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Date : 20141217


Dossier : IMM-5299-13

Référence : 2014 CF 1232

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

LOULA OMAR MAHAMOUD

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre de la décision par laquelle une commissaire [la commissaire] de la Section de la protection des réfugiés [la SPR ou la Commission] a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

II.                Les faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne de Djibouti âgée de 38 ans. Elle affirme que sa famille l’a forcée à épouser un homme de 21 ans son aîné, qui ne lui permettait pas de sortir de la maison et qui l’a agressée à maintes reprises. Le mariage a eu lieu sans son consentement et en son absence le 27 juin 2011.

[3]               Au début de l’audience devant la SPR, l’ex‑conseil de la demanderesse a soumis trois rapports de police et deux rapports médicaux que la tante de la demanderesse avait envoyés de Djibouti et qui étaient récemment arrivés par la poste, selon le témoignage de la demanderesse. La demanderesse a déclaré que les actes de violence commis par son époux [traduction] « se produisaient sans cesse », mais qu’elle les avait signalés à la police à trois occasions (dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 182). La demanderesse a fourni des éléments de preuve documentaire se rapportant aux trois incidents suivants :

A.       19 septembre 2011 – certificat de police et certificat médical;

B.       17 avril 2012 – certificat de police et certificat médical;

C.       7 novembre 2012 – rapport de police et détails au sujet d’une plainte orale.

[4]               Selon le fondement de la demande d’asile [FDA] original de la demanderesse, rédigé en français, le premier épisode de violence physique s’est produit le 19 septembre 2011. La demanderesse décrit l’incident en détail dans son FDA. Elle explique aussi dans le FDA qu’elle est demeurée chez sa tante pendant une semaine après l’incident, après quoi son époux a donné de l’argent à sa famille, laquelle a ramené la demanderesse de force au domicile de son époux. Par la suite, d’après le témoignage de la demanderesse, son époux ne lui permettait pas de sortir de la maison, l’insultait et gardait un couteau dissimulé dans son oreiller, lui disant qu’elle était une esclave qu’il avait achetée et qu’il la tuerait si elle ne lui obéissait pas. Elle vivait dans la peur, pleurait régulièrement et avait perdu le sommeil et l’appétit.

[5]               Il y a eu une certaine confusion lors des audiences devant la SPR, en partie pour des raisons de traduction, notamment en ce qui concerne l’incident allégué du 17 avril 2012. Le FDA ne mentionne pas le 17 avril. Toutefois, la demanderesse a déclaré à l’audience qu’un incident s’était produit à cette date, et elle a soumis un certificat de la police ainsi qu’un certificat médical décrivant les blessures qu’elle avait subies ce jour‑là.

[6]               Si les dates des trois incidents ont semé une certaine confusion à l’audience, la preuve médicale et les rapports de police étayaient les trois incidents distincts. La preuve médicale semble concorder avec les rapports de police, mais ceux‑ci n’ont pas été examinés dans la décision. La Commission a plutôt insisté sur la confusion de dates dans le témoignage de vive voix, et sur le fait que le FDA ne faisait état que de deux incidents. La demanderesse a expliqué à l’audience qu’elle avait demandé à son premier conseil (un étudiant en droit) d’inclure l’incident du 17 avril, mais qu’il ne l’avait pas fait. Le conseil qui l’a représentée par la suite à l’audience devant la SPR a fait état de la modification de vive voix lorsqu’il s’est rendu compte que le FDA dont disposait la Commission n’était pas une version modifiée.

[7]               Il était beaucoup question de mauvais traitements dans le témoignage, et les rapports médicaux appuyaient les allégations de mauvais traitements importants. La demanderesse allègue que son époux est rentré à la maison tôt un matin après avoir passé la nuit à l’extérieur avec ses amis, et qu’elle s’est levée de bonne heure jour‑là pour lui préparer à déjeuner. Il n’était pas satisfait du thé et il a versé le thé chaud sur elle. Il s’est mis à l’insulter verbalement, à être très agressif et à lui lancer de nombreux objets : des verres, des chaises, des objets de métal, une casserole, etc. Il lui a ensuite asséné plusieurs coups de genou à l’estomac, il l’a frappée au visage à plusieurs reprises puis frappée violemment avec un bâton de bois. Après quoi il a déchiré ses vêtements avec un couteau, menacé de lui trancher la gorge, blessé sa clavicule avec le couteau et l’a traînée à demi nue jusqu’à la porte d’entrée de la maison.

[8]               La demanderesse a témoigné qu’elle avait obtenu un billet d’avion avec l’aide de sa tante et d’un voisin et qu’elle avait fui aux États‑Unis [É.‑U.], où elle est restée chez une connaissance de son voisin, laquelle lui a fait prendre l’avion pour le Canada, où vit son frère et où elle a finalement demandé l’asile.

III.             Décision

[9]               La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible en raison des motifs suivants :

A.       La demanderesse a témoigné de façon vague et évasive tout au long de l’audience.

B.       Contradiction no 1 : Lorsque la demanderesse a affirmé qu’elle avait obtenu son passeport en juin 2012, la commissaire lui a rappelé sa déclaration antérieure selon laquelle elle avait décidé de quitter Djibouti le 7 novembre 2012 seulement. La demanderesse a expliqué qu’elle avait toujours su qu’elle s’en irait, une explication que la Commission a qualifiée d’évasive.

C.       Contradiction no 2 : La demanderesse a déclaré que son époux avait versé du thé chaud sur elle le 17 avril 2012, mais il est écrit dans le rapport de police que cet incident était survenu le 7 novembre 2012. Confrontée à la chose, elle a « ajusté » son témoignage pour affirmer que l’incident était survenu le 7 novembre.

D.       Contradiction no 3 : Le FDA de la demanderesse faisait état de deux incidents seulement, mais la demanderesse en a évoqué trois dans son témoignage. L’explication qu’elle a donnée pour justifier l’omission de l’incident du 17 avril dans le FDA – à savoir qu’elle avait raconté l’incident à son conseil précédent, qui avait toutefois refusé de modifier le FDA sous prétexte qu’elle pourrait le faire elle‑même à l’audience – a été jugée illogique, surtout parce que la demanderesse avait décrit l’incident comme très important.

E.        Long délai : La Commission a conclu que la demanderesse ne s’était pas comportée comme quelqu’un qui craint pour sa vie, car elle avait obtenu son visa pour les États‑Unis en juin 2012 et n’avait quitté le pays que le 15 novembre 2012. La Commission a conclu que l’explication de la demanderesse, selon laquelle elle ne pouvait pas partir tandis que son époux était à Djibouti parce qu’il la surveillait constamment, n’était pas satisfaisante, car elle avait réussi à quitter le domicile une fois pour se rendre à une entrevue à l’ambassade des États‑Unis.

IV.             Dispositions pertinentes

[10]           Les articles 96 et 97 de la LIPR sont reproduits à l’annexe A de la présente décision.

V.                Question en litige

[11]           La présente affaire soulève la question suivante :

A.     La décision était‑elle raisonnable?

VI.             Norme de contrôle

[12]           Les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit tirées par la SPR sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51.

[13]           Lorsqu’elle effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’intéresser « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VII.          Observations des parties

[14]           La demanderesse avance que la Commission a commis les erreurs suivantes :

A.       la Commission a ignoré des éléments de preuve pertinents qui contredisaient directement les conclusions qu’elle avait tirées;

B.       après avoir tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité fondées sur certaines parties du témoignage de la demanderesse, la Commission a omis de tenir compte des parties du témoignage qui étaient considérées comme crédibles et qui exprimaient clairement une crainte subjective de persécution;

C.       la Commission n’a pas tenu pleinement compte de la preuve documentaire soumise par la demanderesse, soit les certificats de police et les certificats médicaux, qui concordait avec les allégations de violence conjugale de la demanderesse et contredisait directement les conclusions de la Commission;

D.       la Commission n’a pas tenu compte des Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe, ci‑après, pour déterminer si la demanderesse avait ou non une crainte fondée de persécution;

E.        la Commission n’a pas tenu compte de la preuve relative aux conditions dans le pays et de l’existence d’un lien au regard de l’article 96 de la LIPR.

[15]           La demanderesse souligne également que le fait que l’audience s’est déroulée en français d’abord et en anglais ensuite pour accommoder son nouveau conseil lui a causé un certain nombre de difficultés. Le dialecte somalien utilisé durant l’audience a aussi posé quelques problèmes, ce qui ressort clairement de la transcription.

[16]           Le défendeur soutient ce qui suit : la Commission a raisonnablement conclu que la crainte de la demanderesse d’être prise pour cible par son époux n’était pas crédible; la Commission a tenu compte du récit de la demanderesse et de la documentation que celle‑ci avait fournie; la documentation générale portant sur les problèmes à Djibouti n’était pas pertinente puisque le récit de la demanderesse selon lequel elle était victime de violence conjugale était contesté. Le défendeur a fait observer que les conclusions relatives à la crédibilité relèvent de la Commission, et que la conclusion finale de la Commission était raisonnable.

VIII.       Analyse

[17]           Je ne suis pas d’accord avec le défendeur, et je conclus que la décision était déraisonnable pour les motifs exposés ci‑après.

A.                La Commission n’a pas évalué les éléments de preuve corroborants qui appuyaient la vraisemblance du récit de la demanderesse

[18]           Tout d’abord, je conclus que la décision de la Commission était déraisonnable parce que la commissaire n’a pas étudié l’ensemble des éléments de preuve avant de décider de la valeur à accorder aux éléments critiques de la preuve. Elle a plutôt rejeté la demande en se fondant sur le seul témoignage de la demanderesse, et omis d’étudier adéquatement, avec un esprit ouvert, les certificats de police et les certificats médicaux.

[19]           Plus précisément, la Commission a insisté sur le fait que la demanderesse n’avait pas mentionné l’incident du 17 avril ni la plainte déposée à la police dans son FDA, et qu’elle avait affirmé que l’incident du thé chaud s’était produit le 17 avril, contrairement à ce qui figurait dans le rapport de police et à ce qu’elle avait déclaré dans son témoignage subséquent. La Commission n’a pas cherché à examiner si les certificats de police et les certificats médicaux étaient suffisants pour appuyer la demande de la demanderesse en dépit des contradictions dans son témoignage.

[20]           La décision rendue par le juge Campbell dans l’affaire RER c MCI, 2005 CF 1339, est particulièrement pertinente en l’espèce. Dans l’affaire RER, le demandeur principal alléguait avoir été détenu et torturé par la police péruvienne en raison de ses opinions politiques. Il avait soumis des éléments de preuve convaincants à l’appui de ses allégations de torture et concernant le viol subi par son épouse aux mains d’agents de l’État péruvien. La SPR a d’abord tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur principal en s’en tenant à certains aspects de son témoignage. Ensuite, se fondant sur cette conclusion défavorable quant à la crédibilité, elle a repoussé d’autres éléments de preuve documentaire très convaincants produits par le demandeur principal.

[21]           Le juge Campbell a conclu que le commissaire n’avait pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents qui intéressaient directement la crédibilité des demandeurs. Il écrit :

[…] Je suis d’avis que, au vu des mots employés dans ses motifs, la SPR a suivi une approche linéaire lorsqu’elle a évalué la preuve produite par le demandeur principal. Je suis d’avis que l’emploi de cette approche linéaire équivalait à un déni de justice naturelle à l’encontre du demandeur principal, et cela pour deux raisons.

D’abord, il n’est que juste et raisonnable pour des parties à un litige d’espérer que le décideur étudiera la preuve dans son intégralité, avec un esprit ouvert, avant de tirer des conclusions sur la valeur à accorder aux éléments critiques de la preuve. Quant au principe général selon lequel la preuve doit être étudiée dans son intégralité, voir l’arrêt Owusu‑Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 98 N.R. 312 (C.A.F.). En l’espèce, je crois que la SPR a commis une erreur parce que, avant d’affirmer que le demandeur principal n’était pas crédible, elle s’est dispensée d’étudier l’ensemble de la preuve, notamment le récit du viol de l’épouse ainsi que la preuve indépendante et convaincante portant sur les effets évidents de la torture et du viol, preuve qui était constituée de photographies et de rapports (voir aussi la décision Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n° 422, et la décision Herabadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. n° 1729).

Deuxièmement, je suis d’avis que la SPR a commis une erreur en rejetant la preuve provenant de sources autres que le témoignage du demandeur principal, et cela uniquement parce qu’elle ne croyait pas le demandeur principal. Selon moi, chaque source de preuve indépendante requiert une évaluation indépendante. Il en est ainsi parce que les sources indépendantes peuvent avoir pour effet d’établir le bien‑fondé de la position d’un demandeur sur un point donné, alors même que son propre témoignage sur ce point n’est pas accepté.

[Non souligné dans l’original.] (RER, aux paragraphes 8 à 10.)

[22]           En l’espèce, la traduction a été la source d’une grande confusion. La commissaire a accordé une importance démesurée aux dates, que la demanderesse a tenté de corriger. Je conclus, en somme, que la Commission a adopté l’approche linéaire qualifiée d’inappropriée par le juge Campbell dans la décision RER en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve et, plus particulièrement, que la commissaire a totalement fait abstraction des éléments de preuve documentaire qui étayaient le témoignage de vive voix de la demanderesse. La Commission a plutôt tiré une conclusion défavorable à l’encontre de la demanderesse en se fondant sur des incohérences mineures contenues dans le témoignage de celle‑ci, exacerbées par les problèmes de traduction survenus à l’audience. Pour pouvoir rejeter à bon droit les éléments de preuve objectifs qui corroboraient la crainte subjective de la demanderesse, la Commission devait à tout le moins expliquer pourquoi elle avait tiré une conclusion défavorable à l’égard de la demanderesse sans avoir tenu compte des certificats de police et des certificats médicaux qui corroboraient et étayaient ses allégations de violence conjugale à Djibouti.

[23]           La Commission a également interprété les éléments de preuve de manière très restrictive en refusant de prendre en compte la raison donnée par la demanderesse pour expliquer pourquoi l’incident du 17 avril avait été omis du FDA. La demanderesse a expliqué qu’elle avait traité avec un étudiant en droit qui ne voulait pas consigner l’incident du 17 avril à titre de modification et qui lui avait plutôt dit qu’elle pouvait apporter la modification lors de l’audience. Le conseil de la demanderesse a corroboré cette version des faits et expliqué à la Commission que la demanderesse avait remercié son conseil précédent et qu’elle l’avait embauché à la place de ce dernier sur ce fondement. La Commission a rejeté l’explication de l’omission donnée par la demanderesse au motif que ce n’était [traduction] « pas logique, étant donné surtout que la demanderesse avait décrit l’incident comme étant très important » (décision, DCT, à la page 17, au paragraphe 23), même si la demanderesse avait des éléments de preuve écrits montrant qu’elle avait déjà tenté de soulever la question de l’incident du 17 avril.

[24]           Les certificats de police et les certificats médicaux appuyaient de façon indépendante la demande d’asile de la demanderesse et, comme le juge Campbell le fait remarquer dans la décision RER, précitée, chaque source de preuve indépendante requiert une évaluation indépendante. Le juge Campbell s’est attardé sur ce point dans la décision Isakova c MCI, 2008 CF 149 :

Lorsque la SPR tire à bon droit une conclusion de crédibilité ou d’invraisemblance quant à un aspect de la preuve présentée par le demandeur, cela ne justifie pas nécessairement le rejet de la demande du demandeur dans son intégralité. Le juge Martineau a exposé ce point de vue dans la décision R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 11 à 14 :

Ce ne sont cependant pas tous les types d’incohérence ou d’invraisemblance contenue dans la preuve présentée par le demandeur qui justifieront raisonnablement que la Commission tire des conclusions défavorables sur la crédibilité en général. Il ne conviendrait pas que la Commission tire ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur : voir Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168, au paragr. 9 (C.A.F.) (Attakora); OwusuAnsah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (QL) (C.A.) (OwusuAnsah).

[...]

Finalement, la Commission devrait évaluer la crédibilité du demandeur et la vraisemblance de son témoignage en tenant compte des conditions existant dans le pays de celui‑ci et des autres éléments de preuve documentaire dont elle dispose. Les incohérences mineures ou secondaires contenues dans la preuve du demandeur ne devraient pas inciter la Commission à conclure à une absence générale de crédibilité si la preuve documentaire confirme la vraisemblance du récit de celui‑ci : voir Attakora, précitée; Frimpong […]

[…]

[…L]orsqu’elle ne mentionne pas certains éléments de preuve corroborant la thèse du demandeur et qu’elle se fie de façon sélective à d’autres éléments de preuve, la SPR commet une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents (CepedaGutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 15).

[Non souligné dans l’original.] (Décision Isakova, précitée, aux paragraphes 8 à 10.)

[25]           En insistant sur les détails des dates particulières, la Commission a perdu de vue l’essentiel des faits sur lesquels reposait la demande d’asile de la demanderesse. Même si la Commission était fondée à remettre en question quelques aspects des circonstances dans lesquelles la demanderesse avait quitté Djibouti, certains des faits mis en preuve, y compris des éléments de preuve documentaire non contestés, pouvaient étayer son allégation selon laquelle il existait un danger bien réel qu’elle soit persécutée ou exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à Djibouti. La Commission n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve.

[26]           Le fait que la commissaire a écarté des éléments de preuve soumis par la demanderesse est suffisant pour statuer sur la présente demande dans les circonstances. Toutefois, les motifs exposés ci‑après expliquent aussi ma décision d’accueillir la demande.

B.                 Fausse contradiction et délai

[27]           Selon la commissaire, il était contradictoire que la demanderesse ait déclaré avoir décidé de quitter le pays après l’incident du 7 novembre 2012 et affirmé par la suite qu’elle avait déjà obtenu son passeport en juin 2012. Lorsque la commissaire a demandé à la demanderesse d’expliquer pourquoi elle avait demandé un visa pour les États‑Unis et un passeport avant d’avoir pris la décision de partir, la demanderesse a répondu ce qui suit :

[traduction]

J’ai toujours su que mon mariage avec cet homme ne pouvait pas durer. Il ne me respectait pas. Il ne me traitait pas bien. Il me battait tout le temps. Je savais que je le quitterais et il savait que j’allais le quitter.

(DCT, à la page 201.)

[28]           Je considère comme déraisonnables les conclusions tirées par la Commission, à savoir qu’il y avait une contradiction et que l’explication donnée par la demanderesse à cet égard était évasive (décision, DCT, à la page 15, au paragraphe 16).

[29]           La commissaire semblait s’attendre à ce que la demanderesse ait subitement songé à partir et décidé de le faire en un seul jour, car elle a demandé à celle‑ci de préciser la date et a ensuite tiré une inférence défavorable parce que la demanderesse avait déjà pris des mesures pour planifier son départ avant la date donnée, c’est‑à‑dire le 7 novembre. La demanderesse avait pourtant clairement indiqué depuis le début, avant même d’être questionnée sur une quelconque contradiction, qu’elle voulait partir depuis toujours :

[traduction]

LA PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE (à l’interprète)

-           Quand exactement avez‑vous pris la décision de partir?

LA DEMANDERESSE (à la présidente de l’audience)

-           J’ai toujours voulu partir, voilà la situation, mais lorsque le dernier incident s’est produit, j’ai décidé de partir.

[Non souligné dans l’original.] (DCT, à la page 164.)

[30]           À mon avis, le fait que la demanderesse a présenté une demande de passeport et de visa pour les États‑Unis en juin est entièrement compatible avec le fait qu’elle a décidé en novembre, après avoir été battue particulièrement violemment, et quelques jours avant le départ de son époux pour un voyage d’affaires, que le temps était venu de passer à l’action et de partir pour de bon.

[31]           Les dates des préparatifs du départ ont aussi été examinées relativement à la question du délai. Lorsque la Commission a demandé à la demanderesse pourquoi elle n’avait pas quitté Djibouti avant le 15 novembre alors qu’elle avait obtenu son visa pour les États‑Unis en juin 2012, la demanderesse a expliqué qu’il lui avait fallu attendre que son époux parte en voyage d’affaires pour quitter Djibouti, car il la surveillait constamment. La Commission lui a demandé pourquoi elle n’était pas partie avant si elle avait pu quitter le domicile pour se rendre à une entrevue afin d’obtenir un visa, et la demanderesse a répondu qu’elle avait pris un risque en se rendant à l’entrevue, mais qu’elle était rentrée à la maison avant que son époux ne revienne du marché.

[32]           Je conclus qu’il était déraisonnable pour la Commission de rejeter les explications données par la demanderesse à propos des contradictions reprochées, et de se fonder sur le délai qui avait précédé le départ de Djibouti de la demanderesse, et ce, pour deux raisons. La demanderesse n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas cru l’explication de la demanderesse, qui était pourtant cohérente avec le fait qu’elle subissait de la violence conjugale et craignait son époux. Son explication concordait avec son témoignage selon lequel, aussitôt après le départ de son époux pour un voyage d’affaires le 10 novembre, elle avait vendu les meubles de la maison pour obtenir de l’argent et acheté un billet d’avion sur‑le‑champ pour réussir à quitter le pays le 15 novembre, une suite d’événements qui montre bien qu’il est plus long d’organiser un départ que de se rendre à une entrevue pour obtenir un visa.

IX.             Conclusion

[33]           La Commission a pris sa décision en se fondant sur des incohérences, relativement aux dates entre autres, en laissant de côté certains éléments de preuve essentiels et en tirant des conclusions tout simplement déraisonnables au vu de l’ensemble de la demande d’asile. La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la totalité de la preuve et en insistant plutôt sur des contradictions mineures dans le témoignage de la demanderesse. Je suis d’avis qu’elle a tiré ses conclusions à la lumière de conclusions de fait erronées tirées sans égard à la preuve dont elle disposait : Owusu-Ansah c Canada (MEI) (1998), 98 NR 312 (CAF).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La présente affaire ne soulève pas de question grave de portée générale qu’il y aurait lieu de certifier.

« Alan Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5299-13

 

INTITULÉ :

LOULA OMAR MAHAMOUD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 DÉcembrE 2014

 

COMPARUTIONS :

Edward C. Corrigan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alison Engel-Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edward C. Corrigan

Avocat

London (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 


ANNEXE A

Articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (LC 2001, c 27) :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

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