Date : 20150210
Dossier : IMM-6845-13
Référence : 2015 CF 167
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 10 février 2015
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE : |
RUICAI SUN |
XIUFANG YU |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] Le présent contrôle judiciaire concerne un couple chinois qui prétend être persécuté parce qu’il est chrétien et membre d’une « maison-église ». La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile des demandeurs pour manque de crédibilité et invraisemblance de leur récit.
II. Contexte
[2] Les demandeurs font valoir que leur amie, une certaine Mlle Xu, les a introduits au christianisme et les a amenés à son église protestante clandestine dans la province du Shandong, en Chine. Ils sont devenus membres de l’église clandestine ou maison-église en 2009. Deux ans plus tard, les demandeurs ont visité leur fils au Canada, où ils se sont joints à une église. Il s’agit là du fondement de la partie « sur place » de leur demande.
[3] Après leur arrivée au Canada, les demandeurs ont affirmé que Mlle Xu avait été arrêtée et que le Bureau de la sécurité publique [le BSP] était à leur recherche.
[4] Dans la décision de la SPR, la commissaire a estimé que le récit de leur conversion n’était pas crédible. Elle a estimé invraisemblable que Mlle Xu ait révélé volontiers son adhésion à une église illégale étant donné que les chrétiens sont beaucoup persécutés dans la province du Shandong.
[5] La SPR a reconnu les documents corroborant la pratique du christianisme des demandeurs au Canada, mais comme elle était préoccupée par la crédibilité du récit des faits survenus en Chine, la commissaire a conclu que ces documents et activités ne constituaient pas une preuve concluante de leur foi.
[6] La SPR a également conclu qu’il était invraisemblable que les demandeurs soient recherchés par le BSP puisque ce dernier aurait su selon sa base de données que les demandeurs étaient au Canada.
[7] Enfin, la commissaire a reconnu que les maisons-églises pouvaient, à certains endroits, être exposées à la persécution; toutefois, les personnes visées sont généralement des chefs, et compte tenu du grand nombre de pratiquants chrétiens dans des églises qui ne sont pas reconnues par l’État, les demandeurs n’ont pas démontré qu’il existait une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés.
III. Analyse
[8] Il est bien établi en droit que a) l’interprétation et l’appréciation de la preuve (particulièrement des conclusions quant à la crédibilité) sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable et b) que le critère juridique du fardeau de la preuve commande la norme de la décision correcte.
[9] Les demandeurs ont tenté de contester certains termes, comme « une preuve concluante » de leur foi. Toutefois, si l’on regarde la décision dans son ensemble, bien que certains termes soient discutables, la SPR a centré son analyse sur le bon critère juridique en l’espèce.
[10] Toutefois, cette décision doit être annulée sur d’autres fondements. Il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions quant à la crédibilité, mais les conclusions quant à l’invraisemblance exigent une norme plus rigoureuse et un énoncé clair du fondement à l’appui de ces conclusions – le dossier doit étayer la conclusion d’invraisemblance.
[11] Étant donné que l’affaire sera renvoyée à la SPR pour un nouvel examen, mes observations sur les faits et sur ce que l’on peut tirer de ces faits doivent être limitées.
[12] Il n’était pas possible de discerner le fondement objectif de bon nombre des conclusions d’invraisemblance. Conclure à l’invraisemblance d’un récit sans en énoncer le fondement dans le dossier (plutôt que de simplement exprimer une opinion personnelle) est arbitraire et déraisonnable.
[13] La SPR n’a pas expliqué sa conclusion selon laquelle le BSP n’était pas à la recherche des demandeurs autrement qu’en indiquant que le BSP aurait pu utiliser sa base de données pour les retrouver. Il s’agit là d’une pure spéculation, surtout à la lumière des éléments de preuve importants démontrant que les membres des maisons-églises sont victimes de persécution dans la province du Shandong.
[14] D’une part, la SPR a ignoré le récit des demandeurs concernant la rencontre avec Mlle Xu et les actions de cette dernière en raison de la menace du BSP, mais a ensuite conclu que le BSP n’était probablement pas à la recherche des demandeurs ni intéressé par eux. Il est difficile de suivre le raisonnement de la SPR.
[15] La SPR n’a pas examiné si les membres des maisons-églises étaient victimes de persécution. Comme l’indique la décision Dong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 575, 188 ACWS (3d) 1128, la liberté de religion comprend le droit de s’exprimer ouvertement, de faire connaître l’évangile et de rendre témoignage. La SPR aurait dû examiner si les maisons-églises sont la version moderne des catacombes.
[16] Comme elle a rejeté la demande d’asile sur le fondement de faits survenus en Chine, la SPR avait l’obligation d’examiner la demande sur place. Elle ne lui a accordé qu’une attention superficielle, si bien qu’elle n’a pas dûment examiné la demande.
IV. Conclusion
[17] Pour ces motifs, le présent contrôle judiciaire sera accueilli, la décision de la SPR sera annulée et l’affaire sera renvoyée à la SPR pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.
[18] Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.
« Michael L. Phelan »
juge
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau, B.A. en trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-6845-13
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INTITULÉ : |
RUICAI SUN, XIUFANG YU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 2 FÉVRIER 2015
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE PHELAN
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DATE DES MOTIFS : |
LE 10 FÉVRIER 2015
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COMPARUTIONS :
Nkunda I. Kabateraine
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POUR LES DEMANDEURs
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Aleksandra Lipska
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nkunda I. Kabateraine Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURs
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William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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