réadaptation s’il n’avait manifesté aucun intérêt dans de tels programmes. À cet égard, le demandeur s’appuie sur la décision Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 319, au paragraphe 37.
B. Arguments du défendeur
[18] Le défendeur souligne que la retenue judiciaire s’impose à l’égard des décisions sur la demande de PST et sur la demande fondée sur des considérations humanitaires puisqu’elles sont de nature exceptionnelle et hautement discrétionnaire et qu’elles obligent l’agente à soupeser différents éléments. Le défendeur soutient que l’agente a tenu compte de manière adéquate de tous les éléments favorables, mais qu’elle pouvait accorder plus de poids aux antécédents du demandeur en matière de criminalité. Le défendeur affirme que la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait l’agente.
[19] Selon le défendeur, le demandeur pourrait retourner à Sainte-Lucie et travailler comme coiffeur ou exercer peut-être un autre emploi, puisqu’il a acquis de l’expérience ici même au Canada. La possibilité que le demandeur ait accès à de meilleurs emplois au Canada n’est pas un motif suffisant pour le dispenser de l’application de la Loi ou lui accorder un PST.
[20] Le défendeur soutient que l’intérêt supérieur des enfants n’est pas un facteur déterminant, et que ce n’est pas parce que le demandeur n’est pas d’accord avec l’agente quant au poids accordé à ce facteur qu’il y a erreur. Le défendeur déclare que la lettre de la mère du demandeur ne permet pas de conclure que ce dernier pourrait subvenir aux besoins de ses enfants à Sainte-Lucie. Le demandeur n’a produit aucun élément corroborant à cet égard.
[21] S’agissant de la lettre du médecin au sujet de Malachi, le défendeur déclare que la conclusion de l’agente, à savoir qu’il existe peut-être des services temporaires, est plausible. La lettre sur laquelle se fonde le demandeur n’indique pas qu’il est impossible de bénéficier de tels services, mais laisse plutôt entendre qu’il serait peut-être difficile pour son fils d’y avoir accès.
[22] Le défendeur déclare qu’à la lecture de l’ensemble des décisions de l’agente, il est manifeste qu’elle a commis une erreur typographique quand elle a dit que la gravité du crime du demandeur [traduction] « ne l’emporte pas » sur les facteurs favorables. Le défendeur affirme qu’une telle erreur ne doit pas donner lieu à réparation, puisqu’il ressort clairement du reste de la décision que l’agente voulait dire le contraire (citant Cartier c Canada (AG), 2002 CAF 384, aux paragraphes 32 et 33, [2003] 2 RCF 317). Le défendeur signale aussi que la qualité des motifs de l’agente n’est pas un motif de contrôle indépendant (citant Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 22, [2011] 3 RCS 708).
[23] Quant aux PST, le défendeur reprend certains des arguments invoqués à l’égard de la décision relative au parrainage et souligne que l’intérêt manifesté par le demandeur pour la réadaptation est intéressé, et n’est étayé par rien d’autre que les dires du demandeur; il n’existe aucun élément corroborant, par exemple une lettre de la John Howard Society.
IV. Questions et analyse
A. Norme de contrôle
[24] Les parties ont convenu dans leur mémoire écrit que la norme de contrôle applicable aux deux décisions est celle de la décision raisonnable; ainsi, les seules questions à trancher en l’espèce concernent le caractère raisonnable des décisions de l’agente.
[25] La norme de contrôle applicable à une décision relative à une demande fondée sur des considérations humanitaires est celle de la décision raisonnable, puisqu’elle porte sur des questions mixtes de faits et de droit : voir, par exemple, Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18, [2010] 1 RCF 360; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, aux paragraphes 30, 32, 33, 37, 372 DLR (4th) 539 (Kanthasamy); Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir). Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 62, 174 DLR (4th) 193, la Cour suprême du Canada a conclu, à l’égard de l’examen d’une décision fondée sur des considérations humanitaires, « qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi ».
[26] La délivrance d’un PST en vertu du paragraphe 24(1) de la Loi est de même une décision fortement discrétionnaire, qui elle aussi commande l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir par exemple Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 784, au paragraphe 9, 73 Imm LR (3d) 258; Vidakovic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 605, au paragraphe 15, [2011] ACF No 808 (QL); et Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 667, au paragraphe 18; Dunsmuir, au paragraphe 53).
[27] En conséquence, la Cour ne doit pas intervenir si chacune des décisions de l’agente est intelligible, transparente et justifiable, et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve présentés à l’agente, ni de substituer à la décision, à l’occasion d’un contrôle judiciaire, l’issue qui serait à son avis préférable : Dunsmuir, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59, 61, [2009] 1 RCS 339.
B. Les décisions de l’agente étaient-elles raisonnables?
(1) La décision relative au parrainage
[28] L’agente en l’espèce n’a pas fait abstraction de la preuve dont elle disposait ou commis une erreur quand elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il lui serait impossible de trouver un emploi à Sainte-Lucie. L’agente a raisonnablement conclu que le demandeur pouvait retourner à Sainte-Lucie et y travailler comme coiffeur et que le fait que les frères du demandeur se soient apparemment retrouvés sans emploi à Sainte-Lucie à la suite de leur renvoi du Canada n’établissait pas de façon suffisante que le demandeur ne pourrait pas se trouver un emploi à son retour.
[29] De plus, on ne saurait dire que l’agente en l’espèce n’a pas été réceptive et sensible à l’intérêt supérieur de chacun des enfants du demandeur, de même que des deux enfants de son répondant. Par exemple, l’agente a mentionné expressément que les incidences émotionnelles et financières sur son enfant naturelle au Canada est un élément convaincant et favorable, s’agissant d’empêcher le renvoi du demandeur. Toutefois, il y avait peu d’éléments de preuve que le demandeur ne pourrait pas subvenir aux besoins de cette enfant depuis Sainte-Lucie, ou qu’il ne pourrait pas y vivre avec elle. À cet égard, la décision Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5, [2004] 2 RCF 635, est digne de mention; la Cour d'appel fédérale déclarait que « … le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l’appui de son allégation, l’agent est en droit de conclure qu’elle n’est pas fondée ».
[30] Je suis d’accord avec le défendeur qu’à la lecture de l’ensemble de la décision de l’agente relative au parrainage, et au vu de ses motifs quant à l’établissement du demandeur et à l’intérêt supérieur des enfants touchés par son renvoi, il est manifeste que le terme [traduction] « ne […] pas » au dernier paragraphe de cette décision, renvoyant à la gravité du crime du demandeur, est une erreur typographique. Une telle erreur n’invalide pas le reste de l’analyse faite par l’agente et les motifs de sa décision. Il ressort clairement de ses motifs aussi bien que de la lettre de décision même que l’agente voulait dire que les actes criminels du demandeur l’emportent en fait sur les facteurs favorables. Une erreur de cette nature ne devrait pas donner lieu à réparation.
[31] Ainsi, dans Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 159 (Lu), le juge Simon Noël était saisi d’une affaire où un mot avait été inséré dans la lettre de décision de l’agente. Le juge Noël s’est exprimé en ces termes :
[29] … Le fait que l’agente Tsang a écrit dans sa lettre au demandeur qu’il était « […] donc interdit de territoire au Canada […] » représente, à mon avis, une erreur qui peut être associée à une erreur typographique et qui n’est pas de nature décisive […] l’agente Tsang n’a pas conclu que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité en vertu de l’article 36 de la Loi, même si elle fait mention des dispositions sur l’« interdiction de territoire » de la LIPR.
[30] Le juge Russell, dans la décision Petrova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 506, a traité des répercussions d’une erreur typographique sur les motifs d’un décideur qui sont revus par la Cour. Au paragraphe 51 de la décision Petrova, précitée, le juge Russell écrit :
Lorsqu’une erreur est de nature typographique, la Cour ne doit pas modifier la décision, surtout si l’erreur ne semble pas être le résultat d’une incompréhension de la preuve. Dans l’affaire Sandhu c. M.C.I., le juge Nadon s’exprimait ainsi à propos d’une erreur typographique qui s’était glissée dans la décision contestée :
... Il est clair, à la lecture du dossier, que la Section du statut ne s’est pas méprise quant à la visite de deux hommes qu’aurait remarquée le demandeur. Le demandeur a témoigné que deux hommes auraient visité la chambre de Pritam Singh. Il n’a pas témoigné que ces individus l’ont visité, et je suis convaincu que le mot « claimant » que l’on retrouve dans la phrase :
The claimant told the police that on two occasions he saw two individuals whom he could not identify visiting the claimant in his room [...]
est une erreur typographique. De toute façon, s’il y a erreur, cette erreur n’est pas déterminante et ne peut certainement pas justifier une intervention de ma part.
Sandhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 134
Selon moi, rien ne justifie que l’erreur commise par l’agente Tsang se traduise par une intervention de la Cour en l’espèce. Rien n’indique, dans la lettre de l’agente Tsang, qu’elle a mal compris la preuve… (Souligné dans Lu)
[32] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la décision de l’agente relative au parrainage est intelligible et justifiable, et aussi qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
(2) La décision sur le PST
[33] Les objectifs et le caractère exceptionnel de la dispense prévue au paragraphe 24(1) de la Loi ont été décrits en détail par mon collègue le juge Shore dans la décision Farhat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1275, 302 FTR 54 (Farhat) :
[22] On vise avec l’article 24 de la LIPR à rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des « raisons impérieuses » pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la LIPR. Fondamentalement, le permis de séjour temporaire permet aux agents d’intervenir dans des circonstances exceptionnelles tout en remplissant les engagements sociaux, humanitaires et économiques du Canada. (Guide de l’immigration, ch. OP 20, section 2; pièce B de l’affidavit d’Alexander Lukie; Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) c. Hardayal, [1978] 1 R.C.S. 470 (QL).)
[23] Avant qu’un PST ne soit délivré, l’on doit tenir compte du fait que ce permis octroie à son titulaire des privilèges plus importants que ceux qui sont accordés aux visiteurs, aux étudiants et aux travailleurs. Comme l’étranger de ces deux catégories, le titulaire d’un PST devient résident temporaire après un examen à son entrée au Canada, mais il peut en outre avoir accès aux services sociaux ou de santé et demander un permis de travail ou d’études à partir du Canada. N’est en outre assujetti à aucun pouvoir discrétionnaire l’octroi de la résidence permanente aux personnes qui résident au Canada pendant toute la période de validité du permis et ne deviennent pas interdites de territoire pour d’autres motifs que ceux ayant justifié l’octroi du PST. (Guide de l’immigration, ch. OP 20, section 5.7; pièce B de l’affidavit d’Alexander Lukie.
[24] C’est donc avec circonspection que l’on doit recommander la délivrance d’un PST et y procéder. Le législateur avait bien conscience de la nature exceptionnelle des PST et il s’est réservé un rôle de surveillance à cet égard; le ministre fait ainsi état dans son rapport annuel au Parlement du nombre de PST délivrés en application de l’article 24 de la LIPR, les « données [étant] réparties selon les motifs d’interdiction de territoire ». (Guide de l’immigration, ch. OP 20, sections 5.2 (paragraphe 2) et 5.22; pièce B de l’affidavit d’Alexander Lukie; paragraphe 94(2) de la LIPR.)
[34] De plus, même si l’agent n’a pas l’obligation expresse de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants touchés par une demande de PST (Farhat, au paragraphe 36), il demeure que l’agente l’a fait en l’espèce. Les examens que l’agente a faits à cet égard témoignent qu’elle était réceptive, attentive et sensible à l’ensemble de la situation du demandeur.
[35] En refusant la demande de PST, l’agente a fourni essentiellement les mêmes motifs que dans sa décision relative au parrainage. La seule différence notable dans la décision relative au PST est la façon dont l’agente traite des circonstances entourant les condamnations au criminel du demandeur. L’agente a ajouté à ses observations précédentes que le fait que le demandeur a purgé sa peine dans la communauté était un élément en sa faveur, dans la mesure où cela démontrait que, pour la cour, le demandeur ne constituait pas un danger pour la société. Elle a toutefois jugé que les questions du demandeur concernant le programme de réadaptation étaient plutôt intéressées, précisant qu’il n’avait, de son propre gré, participé à aucun programme ni suivi aucun programme jusqu’au bout. Compte tenu de ce qui précède, l’agente pouvait raisonnablement décider que les éléments de preuve fournis par le demandeur ne permettaient pas de conclure qu’il avait des remords ou qu’il ne récidiverait pas.
[36] Il ressort implicitement de la décision relative au PST que l’agente a refusé la demande de PST du demandeur parce qu’elle n’estimait pas « que les circonstances le justifient » (Loi, paragraphe 24(1)), et qu’il n’existait pas non plus de « raisons impérieuses » suffisantes (Farhat, au paragraphe 22). L’agente a examiné les éléments défavorables et favorables présentés par le demandeur. Son raisonnement était intelligible et justifiable, et de plus sa décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[37] Il ne fait pas de doute que l’intérêt supérieur des enfants du demandeur était une considération favorable, mais la gravité des crimes du demandeur et le manque d’efforts de réadaptation ont fini par l’emporter. Il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau ces facteurs. Quoiqu’une décision différente eût pu être rendue, il n’a pas été démontré que la décision de l’agente n’était pas fondée en droit ou qu’elle était déraisonnable faute d’un fondement factuel valable.
V. Conclusion
[38] Par conséquent, les demandes de contrôle judiciaire du demandeur devraient être et sont par les présentes rejetées. Ni l’une ni l’autre des parties n’ayant proposé de question aux fins de certification, aucune question n’est certifiée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La demande de contrôle judiciaire relative à chacun des dossiers de la Cour IMM-2916-13 et le dossier IMM‑2918-13, est rejetée;
2. Aucune question n’est certifiée;
3. Une copie du présent jugement et motifs sera versée à la fois au dossier IMM‑2916-13 et au dossier IMM-2918-13.
« Keith M. Boswell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS : |
IMM-2916-13 et IMM-2918-13
|
INTITULÉ : |
VINCENT EVANS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 13 JANVIER 2015
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE BOSWELL
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 2 MARS 2015
|
COMPARUTIONS :
Alesha A. Green
|
POUR Le demandeur
|
David Knapp
|
POUR Le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Alesha A. Green Avocate Toronto (Ontario)
|
POUR Le demandeur
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
|
POUR Le défendeur
|