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Date : 20150224


Dossiers : IMM‑637‑14

IMM‑640‑14

Référence : 2015 CF 231

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 février 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ARLENE KANEZA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Arlene Kaneza (la demanderesse) présente deux demandes de contrôle judiciaire. La première (IMM‑637‑14) vise une décision rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) par laquelle Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a conclu qu’elle ne risque pas d’être persécutée ou tuée, ou ne risque pas la torture ou des traitements ou peines cruels ou inusités si elle est renvoyée au Burundi. La deuxième (IMM‑640‑14) vise une décision par laquelle CIC a rejeté la demande d’exemption de la demanderesse, qui aurait permis à celle‑ci de présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la première demande de contrôle judiciaire est rejetée. La deuxième demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen de l’intérêt supérieur de la demanderesse en tant qu’enfant.

I.                   Le contexte

[3]               Selon les décisions écrites de l’agent d’immigration, les demandes d’ERAR et d’exemption de la demanderesse pour des motifs d’ordre humanitaire se fondaient sur les allégations énoncées ci‑dessous.

[4]               La demanderesse est une citoyenne du Burundi. Elle avait 17 ans lorsqu’elle est entrée au Canada.

[5]               Le 15 octobre 2011, la demanderesse a aperçu quatre jeunes hommes en train de violer l’une de ses camarades de classe. Elle croyait que ces hommes étaient membres de l’Imbonerakure, qu’elle a décrit comme une milice puissante associée au parti au pouvoir au Burundi, soit le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie. Elle a reconnu l’un des assaillants, qui était lui aussi l’un de ses camarades de classe.

[6]               Ce camarade de classe l’a trouvée à l’école et a menacé de la tuer si elle racontait ce qu’elle avait vu. La demanderesse avait déjà raconté l’incident à un ami à l’école. Deux jours plus tard, le camarade de classe en question a dit à la demanderesse qu’elle n’avait pas tenu sa promesse et qu’elle allait en subir les conséquences.

[7]               Le 25 octobre 2011, la demanderesse attendait un taxi devant chez elle pour se rendre chez sa tante. Un taxi s’est alors arrêté, puis un jeune homme en est sorti et l’a forcée à monter dans la voiture. Un groupe de jeunes hommes, dont faisait partie son camarade de classe, l’a agressée sexuellement dans le taxi. Ils ont menacé de la tuer après l’avoir violée.

[8]               La demanderesse a accidentellement donné un coup de poing au conducteur en tentant de se repousser ses assaillants. Le conducteur a perdu le contrôle du véhicule, qui est entré en collision avec une Jeep. Ses assaillants se sont enfuis des lieux et le conducteur de la Jeep l’a ramenée chez elle.

[9]               Après avoir appris ce qui s’était passé, le père de la demanderesse a décidé que celle‑ci devrait quitter le Burundi. Il lui a obtenu un visa lui permettant de voyager aux États‑Unis d’Amérique (É.‑U.). Le 17 décembre 2011, la demanderesse a quitté le Burundi en compagnie de son père pour se rendre aux É.‑U.

[10]           Le 19 décembre 2011, la demanderesse est arrivée seule à la frontière canadienne.

[11]           Le 26 mars 2012, la demanderesse a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qu’un agent d’immigration a rejetée. Le 23 avril 2012, elle a déposé une demande d’ERAR, qui a été rejetée par le même agent.

[12]           Le renvoi de la demanderesse au Burundi était prévu pour le 27 mars 2014. Le 26 mars 2014, le juge Boivin a ordonné un sursis de la mesure de renvoi prise contre la demanderesse jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision d’ERAR.

[13]           La demanderesse a produit les documents suivants à l’appui sa demande d’ERAR : i) une lettre non datée de la demanderesse; ii) une lettre de son avocate datée du 13 mai 2012; iii) un rapport psychologique daté du 10 mai 2012; iv) des articles de presse et des rapports sur la situation dans le pays. L’agent d’immigration a également tenu compte de documents faisant partie de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[14]           Comme la demanderesse est arrivée à la frontière canadienne par les É.‑U., une demande d’asile est irrecevable aux termes de l’alinéa 101(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une disposition sur les tiers pays sûrs.

[15]           L’agent d’immigration a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle était une opposante politique de l’Imbonerakure et qu’elle serait par conséquent ciblée par cette milice. L’agent a reconnu que la demanderesse avait soumis un rapport psychologique attestant sa crainte que des membres de l’Imbonerakure lui fassent du mal. Toutefois, l’agent a accordé une faible valeur probante au rapport psychologique, car le psychologue n’avait pas été directement témoin des incidents.

[16]           Après avoir examiné des documents accessibles au public, l’agent d’immigration a souligné que l’Imbonerakure s’en prend parfois à ses opposants politiques et aux membres de leur famille. Les femmes âgées et celles ayant une incapacité physique ou mentale sont plus susceptibles d’être la cible de viols. Au Burundi, les victimes de viol règlent généralement la question de façon informelle avec leurs agresseurs. Elles craignent de subir des représailles et d’être stigmatisées, et ignorent souvent les procédures judiciaires. Toutefois, l’agent a conclu que cela ne permettait pas de prouver que les membres de l’Imbonerakure sont généralement portés à s’en prendre aux femmes et à les agresser sexuellement. L’agent a fait remarquer que la demanderesse n’avait pas fourni d’autres d’éléments de preuve à l’appui de ses allégations. Par conséquent, l’agent a conclu que la demanderesse n’a pas prouvé que des membres de l’Imbonerakure l’avaient agressée sexuellement ni que ce groupe voulait lui faire du mal.

[17]           L’agent d’immigration a également examiné le profil de la demanderesse à titre de femme de 19 ans. Il a reconnu qu’il existe des problèmes en matière de droits de la personne au Burundi et a conclu que de nombreuses femmes sont réticentes à signaler les viols pour des motifs d’ordre culturel. Il existe néanmoins des services de counseling et de réintégration visant à venir en aide aux femmes au Burundi. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle pourrait être confrontée à des problèmes si elle retournait au Burundi. L’agent a également conclu que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve personnels établissant qu’en tant que femme, elle pourrait subir un préjudice au Burundi.

[18]           L’agent d’immigration a résumé sa conclusion sur l’ERAR en ces termes :

[traduction]

La situation en matière de droits de la personne n’est pas parfaite au Burundi. Néanmoins, la demanderesse n’a pas fourni d’éléments de preuve personnels établissant qu’elle s’exposait personnellement à un risque si elle retournait au Burundi. En outre, elle n’a pas prouvé que sa situation diffère de celle du reste de la population et qu’en raison de cette situation et de son profil personnel, y compris le fait d’être une femme, elle est confrontée à un risque.

[19]           Au sujet de l’ERAR, l’agent d’immigration a rendu une décision défavorable à la demanderesse. Il a conclu qu’elle n’avait pas prouvé qu’il existait plus qu’une simple possibilité qu’elle craigne avec raison d’être persécutée aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. De plus, la demanderesse n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque personnellement d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture ou qu’elle est exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97 de la Loi.

[20]           En ce qui a trait à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent d’immigration a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle se heurterait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si son établissement au Canada prenait fin et si les liens qu’elle a tissés au sein de la société canadienne étaient rompus. L’agent a souligné que la demanderesse n’a pas présenté d’éléments de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle elle recevait de l’aide financière de la part d’une tante paternelle et d’un organisme nommé PRADA. La demanderesse n’a relevé aucun autre facteur dans l’objectif de prouver son degré d’établissement au Canada ou les liens qu’elle a tissés au sein de la société canadienne. L’agent a souligné qu’il ne serait pas déraisonnable que la demanderesse retourne dans son pays d’origine après avoir passé seulement deux ans au Canada, car elle est née au Burundi, a passé la majeure partie de sa vie dans ce pays et pourra compter sur des membres de sa famille qui l’aideront à s’établir de nouveau là‑bas.

[21]           Bien que le rapport psychologique signale que la demanderesse fait des cauchemars et est aux prises avec des maux de tête, l’agent d’immigration a conclu que cet élément ne révèle pas que la demanderesse est incapable d’être autonome en raison de son état physique ou mental.

[22]           L’agent d’immigration a reconnu que la demanderesse était mineure lorsqu’elle est arrivée au Canada. L’agent a cité l’exigence juridique d’être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant en analysant les motifs d’ordre humanitaire. Cependant, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment de renseignements au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant. Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu que l’intérêt supérieur de l’enfant dans cette affaire justifiait une exemption à l’obligation de présenter une demande de résidence permanente de l’étranger.

[23]           L’analyse effectuée par l’agent d’immigration en ce qui concerne la situation au Burundi et la valeur probante du rapport psychologique fourni par la demanderesse était semblable à celle effectuée par l’agent avant le prononcé de la décision défavorable concernant l’ERAR. En conséquence, l’agent a conclu que la demanderesse ne se heurterait pas à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle était renvoyée au Burundi.

II.                Les questions en litige

[24]           Voici les questions soulevées dans les présentes demandes de contrôle judiciaire :

A.    L’agent d’immigration a‑t‑il appliqué le bon critère lorsqu’il a effectué l’ERAR, et si oui, sa conclusion était‑elle raisonnable?

B.     L’agent d’immigration a‑t‑il appliqué le bon critère lorsqu’il a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant, et si oui, sa conclusion était‑elle raisonnable?

C.     Devrait‑il y avoir une adjudication des dépens en faveur de la demanderesse?

III.             Analyse

L’agent d’immigration a‑t‑il appliqué le bon critère lorsqu’il a effectué l’ERAR, et si oui, sa conclusion était‑elle raisonnable?

[25]           La question de savoir si l’agent d’immigration a appliqué le bon critère juridique lorsqu’il a effectué l’ERAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Lorsque l’agent applique le critère aux faits en litige, il s’agit d’une question mixte de faits et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et à laquelle la Cour accorde généralement la déférence (Talipoglu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 172, au paragraphe 22). Les demandeurs doivent établir qu’il existe plus qu’une simple possibilité qu’ils soient persécutés (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, au paragraphe 120). Les femmes qui craignent d’être persécutées en raison de leur sexe et les femmes qui craignent d’être violées peuvent constituer un groupe social pour l’application de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Josile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 39, au paragraphe 24).

[26]           La demanderesse conteste la conclusion de l’agent d’immigration, à savoir qu’elle [traduction« n’a pas prouvé que sa situation diffère de celle du reste de la population et qu’en raison de cette situation et de son profil personnel, y compris le fait d’être une femme, elle est confrontée à un risque ». Elle soutient que l’agent lui a demandé de prouver qu’elle était confrontée à un risque différent de celui auquel est confronté le reste de la population au lieu de prouver qu’il existait plus qu’une simple possibilité qu’elle soit persécutée.

[27]           L’avocate du défendeur a reconnu que la décision de l’agent d’immigration était [traduction] « inélégante ». Je souscris à l’opinion de la demanderesse lorsqu’elle affirme que l’agent d’immigration avait tort de lui demander de prouver qu’elle était confrontée à un risque différent de celui auquel est confronté le reste de la population du Burundi. Cependant, le critère juridique est formulé correctement dans la conclusion de l’agent d’immigration. De plus, dans l’ensemble, la décision confirme que l’agent d’immigration visait, comme il se doit, à trancher la question de savoir s’il existait plus qu’une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée si elle retournait au Burundi, son pays d’origine.

[28]           L’agent d’immigration a reconnu qu’il [traduction« est possible que la demanderesse ait été victime d’une agression sexuelle », mais a conclu que [traduction« la demanderesse n’a pas prouvé que des membres de l’Imbonerakure l’avaient agressée sexuellement ou que ce groupe veut lui faire du mal ». La demanderesse affirme qu’il est difficile de savoir si l’agent d’immigration avait des doutes quant au fait qu’elle a été victime d’une agression sexuelle, que les actes de persécution étaient commis par l’Imbonerakure ou qu’elle est actuellement exposée à une menace.

[29]           La demanderesse soutient que l’agent d’immigration a tiré des conclusions défavorables implicites quant à la crédibilité et qu’il aurait fallu tenir une audience pour examiner ces conclusions (Latifi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1388, aux paragraphes 44 à 65). Le défendeur fait valoir que l’agent n’a pas tiré de conclusion défavorable sur la crédibilité de la demanderesse, mais qu’il a plutôt conclu que les éléments de preuve présentés n’étaient pas suffisants pour établir qu’il existait plus qu’une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée au Burundi. Selon le défendeur, la demanderesse était tenue de fournir des éléments de preuve visant à établir le fondement objectif de sa crainte, en fonction de l’avenir, et l’agent d’immigration avait la possibilité d’accorder peu de valeur probante aux déclarations que la demanderesse n’avait pas faites sous serment. Le défendeur prétend qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité diffère du défaut de la demanderesse de s’acquitter de son fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités (Herman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 629, au paragraphe 17). Je suis d’accord.

[30]           Dans la décision Herman, le juge Crampton, alors juge, a cité la décision Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, de la façon suivante : « Il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité. Cela arrive nécessairement lorsque le juge des faits estime que la réponse à [la question de savoir si la preuve est crédible] n’est pas essentielle parce que la preuve ne se verra accorder que peu, voire aucun poids, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable. [...] » Le juge Crampton s’est ensuite exprimé en ces termes :

Je suis convaincu qu’en l’espèce, l’agente d’ERAR ne dissimulait pas des inférences défavorables quant à la crédibilité lorsqu’elle concluait que la preuve présentée par la demanderesse n’était pas suffisante. Dans chaque cas, l’agente d’ERAR pouvait raisonnablement conclure, sans tirer d’inférence défavorable quant à la crédibilité, que la preuve produite n’était pas suffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, les prétentions de la demanderesse.

[31]           L’avocate de la demanderesse a reconnu que les éléments de preuve présentés à l’appui de la demande d’ERAR auraient pu, en fait auraient dû, être de meilleure qualité. Parmi ces éléments de preuve se trouvaient un document non daté que la demanderesse n’a pas préparé sous serment, une lettre d’appui de son avocate, un rapport psychologique fondé sur deux entretiens avec la demanderesse, des articles de presse et des rapports sur la situation dans le pays. Comme l’a souligné l’agent d’immigration, [traduction« elle n’a pas fourni de rapport de police, de document médical à l’appui de ses allégations, de lettre de son père, d’un autre membre de sa famille ou d’un témoin pouvant corroborer ses allégations [...] ».

[32]           À mon avis, le présent cas est semblable à celui présenté dans les décisions Herman et Ferguson, et l’agent d’ERAR pouvait raisonnablement conclure, sans tirer de conclusion défavorable quant à la crédibilité, que la preuve produite n’était pas suffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, les prétentions de la demanderesse. Par conséquent, je suis en désaccord avec la demanderesse lorsque celle‑ci affirme que l’agent d’immigration devait convoquer une audience pour donner à la demanderesse la possibilité de consolider sa cause fondamentalement faible.

[33]           Par conséquent, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire concernant la décision défavorable rendue par l’agent d’immigration en ce qui a trait à l’ERAR.

L’agent d’immigration a‑t‑il appliqué le bon critère lorsqu’il a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant, et si oui, sa conclusion était‑elle raisonnable?

[34]           La question de savoir si l’agent d’immigration a appliqué le bon critère juridique lorsqu’il a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Judnarine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 82, au paragraphe 15). L’évaluation de la preuve par l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Mandi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 257, au paragraphe 19).

[35]           La demanderesse soutient que l’agent n’a pas appliqué le bon critère lorsqu’il a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant, et qu’il a simplement jugé qu’il [traduction] « n’y avait pas suffisamment de détails et d’éléments de preuve au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant ». Elle fait valoir que, conformément aux décisions rendues depuis longtemps par la Cour, l’agent évaluant l’intérêt supérieur de l’enfant doit être « réceptif, attentif et sensible » (Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165).

[36]           Lorsqu’il analyse l’intérêt supérieur d’un enfant, l’agent doit d’abord déterminer en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant, en deuxième lieu, jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre et, enfin, à la lumière de l’analyse susmentionnée, le poids que ce facteur joue lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs dont il a été tenu compte lors de l’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire (Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166, aux paragraphes 64 et 65; Chandidas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 258, au paragraphe 66). Il doit ensuite établir le poids qu’il accordera à l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’ensemble de la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire. L’agent doit pondérer les difficultés que le renvoi causerait par rapport à d’autres facteurs pouvant atténuer les conséquences du renvoi (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 5).

[37]           Selon la demanderesse, bien que la preuve ait peut‑être laissé à désirer, l’agent d’immigration n’était pas pour autant libéré de son obligation d’analyser adéquatement l’intérêt supérieur de l’enfant.

[38]           Dans la décision Kolosovs, le juge Campbell a expliqué le sens de l’expression « réceptif, attentif et sensible » en ces termes :

[9] Être réceptif signifie être au fait de la situation. Lorsque, dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il est écrit qu’un enfant sera directement touché par la décision, l’agent des visas doit montrer qu’il est au courant de l’intérêt supérieur de l’enfant en indiquant les manières dont cet intérêt entre en jeu.

[...]

[11] Une fois que l’agent connaît les facteurs qui font intervenir l’intérêt supérieur d’un enfant dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, ces facteurs doivent être considérés dans leur contexte intégral, et la relation entre les facteurs en question et les autres circonstances du dossier doit être parfaitement comprise. Ce n’est pas être attentif à l’intérêt supérieur de l’enfant que d’énumérer simplement les facteurs en jeu, sans faire l’analyse de leur interdépendance. À mon avis, pour être attentif à l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent des visas doit montrer qu’il comprend bien le point de vue de chacun des participants dans un ensemble donné de circonstances, y compris le point de vue de l’enfant s’il est raisonnablement possible de le connaître.

[12] Ce n’est qu’après que l’agent des visas s’est fait une bonne idée des conséquences concrètes d’une décision défavorable en matière de motifs d’ordre humanitaire sur l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il pourra faire une analyse sensible de cet intérêt. Pour montrer qu’il est sensible à l’intérêt de l’enfant, l’agent doit pouvoir exposer clairement les épreuves qui résulteront pour l’enfant d’une décision défavorable, puis dire ensuite si, compte tenu également des autres facteurs, les épreuves en question justifient une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

[39]           Conformément à la section 5.19 du guide opérationnel IP 5 de CIC « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire », les facteurs liés au bien‑être émotionnel, social, culturel et physique de l’enfant doivent être pris en considération lorsqu’ils sont soulevés. En voici quelques exemples :

         l’âge de l’enfant;

         le degré de dépendance entre l’enfant et le demandeur pour des motifs d’ordre humanitaire;

         le degré d’établissement de l’enfant au Canada;

         les liens de l’enfant avec le pays à l’égard duquel la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire est examinée;

         les problèmes de santé ou les besoins particuliers de l’enfant, le cas échéant;

         les conséquences sur l’éducation de l’enfant;

         les questions relatives au sexe de l’enfant.

[40]           En l’espèce, l’agent d’immigration a reconnu que la demanderesse était une enfant mineure. Cependant, comme la demanderesse n’a pas fourni suffisamment de renseignements sur l’intérêt supérieur de l’enfant, outre les allégations relatives aux difficultés au Burundi, l’agent n’était pas convaincu que l’intérêt supérieur de l’enfant dans cette affaire justifiait une exemption à l’obligation de présenter une demande de résidence permanente de l’étranger.

[41]           Le défendeur a tenté d’établir une distinction relative aux décisions rendues par la Cour au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant au motif qu’en l’espèce, la demanderesse est elle‑même l’enfant. Habituellement, la Cour doit évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre d’une demande présentée par une autre personne, généralement un parent, qui n’a aucun statut au Canada.

[42]           Dans la décision Beharry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 110, la demanderesse et ses deux enfants mineurs ont tous présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Aucun d’entre eux n’avait de statut au Canada. La juge Mactavish a conclu que l’agent d’immigration n’avait pas procédé à une analyse adéquate de l’intérêt supérieur de l’enfant, et a accueilli la demande de contrôle judiciaire :

[14]      Ainsi que l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hawthorne, les agents d’immigration sont présumés savoir que le fait de vivre au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités auxquelles il n’aurait peut‑être pas accès dans son pays d’origine. Il incombe donc à l’agent d’évaluer le degré de difficulté qui pourrait résulter du renvoi de l’enfant du Canada et ensuite, de pondérer cette difficulté avec d’autres facteurs qui pourraient atténuer les conséquences de ce renvoi : voir aussi Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2009 CF 1175, [2009] A.C.F. no 1474, paragraphe 31.

[15]      En d’autres termes, l’agent devait décider si l’intérêt supérieur des enfants, « lorsqu’on le soupesait avec les autres facteurs pertinents, justifiait d’accorder, pour des raisons d’ordre humanitaire, une dispense [...] de manière à leur permettre d’entrer au Canada » : Kisana c. Canada (MCI), 2009 CAF 189, paragraphe 38. Ce n’est pas ce qui est arrivé en l’espèce.

[43]           Le présent cas est semblable. L’agent n’a pas évalué précisément l’intérêt supérieur de la demanderesse en tant qu’enfant mineure, l’incidence que le renvoi aurait sur cet intérêt et les épreuves pouvant résulter d’une décision défavorable. Dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent ne fait aucunement référence au risque de préjudice psychologique que peut subir la demanderesse si elle est expulsée au Burundi, malgré la présentation de certains éléments de preuve à cet effet. L’agent n’a pas non plus examiné sérieusement les conséquences du renvoi sur l’éducation de la demanderesse ou les questions relatives à son sexe compte tenu de l’importance de la violence sexuelle et sexiste au Burundi.

[44]           En conséquence, j’estime que l’agent d’immigration n’a pas appliqué le bon critère lorsqu’il a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant et que la décision, dans son ensemble, n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). La demande de contrôle judiciaire à l’encontre du rejet de la demande d’exemption de la demanderesse, qui aurait permis à celle‑ci de présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, est accueillie.

Devrait‑il y avoir une adjudication des dépens en faveur de la demanderesse?

[45]           Une demande de contrôle judiciaire est accueillie, tandis que l’autre est rejetée. Aucune raison spéciale ne justifierait une ordonnance de dépens conformément à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22. Aucuns dépens ne sont adjugés.

Question certifiée

[46]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire visant une décision de CIC, rendue à la suite d’un ERAR, selon laquelle la demanderesse ne risque pas d’être persécutée ou tuée, ou ne risque pas la torture ou des traitements ou peines cruels ou inusités si elle est renvoyée dans son pays d’origine (IMM‑637‑14), est rejetée.

2.                  La demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle CIC a rejeté la demande d’exemption de la demanderesse, qui aurait permis à celle‑ci de présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (IMM‑640‑14), est accueillie et l’affaire est renvoyée à une autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision.

3.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction non-certifiée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM‑637‑14

IMM‑640‑14

 

INTITULÉ :

ARLENE KANEZA
C
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (OntARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JANVIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline J. Bonisteel

 

POUR LA DEMANDERESSE

ARLENE KANEZA

Matina Karvellas

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacqueline J. Bonisteel

Perley‑Robertson, Hill & McDougall LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE
ARLENE KANEZA

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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