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Date : 20150216


Dossier : IMM-5987-14

Référence : 2015 CF 187

Ottawa (Ontario), le 16 février 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

ISABELLE PATRY-SHALA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse conteste la légalité d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [Tribunal], datée du 16 juillet 2014, rejetant l’appel qu’elle a formulé à l’encontre du refus de la demande de visa permanent au titre du regroupement familial présentée par son mari, Valon Shala [requérant].

[2]               La demanderesse, citoyenne canadienne, a rencontré le requérant, un Albanais du Kosovo, en août 2009, lors d’un séjour en Italie. La demanderesse et le requérant se sont rencontrés par hasard dans un bar, et ont passé le restant des vacances de la demanderesse ensemble. Après le retour de la demanderesse au Canada, ils sont restés en contact par l’entremise de Skype, de MSN et par téléphone. Le requérant a demandé un visa de visiteur qui lui a été refusé le 23 octobre 2009. En décembre 2009, la demanderesse est retournée en Italie et a demandé le requérant en mariage. Ce dernier a accepté et les deux se sont rendus au Kosovo où ils se sont épousés, le 22 décembre 2009. La demanderesse est par la suite revenue au Canada.

[3]               Le requérant a présenté une première demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial, laquelle a été refusée le 11 août 2010. La demanderesse a fait appel du refus, mais a retiré son appel, le 12 novembre 2010. Par après, le requérant a soumis une deuxième demande de résidence permanente, toujours dans la catégorie du regroupement familial. Suite à une entrevue avec le requérant, l’agent des visas a refusé la demande. Cette fois‑ci, le deuxième appel de la demanderesse a procédé, mais il a été rejeté par le Tribunal le 16 juillet 2014, d’où la présente demande de contrôle judiciaire qui conteste la raisonnabilité de la décision du Tribunal, tout en questionnant l’impartialité de la commissaire, Me Dana Kean, qui a été chargée d’entendre l’appel [la commissaire].

Raisonnabilité de la décision du Tribunal

[4]               Les motifs fournis par le Tribunal sont clairs et intelligibles. Essentiellement, le Tribunal a conclu que le mariage n’était pas authentique et que le requérant avait contracté le mariage dans le but d’acquérir un statut au Canada, et qu’il n’était donc pas considéré comme un époux en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Le Tribunal note plusieurs incohérences ou contradictions concernant les réponses du requérant suite à la demande en mariage de la demanderesse; la tenue ou non d’une réception de mariage; le fait que le requérant ne savait pas que la demanderesse n’avait pas informé sa famille de ses plans de mariage et le fait que la demanderesse avait questionné par MSN les intentions du requérant. De surcroît, le Tribunal souligne que la demanderesse et le requérant n’ont pas de langue commune puisque ce dernier a seulement une faible connaissance de l’anglais. De plus, le Tribunal n’a pas trouvé satisfaisantes les réponses à plusieurs questions légitimes : pourquoi les parents du requérant n’ont-ils pas assisté au mariage?; pourquoi les traditions albanaises n’ont-elles pas été respectées?; pourquoi les photos de mariage ont-elles seulement été prises en 2010?; et enfin, pourquoi le requérant pouvait-il maintenant répondre à plusieurs questions auxquelles il ignorait la réponse lors de l’entrevue devant l’agent des visas?

[5]               Il n’empêche, la demanderesse soumet aujourd’hui que les conclusions de fait du Tribunal – qui appellent à la déférence en révision judiciaire – sont révisables en l’espèce parce qu’elles reposent sur des conjectures et ne prennent pas en considération les explications données lors de l’audience devant le Tribunal, ce qui est bien entendu contesté par le défendeur, qui est au contraire d’avis que les conclusions du Tribunal se fondent sur la preuve au dossier et sont raisonnables en l’espèce.

[6]               Dans un premier temps, la demanderesse note plus particulièrement que les conclusions du Tribunal quant à l’incohérence entre le questionnement de la demanderesse sur les intentions du requérant par MSN et le fait que le requérant niait avoir eu ces conversations étaient exagérées et relevaient plutôt d’un test de mémoire. De plus, l’explication donnée par le requérant que les changements à son statut relationnel sur Facebook avaient été l’ouvrage de pirates informatiques était raisonnable et a été ignorée par le Tribunal. Puisque le mariage civil n’est qu’une formalité au Kosovo et qu’ils n’étaient pas habillés en tenue traditionnelle – alors que les époux ne sont pas croyants – le Tribunal ne pouvait tirer une inférence négative du fait que des photos du mariage n’ont pas été prises.

[7]               Deuxièmement, la demanderesse allègue que la conclusion que le mariage n’est pas authentique est déraisonnable, car le Tribunal ignore de nombreux facteurs positifs : le soutien économique offert par la demanderesse; leurs communications continues et constantes; la vie maritale lors des voyages de la demanderesse; la connaissance des deux conjoints des détails de la vie personnelle de l’autre; le caractère public de la relation; leurs projets d’avenir; et le fait qu’ils communiquent ensemble dans la langue anglaise à un niveau qui leur est adapté. La demanderesse allègue que cette preuve contradictoire va directement à l’encontre des conclusions du Tribunal et que, conséquemment, il se devait d’expliquer pourquoi ces éléments de preuve n’ont pas été acceptés (Cepeda-Gutierrez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] ACF no 1425, 1998 CanLII 8667 (CF) au para 17 [Cepeda-Gutierrez]).

[8]               Le défendeur rétorque que la conclusion du Tribunal que le requérant a contracté le mariage principalement dans le but d’obtenir la résidence permanente s’appuie sur de nombreux éléments de preuve : la courte durée de la relation avant le mariage; les difficultés en anglais du requérant; les contradictions et les réponses insuffisantes et l’absence de photos du mariage; la situation d’illégalité du requérant en Italie lorsqu’il a rencontré la demanderesse et son intérêt à obtenir un statut au Canada. Selon le défendeur, les éléments de preuve particuliers soulevés par la demanderesse ne contredisent pas vraiment la conclusion de fait du Tribunal, de sorte que la décision dans Cepeda-Gutierrez, précité, n’est pas applicable. Le Tribunal a accepté que la demanderesse était de bonne foi, qu’elle avait visité le requérant à de nombreuses reprises et qu’ils étaient en communication de façon constante. Le problème fondamental, c’est que les éléments de preuve soulevés par la demanderesse ne démontrent pas que le requérant était de bonne foi, de sorte que la présente demande de contrôle doit échouer : Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1522.

[9]               Je suis d’accord avec le défendeur et il n’y a pas lieu d’accepter les arguments de la demanderesse. Le Tribunal n’a pas mis en doute la bonne foi de la demanderesse et n’a pas rejeté les éléments de preuves soulevés par la demanderesse, incluant les soumissions selon lesquelles la demanderesse et le défendeur étaient en communication, qu’ils vivaient maritalement lors des visites de la demanderesse, que la demanderesse donnait du soutien financier au requérant et qu’ils avaient parlé de projets d’avenir. Toutefois, le Tribunal a conclu que le requérant n’était pas crédible et que son intention était de contracter le mariage dans le but d’obtenir un statut au Canada. Bien que certaines des incohérences ou contradictions notées par le Tribunal semblent mineures à première vue, il faut considérer leur effet cumulatif, qui dans son ensemble, mine la crédibilité du requérant. Je suis donc d’avis que les conclusions de fait du tribunal quant à l’authenticité du mariage et aux intentions du requérant sont raisonnables, et ce, même si un autre décideur serait peut-être parvenu à une autre conclusion, ce que je n’ai pas à décider moi-même aujourd’hui (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47; Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1291 au para 18).

Aucune crainte raisonnable de partialité

[10]           La demanderesse considère également que le comportement général de la commissaire lors de l’audience fait naître une crainte raisonnable de partialité. Dans son affidavit, la demanderesse indique que lors de l’audience la commissaire « […] adoptait une conduite intimidante et hostile à [son] endroit et à celui [du requérant] » et qu’elle était « […] agressive [...], elle levait les yeux au plafond, gesticulait, m’intimidait et me donnait l’impression qu’elle n’était pas neutre et impartiale ». La demanderesse allègue que le Tribunal n’agissait pas dans une optique de recherche des faits, mais plutôt comme véritable juge et accusateur, suppléant au travail du conseil du Ministre, ce qui est contraire aux règles de justice naturelle. La demanderesse précise que puisque les manifestations de partialité se sont démontrées graduellement, le fait que la demanderesse n’ait pas soulevé la crainte de partialité lors de l’audience n’implique pas une renonciation au respect des règles de justice naturelle. C’est un cas où la Cour doit faire preuve de souplesse à cet égard (Chaudhry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1015), d’autant plus qu’ici en vertu de l’article 23 du Code de déontologie des commissaires de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (15 décembre 2012, en ligne : CISR < http://www.irb-cisr.gc.ca >), « [l]es commissaires doivent examiner chaque cas avec un esprit ouvert et, en tout temps, [ils] doivent être impartiaux et objectifs et être perçus comme tels ».

[11]           En réponse, le défendeur note qu’il existe une forte présomption qu’un décideur administratif s’acquitte de ses fonctions de façon appropriée et avec intégrité. La demanderesse a un fardeau de preuve élevé pour renverser cette présomption et il est même permis au Tribunal de manifester des signes de frustration. Selon le défendeur, le fait que le Tribunal ait procédé à un interrogatoire énergique ne permet pas à cette Cour de conclure à une crainte raisonnable de partialité. De plus, la majorité des questions posées par le Tribunal, incluant celles soulevées dans le mémoire de la demanderesse, sont des questions ouvertes et les questions étaient toutes pertinentes. Le Tribunal n’a fait aucun commentaire gratuit ou déplacé. Également, le conseil du Ministre indique que lors de l’audience « [elle n’a] rien remarqué d’inhabituel dans la conduite [du Tribunal] » et qu’elle n’a « […] pas remarqué que [le Tribunal] soupirait, levait les yeux vers le plafond ou gesticulait » (Affidavit de Ariane Cohen, Mémoire du défendeur et affidavits, aux paras 5-7). De plus, l’avocat représentant la demanderesse lors de l’audience a accepté que le Tribunal pose toutes ces questions. Selon le défendeur, la demanderesse a renoncé à son droit d’invoquer la crainte de partialité en ne l’invoquant pas à la première occasion possible : Chamo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1219 au para 9; Acuna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1222 aux paras 34-38; Hulej v Canada (Citizenship and Immigration), 2014 FC 283 au para 11. D’ailleurs, le procureur de la demanderesse fait une mauvaise lecture de la décision Chaudhry, précitée, car la Cour elle-même a noté au para 16 que « l’avocat de M. Chaudhry s’est opposé comme il se doit à la conduite du commissaire ».

[12]           Je suis d’accord avec le raisonnement général du défendeur. J’ajouterais que même si la Cour considérait que la demanderesse n’a pas renoncé à son droit d’invoquer la crainte de partialité, la demanderesse n’a pas démontré que le comportement du commissaire faisait naître une crainte raisonnable de partialité. À titre d’exemples, pour démontrer la partialité de la commissaire, la demanderesse cite dans son mémoire écrit plusieurs questions posées, mais il est apparent que ces questions placées dans le contexte ne démontrent pas de partialité. Voici certains des extraits du procès-verbal de l’audience soulevés par la demanderesse (questions (Q.) par le Tribunal et réponses (R.) par la demanderesse) :

Q. Monsieur était toujours en Italie?

R. Oui.

Q. Et vous étiez au Canada.

R. Exactement, oui.

Q. Qu’est-ce qu’il faisait en Italie?

R. Il faisait – il travaillait.

Q. Il travaillait quoi?

R. En construction.

Q. Est-ce que vous aviez plus de détails?

R. Ben il faisait la réparation de maisons.

Q. Dans quelle compagnie? Sur quelle base? Est-ce qu’il avait des papiers?

R. Bien il n’avait pas de papier, il n’avait pas de visa de travail mais il travaillait avec ses amis pour accompagner [la compagnie] je ne sais pas. Je ne m’en souviens pas.

(Dossier certifié du Tribunal [DCT], Procès-verbal de l’audience, aux pages 9-10).

Q. Votre conseil pourra peut-être vous montrer. La première phrase sur la page 26, c’est le formulaire de votre mari, okay? La première chose qu’il dit : « La réception n’a pas eu lieu »

[…]

R. Okay. « La réception n’a pas eu lieu ». Bien fait c’est que c’est – c’est qu’elle a eu lieu. Bien… On a fait – dans le fond on la cérémonie c’est – pardon?

Q. Je ne demande pas votre version parce que j’ai bien compris votre version.  Ma question porte sur pourquoi Monsieur semble avoir une version différente.

R. Parce que peut-être pour lui un souper dans (inaudible) normal c’est pas une réception. Mais moi, je considère que c’est – tu sais, il y a un souper, c’est tout souligné avec toute la famille. C’est comme une réception.  C’est pour moi un souper c’est – c’est une réception. Peut-être pour lui dans sa – tu sais? C’est différent de moi. Mais pour moi, c’est une réception là.

Q. Okay. C’est qui qui a complété ce formulaire Madame?

R. Bien c’est nous deux, là. C’est moi là.

Q. C’est l’écriture de main à qui?

R. C’est moi. C’est moi. C’est mon écriture.

Q. Okay. Pourquoi vous écrivez ça quand votre compréhension des faits est différente? Parce que c’est vous qui complétez ça. C’est ça que je ne comprends pas.

R. C’est pas – je – moi là, pour moi souper puis – pour moi c’est comme une cérémonie. Peut-être que je l’ai ---

Q. Mais Madame, c’est vous qui écrivez ça. C’est pour ça que ce n’est pas logique.

R. Oui, je sais. Je le sais.

 (DCT, Procès-verbal de l’audience aux pages 37-39)

Q. Alors Qu’est-ce qui a provoqué cet échange Madame?

R. Qu’est-ce que vous voulez que je vous réponde?

Q. La vérité serait utile Madame.

(DCT, Procès-verbal de l’audience à la page 81)

[13]           Les autres exemples auxquels le savant procureur de la demanderesse a référé la Cour durant sa plaidoirie orale ne sont pas concluants. Je ne crois pas que les notes sténographiques démontrent que la commissaire essayait de coincer la demanderesse et le requérant, ou que son interrogatoire était agressif ou intimidant. Comme indiqué par le défendeur, la commissaire posait des questions pertinentes, généralement des questions ouvertes, et ce, sans objection de la part de l’avocat de la demanderesse. Que la commissaire tente d’obtenir des détails plus spécifiques ou souligne le manque de logique et des contradictions, ou encore corrige des erreurs factuelles, ne démontre pas que la commissaire cherchait des prétextes pour mettre la demanderesse et le requérant en contradiction. Il n’y a pas de vidéo de l’audition. Cela dit, l’affidavit de Me Ariane Cohen contredit l’affidavit de la demanderesse en ce qui concerne le comportement de la commissaire. Je suis d’avis que les faits de la présente affaire se distinguent d’une manière très importante du comportement répréhensible du commissaire en cause dans l’affaire Guermache c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 870.

[14]           La conclusion à laquelle en arriverait « […] une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » serait que le comportement de la commissaire ne fait pas naître une crainte raisonnable de partialité eu égard aux circonstances de l’affaire (Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, juge de Grandpré, dissident, à la p 394; R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 au para 111).

[15]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée. Les parties n’ont soulevé aucune question de portée grave et aucune question ne sera certifiée par la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5987-14

 

INTITULÉ :

ISABELLE PATRY-SHALA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 FÉVRIER

 

COMPARUTIONS :

Me Patrick-Claude Caron

 

Pour la demanderesse

 

Me Sébastien Dasylva

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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