Date : 20150305
Dossier : IMM‑3807‑14
Référence : 2015 CF 279
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 5 mars 2015
En présence de monsieur le juge de Montigny
ENTRE : |
ADNAN ABDUL KARIM NAILA ADNAN ALYSSA ADNAN MICHAEL |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, visant à faire annuler la décision du 15 avril 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté les demandes d’asile des demandeurs. La Commission a conclu que le récit du demandeur principal n’était pas crédible; en outre, la Commission a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI).
[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande doit être accueillie.
I. Les faits
[3] Les demandeurs sont originaires du Pakistan. Le demandeur principal (que je désignerai ci‑après simplement comme le demandeur), Adnan Abdul Karim, est arrivé au Canada le 12 janvier 2014, accompagné de son épouse, Naila Adnan, et de sa fille, Alyssa Adnan Michael. Ils ont demandé l’asile à la frontière. Le demandeur craint d’être persécuté en raison de sa foi chrétienne. Bien que lui et son épouse aient tous deux témoigné à l’audience, la demande d’asile est fondée sur le risque auquel seul le demandeur est exposé.
[4] Les faits sur lesquels repose la demande d’asile sont les suivants. Le demandeur et sa famille appartiennent à la minorité chrétienne au Pakistan. En 2005, le demandeur vivait à Rawalpindi. Il exploitait une société d’experts‑conseils et d’équipement dans le domaine de la surveillance et de la sécurité. Toutefois, en 2007, il a commencé à être harcelé et menacé. Son entreprise a été vandalisée avec des messages visant des chrétiens, et deux de ses techniciens ont été enlevés. Le demandeur croyait que ce harcèlement était relié à sa religion chrétienne. En raison des menaces persistantes, il a fermé son entreprise en 2011 et a déménagé à Islamabad.
[5] Après être arrivé à Islamabad, le demandeur a travaillé dans un magasin général. En novembre 2012, il a commencé à travailler pour son ami, Ram Dev, dans le domaine de l’équipement de sécurité. Le 3 décembre 2012, le demandeur a été forcé de monter à bord d’une voiture avec trois hommes masqués. Le demandeur trouvait que les hommes avaient l’air d’être des fondamentalistes à cause de la façon dont ils étaient habillés, de leur dialecte et du fait qu’ils étaient armés. Il a été battu et on lui a demandé d’embaucher un membre du groupe fondamentaliste afin que celui‑ci puisse avoir accès aux missions diplomatiques avec lesquelles Ram Dev travaillait. Le demandeur a signalé cet incident à la police, mais les policiers lui auraient dit qu’ils ne pouvaient pas garantir sa protection, et qu’étant donné qu’il était chrétien, il ferait mieux de quitter le pays.
[6] À la suite de cet incident, le demandeur et sa famille sont allés vivre chez un ami, puis chez la tante du demandeur. Ils ont vécu dans la clandestinité jusqu’à ce qu’ils puissent quitter le pays en décembre 2013.
[7] Suivant l’audience tenue le 14 mars 2014, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur le 15 avril 2014. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.
II. La décision contestée
[8] Selon la Commission, les questions à trancher portaient sur la crédibilité et la possibilité de refuge intérieur à Islamabad.
[9] S’agissant de la crédibilité, la Commission a souligné la bonne conduite du demandeur durant l’audience. La Commission a également admis l’identité des demandeurs. En se fondant sur le témoignage du demandeur principal, la Commission a conclu que les demandeurs étaient d’authentiques chrétiens.
[10] La Commission a ensuite examiné des éléments de preuve documentaire concernant les chrétiens au Pakistan. En s’appuyant sur ces éléments de preuve, la Commission a souligné que les chrétiens au Pakistan étaient exposés à des menaces et à la violence et à la discrimination. Toutefois, la Commission a ajouté qu’elle devait examiner chaque affaire en fonction des faits qui lui sont propres.
[11] S’agissant de l’agent de persécution, la Commission a tiré trois conclusions majeures. Premièrement, elle a conclu qu’à Rawalpindi, le demandeur avait été ciblé à cause de son entreprise et de sa foi chrétienne. Deuxièmement, la Commission a conclu que le harcèlement à Rawalpindi n’était pas relié à l’incident survenu à Islamabad en décembre 2012. En outre, les assaillants en décembre 2012 n’avaient pas ciblé le demandeur parce qu’il était un chrétien; ils voulaient plutôt que le demandeur embauche leur ami pour avoir accès à des lieux sensibles desservis par l’entreprise de Ram Dev. Rein dans la preuve ne démontre que le harcèlement à Rawalpindi est relié à l’incident survenu à Islamabad. Troisièmement, la Commission n’a pas cru que le demandeur avait vécu dans la clandestinité de décembre 2012 à décembre 2013 ni qu’il avait encore été ciblé après décembre 2012. La Commission a souligné que, malgré que le demandeur ait affirmé avoir vécu dans la clandestinité de décembre 2012 à décembre 2013, lui et son épouse avaient pu obtenir des passeports. En outre, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il était encore ciblé par les individus après décembre 2012. Qui plus est, Ram Dev, le propriétaire de l’entreprise, vivait encore au Pakistan, et aucun élément de preuve ne démontrait que Ram Dev était ciblé et ce, malgré son appartenance à un groupe minoritaire (il est hindou).
[12] En conséquence, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas fait la preuve qu’il serait exposé à un plus grand risque de préjudice que les autres habitants d’Islamabad. S’agissant de la persécution fondée sur la religion, la Commission a conclu que les menaces à Rawalpindi étaient reliées à l’entreprise du demandeur et à sa religion; par ailleurs, bien que les demandeurs risquent d’être victimes de discrimination et de harcèlement parce qu’ils sont chrétiens, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’ils seraient persécutés dans l’ensemble du pays.
[13] S’agissant de la menace à la vie ou au risque de subir un traitement inhabituel, la Commission a conclu que le demandeur avait été ciblé lors de l’incident de décembre 2012 non pas à cause de qui il était, mais à cause du domaine dans lequel il travaillait. La Commission a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur serait exposé à un plus grand risque de préjudice que les autres citoyens du pays, s’il ne travaillait pas dans le domaine de l’installation d’équipement de sécurité.
[14] Enfin, la Commission a conclu à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur raisonnable à Islamabad. Le demandeur a expliqué qu’il ne pourrait pas vivre à Islamabad parce qu’il serait facilement identifié comme un chrétien par le réseau de fondamentalistes. Toutefois, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas été ciblé à Islamabad à cause de son christianisme, mais parce qu’il travaillait dans le secteur de la sécurité. La Commission a conclu qu’il ne serait pas déraisonnable que le demandeur et sa famille vivent à Islamabad et que le demandeur trouve du travail dans un autre domaine.
III. Questions en litige
[15] La présente demande soulève seulement deux questions :
A. La conclusion de la Commission concernant la crédibilité était‑elle raisonnable?
B. La conclusion de la Commission concernant l’existence d’une PRI était‑elle raisonnable?
IV. Analyse
[16] La norme de contrôle applicable aux deux questions est indiscutablement la norme de la décision raisonnable. Pour ce qui concerne la crédibilité, voir Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), au paragraphe 4; Tar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 767, au paragraphe 30; Karakaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 777, au paragraphe 9. Pour ce qui concerne la PRI, voir Rosales Rincon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 407 [Rincon], au paragraphe 19; Kayumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 138, aux paragraphes 12 et 13.
A. La conclusion de la Commission concernant la crédibilité était‑elle raisonnable?
[17] À mon avis, le raisonnement de la Commission n’a pas la transparence et l’intelligibilité requises pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable. Tout d’abord, je conviens avec le demandeur qu’il est absurde de conclure qu’il n’était pas plausible de vivre dans la clandestinité et d’être pourtant capable d’obtenir des passeports. Les gens qui craignent pour leur vie chercheront précisément une façon de sortir d’un pays. Le fait que les demandeurs aient été capables d’obtenir des passeports et des visas au cours d’une année entière ne veut pas dire qu’ils n’ont pas pris de précautions et qu’ils ne vivaient pas malgré tout dans la clandestinité. Je constate également que la Commission a commis deux erreurs de fait : la première concernant l’emploi et les compétences du demandeur et la seconde, concernant le motif pour lequel l’épouse avait quitté son emploi.
[18] Fait plus important encore, j’estime que la Commission a eu tort de ne pas mentionner des éléments de preuve qui corroboraient le témoignage du demandeur, mais contredisaient les conclusions de la Commission. Il n’est pas nécessaire que la Commission renvoie à chaque document dans sa décision, puisqu’elle est présumée avoir examiné tous les éléments de preuve : voir Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317 (CAF), au paragraphe 3; Lewis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1195, au paragraphe 19. Toutefois, plus l’élément de preuve est important ou pertinent relativement à une question centrale, plus la Cour est susceptible d’inférer du silence de la Commission que l’élément de preuve a été ignoré : Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 15 à 17. Plus précisément, lorsque la Commission ne renvoie pas à un élément de preuve qui contredit sa conclusion, la Cour pourra être portée à inférer plus aisément que la Commission n’en a pas tenu compte. Par ailleurs, il est erroné de dire qu’« aucun élément de preuve n’a été présenté » au soutien d’une allégation alors que, dans les faits, certains éléments l’appuient : Abdi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 68 FTR 319 (C.F. 1re inst.).
[19] En l’espèce, la Commission a tiré des conclusions de fait déterminantes qui allaient au cœur de la demande d’asile et en entraînaient le rejet sans savoir tenu compte de deux déclarations signées qui contredisaient ces conclusions. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas été ciblé après décembre 2012, mais elle n’a rien dit au sujet de ces deux déclarations signées qui contredisent cette conclusion. La Commission a conclu que Ram Dev vivait encore au Pakistan et qu’« aucun élément de preuve n’a été présenté » pour démontrer que Ram Dev était ciblé (décision, au paragraphe 38). Toutefois, la Commission n’a pas mentionné l’affidavit de Ram Dev, qui énonçait que celui‑ci prenait ses [traduction] « propres mesures de sécurité » à la suite de l’enlèvement du demandeur (dossier du tribunal, à la page 379), ce qui pourrait expliquer pourquoi il n’avait pas été ciblé. Si la Commission ne croyait pas cette déclaration ou si elle était d’avis que ces mesures de sécurité n’avaient rien à voir avec la religion de Ram Dev, elle aurait dû le dire et expliquer pourquoi elle était de cet avis.
[20] De même, lorsque la Commission a conclu que le demandeur n’avait présenté « aucun élément de preuve » selon lequel il était recherché après l’enlèvement (décision, au paragraphe 39), elle n’a fait aucune mention de la déclaration signée d’Amar Calvin Ghori, l’ami du demandeur à Islamabad, qui disait que [traduction] « des inconnus » s’étaient enquis au sujet du demandeur alors que celui‑ci vivait dans la clandestinité (dossier du tribunal, à la page 378). Là encore, comme l’avocat du défendeur l’a affirmé, il se peut fort bien que cette lettre n’indique pas clairement comment M. Ghori a su que le demandeur était recherché. Si c’est la raison pour laquelle la Commission a donné peu de valeur à cette lettre, elle aurait dû le dire clairement. Or, au contraire, rien n’indique que la Commission a même tenu compte des déclarations de M. Ghori ou les a appréciées, ce qui est inacceptable, car ces déclarations sont pertinentes et elles contredisent directement les conclusions de la Commission.
[21] À l’audience, l’avocat du défendeur a soutenu que le demandeur n’avait pas invoqué expressément ces lettres lorsqu’il avait comparu devant la Commission, et que, si ces lettres étaient si importantes, elles auraient dû être invoquées. D’après la transcription de l’audience, l’avocat a mentionné en passant les déclarations signées, mais il a ensuite examiné en détail l’affidavit de Ram Dev pour répondre à la préoccupation de la Commission concernant le fait que Ram Dev n’était pas ciblé (dossier du tribunal, à la page 451). Quoi qu’il en soit, l’argument du défendeur est clairement insuffisant pour décharger la Commission de son obligation d’aborder les éléments de preuve qui, à première vue, contredisent ses conclusions. Après tout, ces lettres faisaient partie intégrante du dossier du demandeur. En dernière analyse, ces déclarations n’auraient peut‑être eu aucune incidence importante sur la conclusion définitive de la Commission; toutefois, puisqu’il n’est pas du tout certain que la Commission a dûment pris ces lettres en compte, la décision ne saurait être maintenue. La Commission a commis une erreur lorsqu’elle a affirmé qu’« aucun élément de preuve n’a[vait] été présenté » pour étayer la demande d’asile du demandeur, et le demandeur avait droit qu’on lui explique pourquoi les lettres déposées au soutien de sa demande d’asile avaient été jugées non concluantes.
B. La conclusion de la Commission concernant l’existence d’une PRI était‑elle déraisonnable?
[22] À mon avis, l’analyse de la Commission concernant l’existence d’une possibilité de refuge intérieur est déraisonnable. Premièrement, la conclusion de la Commission selon laquelle Islamabad offre une PRI est manifestement illogique. Deuxièmement, la Commission n’a pas tenu compte de l’état émotif du demandeur lorsqu’elle a décidé s’il était raisonnable que le demandeur cherche à se réfugier à l’endroit qui proposé à titre de PRI.
[23] Le critère servant à déterminer s’il existe une possibilité de refuge intérieur comporte deux volets. La Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités : premièrement, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse de persécution dans la région offrant une PRI; et deuxièmement, qu’il ne serait pas déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur d’asile y cherche refuge : voir Rincon, précité, au paragraphe 21; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 RCF 589 (CAF), au paragraphe 12. Bien que la Commission ait énoncé ce critère, elle ne l’a pas appliqué.
[24] À première vue, il semble illogique qu’Islamabad puisse offrir une possibilité de refuge intérieur puisque c’est précisément à cet endroit qu’a eu lieu l’enlèvement de 2012, un fait que la Commission semble admettre. De plus, on ne sait pas vraiment si l’analyse relative à l’existence d’une PRI repose sur la conclusion concernant la crédibilité, ou s’il s’agit d’un raisonnement subsidiaire par rapport à cette conclusion. Si l’analyse en question repose sur la conclusion concernant la crédibilité ‑ c’est‑à‑dire, si elle part de la prémisse que le demandeur n’était plus exposé à un risque après décembre 2012 ‑, la Commission n’a pas du tout conclu à l’existence d’une PRI, mais a plutôt simplement réitéré sa conclusion concernant la crédibilité. S’il s’agit d’un raisonnement subsidiaire ‑ c’est‑à‑dire, si cette analyse repose sur l’hypothèse que toutes les allégations sont vraies et que le demandeur était encore ciblé après décembre 2012 ‑, la Commission n’a donc pas tenu compte du témoignage du demandeur exposant les raisons pour lesquelles il s’est senti ciblé après 2012.
[25] Le demandeur a dit dans son témoignage qu’il craignait le groupe qui l’a enlevé, non seulement parce qu’il n’a pas donné au groupe l’accès que celui‑ci avait demandé, mais aussi parce qu’il a signalé l’incident à la police alors que le groupe l’avait clairement menacé de représailles s’il le faisait. Le demandeur a également affirmé dans son témoignage que s’il devait s’installer ailleurs au Pakistan (surtout à Islamabad), il aurait peur d’être découvert parce que le demandeur et sa famille, étant une nouvelle famille chrétienne dans la région, seraient portés à l’attention de la madrasa locale, ces madrasas étant le terrain fertile des groupes fondamentalistes. La Commission n’a pas tenu compte de ce témoignage, et elle a semblé considérer que les problèmes éprouvés par le demandeur à Islamabad étaient reliés exclusivement à son travail. Pourtant, peu importe dans quel secteur le demandeur travaillerait, sa crainte de représailles et sa peur d’être identifié par l’entremise du réseau fondamentaliste resteraient entières. Même si la motivation des ravisseurs à Islamabad n’était pas d’ordre religieux, le fait qu’ils savent maintenant que le demandeur est un chrétien pourrait bien constituer une motivation additionnelle à le cibler et à le rechercher par l’entremise des madrasas et des réseaux fondamentalistes. Si l’on ajoute à cela le fait que la police a dit au demandeur qu’elle ne pouvait pas le protéger, il est difficile de comprendre comment la Commission a pu conclure qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse de persécution à Islamabad pour peu que le demandeur change de domaine de travail.
[26] La conclusion de la Commission selon laquelle il n’était pas déraisonnable que le demandeur vive à Islamabad est également problématique parce qu’elle ne tient pas compte du témoignage du demandeur au sujet de son état émotif. La Commission a reconnu que les demandeurs, en tant que chrétiens, risquaient de subir de la discrimination et de vivre des tensions avec d’autres membres de la communauté religieuse pakistanaise, et qu’il se pourrait également qu’ils doivent « modifier » leur façon de vivre à Islamabad, mais la Commission ne semble pas avoir tenu compte des problèmes que le demandeur a éprouvés ni de sa [traduction] « crainte permanente » pour lui‑même et sa famille. Après tout, la Commission croyait que le demandeur avait été ciblé aussi bien à cause de son entreprise qu’à cause de sa foi chrétienne à l’époque où il travaillait à Rawalpindi, de 2005 à 2011, et elle admettait également les éléments de preuve documentaire indiquant que les membres de groupes religieux minoritaires qui sont propriétaires d’entreprises sont ciblés par la majorité musulmane. La Commission a également admis que le demandeur avait été enlevé en décembre 2012 par des individus armés qui avaient menacé de le tuer à moins qu’il leur procure des laissez‑passer leur permettant d’accéder aux missions diplomatiques auxquelles Ram Dev fournissait des systèmes de sécurité. Dans ces circonstances, la crainte des demandeurs ne dépassait pas les limites et n’était pas clairement irrationnelle, et elle aurait dû être appréciée dans le cadre de l’analyse du deuxième volet du critère relatif à une PRI pour déterminer s’il serait déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs s’installent à Islamabad. Or, la Commission ne mentionne ce témoignage nulle part dans son analyse relative à l’existence d’une PRI. Bien que l’état d’esprit du demandeur n’ait peut‑être pas joué un rôle déterminant dans la conclusion de la Commission, il est problématique que la Commission n’ait pas du tout mentionné ces éléments de preuve nulle part dans son analyse.
[27] Pour cette dernière raison, je conclus que la décision de la Commission devrait être annulée.
V. Conclusion
[28] Pour tous les motifs qui précèdent, la Cour conclut que la décision de la Commission n’appartient pas aux « issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). La décision manque d’intelligibilité, et de nombreuses conclusions ont été tirées sans égard aux éléments de preuve. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
[29] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande est accueillie. Aucune question n’est certifiée.
« Yves de Montigny »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM‑3807‑14
|
INTITULÉ : |
ADNAN ABDUL KARIM NAILA ADNAN ALYSSA ADNAN MICHAEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 11 FÉVRIER 2015
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE DE MONTIGNY
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 5 MARS 2015
|
COMPARUTIONS :
Styliani Markaki
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Alain Langlois
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Styliani Markaki Avocat Montréal (Québec)
|
pour les demandeurs
|
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Montréal (Québec)
|
pour le défendeur
|