Date : 20150219
Dossier : T-1596-14
Référence : 2015 CF 211
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 19 février 2015
En présence de monsieur le juge Hughes
ENTRE : |
DAVID PRABAKAR JAYARAJ |
demandeur |
et |
SON EXCELLENCE LE TRÈS HONORABLE GOUVERNEUR GÉNÉRAL DAVID JOHNSTON, L’HONORABLE CHRIS ALEXANDER, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeurs |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La présente demande est intentée par David Prabakar Jayaraj à l’encontre des défendeurs, le gouverneur général (également nommé personnellement), le procureur général du Canada, le ministre de la Justice et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (également nommé personnellement), en vue d’obtenir la réparation suivante :
[traduction] Conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, dans sa version modifiée, le demandeur sollicite entre autres un jugement déclaratoire, une prérogative et une injonction à l’encontre de la décision du gouverneur général en date du 19 juin 2014 de donner la sanction royale au projet de loi C-24 et une réparation semblable à l’encontre de la « Loi renforçant la citoyenneté canadienne » elle‑même, soit un bref de certiorari ou tout autre bref, ordonnance ou directive :
1) selon laquelle la décision du gouverneur général de donner la sanction royale au projet de loi C-24 visant à révoquer la citoyenneté aux Canadiens naturalisés et à les renvoyer du Canada conformément à cette révocation de citoyenneté outrepassait son pouvoir constitutionnel, en ce que le projet de loi C-24 va au‑delà de la compétence du Parlement fédéral et est contraire au par. 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867, confirmé et adopté de nouveau à l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui consacre la primauté de la Constitution, et à la jurisprudence ayant force obligatoire portant sur le par. 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867.
2) annulant plusieurs articles de la Loi renforçant la citoyenneté canadienne qui violent les droits non seulement garantis par la Charte, mais également par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et le demandeur demande que toutes les parties de ladite loi telles qu’elles sont précédemment mentionnées, qui violent les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, soient annulées.
3) annulant toutes les parties des règles de procédure pénale, des règles de procédure civile et de toute autre règle qui indiquent qu’une autorisation doit être obtenue pour interjeter appel devant la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale ou devant la Cour supérieure ou la Cour d’appel et qu’une fois que l’autorisation est refusée, cette décision n’est pas susceptible d’appel. La Charte garantit à quiconque un procès juste et impartial, et toutes les affaires peuvent être portées en appel jusqu’au tribunal de dernier ressort.
4) accordant un sursis à la mise en œuvre du projet de loi C-24 « La Loi renforçant la citoyenneté canadienne » contre tout citoyen canadien dans l’attente d’une décision définitive en appel.
[2] Le demandeur se représente lui‑même. Les défendeurs sont représentés par avocat. Les parties n’ont présenté aucun élément de preuve.
[3] J’ai lu les documents déposés par chacune des parties. J’ai entendu les observations du demandeur en personne et des défendeurs par l’entremise de leur avocat.
[4] L’avocat des défendeurs a présenté une requête préliminaire en vue de rejeter la demande sur le fondement non seulement des arguments concernant la qualité pour agir, le manque de preuve et autres énoncés dans le mémoire des défendeurs, mais également au motif que la décision récente Galati c Le Procureur général et al, 2015 CF 91, du juge Rennie de notre Cour, permettait de trancher les questions de fond soulevées dans la présente demande dont je suis saisi. J’ai autorisé le demandeur à faire des observations non seulement à l’égard de la requête préliminaire, mais également à l’égard de l’ensemble de sa demande.
I. QUALITÉ POUR AGIR
[5] Je me pencherai d’abord sur la question de savoir si le demandeur a qualité pour intenter la présente demande. Essentiellement, il existe deux types de qualité pour agir, soit la qualité pour agir dans l’intérêt privé, soit la capacité pour agir dans l’intérêt public. Ces deux types de qualité exigent que la Cour dispose de certains éléments de preuve dans le dossier pour étayer la qualité d’un demandeur. Je ne dispose d’aucun élément de preuve de cette nature en l’espèce. Le demandeur fait diverses affirmations dans son mémoire et dans ses observations orales, mais aucune de ces affirmations ne constituent des éléments de preuve.
[6] S’agissant de la qualité pour agir dans l’intérêt privé, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il a un intérêt personnel qui étaierait sa qualité.
[7] S’agissant de la qualité pour agir dans l’intérêt public, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, dans ses motifs du jugement rendus par le juge Cromwell, expose trois facteurs qui doivent, de manière équilibrée, guider la Cour lorsqu’il est question de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public. Le juge a écrit ce qui suit au paragraphe 37 :
Lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public, les tribunaux doivent prendre en compte trois facteurs : (1) une question justiciable sérieuse est‑elle soulevée? (2) le demandeur a‑t‑il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question? et (3) compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux? : Borowski, p. 598; Finlay, p. 626; Conseil canadien des Églises, p. 253; Hy and Zel’s, p. 690; Chaoulli, par. 35 et 188. Le demandeur qui souhaite se voir reconnaître la qualité pour agir doit convaincre la cour que ces facteurs, appliqués d’une manière souple et téléologique, militent en faveur de la reconnaissance de cette qualité. Toutes les autres considérations étant égales par ailleurs, un demandeur qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préféré.
[8] S’agissant de ces facteurs, je reconnais le premier facteur, soit qu’une question sérieuse a été soulevée; toutefois, cette question a été examinée dans la décision Galati par le juge Rennie et, si un appel est interjeté, cette question sera examinée en appel. En ce qui concerne le deuxième facteur, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il a un intérêt véritable dans l’issue de la question; il correspond visiblement au profil du « trouble‑fête » auquel renvoie le juge Cromwell dans ses motifs dans l’arrêt Downtown Sex Workers. En ce qui concerne le troisième facteur, la présente demande ne constitue pas une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour. Le dossier ne comporte aucun élément de preuve. Le mémoire écrit et les observations orales du demandeur ne fournissent rien de plus que des pensées non structurées, qui se rapportent ou non à la question, et qui n’ont aucun objectif légitime et ne comporte aucune analyse juridique convenable. La décision Galati prévoit déjà un véhicule suffisant pour soumettre les questions pertinentes à notre Cour et aux tribunaux d’appel.
[9] Compte tenu de mon appréciation de ces facteurs, j’estime que le demandeur n’a pas qualité pour agir dans l’intérêt public pour intenter la présente demande.
II. QUESTIONS DE FOND
[10] Ma conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas qualité suffirait à rejeter la demande sur ce seul fondement.
[11] S’il était nécessaire de poursuivre, je souscrirais au raisonnement du juge Rennie dans la décision Galati et conclurais, pour les mêmes raisons qu’il a invoquées à l’égard des questions de fond, qu’il n’est pas possible de recourir au contrôle judiciaire dans les circonstances de l’espèce.
III. ARGUMENTS FONDÉS SUR LA CHARTE
[12] Le demandeur a soulevé des arguments fondés sur la Charte canadienne des droits et libertés; toutefois, il n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de ces arguments. Comme le juge Cory l’a écrit aux paragraphes 8 à 14 de l’arrêt MacKay c Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, les tribunaux sont en droit de s’attendre que l’on prépare et présente soigneusement un fondement factuel dans des contestations fondées sur la Charte.
[13] Je rejette la contestation fondée sur la Charte pour manque de preuve.
IV. DÉPENS
[14] L’avocat des défendeurs m’a présenté des lettres qu’il a échangées avec le demandeur en janvier et février, dans lesquelles il invitait ce dernier à abandonner sa poursuite, auquel cas les défendeurs ne solliciteraient aucuns dépens. Le demandeur ne l’a pas fait.
[15] Au paragraphe 28 de l’arrêt Downtown Sex Workers, le juge Cromwell a informé les tribunaux que le pouvoir d’adjuger des dépens peut être exercé pour dissuader les « simples trouble-fête » d’intenter des poursuites. Le juge Laskin (tel était alors son titre) de la même Cour, au paragraphe 12 de l’arrêt Thorson c Canada (Procureur général), [1975] 1 R.C.S. 138, a exprimé la même opinion.
[16] J’ai conclu que le demandeur correspond à la description d’un « trouble-fête » et qu’il faut dissuader les demandeurs à intenter des demandes comme celle en l’espèce. Les défendeurs ont présenté un projet de mémoire de frais à taxer selon la colonne V, dans lequel les honoraires et débours totalisent 6 721,18 $. Ils ont également présenté un projet de mémoire de frais pour les dépens avocat-client, qui s’élèvent à 17 716,59 $. Bien que je sois tenté d’adjuger les dépens les plus élevés, je serai indulgent et adjugerai les dépens en faveur des défendeurs selon le tarif le moins élevé.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande est rejetée;
2. Les défendeurs ont droit aux dépens taxés selon la colonne V, qui totalisent 6 721,18 $.
« Roger T. Hughes »
juge
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau, B.A. en trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1596-14 |
INTITULÉ : |
DAVID PRABAKAR JAYARAJ c SON EXCELLENCE LE TRÈS HONORABLE GOUVERNEUR GÉNÉRAL DAVID JOHNSTON, L’HONORABLE CHRIS ALEXANDER, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 18 FÉVRIER 2015 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE HUGHES |
DATE DES MOTIFS : |
LE 19 FÉVRIER 2015 |
COMPARUTIONS :
DAVID PRABAKAR JAYARAJ |
POUR LE DEMANDEUR (POUR SON PROPRE COMPTE) |
PETER SOUTHY AMINA RIAZ |
POUR LES DÉFENDEURs |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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POUR LE DEMANDEUR |
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada
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POUR LES DÉFENDEURs |