Date : 20141219
Dossier : T-43-13
Référence : 2014 CF 1244
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario)
En présence de monsieur le juge Hughes
ENTRE : |
LE CHEF STEVE COURTOREILLE, EN SON PROPRE NOM ET EN CELUI DES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION CRIE MIKISEW |
demandeur |
et |
LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL EN CONSEIL, LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU DÉVELOPPEMENT DU NORD, LE MINISTRE DES FINANCES, LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, LE MINISTRE DES TRANSPORTS ET LE MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES |
défendeurs |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Première Nation crie Mikisew occupe et exploite traditionnellement des terres situées dans les régions du delta des rivières de la Paix et Athabasca et de la Basse-Athabasca, lesquelles font aujourd’hui partie du Nord-Est de l’Alberta et des secteurs avoisinants. En 1899, les Mikisew et d’autres Premières Nations ont conclu un traité avec Sa Majesté, le Traité no 8, dans le cadre duquel elles ont cédé à Sa Majesté des terres particulières en échange de certaines garanties. Les droits des Premières Nations et les garanties que prévoit le Traité no 8 ont été l’objet de plusieurs décisions des tribunaux canadiens.
TABLE DES MATIÈRES
[2] Voici la table des matières des présents motifs :
RUBRIQUES |
NUMÉROS DE PARAGRAPHE |
I. SURVOL |
3 à 7 |
II. LES PARTIES |
8 et 9 |
III. LA PREUVE |
10 à 12 |
IV. LES FAITS |
13 |
14 et 15 |
|
16 à 19 |
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20 à 22 |
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VIII. LA PRÉSENTE INSTANCE COMPORTE-ELLE UNE QUESTION JUSTICIABLE? |
23 à 29 |
IX. LE PROCESSUS LÉGISLATIF FÉDÉRAL ET SES ACTIVITÉS CONNEXES |
30 à 36 |
37 à 72 |
|
73 à 82 |
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XII. L'OBLIGATION DE CONSULTATION EST-ELLE DÉCLENCHÉE DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE? |
83 à 99 |
100 à 104 |
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XIV. QUELLE MESURE DE RÉPARATION, LE CAS ÉCHÉANT, LA COUR DEVRAIT-ELLE ACCORDER? |
105 à 109 |
110 et 111 |
I. SURVOL
[3] Le 26 avril 2012, le ministre fédéral des Finances a déposé au Parlement le projet de loi C‑38, souvent appelé le premier projet de loi omnibus. Il a reçu la sanction royale le 29 juin 2012. Un second projet de loi omnibus, le projet de loi C‑45, a été déposé par le ministre des Finances au Parlement le 18 octobre 2012. Il a reçu la sanction royale le 14 décembre 2012. Les Mikisew n’ont pas été consultés avant le dépôt de l’un ou l’autre de ces projets de loi au Parlement.
[4] Les projets de loi omnibus ont introduit des lois nouvelles et modifiées, dont certaines, mais pas toutes, portaient sur des questions de nature financière. Pour les besoins de la présente demande, ils ont apporté d’importants changements aux lois canadiennes en matière d’environnement. Ils ont ainsi modifié la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14, la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29, et la Loi sur la protection des eaux navigables, LRC 1985, c N‑22, la rebaptisant par la même occasion ainsi : Loi sur la protection de la navigation, LRC 1985, c N‑22, et, enfin, ils ont abrogé la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (1992), LC 1992, c 37, la remplaçant par la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19. Les modifications apportées à ces lois ont eu pour effet, pourrait-on dire, de réduire le nombre des étendues d’eau au Canada qui doivent être surveillées par des fonctionnaires fédéraux, ce qui a donc une incidence sur la pêche, le piégeage et la navigation. Certaines de ces eaux sont situées dans le territoire que le Traité no 8 confère aux Mikisew.
[5] De ce fait, les Mikisew, représentés par leur chef, Steve Courtoreille, ont engagé la présente instance, sollicitant diverses formes de jugements déclaratoires. La réparation demandée est résumée au premier paragraphe du mémoire en réplique du demandeur :
[traduction]
[…] il n’est pas demandé à la Cour d’intervenir dans le processus parlementaire, ce qui pourrait mettre en cause le principe de la séparation des pouvoirs, mais de superviser les obligations de la Couronne et de l’exécutif avant le dépôt d’un projet de loi au Parlement. C’est-à-dire que la demande des Mikisew ne vise pas à imposer une obligation de consultation au Parlement, mais à la Couronne. La demande de Mikisew n’exige pas que l’on fasse enquête sur la conduite du Parlement, mais sur celle de l’exécutif.
[6] En particulier, la réparation que sollicite le demandeur est énoncée dans son exposé des arguments :
[traduction]
a) une déclaration portant que tous les ministres, ou certains d’entre eux, ont une obligation de consulter les Mikisew au sujet de l’établissement des lois fédérales en matière d’environnement dont il est question dans les projets de loi omnibus;
b) une déclaration portant que tous les ministres, ou certains d’entre eux, avaient et continuent d’avoir une obligation de consulter les Mikisew au sujet de l’établissement et du dépôt des projets de loi omnibus, dans la mesure où ces derniers, par l’apport de changements aux lois fédérales en matière d’environnement, étaient susceptibles d’avoir une incidence sur les droits conférés par traité aux Mikisew;
c) une déclaration portant que tous les ministres, ou certains d’entre eux, ont manqué et continuent de manquer à leur obligation de consulter les Mikisew au sujet des lois fédérales en matière d’environnement, y compris celles que comportent les projets de loi omnibus;
d) une déclaration portant que les ministres et le gouverneur général en conseil sont tenus de consulter les Mikisew au sujet des questions susmentionnées afin de veiller à ce que le Canada mette en œuvre les mesures nécessaires pour s’acquitter des obligations que lui impose le Traité no 8;
e) une ordonnance portant que les ministres ne prennent aucune autre mesure susceptible de réduire, de supprimer ou de restreindre le rôle que joue le Canada dans toute évaluation environnementale menée actuellement, ou ultérieurement, dans le territoire traditionnel des Mikisew, et ce, jusqu’à ce qu’une consultation appropriée ait eu lieu;
f) les directives qui peuvent être nécessaires pour donner effet à cette ordonnance;
g) une ordonnance portant que toute partie peut présenter une demande à la Cour en vue d’obtenir les directives supplémentaires qui peuvent être nécessaires au sujet du déroulement de la consultation;
h) une ordonnance adjugeant les dépens relatifs et accessoires à la présente demande;
i) toute autre mesure de réparation que la Cour juge appropriée et juste.
[7] Pour les raisons qui suivent, j’ai décidé d’édicter une directive précise.
II. LES PARTIES
[8] Le demandeur, le chef Steve Courtoreille, agit pour son propre compte ainsi que pour celui des membres de la Première Nation crie Mikisew. Je désignerai parfois le demandeur comme étant les Mikisew.
[9] Les défendeurs sont le gouverneur général en conseil et divers ministres fédéraux. Ils sont représentés collectivement par des avocats du bureau du sous-procureur général du ministère de la Justice. Les avocats des Mikisew ont dit avoir nommé les divers défendeurs dans leur avis de demande en vue d’englober les personnes qui, au gouvernement, mettent au point les politiques qui sous-tendent les projets de loi applicables avant qu’ils soient rédigés et déposés au Parlement. Les défendeurs soutiennent que, dans le cadre du processus législatif, ces ministres agissaient en leur capacité législative et que, de ce fait, leurs actes ou leurs décisions sont exclus d’un contrôle judiciaire. Subsidiairement, ils sont d’avis que, si la Cour a compétence sur les questions qui lui sont soumises, le demandeur n’a pas satisfait au critère que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l’arrêt Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 RCS 511, et a expliqué dans l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc c Conseil tribal Carrier Sekani, [2010] 2 RCS 650, en vue d’établir l’existence d’une obligation de consultation en l’espèce. Les avocats des défendeurs ont suggéré qu’on les appelle collectivement la Couronne.
III. LA PREUVE
[10] Étant donné qu’il s’agit d’une demande, la preuve a été présentée sous la forme d’affidavits accompagnés de pièces. Il y a eu des contre-interrogatoires sur certains de ces affidavits et les transcriptions ont été versées dans le dossier.
[11] Le demandeur a produit en preuve les affidavits des personnes suivantes :
• Arthur J. Ray, membre de la Société royale du Canada et professeur émérite d’histoire, Université de la Colombie-Britannique; il a présenté un rapport sur les négociations qui ont mené au Traité no 8;
• Donald J. Savoie, titulaire de la chaire de recherche du Canada en administration publique et en gouvernance, Université de Moncton; il a présenté un rapport sur les consultations publiques menées dans le cadre du processus législatif au Canada, et il a été contre-interrogé;
• Rita Marten, ancienne chef des Mikisew; elle a fourni des informations historiques et contextuelles concernant la demande des Mikisew;
• Keith Stewart, employé de Greenpeace Canada à titre de coordonnateur de sa campagne Climat – Énergie; seul son contre-interrogatoire figure dans le dossier, et les avocats des parties ont convenu qu’ils ne se fonderont pas sur son témoignage;
• Steve Courtoreille, chef de la Première Nation Mikisew et demandeur désigné; il a présenté deux affidavits décrivant l’histoire des Mikisew et le fondement de leur demande dans la présente instance; il a été contre-interrogé;
• Trish Merrithew-Mercredi, qui travaille avec les Mikisew à divers titres depuis plus de vingt ans; elle a présenté des informations historiques et contextuelles sur les Mikisew et leur demande;
• Rachel Sara Forbes, avocate salariée au service de West Coast Environmental Law Association; elle a témoigné sur l’effet environnemental des projets de loi et des lois en litige, et elle a été contre-interrogée.
[12] Les défendeurs ont produit en preuve les affidavits des personnes suivantes :
• Terrence Hubbard, directeur général, Planification et politiques stratégiques au Bureau de gestion des grands projets du gouvernement fédéral; il a fourni des informations de base sur les diverses lois en litige, et il a été contre-interrogé;
• Douglas Nevison, directeur général de la Direction de la politique économique et fiscale du ministère des Finances du Canada; il a témoigné sur le processus budgétaire du Canada ainsi que sur d’autres questions de nature économique et financière, et il a été contre-interrogé;
• Stephen Chapman, directeur associé, Opérations régionales, auprès de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale; il a fourni des informations de base sur les évaluations environnementales, et il a été contre-interrogé;
• Kevin Stringer, sous-ministre adjoint principal par intérim auprès du Secteur de la gestion des écosystèmes et des pêches du ministère des Pêches et des Océans; il a témoigné sur la manière dont le gouvernement fédéral gère le secteur des pêches, et il a été contre-interrogé;
• Teresa Martin, technicienne juridique au bureau régional d’Edmonton du ministère de la Justice du Canada; elle a fourni des renseignements sur l’état actuel de la politique de consultation de l’Alberta ainsi que sur son processus de réglementation et d’évaluation en matière environnementale;
• Lauren Kirk : les avocats ont convenu que ni l’une ni l’autre des parties ne se fondera sur son témoignage; ils ont convenu d’en faire de même pour le témoignage de Gillian Cantello.
IV. LES FAITS
[13] Malgré le volume de la preuve, les faits sous-jacents qui sont nécessaires pour examiner les questions en litige sont peu nombreux et non contestés. Je détaillerai davantage certains de ces faits plus loin dans les présents motifs. Pour le moment, voici quelques-uns des faits :
1. Les Mikisew sont une bande autochtone des Premières Nations dont les terres traditionnelles sont situées dans les régions du delta des rivières de la Paix et Athabasca et de la Basse-Athabasca, qui font aujourd’hui partie du Nord-Est de l’Alberta et des secteurs avoisinants.
2. Ces terres traditionnelles sont bien arrosées par des rivières et des lacs qui procurent aux Mikisew d’abondantes activités de pêche, de piégeage et de navigation.
3. En 1899, les Mikisew, de pair avec d’autres Premières Nations, ont conclu avec Sa Majesté un traité dans le cadre duquel leurs revendications à l’égard du territoire ont été cédées à la Couronne en échange de certaines garanties de la part de celle-ci.
4. Ce traité, appelé « Traité no 8 », incluait la clause suivante :
[traduction]
Et Sa Majesté la Reine convient par les présentes avec les dits indiens qu’ils auront le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche dans l’étendue de pays cédée telle que ci-dessus décrite, subordonnées à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par le gouvernement du pays agissant au nom de Sa Majesté et sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d’établissements, de mine, de commerce de bois, ou autres objets.
5. Depuis les années 1900, les terres des Mikisew ont été l’objet de changements causés par des non-Mikisew, y compris ceux entraînés par la construction du barrage W.A.C. Bennett en Colombie-Britannique, et ceux entraînés par des travaux d’exploration pétrolière.
6. Au cours des dernières décennies, le Canada, par le truchement de ses diverses lois et de ses divers organismes en matière environnementale, a fait beaucoup pour protéger les activités de pêche, de piégeage et de navigation au sein du territoire traditionnel des Mikisew.
7. De temps à autre, le Canada a consulté les Mikisew sur des projets d’aménagement dans leur territoire.
8. Le Canada a rédigé et publié un document intitulé Consultation et accommodement des Autochtones – Lignes directrices actualisées à l’intention des fonctionnaires fédéraux pour respecter l’obligation de consulter – Mars 2011, un document qu’il est obligatoire de suivre quand des ministères fédéraux consultent des collectivités autochtones.
9. Le Canada a également rédigé et publié un document intitulé Directive du Cabinet sur l’activité législative, qui expose les attentes du Cabinet envers les ministres, les ministères et les fonctionnaires relativement au processus législatif.
10. Le Canada a également rédigé et publié un guide du Bureau du Conseil privé intitulé Lois et règlements : l’essentiel, qui donne des conseils détaillés sur la mise en application de la directive du Cabinet susmentionnée, relativement au processus législatif du Canada. Ce guide comporte un schéma illustrant les diverses étapes du processus législatif.
11. Le 26 avril 2012, le ministre fédéral des Finances a déposé le projet de loi C‑38 (Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable), qui a obtenu la sanction royale le 29 juin 2012. Il a déposé un autre projet de loi, le projet de loi C‑45 (Loi de 2012 sur l’emploi et la croissance), le 18 octobre 2012, qui a obtenu la sanction royale le 14 décembre 2012. Ces projets de loi sont appelés dans la présente instance les « projets de loi omnibus » et, sous la forme où ils ont été adoptés, les « Lois ».
12. Les projets de loi omnibus ont présenté et modifié diverses lois fédérales – certaines, mais pas toutes, portant sur des questions de nature financière. Parmi les lois touchées figuraient la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14, et la Loi sur la protection des eaux navigables, LRC 1985, c N‑22, rebaptisée Loi sur la protection de la navigation, LRC 1985, c N‑22, et qui, notamment, mettait en œuvre une réduction du nombre des voies navigables intérieures surveillées par des organismes fédéraux. Je traiterai des dispositions applicables des projets de loi omnibus plus loin dans les présents motifs.
13. Les Mikisew n’ont pas été consultés avant le dépôt de l’un ou l’autre des projets de loi omnibus au Parlement, pas plus qu’au cours du processus parlementaire qui a précédé l’obtention de la sanction royale.
14. Les Mikisew craignent que le fait que des organismes fédéraux réduisent la surveillance de plusieurs voies navigables dans leur territoire ait une incidence sérieuse sur les activités de pêche, de piégeage et de navigation.
15. Les défendeurs contestent les craintes des Mikisew, disant que ces dernières sont hypothétiques et qu’en fait, à certains égards, les Lois procurent des avantages qui n’existaient pas antérieurement.
V. LES QUESTIONS EN LITIGE
[14] Le demandeur a soulevé les questions suivantes :
1. Existe-t-il une obligation de consultation pour ce qui est de l’élaboration des modifications aux lois fédérales environnementales qui ont été introduites au moyen des projets de loi omnibus?
2. Dans l’affirmative, y a-t-il eu manquement à cette obligation de consultation?
3. Dans l’affirmative, quelle est la réparation qui convient?
[15] Les défendeurs ont formulé leurs questions de manière quelque peu différente :
1. S’agit-il d’un contrôle judiciaire approprié au sujet des questions suivantes :
a) Le rôle constitutionnel que jouent les tribunaux dans le processus législatif?
b) La compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire, conformément à la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7?
2. Si la réponse à ces deux questions est « oui », le processus législatif qui s’est soldé par les Lois a-t-il déclenché l’obligation de consultation?
3. Si le processus législatif a déclenché l’obligation de consultation et si la Cour conclut à un manquement à cette obligation, quelle est la réparation qui convient?
VI. LA NATURE DE L’INSTANCE
[16] Il s’agit d’une demande déposée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Il ne s’agit pas du contrôle d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, mais plutôt d’une demande de jugement déclaratoire et d’injonction à l’encontre des divers ministres de la Couronne et du gouverneur général en conseil au sujet de lois et de projets de loi.
[17] Comme l’a déclaré le juge Stratas dans l’arrêt Air Canada c Administration portuaire de Toronto (2011), [2013] 3 RCF 605 (CA), les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales vont au-delà d’un simple contrôle d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, et s’étendent à tout ce qui déclenche un droit à un contrôle judiciaire. Je répète ici ce qu’il a écrit aux paragraphes 24 à 30 :
24 Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales énonce qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est « directement touché par l’objet de la demande ». La question qui peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire ne comprend pas seulement une « décision ou ordonnance », mais tout objet susceptible de donner droit à une réparation aux termes de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales : Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.). Le paragraphe 18.1(3) apporte d’autres précisions à ce sujet, indiquant que la Cour peut accorder une réparation à l’égard d’un « acte », de l’omission ou du refus d’accomplir un « acte », ou du retard mis à exécuter un « acte », une « décision », une « ordonnance » et une « procédure ». Enfin, les règles qui régissent les demandes de contrôle judiciaire s’appliquent aux « demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives », et non pas aux seules demandes de contrôle judiciaire de « décisions ou ordonnances » : article 300 des Règles des Cours fédérales.
25 En ce qui concerne les « décisions » ou « ordonnances », la seule exigence est que les demandes de contrôle judiciaire doivent être présentées dans les 30 jours qui suivent la première communication : paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.
26 Les parties et le juge de la Cour fédérale ont centré le débat sur la question de savoir si une « décision » ou « ordonnance » avait été rendue, mais ils traitaient en fait d’une question plus fondamentale, soit celle de savoir si, en publiant les bulletins et en adoptant la conduite décrite dans ceux‑ci, l’Administration portuaire de Toronto avait fait quelque chose qui conférait à Air Canada un quelconque droit de demander le contrôle judiciaire.
27 Je souscris sur ce point aux arguments des défenderesses et à la décision du juge de la Cour fédérale : la publication des bulletins par l’Administration portuaire de Toronto et l’adoption de la conduite décrite dans ceux‑ci n’a pas conféré à Air Canada le droit de présenter des demandes de contrôle judiciaire.
28 La jurisprudence reconnaît qu’il y a de nombreuses situations où, en raison de sa nature ou de son caractère, la conduite d’un organisme administratif ne fait pas naître le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.
29 Une de ces situations est celle où la conduite attaquée dans une demande de contrôle judiciaire n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ni d’entraîner des effets préjudiciables : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, (2009), 86 Admin. L.R. (4th) 149.
30 De nombreuses décisions illustrent ce type de situation : p. ex., 1099065 Ontario Inc. c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 47, 375 N.R. 368 (lettre d’un fonctionnaire proposant des dates de réunion); Philipps c. Canada (Bibliothécaire et Archiviste), 2006 CF 1378, [2007] 4 R.C.F. 11 (lettre de politesse envoyée en réponse à une demande de révision); Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Ministre du Revenu national, [1998] 2 C.T.C. 176, 148 F.T.R. 3 (1re inst.) (une décision anticipée ne constitue qu’une opinion ne liant pas son auteur).
[18] L’avocat du demandeur a laissé entendre que la présente instance pouvait être examinée comme s’il s’agissait d’une question de droit, car il y a peu de faits controversés.
[19] Il n’est pas question ici du contrôle d’une décision, mais plutôt d’un examen de novo des circonstances et du droit applicable dans la présente affaire en particulier.
VII. LE PARAGRAPHE 2(2) DE LA LOI SUR LES COURS FÉDÉRALES A-T-IL POUR EFFET D’EXCLURE LA PRÉSENTE INSTANCE?
[20] Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, définit ce qu’est un « office fédéral », et le paragraphe 2(2) nuance cette définition :
2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi. « office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. (2) Il est entendu que sont également exclus de la définition de « office fédéral » le Sénat, la Chambre des communes, tout comité ou membre de l’une ou l’autre chambre, le conseiller sénatorial en éthique et le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique à l’égard de l’exercice de sa compétence et de ses attributions visées aux articles 41.1 à 41.5 et 86 de la Loi sur le Parlement du Canada.
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2. (1) In this Act, “federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867 ; 2. (2) For greater certainty, the expression “federal board, commission or other tribunal”, as defined in subsection (1), does not include the Senate, the House of Commons, any committee or member of either House, the Senate Ethics Officer or the Conflict of Interest and Ethics Commissioner with respect to the exercise of the jurisdiction or powers referred to in sections 41.1 to 41.5 and 86 of the Parliament of Canada Act
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[21] Dans la mesure où l’on peut dire que la présente instance met en cause le processus parlementaire que suivent les défendeurs, les parties conviennent que le paragraphe 2(2) de la Loi sur les Cours fédérales serait limitatif. Cependant, l’avocat du demandeur soutient que ce ne sont pas les obligations législatives des défendeurs qui sont en cause, mais plutôt le processus d’examen, de formulation et de proposition de politiques qui est lié à l’exécution des fonctions législatives des défendeurs.
[22] Bien que je m’élève, plus loin dans les présents motifs, contre le fait que le demandeur qualifie les décisions de nature exécutive plutôt que de nature législative, ce dernier ne sollicite pas le contrôle judiciaire de : 1) la teneur des projets de loi omnibus avant qu’ils aient force de loi, 2) toute décision d’un député fédéral ou d’un comité parlementaire sur le dépôt des projets de loi omnibus au Parlement ou 3) toute décision particulière d’un ministre ou de ses représentants dans le cadre de la mise en œuvre d’une loi. Le demandeur cherche à s’attaquer au processus qu’entreprennent les ministres de la Couronne avant qu’un projet de loi soit rédigé et déposé au Parlement. Dans ce contexte, je conclus que le paragraphe 2(2) de la Loi sur les Cours fédérales n’a pas pour effet d’exclure la présente instance.
VIII. LA PRÉSENTE INSTANCE COMPORTE-T-ELLE UNE QUESTION JUSTICIABLE?
[23] Les tribunaux respectent rigoureusement les rôles différents que jouent les branches législative, exécutive et judiciaire du gouvernement. Dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Ontario c Criminal Lawyers’ Association of Ontario, [2013] 3 RCS 3, la juge Karakatsanis fait une nette distinction entre ces fonctions exécutive, législative et judiciaire distinctes, indiquant qu’une branche du gouvernement ne devrait pas empiéter indûment sur une autre. Elle explique le principe de la séparation des pouvoirs, aux paragraphes 26 à 30 :
26 [L]es pouvoirs dont on reconnaît qu’ils font partie de la compétence inhérente sont balisés par la séparation des pouvoirs entre les différents acteurs dans l’ordre constitutionnel et par les attributions institutionnelles particulières qui ont résulté de cette séparation.
(2) La séparation des pouvoirs
27 La Cour reconnaît depuis longtemps que notre cadre constitutionnel attribue des fonctions différentes à l’exécutif, au législatif et au judiciaire (voir Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455, p. 469‑470). La teneur de ces rôles différents a été façonnée par l’histoire et l’évolution de notre ordre constitutionnel (voir Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 49‑52).
28 Au fil de plusieurs siècles de transformation et de conflits, le système anglais est passé d’un régime où la Couronne détenait tous les pouvoirs à un régime où des organes indépendants aux fonctions distinctes les exercent. L’évolution de fonctions exécutive, législative et judiciaire distinctes a permis l’acquisition de certaines compétences essentielles par les diverses institutions appelées à exercer ces fonctions. Le pouvoir législatif fait des choix politiques, adopte des lois et tient les cordons de la bourse de l’État, car lui seul peut autoriser l’affectation de fonds publics. L’exécutif met en œuvre et administre ces choix politiques et ces lois par le recours à une fonction publique compétente. Le judiciaire assure la primauté du droit en interprétant et en appliquant ces lois dans le cadre de renvois et de litiges sur lesquels il statue de manière indépendante et impartiale, et il défend les libertés fondamentales garanties par la Charte.
29 Les trois pouvoirs ont des attributions institutionnelles distinctes et jouent des rôles à la fois cruciaux et complémentaires dans notre démocratie constitutionnelle. Toutefois, un pouvoir ne peut jouer son rôle lorsqu’un autre empiète indûment sur lui. Dans New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle‑Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, la juge McLachlin confirme l’importance de respecter les fonctions et les attributions distinctes des pouvoirs de l’État canadien pour ce qui est de notre ordre constitutionnel et elle conclut qu’« il est essentiel que toutes ces composantes jouent le rôle qui leur est propre. Il est également essentiel qu’aucune […] n’outrepasse ses limites et que chacune respecte de façon appropriée le domaine légitime de compétence de l’autre » (p. 389).
30 Par conséquent, la compétence inhérente de la cour doit être limitée au regard de la fonction propre à chacun des pouvoirs distincts, sous peine de rupture de l’équilibre des fonctions et des attributions issu de l’évolution de notre système de gouvernement au fil des siècles.
[Renvoi omis.]
[24] Par conséquent, le principe de la séparation des pouvoirs permet de préserver l’intégrité de l’ordre constitutionnel du Canada, et le fait de ne pas respecter ce principe peut rompre l’équilibre constitutionnel de ces rôles.
[25] La question de savoir si une question est justiciable et donne ainsi compétence à la Cour pour examiner l’affaire a été analysée antérieurement par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C‑B), [1991] 2 RCS 525. C’est le juge Sopinka qui a rédigé les motifs de la Cour.
[26] Dans cette affaire, la Cour était saisie de deux questions, soumises par renvoi à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Le juge Sopinka a énoncé ces questions à la page 534 du recueil :
Le 27 février 1990, le décret no 287 a été approuvé et pris par le lieutenant‑gouverneur de la Colombie‑Britannique. Par ce décret, le gouvernement de la Colombie‑Britannique renvoyait à la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique les questions suivantes:
[traduction]
(1) Le gouvernement du Canada a‑t‑il, en vertu d’une loi, en raison d’une prérogative ou aux termes d’un contrat, compétence pour limiter son obligation, découlant du Régime d’assistance publique du Canada, S.R.C. 1970, ch. C‑1, et de l’accord en date du 23 mars 1967 intervenu entre lui et le gouvernement de la Colombie‑Britannique, de payer 50 pour 100 du coût des services d’assistance publique et de protection sociale en Colombie‑Britannique?
(2) Les conditions de l’accord en date du 23 mars 1967 intervenu entre les gouvernements du Canada et de la Colombie‑Britannique, la conduite subséquente du gouvernement du Canada dans l’exécution de cet accord et les dispositions du Régime d’assistance publique du Canada, S.R.C. 1970, ch. C‑1, permettent‑elles de s’attendre légitimement à ce que le gouvernement du Canada ne dépose devant le Parlement aucun projet de loi tendant à limiter, sans le consentement de la Colombie‑Britannique, l’obligation que lui impose l’accord ou le Régime?
[27] Aux pages 545 et 546 du recueil, le juge Sopinka a écrit que la Cour devait déterminer si la question était de nature purement politique ou si elle comportait un aspect suffisamment juridique pour justifier l’intervention du pouvoir judiciaire :
Quoiqu’une question puisse ne pas relever de la compétence des tribunaux pour bien des raisons, le procureur général du Canada a fait valoir, dans le présent pourvoi qu’en répondant aux questions, la Cour se laisserait entraîner dans une controverse politique et deviendrait engagée dans le processus législatif. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de décider s’il convient de répondre à une question qui, allègue‑t‑on, ne relève pas de la compétence des tribunaux, la Cour doit veiller surtout à conserver le rôle qui lui revient dans le cadre constitutionnel de notre forme démocratique de gouvernement. Voir les arrêts Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49, aux pp. 90 et 91, et Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, à la p. 362. En s’enquérant du rôle qu’elle doit jouer, la Cour doit décider si la question qu’on lui a soumise revêt un caractère purement politique et devrait, en conséquence, être tranchée dans une autre tribune ou si elle présente un aspect suffisamment juridique pour justifier l’intervention du pouvoir judiciaire. […]
[…]
Appliquant au présent pourvoi les précédentes observations, j’estime que les deux questions posées présentent un aspect juridique important. La première question nécessite l’interprétation d’une loi du Canada et d’un accord. La seconde concerne l’applicabilité de la théorie juridique de l’expectative légitime au processus d’adoption d’un projet de loi de finances. Ces deux questions font l’objet de contestation entre les provinces dites « nanties » et le gouvernement fédéral. La décision rendue sur ces questions aura l’effet pratique de trancher les questions de droit en litige et contribuera à résoudre la controverse. En fait, il n’existe pas d’autre tribune devant laquelle ces questions de droit pourraient être réglées de manière péremptoire. À mon avis, les questions soulèvent des points qui relèvent de la compétence des tribunaux et méritent une réponse.
[28] Récemment, dans l’arrêt Bande indienne de Coldwater c Canada (Affaires indiennes et Nord canadien), 2014 CAF 277, la Cour d’appel fédérale a fait une mise en garde contre le fait que la Cour intervienne dans un processus au sein duquel le ministre n’a pas encore rendu une décision. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Nadon a écrit ce qui suit, aux paragraphes 8 à 12 :
[8] Nous sommes d’avis que la demande de contrôle judiciaire était prématurée et que rien ne justifie la Cour fédérale ou notre Cour d’intervenir dans le processus administratif dans lequel le ministre doit décider s’il devrait consentir aux deux cessions demandées par Kinder Morgan.
[9] Dans l’arrêt C.B. Powell Ltd. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332 (C.B. Powell), aux paragraphes 30 à 33, notre Cour a bien précisé que nous devons nous abstenir d’intervenir dans un processus administratif en cours tant que toutes les voies de recours utiles qu’offre le processus n’ont pas été épuisées, à moins qu’il n’existe des « circonstances exceptionnelles ». Nous avons précisé, dans l’arrêt C.B. Powell, que ces circonstances exceptionnelles sont rares et que le critère permettant de qualifier des circonstances d’« exceptionnelles » est exigeant. En particulier, le juge Stratas, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit au paragraphe 33 :
Partout au Canada, les cours de justice ont reconnu et appliqué rigoureusement le principe général de non‑ingérence dans les procédures administratives, comme l’illustre la portée étroite de l’exception relative aux « circonstances exceptionnelles ». Il n’est pas nécessaire d’épiloguer longuement sur cette exception, puisque les parties au présent appel ne prétendent pas qu’il existe des circonstances exceptionnelles qui permettraient un recours anticipé aux tribunaux judiciaires. Qu’il suffise de dire qu’il ressort des précédents que très peu de circonstances peuvent être qualifiées d’« exceptionnelles » et que le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé (voir à titre général l’ouvrage de D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (édition à feuilles mobiles) (Toronto : Canvasback, 1998), aux paragraphes 3:2200, 3:2300 et 3:4000, ainsi que l’ouvrage de David J. Mullan, Administrative Law (Toronto : Irwin Law, 2001), aux pages 485 à 494). Les meilleurs exemples de circonstances exceptionnelles se trouvent dans les très rares décisions récentes dans lesquelles les tribunaux ont accordé un bref de prohibition ou une injonction contre des décideurs administratifs avant le début de la procédure ou au cours de celle‑ci. Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces (voir Harelkin, précité; Okwuobi, précité, paragraphes 38 à 55; et University of Toronto v. C.U.E.W, Local 2 (1988), 52 D.L.R. (4th) 128 (Cour div. Ont,)). Ainsi que je le démontrerai sous peu, l’existence de ce qu’il est convenu d’appeler des questions de compétence ne constitue pas une circonstance exceptionnelle justifiant un recours anticipé aux tribunaux. [Non souligné dans l’original.]
[10] Coldwater affirme que sa demande était justifiée dans les circonstances, étant donné que le ministre agira à l’encontre de son obligation fiduciaire et que, par conséquent, il outrepassera sa compétence. De plus, de par leur nature constitutionnelle, les obligations fiduciaires du ministre justifient l’intervention de notre Cour. Coldwater affirme également que le consentement du ministre servirait d’exonération au défaut de Terasen Inc. d’avoir fait signer régulièrement les actes, ajoutant que le consentement du ministre est susceptible de [traduction] « redonner vie au [second] acte, qui est peut‑être expiré » et qu’il est susceptible d’accorder à Kinder Morgan un intérêt juridique dans la réserve qui ne pourrait être par la suite annulé.
[11] Maître Kirchner, l’avocat de Coldwater, a déclaré avec franchise devant nous qu’il tentait en réalité d’obtenir une réparation qui s’apparente à un verdict imposé dans un procès avec jury. À son avis, le ministre ne pouvait, en droit, trancher la question du consentement autrement que de la manière proposée par Coldwater.
[12] À notre avis, les circonstances invoquées par Coldwater pour justifier son attaque préventive ne constituent pas des circonstances exceptionnelles. Par ailleurs, nous ne pouvons qualifier de préjudice irréparable le fait que le ministre ait à décider de la question qui lui est soumise. Nous ajouterions par ailleurs que nous sommes convaincus que le ministre peut accorder la réparation sollicitée par Coldwater en empêchant que les actes soient cédés à Kinder Morgan.
[29] Je conclus que, dans les circonstances de l’espèce, le fondement juridique de la question posée est suffisant pour que la Cour procède à un contrôle judiciaire : l’obligation légale et exécutoire de consultation s’applique-t-elle aux décisions en litige? Je traiterai de ces points plus loin dans les présents motifs. Il n’est pas prématuré d’examiner la question.
IX. LE PROCESSUS LÉGISLATIF FÉDÉRAL ET SES ACTIVITÉS CONNEXES
[30] Le processus législatif fédéral et ses activités connexes ne sont pas des aspects gravés dans la pierre, soit par la législature soit par la jurisprudence. Il s’agit d’un processus politique fluide qui s’adapte sans cesse aux circonstances particulières du moment.
[31] Le Bureau du Conseil privé du Canada a publié un guide intitulé Lois et règlements : l’essentiel, dont la deuxième édition a paru en 2001. À la page 17 de son contre-interrogatoire, M. Hubbard a déclaré qu’il s’agissait là d’un énoncé de principe catégorique. M. Nevison en a fourni un exemplaire avec son affidavit, et ce document indique en partie, à la page 10 :
Opportunité de l’action législative
Le gouvernement dispose de plusieurs outils pour atteindre ses objectifs. Certes, il peut soumettre un projet de loi à l’assentiment du Parlement ou prendre lui-même un règlement. Mais il peut aussi procéder par la conclusion d’accords, l’émission de directives ou la mise sur pied de programmes en vue d’offrir des services, des prestations ou de l’information. Par ailleurs, un texte législatif peut comporter un large éventail de dispositions allant de la simple prohibition aux mécanismes de régulation les plus complexes, comme la délivrance de permis et les contrôles de conformité. La voie législative devrait être strictement réservée aux cas où elle constitue la meilleure solution possible. Il appartient au ministre responsable de démontrer au Cabinet que ce principe a été respecté et qu’il y va de la réalisation des objectifs du gouvernement.
La décision de procéder par projet de loi ou de règlement revient au Cabinet, sur la foi de l’information que les fonctionnaires du ministère intéressé mettent à sa disposition. Cette information doit être exacte, à jour et complète. Pour bien s’acquitter de cette obligation, les fonctionnaires responsables doivent, au nom de leur ministre :
• analyser la question et considérer les solutions de rechange;
• consulter toutes les parties intéressées, y compris les autres ministères qui peuvent être touchés par la solution proposée;
• analyser les effets de cette solution;
• déterminer les ressources nécessaires à celle-ci, notamment pour sa mise en œuvre et le contrôle de son application.
Dans le cas d’un projet de loi, le principal moyen de communiquer cette information est le mémoire au Cabinet, dans lequel le ministre demande au Cabinet l’autorisation de faire rédiger le projet de loi par la Section de la législation du ministère de la Justice.
Il importe de veiller, dans toute la mesure du possible compte tenu des principes de rédaction législative, à ce que toutes les mesures législatives apparentées soient regroupées en un seul projet de loi. La multiplication des projets de loi sur des questions connexes constitue en effet une perte de temps pour les parlementaires, tant lors des débats que lors de l’étude en comité.
Enfin, il y a lieu de faire preuve de circonspection au moment d’ajouter au projet une clause de cessation d’effet (temporarisation) ou de prévoir l’examen d’un texte dans un délai précis ou par un comité donné. On ne devrait recourir à de tels mécanismes qu’en dernier ressort, lorsque les solutions de rechange ont été soigneusement examinées.
[32] Aux pages 71 à 73, le guide ajoute :
Sommaire du processus d’approbation des orientations et objectifs
Mémoire au Cabinet et instructions de rédaction
Une fois qu’une proposition législative a été inscrite au programme législatif du gouvernement, il faut en faire approuver les orientations et les objectifs par le Cabinet et obtenir l’autorisation de faire rédiger le projet de loi. Cela se fait au moyen d’un mémoire au Cabinet rédigé conformément aux instructions publiées par le Bureau du Conseil privé. Les responsables devraient consulter le document intitulé Mémoire au Cabinet : Guide du rédacteur, les Lignes directrices sur le bon gouvernement et le Calendrier d’élaboration du MC dans ce chapitre. Lorsque le mémoire au Cabinet recommande l’élaboration d’un projet de loi, il comporte en annexe des instructions qui délimitent le cadre de sa rédaction. Ces instructions sont une composante très importante du mémoire au Cabinet et leur élaboration nécessite temps et attention (voir Élaboration des instructions de rédaction dans ce chapitre).
Principales étapes
Les principales étapes de l’élaboration du mémoire au Cabinet sont les suivantes :
• Le ministère parrain rédige le mémoire au Cabinet, y compris les instructions de rédaction, avec le concours du service juridique ministériel; il devrait consulter au besoin les autres ministères et organismes centraux intéressés. Le Bureau du Conseil privé (BCP) devrait, quant à lui, être consulté dès le début du processus. Comme l’indique le Calendrier d’élaboration du MC, le ministère parrain doit aviser le BCP de la préparation du MC au moins 6 semaines avant la date de la réunion du comité du Cabinet au cours de laquelle on veut présenter la proposition.
• Au moins 3 semaines avant la date prévue pour la réunion du comité du Cabinet, le ministère parrain tient une réunion interministérielle pour discuter des répercussions possibles du mémoire. Doivent être conviés à cette réunion les représentants du BCP, ceux des autres agences centrales et des ministères dont le ministre siège au comité d’orientation du Cabinet qui sera saisi du mémoire, de même que les représentants de tout autre ministère intéressé. Le ministère parrain révise le mémoire à la lumière des commentaires formulés par les ministères et s’assure de l’appui des organismes centraux et des autres ministères.
• Agence centrale et secrétariat du Cabinet et de ses comités, le BCP s’assure que des consultations adéquates ont été menées en rapport avec la mesure proposée et que les questions d’intérêt public, notamment, ont été abordées. Il examine également le niveau de l’intervention gouvernementale proposée, notamment son efficacité et son caractère abordable, de même que les questions de relations fédéro-provinciales et de partenariat qu’elle est susceptible de soulever.
• Une fois le mémoire au point, il est signé par le ministre parrain, puis transmis au BCP. Il incombe au BCP de le distribuer aux ministres et aux sous-ministres, de porter la question à l’ordre du jour du comité d’orientation du Cabinet compétent et de breffer le président de ce comité.
• Le comité du Cabinet compétent étudie le mémoire.
• Si le mémoire est approuvé, le BCP produit un rapport de comité du Cabinet (RC), qui est ensuite étudié par le Cabinet en séance plénière.
• Si la proposition entraîne la dépense de fonds publics, il importe de préciser la source de ces fonds avant que le Cabinet n’étudie le RC. Sur ratification du mémoire par le Cabinet, le BCP produit un rapport de décision (RD). Le RC et le RD se fondent tous deux sur les recommandations et les instructions de rédaction contenues dans le mémoire initial.
• Tant le comité d’orientation saisi que le Cabinet peut demander que la proposition soit modifiée. En pareil cas, selon la nature et la portée des modifications, le ministre parrain peut se voir demander de présenter un mémoire révisé. De nouveaux RC et RD peuvent également être dressés pour tenir compte des modifications.
• Une fois le RD rendu, il est transmis à tous les ministres et sous-ministres (habituellement à la section ministérielle chargée des affaires du Cabinet) ainsi qu’à la Section de la législation du ministère de la Justice.
• À ce stade, on peut commencer à rédiger le projet de loi.
Exceptionnellement, lorsque cela est nécessaire pour répondre aux priorités du gouvernement, la rédaction peut être entreprise avant que le Cabinet ait donné officiellement son autorisation. La décision est prise par le leader du gouvernement à la Chambre des communes, après consultation du directeur de la Section de la législation, du secrétaire adjoint du Cabinet (Législation et planification parlementaire/Conseiller) et du secrétariat du BCP responsable du dossier.
Participants
Le Cabinet décide des orientations à retenir et de la façon dont elles seront mises en œuvre par voie législative. Ces décisions sont communiquées par le biais de l’approbation des instructions de rédaction contenues dans le mémoire au Cabinet.
[33] Si l’on consulte la version électronique de ce document, on trouve à la page 66 un tableau utile qu’il est possible d’imprimer en cliquant sur la version appropriée. Ce tableau est d’une taille trop grande pour être reproduit dans les présents motifs. Disons, pour résumer, qu’il divise le processus législatif en six grandes catégories, dans l’ordre suivant :
• Élaboration des orientations;
• Approbation des orientations par le Cabinet;
• Rédaction;
• Approbation du projet par le Cabinet;
• Chambre des communes (où le ministre compétent donne tout d’abord avis du dépôt d’un projet de loi et le présente ensuite pour première lecture);
• Sénat.
[34] En s’inspirant de ce guide, le demandeur, dans ses observations écrites, a structuré le processus législatif en cinq étapes :
[traduction]
Étape 1 : Élaboration des orientations, y compris la décision d’adopter des lois.
Étape 2 : Après avoir pris la décision d’adopter une loi, le ministère compétent établit une proposition législative et la soumet au Cabinet pour approbation.
Étape 3 : Rédaction du projet de loi : après que le Cabinet a approuvé la proposition législative, celle-ci fait partie du programme législatif du gouvernement, et le ministère compétent établit un mémoire au Cabinet pour demander l’autorisation de rédiger le projet de loi.
Étape 4 : Processus parlementaire : après la rédaction du projet de loi, le Cabinet approuve ce dernier et le dépose au Parlement pour débat et trois lectures au sein de la Chambre des communes et du Sénat.
Étape 5 : La sanction royale donne force de loi au projet de loi, à moins d’une indication contraire.
[35] À la question 230 du contre-interrogatoire du témoin Hubbard, l’un des avocats du demandeur a laissé entendre que, plus on avance dans le processus, plus il devient difficile de changer les recommandations de principe. Dans ses réponses aux questions 237 à 241, M. Hubbard a souscrit à cette thèse :
[traduction]
237 Q. Mais tout ce que je veux savoir est que, si l’on compare les étapes préliminaires aux étapes postérieures, aux étapes postérieures il y a là des mesures qui sont mises en œuvre avec l’approbation et les directives du Cabinet; est-ce exact?
R. Oui.
238 Q. Et pour changer d’orientation à ce stade, il faudrait donc en fait une directive du Cabinet; est-ce exact?
R. Habituellement, oui.
239 Q. Bien. Alors que si nous étions au début du processus, le processus avant qu’il soit soumis à l’approbation du ministre, l’approbation du comité, l’approbation du BCP, l’approbation du Cabinet, des changements peuvent être apportés – sous réserve de l’orientation de principe plus générale qui a été donnée – sans, par exemple, l’approbation du Cabinet.
Me YURKA : À propos d’une politique? De changements à une politique?
Me JANES : Des changements à la politique, qui est…
LE DÉPOSANT : À propos des conseils et des recommandations de principe?
Me JANES :
240 Q. Bien.
R. Tout cela est assez fluide jusqu’à ce qu’il soit approuvé, oui.
241 Q. Bien. Donc, tout ce que je veux dire c’est qu’à mesure que nous progressons vers la conclusion du processus décrit à la pièce 1 avant le dépôt à la Chambre des communes, il faut – pour mettre en œuvre d’importants changements dans l’orientation de principe qui est approuvée, il faut de plus en plus d’approbations. C’est donc dire que, si quelque chose a été approuvé par le Cabinet, les fonctionnaires d’un niveau inférieur ne peuvent pas tout simplement faire abstraction de cette directive parce que, par exemple, ils aimeraient aller dans une direction différente.
R. Une fois que le Cabinet a approuvé quelque chose, la fonction publique suivra l’orientation donnée, oui.
[36] Dans leur plaidoirie, les avocats du demandeur ont fait valoir que, à tout le moins, une obligation de consultation prenait naissance en l’espèce aux deux étapes suivantes du processus législatif : l’élaboration des orientations et l’approbation des orientations par le Cabinet, et que, à tout le moins, l’obligation de consultation pourrait se rattacher à toutes les étapes, jusqu’à l’examen et à l’approbation du ministre parrain. Cela signifie que l’obligation de consultation prendrait naissance avant que le Cabinet donne avis au Parlement, et donc avant le dépôt des projets de loi omnibus au Parlement.
X. LA JURISPRUDENCE RELATIVE AU STADE AUQUEL LA COUR PEUT ORDONNER QUE L’ON INTERVIENNE DANS LE PROCESSUS LÉGISLATIF
[37] Dans l’arrêt Authorson c Canada (Procureur général), [2003] 2 RCS 40, le juge Major, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a énoncé au paragraphe 37 l’une des positions classiques qui ont été adoptées au sujet de l’intervention de la Cour dans le processus législatif :
37 L’intimé a soutenu avoir droit à un préavis et à une audition lui permettant de contester l’adoption du par. 5.1(4) de la Loi sur le ministère des Anciens combattants. Toutefois, un tel droit n’existait pas en 1960 et n’existe toujours pas aujourd’hui. Selon notre longue tradition parlementaire, il est clair que tout ce qu’un citoyen canadien peut exiger, sur le plan procédural, c’est qu’un projet de loi fasse l’objet de trois lectures à la Chambre des communes et au Sénat et qu’il reçoive la sanction royale. Une fois ce processus mené à terme, les mesures législatives prises par le Parlement dans les limites de sa compétence sont inattaquables.
[38] Il se peut toutefois que cette position classique ne s’applique pas lorsqu’il est question de droits ancestraux, qu’ils soient créés par traité ou non, et des responsabilités connexes de la Couronne. Comme l’indique l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 :
35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés. Définition de « peuples autochtones du Canada » (2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada. Note marginale :Accords sur des revendications territoriales (3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis. Note marginale :Égalité de garantie des droits pour les deux sexes (4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes. |
35. (1) The existing aboriginal and treaty rights of the aboriginal peoples of Canada are hereby recognized and affirmed. (2) In this Act, “aboriginal peoples of Canada” includes the Indian, Inuit and Métis peoples of Canada.
(3) For greater certainty, in subsection (1) “treaty rights” includes rights that now exist by way of land claims agreements or may be so acquired. (4) Notwithstanding any other provision of this Act, the aboriginal and treaty rights referred to in subsection (1) are guaranteed equally to male and female persons. |
[39] La Cour suprême du Canada a conclu que le principe constitutionnel de l’honneur de la Couronne guide l’interprétation téléologique de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et donne naissance à l’obligation constitutionnelle de consultation – obligatoire et exécutoire – dans les cas où une mesure de la Couronne est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication ou un droit autochtone dont la Couronne a une connaissance réelle ou présumée (Manitoba Metis Federation Inc c Canada (Procureur général), [2013] 1 RCS 623, aux paragraphes 66 et 73; R c Kapp, [2008] 2 RCS 483, au paragraphe 6; Rio Tinto Alcan Inc c Conseil tribal Carrier Sekani, [2010] 2 RCS 103, aux paragraphes 31, 51 et 63; Beckman c Première Nation de Little Salmon/Carmacks, [2010] 3 RCS 103, au paragraphe 42).
[40] C’est donc dire que la question de savoir si les tribunaux doivent intervenir dans le processus législatif sans bouleverser l’ordre de gouvernement constitutionnel du Canada se trouve liée à l’obligation de consultation constitutionnelle.
[41] Dans l’arrêt Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 RCS 511, la Cour suprême du Canada a statué qu’il existait une obligation de consultation, même en l’absence d’un traité, quand il était question d’une revendication territoriale, auquel cas la Cour pouvait intervenir, s’il y avait lieu. Dans cette affaire, l’obligation avait pris naissance à l’étape de la planification stratégique touchant l’utilisation de la ressource en cause. La juge en chef a écrit, au paragraphe 76 :
76 J’estime que, lorsqu’elle prend des décisions concernant les CFF, la province est tenue à une obligation de consultation, et peut‑être à une obligation d’accommodement. La décision rendue à l’égard d’une CFF reflète la planification stratégique touchant l’utilisation de la ressource en cause. Les décisions prises durant la planification stratégique risquent d’avoir des conséquences graves sur un droit ou titre ancestral. Tous les cinq ans, le titulaire de la CFF 39 doit présenter au chef des services forestiers un plan d’aménagement comprenant l’inventaire des ressources du secteur visé par la concession, une analyse des approvisionnements en bois d’œuvre et un « plan de 20 ans » présentant une séquence hypothétique de blocs de coupe. C’est à partir de l’inventaire et de l’analyse des approvisionnements en bois d’œuvre qu’est fixée la possibilité annuelle de coupe (« PAC ») pour la concession. Ainsi, le titulaire de la concession établit les renseignements techniques servant à calculer la PAC. La tenue de consultations au niveau de l’exploitation a donc peu d’incidence sur le volume fixé dans la PAC, qui, à son tour, détermine les modalités du permis de coupe. Pour que les consultations soient utiles, elles doivent avoir lieu à l’étape de l’octroi ou du renouvellement de la CFF.
[42] Dans l’arrêt Première Nation crie Mikisew c Canada, [2005] 3 RCS 388, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de l’obligation de consultation dans le contexte d’un traité. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Binnie a écrit que cette obligation se déclencherait à des stades variables et qu’on pourrait l’exercer de diverses façons, comme le simple fait d’aviser les intéressés :
34 Dans le cas d’un traité, la Couronne, en tant que partie, a toujours connaissance de son contenu. La question dans chaque cas consiste donc à déterminer la mesure dans laquelle les dispositions envisagées par la Couronne auraient un effet préjudiciable sur ces droits de manière à rendre applicable l’obligation de consulter. Le critère retenu dans les arrêts Nation Haïda et Taku River est peu rigoureux. La souplesse ne réside pas tant dans le fait que l’obligation devient applicable (on envisage des mesures « susceptibles d’avoir un effet préjudiciable » sur un droit) que dans le contenu variable de l’obligation une fois que celle‑ci s’applique. Au minimum, « les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis » (Nation Haïda, par. 43). Les Mikisew affirment que l’on n’a pas respecté même le contenu minimum de l’obligation en l’espèce.
[…]
55 Le traité accorde à la Couronne un droit de « prendre » des terres cédées à des fins de transport régional, mais elle n’en est pas moins tenue de s’informer de l’effet qu’aura son projet sur l’exercice par les Mikisew de leurs droits de chasse et de piégeage, et de leur communiquer ses constatations. La Couronne doit alors s’efforcer de traiter avec les Mikisew « de bonne foi, dans l’intention de tenir compte réellement » de leurs préoccupations (Delgamuukw, par. 168). Cela ne signifie pas que le gouvernement doit consulter toutes les premières nations signataires du Traité no 8 chaque fois qu’il se propose de faire quelque chose sur les terres cédées visées par ce traité, même si l’effet est peu probable ou peu important. L’obligation de consultation, comme il est précisé dans l’arrêt Nation Haïda, est vite déclenchée, mais l’effet préjudiciable, comme l’étendue de l’obligation de la Couronne, est une question de degré. En l’espèce, les effets étaient clairs, démontrés et manifestement préjudiciables à l’exercice ininterrompu des droits de chasse et de piégeage des Mikisew sur les terres en question.
[43] Par conséquent, dans les cas où l’obligation est déclenchée et où il y a eu manquement à cette dernière, la Cour pourrait vraisemblablement intervenir en vue de faire respecter cette obligation ou de faire des déclarations quant à cette dernière. Au paragraphe 59 de l’arrêt Mikisew, le juge Binnie a écrit que la Cour pourrait ordonner une mesure de réparation pour manquement à l’obligation de consultation sans entreprendre une analyse de justification fondée sur l’arrêt R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075 :
Dans les cas où, comme en l’espèce, la Cour est en présence d’une « prise » projetée, il n’est pas indiqué (même si on a conclu que la mesure envisagée, si elle était mise en œuvre, porterait atteinte aux droits de chasse et de piégeage issus du traité) de passer directement à une analyse fondée sur l’arrêt Sparrow. La Cour doit d’abord examiner le processus selon lequel la « prise » doit se faire, et se demander si ce processus est compatible avec l’honneur de la Couronne. Dans la négative, la première nation peut obtenir l’annulation de l’ordonnance de la ministre en se fondant sur le motif relatif au processus, peu importe que les faits de l’affaire justifient par ailleurs une conclusion que les droits de chasse, de pêche et de piégeage ont été violés.
[44] La question est de savoir si la Cour devrait conclure qu’une obligation de consultation prend naissance à un stade quelconque au cours du processus législatif susmentionné. Il s’agit là d’une question que la Cour d’appel de l’Alberta a analysée dans l’arrêt R c Lefthand, 2007 ABCA 206, 77 Alta LR (4th) 203, où le juge Slatter, au nom de la Cour, a écrit ceci, aux paragraphes 37 à 39 :
[traduction]
37 La teneur exacte de l’obligation de consultation en est à un stade embryonnaire, et l’on s’affaire encore à lui donner forme sur les enclumes de la justice. Les trois principaux arrêts sur l’obligation de consultation sont Nation haïda, Taku River et Première Nation crie Mikisew. Tous ont trait à une contestation d’actes administratifs (par opposition à législatifs) ayant une incidence sur des droits autochtones : c.-à-d. des travaux de construction routière ou des permis d’exploitation forestière. Il s’agit dans tous les cas d’affaires de « prise de terres », c’est-à-dire des affaires dans lesquelles une décision gouvernementale se solderait par l’exploitation ou l’occupation de terres antérieurement inoccupées, ce qui aurait pour effet de retirer de façon permanente ces terres d’une région visée par un traité ou une revendication territoriale, ou de changer de façon permanente les terres se trouvant dans la région. Dans les affaires de cette nature, l’obligation de consultation se situe à son point culminant. Il a aussi été reconnu que la consultation est l’un des facteurs qu’il faut prendre en considération dans d’autres contextes, par exemple dans l’analyse de « justification » à laquelle il est nécessaire de procéder en cas de manquement à des droits autochtones (ci-dessous, au paragraphe 139).
38 Il va sans dire que l’obligation de consultation est une obligation de consulter collectivement; l’obligation de consulter une personne quelconque n’existe pas. Cependant, il ne peut y avoir aucune obligation de consultation avant l’adoption d’une loi, même dans les cas où des droits autochtones seront touchés : Authorson c Canada (Procureur général), [2003] 2 RCS 40. On ne saurait prétendre que le droit qu’a le Parlement de modifier la Loi sur les Indiens est soumis à des limites quelconques. On s’ingérerait de manière injustifiée dans le bon fonctionnement de la Chambre des communes et des assemblées législatives provinciales si l’on exigeait qu’elles entreprennent un processus particulier avant d’adopter une loi. Il en va autant de l’adoption des règlements et des décrets par les conseils exécutifs compétents. Les textes législatifs survivent ou succombent selon qu’ils sont conformes ou non à la Constitution, et non pas à cause des processus qui ont servi à les adopter. Une fois qu’un texte législatif est en place, la consultation n’entre en ligne de compte que si l’on tente de justifier un manquement prima facie à un droit autochtone : Première Nation crie Mikisew, au paragraphe 59 [non souligné dans l’original].
39 Au-delà de l’adoption des lois et des règlements, la question devient plus vague. Les tribunaux administratifs sont souvent soumis à une obligation de consultation dans les cas où leurs ordonnances se répercuteront sur des droits autochtones. Il peut aussi y avoir une telle obligation chez les groupes d’études que forment les gouvernements pour faire rapport sur des sujets qui peuvent avoir une incidence sur des droits autochtones. Par exemple, dans le cas présent, l’Eastern Slopes Regulation Review Committee a été constitué en 1997 pour prendre des règlements concernant le secteur des pêches visé par le Traité no 7. Si l’on prévoit qu’un tel groupe d’étude recommandera peut-être d’apporter des modifications à un régime réglementaire, il est généralement utile de tenir une consultation. Mais cela ne veut pas dire que l’organisme législatif est tenu de consulter de nouveau les groupes autochtones s’il décide de ne pas suivre toutes les recommandations du Comité. Le droit d’être consulté n’est pas un droit de veto : Nation haïda, au paragraphe 48. L’obligation de consultation n’a pas d’incidence sur l’intégrité des méthodes classiques d’adoption des lois et des règlements.
[45] La Cour suprême du Canada a traité de la décision Lefthand dans l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc c Conseil tribal Carrier Sekani, [2010] 2 RCS 650. La juge en chef, écrivant au nom de la Cour, a jugé préférable que l’on attende une autre occasion pour examiner la question de savoir si une mesure gouvernementale s’entend également d’une mesure législative. Aux paragraphes 43 et 44, elle a écrit :
43 Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir quelle mesure oblige le gouvernement à consulter. Il a été établi que cette mesure ne s’entend pas uniquement de l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi : Huu‑Ay‑Aht First Nation c. British Columbia (Minister of Forests), 2005 BCSC 697, [2005] 3 C.N.L.R. 74, par. 94 et 104; Wii’litswx c. British Columbia (Minister of Forests), 2008 BCSC 1139, [2008] 4 C.N.L.R. 315, par. 11‑15. Cette conclusion s’inscrit dans l’approche généreuse et téléologique que commande l’obligation de consulter.
44 En outre, une mesure gouvernementale ne s’entend pas uniquement d’une décision ou d’un acte qui a un effet immédiat sur des terres et des ressources. Un simple risque d’effet préjudiciable suffit. Ainsi, l’obligation de consulter naît aussi d’une [traduction] « décision stratégique prise en haut lieu » qui est susceptible d’avoir un effet sur des revendications autochtones et des droits ancestraux (Woodward, p. 5‑41 (italiques omis)). Mentionnons quelques exemples : la cession de concessions de ferme forestière qui auraient permis l’abattage d’arbres dans de vieilles forêts (Nation Haïda), l’approbation d’un plan pluriannuel de gestion forestière visant un vaste secteur géographique (Khaloose First Nation c. Sunshine Coast Forest District (District Manager), 2008 BCSC 1642, [2009] 1 C.N.L.R. 110), la création d’un processus d’examen relativement à un gazoduc important (Première nation Dene Tha’ c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354 (CanLII), conf. par 2008 CAF 20 (CanLII)), et l’examen approfondi des besoins d’infrastructure et de capacité de transport d’électricité d’une province (An Inquiry into British Columbia’s Electricity Transmission Infrastructure & Capacity Needs for the Next 30 Years, Re, 2009 CarswellBC 3637 (B.C.U.C.)). La question de savoir si une mesure gouvernementale s’entend aussi d’une mesure législative devra être tranchée dans une affaire ultérieure : voir R. c. Lefthand, 2007 ABCA 206, 77 Alta. L.R. (4th) 203, par. 37‑40.
[46] S’exprimant au nom de la Cour d’appel du Yukon dans l’arrêt Ross River Dena Council c Government of Yukon, 2012 YKCA 14, 358 DLR (4th) 100, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée : [2013] CSCR no 106, le juge Groberman a fait des commentaires sur cette partie de l’arrêt Rio Tinto. Dans l’affaire Ross River Dena Council, il était question de savoir si le gouvernement du Yukon avait une obligation de consultation dans les cas où, conformément à la Loi sur l’extraction du quartz, LY 2003, c 14, il autorisait l’enregistrement de claims miniers sur des terres à l’égard desquelles le demandeur revendiquait un titre et des droits ancestraux. Une personne qui a acquis des droits miniers sous le régime de la Loi sur l’extraction du quartz peut revendiquer et exécuter certaines activités d’exploration sur les terres en question sans en demander l’autorisation au gouvernement du Yukon ou sans en aviser ce dernier. En concluant qu’il existait une obligation de consultation, la Cour d’appel du Yukon a fait une distinction entre le pouvoir qu’avait la Cour de conclure qu’un régime législatif existant était lacunaire parce qu’il n’autorisait pas la prise de mesures d’accommodement et de consultation et sa réticence quant au fait d’imposer des exigences de consultation procédurales à l’Assemblée législative lors de la rédaction et du dépôt d’un projet de loi :
[traduction]
37 L’obligation de consultation a pour objet de veiller à ce que la Couronne ne gère pas ses ressources en faisant abstraction des revendications autochtones. Il s’agit d’un mécanisme qui permet de concilier les revendications des Premières Nations avec le droit de la Couronne de gérer les ressources. Les régimes législatifs qui ne permettent pas de tenir des consultations et qui ne prévoient aucun autre moyen tout aussi efficace pour prendre acte des revendications autochtones et d’en tenir compte sont lacunaires et ne sauraient être autorisés à subsister.
38 Le principe de l’honneur de la Couronne exige que celle‑ci prenne en compte les revendications autochtones avant de se départir d’un contrôle exercé sur des terres. Ceci est loin de répondre à la revendication du demandeur en l’espèce, mais on peut dire que le défaut de la Couronne de prévoir un pouvoir discrétionnaire à l’égard de l’enregistrement de claims miniers sous le régime de la Loi sur l’extraction du quartz est la source du problème.
39 Je reconnais que, dans l’arrêt Rio Tinto, la Cour suprême du Canada n’a pas répondu à la question de savoir si une « mesure gouvernementale » s’entend aussi d’une mesure législative. J’interprète toutefois cette réserve de manière restrictive. Il se peut que le principe de la souveraineté du Parlement empêche d’obliger les gouvernements à consulter les Premières Nations avant de déposer un projet de loi (voir Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C‑B), [1991] 2 RCS 525, à la page 563) [non souligné dans l’original]. Cependant, une telle restriction de l’obligation de consultation ne s’appliquerait qu’au dépôt du projet de loi lui-même, et ne saurait justifier l’absence de consultations dans le cadre de l’exécution d’un régime législatif.
40 Donc, selon moi, le juge en chambre a eu raison de conclure que le régime relatif à l’acquisition d’un claim minier en vue de l’extraction de quartz au Yukon est lacunaire en ce sens qu’il ne prévoit aucun mécanisme permettant de consulter les Premières Nations.
[…]
45 Il n’est ni nécessaire ni approprié que la Cour, en l’espèce, précise exactement de quelle façon faire accorder le régime du Yukon avec les exigences des Haïda. Ces exigences elles-mêmes sont souples. Ce qui est exigé est que les consultations soient sérieuses et que le système permette de prendre des mesures d’accommodement, en cas de besoin, avant que l’on porte atteinte à un titre ou à des droits ancestraux revendiqués.
[47] Le déclenchement d’une intervention judiciaire au stade où l’obligation de consultation prend naissance a été clairement établi par la suite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in c Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, 374 DLR (4th) 1. C’est la juge en chef qui a rédigé l’arrêt de la Cour et, au paragraphe 89, elle a écrit ceci, en prenant appui sur l’arrêt Rio Tinto :
[89] Avant que l’existence du titre soit établie par un jugement déclaratoire ou une entente, la Couronne est tenue de consulter de bonne foi les groupes autochtones qui revendiquent le titre sur des terres au sujet de ses projets d’utilisation des terres et, s’il y a lieu, de trouver des accommodements aux intérêts de ces groupes. Le niveau de consultation et d’accommodement requis varie en fonction de la solidité de la revendication du groupe autochtone et de la gravité de l’effet préjudiciable éventuel sur l’intérêt revendiqué. Le manquement par la Couronne à son obligation de consultation peut donner lieu à diverses mesures de réparation, notamment une injonction, des dommages-intérêts ou une ordonnance enjoignant la tenue de consultations ou la prise de mesures d’accommodement : Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, par. 37.
[48] La question qui se pose donc consiste à savoir si la Cour peut intervenir lorsqu’il semble qu’une obligation de consultation prend naissance à un stade du processus législatif qui est antérieur à celui du dépôt d’un projet de loi au Parlement. Dans l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C‑B), à la page 559 du recueil, le juge Sopinka a tracé une ligne de démarcation bien nette en disant que la Cour, sauf peut-être dans les affaires fondées sur la Charte, ne devrait pas imposer au gouvernement un obstacle juridique qui l’obligerait à prendre d’autres mesures procédurales avant le dépôt d’un projet de loi. Voici ce qu’il a écrit, aux pages 559 et 560 du recueil :
La rédaction et le dépôt d’un projet de loi font partie du processus législatif dans lequel les tribunaux ne s’immiscent pas. C’est le cas également de l’exigence purement procédurale que l’on trouve à l’art. 54 de la Loi constitutionnelle de 1867. Cela ne veut toutefois pas dire que cette exigence est inutile; il faut la respecter en légiférant en matière fiscale. Mais il n’appartient pas aux tribunaux judiciaires d’intercaler dans le processus législatif d’autres exigences procédurales. Je ne traiterai pas de la question de l’examen en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés dans le cas d’atteinte possible à un droit garanti.
L’intimé tente de contourner ce principe en invoquant la dichotomie existant entre l’exécutif, d’une part, et le Parlement, d’autre part. Il reconnaît que, sur le plan juridique, rien ne s’oppose à ce que le Parlement légifère, mais il soutient que la théorie de l’expectative légitime vient empêcher le gouvernement de déposer le projet de loi devant le Parlement.
Voilà un argument qui fait abstraction du rôle essentiel que joue l’exécutif dans le processus législatif dont il fait partie intégrante. Le rapport est décrit avec justesse par W. Bagehot dans La Constitution anglaise (1869), à la p. 19 :
Un Cabinet est un comité combiné de telle sorte qu’il sert, comme un trait d’union ou une boucle, à rattacher la partie législative à la partie exécutive du gouvernement.
Le gouvernement parlementaire serait paralysé si la théorie de l’expectative légitime pouvait s’appliquer de manière à empêcher le gouvernement de déposer un projet de loi au Parlement. Des expectatives pourraient naître de déclarations faites au cours d’une campagne électorale. L’activité gouvernementale serait au point mort pendant que la question de l’application et de l’effet de la théorie serait débattue devant les tribunaux. En outre, il est essentiel à notre système de gouvernement qu’un gouvernement ne soit pas lié par les engagements de son prédécesseur. La théorie de l’expectative légitime aurait pour effet d’imposer une restriction à ce trait essentiel de la démocratie. Je fais miens les propos tenus par le juge en chef King de la Cour suprême de l’Australie‑Méridionale, in banco, dans l’affaire West Lakes Ltd. v. South Australia (1980), 25 S.A.S.R. 389, à la p. 390, qui ressemble étonnamment à la présente instance :
[traduction] Les ministres d’État ne sauraient toutefois, au moyen d’obligations contractées pour le compte de l’État, imposer des restrictions à leur propre liberté, à celle de leurs successeurs ou à celle d’autres députés, de proposer, d’étudier et, s’ils le jugent opportun, de voter des lois, fussent‑elles incompatibles avec les obligations contractuelles.
Bien que cet énoncé traite d’obligations contractuelles, il s’appliquerait à plus forte raison aux restrictions découlant de toute autre conduite qui fait naître une expectative légitime.
Toute restriction imposée au pouvoir de l’exécutif de déposer des projets de loi constitue une limitation de la souveraineté du Parlement lui‑même. Cela est particulièrement vrai dans le cas d’une restriction relative au dépôt d’un projet de loi de finances. En effet, aux termes de l’art. 54 de la Loi constitutionnelle de 1867, un tel projet de loi ne peut être déposé qu’à la recommandation du Gouverneur général qui, par convention, agit sur avis du cabinet. Or, si le cabinet est soumis à des restrictions, le Parlement l’est également. L’effet juridique de la mesure que tente de contester l’intimé est sans conséquence pour les obligations existant entre le Canada et la Colombie‑Britannique. La recommandation et le dépôt du projet de loi C‑69 n’ont en soi aucun effet; c’est plutôt par leurs répercussions sur le processus législatif qu’ils touchent ces obligations. C’est donc en réalité le processus législatif qui est attaqué.
[49] Des situations semblables, menant à des résultats semblables, ont été soulevées dans le jugement unanime qu’a rendu l’auteur de l’arrêt Authorson, le juge Major, dans Wells c Terre‑Neuve, [1999] 3 RCS 199; Penikett c Canada, [1987] BCJ no 2543, 45 DLR (4th) 108 (CA), ainsi que dans la décision du juge Strayer dans l’affaire Native Women’s Assn of Canada c Canada, [1993] 1 RCF 171, 57 FTR 115 (1re inst).
[50] Le demandeur a invoqué les arguments suivants pour tenter d’éviter que l’on applique ces précédents à la présente espèce : 1) la Cour suprême du Canada, dans les arrêts Nation Tsilhqot’in c Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, 374 DLR (4th) 1, et Première Nation de Grassy Narrows c Ontario (Ressources naturelles), 2014 CSC 48, 372 DLR (4th) 385, [traduction] « établit, contrairement aux arguments de la Couronne, que l’obligation de consultation s’applique à l’imposition d’une loi » (paragraphe 13 de la réplique du demandeur), 2) les affaires de séparation des pouvoirs qui étaient en litige concernaient des décisions de nature exécutive plutôt que législative, et 3) la plupart de ces décisions avaient trait à des droits reconnus par la common law et aucune d’elles ne concernait l’obligation constitutionnelle de consulter.
[51] Pour ce qui est du premier argument du demandeur, je conclus qu’aucun des deux arrêts n’étaye la thèse voulant que la conduite en litige constitue une mesure de la Couronne qui est susceptible de mener au déclenchement de l’obligation de consultation. Le paragraphe 77 de l’arrêt Nation Tsilhqot’in traite explicitement du fardeau qu’a le gouvernement de montrer qu’il s’est acquitté de son obligation procédurale de consultation et d’accommodement dans le cadre de l’application, par la Cour, du critère de justification fondé sur l’arrêt R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075, dans le contexte d’un titre ancestral, et non d’un examen indépendant sur l’obligation de consultation. L’arrêt Grassy Narrows confirme cette application du critère de la justification dans le contexte d’un traité et décrète également que le gouvernement ontarien a l’obligation de consulter chaque fois qu’il entend prendre des terres visées par le Traité no 3, en vue d’exécuter un projet qui relève de sa compétence (paragraphe 52); rien n’est dit dans ce jugement quant au fait de savoir si la Couronne doit procéder à des consultations pendant l’établissement d’un projet de loi. Il reste encore à la Cour suprême du Canada à reconsidérer la question qu’elle a remise à une autre occasion dans l’arrêt Rio Tinto, soit de savoir si une décision législative constitue une mesure de la Couronne qui est susceptible de déclencher une obligation de consultation.
[52] De plus, la jurisprudence actuelle de la Cour suprême du Canada étaye la thèse selon laquelle les tribunaux devraient s’abstenir de conclure que le processus législatif qui est en litige en l’espèce constitue une mesure de la Couronne susceptible de donner lieu à une obligation de consultation qui permettrait à la Cour d’intervenir dans ce processus. Au paragraphe 51 de l’arrêt Nation haïda, la juge en chef a déclaré :
51 Il est loisible aux gouvernements de mettre en place des régimes de réglementation fixant les exigences procédurales applicables aux différents problèmes survenant à différentes étapes, et ainsi de renforcer le processus de conciliation et réduire le recours aux tribunaux. Comme il a été mentionné dans R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101, par. 54, le gouvernement « ne peut pas se contenter d’établir un régime administratif fondé sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire non structuré et qui, en l’absence d’indications explicites, risque de porter atteinte aux droits ancestraux dans un nombre considérable de cas ». Il convient de souligner que, depuis octobre 2002, la Colombie‑Britannique dispose d’une politique provinciale de consultation des Premières nations établissant les modalités d’application des lignes directrices opérationnelles des ministères et organismes provinciaux. Même si elle ne constitue pas un régime de réglementation, une telle politique peut néanmoins prévenir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire non structuré et servir de guide aux décideurs.
[53] Aux paragraphes 55 à 58 de l’arrêt Rio Tinto, la juge en chef a confirmé le paragraphe 51 de l’arrêt Nation haïda en incluant expressément la branche législative du gouvernement dans le principe selon lequel les tribunaux s’en remettent aux gouvernements pour établir un régime réglementaire permettant de s’acquitter de l’obligation de consultation :
55 L’obligation du tribunal administratif de se pencher sur la consultation et sur la portée de celle‑ci dépend de la mission que lui confie sa loi constitutive. Un tribunal administratif doit s’en tenir à l’exercice des pouvoirs que lui confère sa loi habilitante : R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765. Il s’ensuit que le rôle d’un tribunal administratif en ce qui a trait à la consultation tient à ses obligations et à ses attributions légales.
56 Le législateur peut décider de lui déléguer l’obligation de la Couronne de consulter. Comme le signale la Cour dans l’arrêt Nation Haïda, il est loisible aux gouvernements de mettre en place des régimes de réglementation fixant les exigences procédurales de la consultation aux différentes étapes du processus décisionnel relatif à une ressource.
57 Sinon, il peut lui confier le seul pouvoir de décider si une consultation adéquate a eu lieu, l’exercice de ce pouvoir faisant dès lors partie de son processus décisionnel. En pareil cas, le tribunal administratif ne participe pas à la consultation. Il s’assure plutôt que la Couronne s’est acquittée de son obligation de consulter une Première nation en particulier sur un éventuel effet préjudiciable de la décision en cause sur ses droits ancestraux.
58 Le tribunal administratif appelé à examiner une question ayant trait à une ressource et ayant une incidence sur des intérêts autochtones peut n’avoir ni l’une ni l’autre de ces obligations, n’avoir que l’une d’elles ou avoir les deux, selon les attributions que lui confère le législateur. Tant son pouvoir légal d’examiner une question de droit que celui d’accorder réparation sont pertinents pour circonscrire sa compétence : Conway. Ils sont donc aussi pertinents pour déterminer si un tribunal administratif particulier est tenu d’effectuer une consultation ou de se pencher sur la consultation, ou s’il n’a aucune obligation en la matière.
[54] La Cour suprême du Canada n’a pas mentionné le principe de la séparation des pouvoirs dans ce raisonnement, mais j’interprète ces passages comme constituant une tentative de la Cour suprême du Canada pour mettre en équilibre le principe de la séparation des pouvoirs et l’obligation de consultation. Les tribunaux n’interviendront pas pour prescrire un régime réglementaire particulier que le Parlement imposera à la Couronne, car c’est le Parlement qui est le mieux placé pour faire le choix de politique de créer la procédure qu’appliquera la Couronne dans le cadre de l’exécution de l’obligation de consultation.
[55] Cela a pour effet d’éviter de déclencher l’obligation de consultation à l’égard de l’établissement des dispositions législatives qui ont entraîné des modifications de nature procédurale aux Lois. Ces dispositions comprennent les suivantes :
• Les articles 4.1 et 4.2 de la Loi sur les pêches et les articles 32 à 37 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Il s’agit là de dispositions qui pourraient amener à transférer des responsabilités fédérales à la Couronne provinciale. Ils reflètent le choix du Parlement de créer la possibilité que la Couronne transfère son obligation de consultation à l’échelon provincial. La Cour se doit de respecter ce choix.
• Les Mikisew ont évoqué le fait que le paragraphe 28(5) de la Loi sur la protection de la navigation réduit les possibilités de participation du public et de consultation des peuples autochtones. Cependant, de l’aveu même des Mikisew, le paragraphe 5(6) et l’article 7 laissent à la discrétion du ministre la possibilité de prendre des mesures garantissant que les promoteurs d’un projet ont avisé le public.
• Les Mikisew ont évoqué une préoccupation semblable à propos de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), qui restreint la participation du public, aux termes de l’alinéa 43(1)c), uniquement à une « partie intéressée », définie à l’alinéa 2(2)b). Ils invoquent également l’alinéa 9c) et les articles 27 et 38 qui, par l’imposition de délais dans tout le processus, sont susceptibles de limiter les possibilités de consultation. Cependant, sur ce point, je conviens avec le défendeur qu’il est prématuré pour la Cour de conjecturer sur un processus que le Parlement a décidé de changer avant que la qualité de ce processus devienne évidente. Il nous reste encore à voir comment ces procédures se dérouleront de pair avec les lignes directrices en matière de consultation actuellement en vigueur qui ont déjà été mentionnées.
• Les Mikisew s’élèvent également contre la suppression, par les articles 58.301 et 111 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985, c N-7, des lignes de transport d’électricité et des pipelines de la définition du mot « ouvrage » que l’on trouve dans la Loi sur la protection de la navigation pour les besoins de l’obligation d’obtenir une autorisation. La Cour ne devrait toutefois pas considérer ces dispositions isolément. Une lecture de l’article 58.301 avec l’article 58.302 et de l’article 111 avec l’article 111.1 montre que ces dispositions transfèrent le pouvoir de réglementation des pipelines et des lignes de transport d’électricité au gouverneur en conseil, en vertu du pouvoir de réglementation que confèrent les paragraphes 58.302(1) et 111.1(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie. En fait, si, dans le passé, le ministre des Transports avait compétence en vertu de la Loi sur la protection de la navigation pour approuver des ouvrages, aujourd’hui le ministre compétent aux termes de la Loi sur l’Office national de l’énergie et le ministre des Transports peuvent recommander conjointement au gouverneur en conseil de prendre des règlements sur les ouvrages qui passent dans, sur ou sous des eaux navigables ou au-dessus de celles-ci en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Il n’appartient pas à la Cour d’intervenir ici pour donner au Parlement des directives au sujet de la loi dans le cadre de laquelle le gouvernement fédéral réglemente les pipelines et les lignes de transport d’électricité qui pourraient avoir une incidence sur des eaux navigables.
• Un raisonnement semblable s’applique au paragraphe 77(1.1) de la Loi sur les espèces en péril, qui dispense les certificats de commodité et de nécessité publiques délivrés par l’Office national de l’énergie à la suite d’une instruction du gouverneur en conseil en vertu de l’alinéa 54(1)a) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, de l’application du paragraphe 77(1) de la Loi sur les espèces en péril. Cependant, l’Office ne formule une recommandation à l’intention du ministre compétent qu’en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, et l’alinéa 52(2)e) exige que l’Office tienne compte des « conséquences sur l’intérêt public que peut, à son avis, avoir la délivrance du certificat ou le rejet de la demande ». Par ailleurs, le gouverneur en conseil peut renvoyer la recommandation à l’Office en vue d’un nouvel examen. Comme dans le cas de la Loi sur la protection de la navigation, cette mesure reflète un choix de politique fait par le Parlement pour réserver les décisions relatives aux certificats de commodité publique à l’Office national de l’énergie, au ministre compétent et au gouverneur en conseil sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie.
[56] Je traite des dispositions qui amoindrissent censément la protection de l’environnement dans l’analyse que je fais plus loin sur le troisième volet du critère relatif au déclenchement de l’obligation.
[57] Pour ce qui est de son deuxième argument, le demandeur fait valoir qu’il ne cherche pas à limiter la capacité du Parlement de rédiger et de déposer un projet de loi au Parlement, mais plutôt l’élaboration, par la branche exécutive, des politiques qui sous-tendent les projets de loi aux premiers stades du processus législatif. C’est donc dire qu’imposer une restriction au rôle d’élaboration de politiques de la branche exécutive n’imposerait pas de limites au Parlement même.
[58] Le demandeur tente de concilier cette thèse avec les arrêts Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C‑B) et Criminal Lawyers’ Association of Ontario. Pour ce qui est du premier des deux, le demandeur fait valoir que l’affirmation du juge Sopinka selon laquelle « [l]a rédaction et le dépôt d’un projet de loi font partie du processus législatif dans lequel les tribunaux ne s’immiscent pas » ne s’applique pas à la présente affaire, car le juge Sopinka n’a pas catégorisé explicitement le travail d’élaboration de politiques qui sous-tend la rédaction et le dépôt d’un projet de loi comme faisant partie de ce processus (page 559 du recueil). Par conséquent, selon l’argument du demandeur, l’obligation de consultation peut se rattacher à l’étape de l’élaboration de politiques qui sous-tend les projets de loi budgétaires omnibus, puisque la mesure n’est devenue législative qu’une fois que la rédaction des projets de loi a eu lieu.
[59] À l’appui de cette interprétation de l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C‑B), le demandeur se fonde sur le jugement unanime du juge Mahoney dans l’affaire Native Women’s Association of Canada c Canada [1992] ACF no 715, 95 DLR (4th) 106 (CA), dans lequel l’expression « rédaction et dépôt d’un projet de loi », selon la Cour d’appel fédérale, « ne désigne pas l'élaboration d'une politique, un processus politique, mais le geste, postérieur au choix de la politique, nécessaire à la mise en œuvre d'une loi » (paragraphe 41). Dans cette affaire, le différend résultait des discussions constitutionnelles qui avaient mené à l’Accord de Charlottetown, et la demanderesse faisait valoir que le gouvernement du Canada avait porté atteinte aux droits que lui conféraient l’alinéa 2b) et l’article 15 de la Charte, de même qu’aux droits que lui accordait le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, en omettant de lui procurer une aide financière et des chances égales pour prendre part aux discussions constitutionnelles, comme il le faisait pour des groupes autochtones qui, censément, étaient à prédominance masculine. La Cour d’appel fédérale a déclaré que le gouvernement du Canada restreignait la liberté d’expression des femmes autochtones d’une manière qui portait atteinte à l’alinéa 2b) et à l’article 28 de la Charte.
[60] Dans ses observations écrites, le demandeur signale que, dans l’arrêt Association des femmes autochtones du Canada c Canada, [1994] 3 RCS 627, la Cour suprême du Canada a infirmé le jugement du juge Mahoney pour d’autres motifs. En fait, s’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Sopinka n’a pas tiré de conclusions explicites au sujet de la manière dont le juge Mahoney avait interprété l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C‑B).
[61] Pourtant, en infirmant la conclusion du juge Mahoney sur l’alinéa 2b) de la Charte, le juge Sopinka a invoqué les motifs suivants :
54 Bien qu’il faille être prudent lorsque l’on se reporte à la doctrine et à la jurisprudence américaines sur le Premier Amendement qui contient la version américaine de la liberté d’expression, je trouve pertinentes les observations du juge O’Connor de la Cour suprême des États‑Unis dans l’arrêt Minnesota State Board for Community Colleges, précité, à la p. 285:
[traduction] Le gouvernement prend tellement de décisions de principe qui touchent tellement de personnes que cela risquerait de l’immobiliser si l’établissement de politiques était restreint par des exigences constitutionnelles quant aux personnes qui doivent avoir voix au chapitre. « Il doit y avoir une limite aux interventions des particuliers dans les questions de ce genre si on veut que le gouvernement poursuive ses activités. » [Référence omise.] En l’absence de restrictions légales, l’État doit être libre de consulter qui il veut.
[…]
55 Et elle ajoute, à la p. 287 :
[traduction] Lorsque le gouvernement établit une politique générale, la Constitution ne l’oblige pas à écouter plus que le grand public une catégorie de personnes particulièrement touchées.
56 Quant à l’argument voulant que permettre la participation d’un certain groupe tout en n’accordant pas la même tribune à un autre groupe, c’est donner une voix amplifiée au premier groupe, le juge O’Connor fait remarquer ceci, à la p. 288:
[traduction] L’amplification dont on parle est inhérente à la liberté du gouvernement de choisir ses conseillers. Il n’y a pas violation du droit d’une personne de s’exprimer lorsque le gouvernement ne fait qu’ignorer cette personne et en écouter d’autres.
57 Par conséquent, quoiqu’il puisse être vrai que le gouvernement ne peut pas fournir un mode particulier d’expression qui est discriminatoire à l’égard d’un groupe, on ne peut pas dire que, dès qu’il consulte un ou des organismes censés représenter le point de vue des hommes ou celui des femmes, il doit automatiquement consulter des groupes représentant le point de vue contraire. Il sera extrêmement rare que la tribune ou le financement offerts à un seul ou à plusieurs organismes auront pour effet de supprimer la liberté de parole d’autrui.
[62] L’extrait de l’arrêt Community Colleges que cite le juge Sopinka fait écho au jugement que ce dernier a rendu dans l’affaire Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C‑B), et que je réitère ici : « [l]e gouvernement parlementaire serait paralysé si la théorie de l’expectative légitime pouvait s’appliquer de manière à empêcher le gouvernement de déposer un projet de loi au Parlement. […] L’activité gouvernementale serait au point mort pendant que la question de l’application et de l’effet de la théorie serait débattue devant les tribunaux » (page 559). Cet extrait de l’arrêt Community Colleges amène à douter de l’interprétation que fait le juge Mahoney des mots « rédaction et dépôt d’un projet de loi », qui, selon lui, excluraient la décision de principe d’entreprendre ce processus. Je ne me considère donc pas lié par la manière dont le juge Mahoney a interprété sur ce point l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C‑B).
[63] De plus, l’arrêt Criminal Lawyers’ Association of Ontario a aplani tous les doutes que peut susciter le fait de savoir si le travail d’élaboration de politiques qui sous-tend un projet de loi faisait partie du processus législatif en décrétant :
28 […] Le pouvoir législatif fait des choix politiques, adopte des lois et tient les cordons de la bourse de l’État, car lui seul peut autoriser l’affectation de fonds publics. L’exécutif met en œuvre et administre ces choix politiques et ces lois par le recours à une fonction publique compétente. Le judiciaire assure la primauté du droit en interprétant et en appliquant ces lois dans le cadre de renvois et de litiges sur lesquels il statue de manière indépendante et impartiale, et il défend les libertés fondamentales garanties par la Charte. [Non souligné dans l’original.]
[64] À l’audience, le demandeur a tenté de distinguer cet énoncé de la présente affaire, puisque la Cour n’a pas dit explicitement si les « choix politiques » incluaient ou non l’élaboration, par l’exécutif, de politiques. Je conviens avec le défendeur que cet argument est exactement le genre de tentative formaliste faite pour qualifier une décision législative d’exécutive parce c’est un ministre de la Couronne qui prend cette décision que le juge Sopinka a relevée dans l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C‑B) (aux pages 559 et 560) :
Voilà un argument qui fait abstraction du rôle essentiel que joue l’exécutif dans le processus législatif dont il fait partie intégrante. […] Toute restriction imposée au pouvoir de l’exécutif de déposer des projets de loi constitue une limitation de la souveraineté du Parlement lui‑même. […] Or, si le cabinet est soumis à des restrictions, le Parlement l’est également. […] La recommandation et le dépôt du projet de loi C‑69 n’ont en soi aucun effet; c’est plutôt par leurs répercussions sur le processus législatif qu’ils touchent ces obligations. C’est donc en réalité le processus législatif qui est attaqué.
[65] Compte tenu de l’arrêt Criminal Lawyers’ Association of Ontario, ce principe s’applique lui aussi aux choix de politique : une restriction imposée au choix de politique que fait l’exécutif de rédiger et un projet de loi et de le déposer au Parlement est une restriction imposée à la souveraineté du Parlement même.
[66] En l’espèce, les ministres ont fait une série de choix de politique menant à la création d’un projet de loi à soumettre au Cabinet qui se sont soldés par la rédaction des projets de loi omnibus et leur dépôt au Parlement. C’est donc dire que les ministres ont agi en leur capacité législative de prendre des décisions qui étaient de nature législative.
[67] Pour ce qui est de la troisième tentative du demandeur pour distinguer ces précédents de la présente affaire, au motif qu’il y était question de droits reconnus en common law, et non de l’obligation de consultation constitutionnelle, je conviens avec le défendeur que, bien que ces décisions ne se situent pas dans le contexte du droit des Autochtones, elles illustrent les efforts qu’ont faits les tribunaux pour faire une distinction entre les rôles constitutionnels que jouent les branches législative, exécutive et judiciaire du gouvernement dans le but de s’assurer qu’aucune de ces branches ne s’immisce indûment dans le fonctionnement d’une autre. En fait, l’effet pratique de l’intervention de la Cour, après avoir conclu à l’existence d’une obligation de consultation dans le processus législatif, serait le même qu’une conclusion selon laquelle la doctrine de common law des attentes légitimes s’applique à la même chose : les deux imposeraient des restrictions procédurales au Parlement et pourraient donc bloquer les activités du gouvernement.
[68] Le défendeur a démontré que le demandeur se fondait de manière problématique sur les lignes directrices concernant le processus législatif qui ont été mentionnées plus tôt pour exposer quelles étapes de ce processus donneraient lieu à l’obligation de consultation et lesquelles ne le feraient pas. Le défendeur a fait remarquer que ce processus est intégré et que le gouvernement ne l’entreprend pas toujours de manière linéaire. De plus, comme les lignes directrices découlent d’une directive du Cabinet et ne constituent pas une promesse sur laquelle une tierce partie se fonder, le Cabinet peut changer sa procédure en tout temps et n’a pas besoin de consulter qui que ce soit sur de tels changements. Je suis d’accord, et j’ajoute que, si la Cour prescrivait à la Couronne à quelles étapes du processus législatif elle doit consulter les Autochtones cela aurait pour effet de restreindre un processus pour lequel le gouvernement a besoin de souplesse s’il veut s’acquitter de ses obligations.
[69] Dans ce contexte, je réitère ici l’analyse que font la juge en chef McLachlin et la juge Karakatsanis au sujet du principe de l’honneur de la Couronne, au paragraphe 72 du jugement qu’elles ont rendu au nom des juges majoritaires dans l’affaire Manitoba Metis Federation :
72 […] L’honneur de la Couronne ne saurait être engagé par une obligation constitutionnelle ayant simplement une grande importance pour les peuples autochtones. Il ne saurait non plus être engagé par une obligation constitutionnelle de la Couronne à l’égard d’un groupe composé partiellement d’Autochtones. Les Autochtones font partie du Canada et ne jouissent pas d’un statut particulier pour ce qui est des obligations constitutionnelles imposées à l’égard de l’ensemble des Canadiens. Cependant, l’obligation constitutionnelle qui vise explicitement un groupe autochtone s’appuie sur la « relation spéciale » de ce groupe avec la Couronne : Little Salmon, par. 62.
[70] La question revient donc à savoir s’il existe un droit ancestral ou issu de traités quelconque ou, subsidiairement, s’il existe un droit, un droit issu de traités ou une obligation de la Couronne quelconque qui créerait une relation spéciale entre les Mikisew et la Couronne et qui obligerait cette dernière à s’écarter du principe établi de longue date qu’est la séparation des pouvoirs dans le contexte législatif.
[71] En l’espèce, il n’y a pas de litige concernant un titre foncier, une revendication territoriale ou une prise de terres. Pour ce qui est de la nature de l’obligation de consultation dans le contexte du Traité no 8, le juge Binnie a conclu, au paragraphe 57 de l’arrêt Mikisew, que « le Traité no 8 est à l’origine des droits de nature procédurale des Mikisew (p. ex. la consultation) ainsi que de leurs droits substantiels (p. ex. les droits de chasse, de pêche et de piégeage) ». Cependant, même en tenant compte du principe de l’interprétation des traités qu’a énoncé le juge Cory, au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt R c Badger, [1996] 1 RCS 771, au paragraphe 41, à savoir que « toute ambiguïté dans le texte du traité ou du document en cause doit profiter aux Indiens », il n’existe dans le Traité no 8 aucune disposition spéciale qui qualifie le processus législatif de mesures de la Couronne qui permettraient aux Mikisew, en priorité sur les autres Canadiens, d’intervenir dans le processus législatif avant qu’un projet de loi puisse, censément, empiéter sur les droits de pêche et de piégeage qui leur ont été conférés par traité. Cela ne veut pas dire que toutes les mesures législatives ne constitueront pas, de manière automatique, une mesure de la Couronne pour les besoins du déclenchement d’une obligation de consultation. Cependant, pour la présente espèce, une intervention dans le processus législatif serait une ingérence judiciaire indue dans la fonction législative du Parlement, ce qui compromettrait donc sa souveraineté.
[72] Je conclus donc que, s’il existe une obligation de consultation (un point que j’examine ci‑après), celle-ci ne peut donner lieu à une intervention judiciaire avant qu’un projet de loi soit déposé au Parlement.
XI. L’OBLIGATION DE CONSULTATION
[73] Dans le contexte du droit autochtone au Canada, l’obligation qu’a le gouvernement de consulter une ou plusieurs Premières Nations peut prendre naissance de l’une des deux façons suivantes : par une obligation imposée par le principe de l’honneur de la Couronne ou par une obligation imposée par un traité.
[74] Dans l’arrêt Nation haïda, la Cour suprême du Canada a longuement traité de l’obligation générale de consulter en l’absence d’une obligation imposée par un traité. Aux paragraphes 16 et 17 de cet arrêt, la juge en chef a écrit que l’obligation découle du principe de l’honneur de la Couronne et doit être interprétée de manière généreuse :
16 L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones : voir par exemple R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456. Il ne s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes.
17 Les origines historiques du principe de l’honneur de la Couronne tendent à indiquer que ce dernier doit recevoir une interprétation généreuse afin de refléter les réalités sous‑jacentes dont il découle. Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir honorablement. Il s’agit là du minimum requis pour parvenir à « concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté » : Delgamuukw, précité, par. 186, citant Van der Peet, précité, par. 31.
[75] Au paragraphe 35, elle a écrit que l’obligation prend naissance quand la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’« existence potentielle » d’un « droit de règlement » autochtone et envisage de prendre une mesure qui pourrait avoir un effet préjudiciable sur ce droit :
35 Mais à quel moment, précisément, l’obligation de consulter prend‑elle naissance? L’objectif de conciliation ainsi que l’obligation de consultation, laquelle repose sur l’honneur de la Couronne, tendent à indiquer que cette obligation prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci : voir Halfway River First Nation c. British Columbia (Ministry of Forests), [1997] 4 C.N.L.R. 45 (C.S.C.-B.), p. 71, le juge Dorgan.
[76] Au paragraphe 51 de l’arrêt Rio Tinto, la juge en chef a scindé en trois volets le critère énoncé dans l’arrêt Nation haïda en vue de l’établissement d’une obligation de consultation :
51 Rappelons que l’obligation de consulter prend naissance lorsque (1) la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, (2) qu’elle envisage une mesure ou une décision et (3) que cette mesure ou cette décision est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la revendication autochtone ou le droit ancestral. Il faut donc établir un lien de causalité entre la mesure projetée par la Couronne et l’effet préjudiciable possible sur une revendication autochtone ou un droit ancestral.
[77] Par conséquent, je signale que, quoique l’existence ne soit que « potentielle », elle est axée sur un « droit ou titre » et envisage une mesure susceptible d’avoir un « effet préjudiciable » sur ce droit ou ce titre.
[78] Au paragraphe 39 de l’arrêt Nation haïda, la juge en chef déclare que l’obligation est variable et proportionnée aux circonstances :
39 Le contenu de l’obligation de consulter et d’accommoder varie selon les circonstances. La nature précise des obligations qui naissent dans différentes situations sera définie à mesure que les tribunaux se prononceront sur cette nouvelle question. En termes généraux, il est néanmoins possible d’affirmer que l’étendue de l’obligation dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué, et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre.
[79] Aux paragraphes 43 à 45 de l’arrêt Nation haïda, la juge en chef examine les deux extrémités d’un continuum, toujours par rapport aux revendications d’un titre, et l’étendue de l’obligation qui peut prendre naissance :
43 Sur cette toile de fond, je vais maintenant examiner le type d’obligations qui peuvent découler de différentes situations. À cet égard, l’utilisation de la notion de continuum peut se révéler utile, non pas pour créer des compartiments juridiques étanches, mais plutôt pour préciser ce que le principe de l’honneur de la Couronne est susceptible d’exiger dans des circonstances particulières. À une extrémité du continuum se trouvent les cas où la revendication de titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible. Dans ces cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis. La [traduction] « “consultation”, dans son sens le moins technique, s’entend de l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres » : T. Isaac et A. Knox, « The Crown’s Duty to Consult Aboriginal People » (2003), 41 Alta. L. Rev. 49, p. 61.
44 À l’autre extrémité du continuum on trouve les cas où la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé. Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable. Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision. Cette liste n’est pas exhaustive et ne doit pas nécessairement être suivie dans chaque cas. Dans les affaires complexes ou difficiles, le gouvernement peut décider de recourir à un mécanisme de règlement des différends comme la médiation ou un régime administratif mettant en scène des décideurs impartiaux.
45 Entre les deux extrémités du continuum décrit précédemment, on rencontrera d’autres situations. Il faut procéder au cas par cas. Il faut également faire preuve de souplesse, car le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour. La question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones. Tant que la question n’est pas réglée, le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle-ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones. Elle peut être appelée à prendre des décisions en cas de désaccord quant au caractère suffisant des mesures qu’elle adopte en réponse aux préoccupations exprimées par les Autochtones. Une attitude de pondération et de compromis s’impose alors.
[80] Dans le cas d’un traité, la situation peut être complexe. Le Traité no 8, celui que les Mikisew ont signé, a été l’objet d’un jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Première Nation crie Mikisew. Le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour, a commencé par déclarer, au paragraphe premier, que la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones est l’objectif fondamental du droit autochtone moderne :
1 L’objectif fondamental du droit moderne relatif aux droits ancestraux et issus de traités est la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones et la conciliation de leurs revendications, intérêts et ambitions respectifs. La gestion de ces rapports s’exerce dans l’ombre d’une longue histoire parsemée de griefs et d’incompréhension. La multitude de griefs de moindre importance engendrés par l’indifférence de certains représentants du gouvernement à l’égard des préoccupations des peuples autochtones, et le manque de respect inhérent à cette indifférence, ont causé autant de tort au processus de réconciliation que certaines des controverses les plus importantes et les plus vives. Et c’est le cas en l’espèce.
[81] Aux paragraphes 24 à 27, le juge Binnie a expressément analysé le Traité no 8 :
24 Les traités numérotés conclus après la Confédération visaient à permettre la colonisation et le développement de l’Ouest et du Nord‑Ouest canadiens. Le Traité no 8 lui‑même précise que [traduction] « les dits sauvages ont été notifiés et informés par les dits commissaires de Sa Majesté que c’est le désir de Sa Majesté d’ouvrir à la colonisation, à l’immigration, au commerce, aux voyages, aux opérations minières et forestières et à telles autres fins que Sa Majesté pourra trouver convenables ». Cet énoncé de l’objet se reflète dans une limitation corrélative aux droits de chasse, de pêche et de piégeage issus du Traité no 8 visant à exclure tels [traduction] « terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d’établissements, de mine, d’opérations forestières, de commerce ou autres objets ». Les « autres objets » seraient au moins aussi généraux que les fins mentionnées dans le préambule susmentionné, y compris les « voyages ».
25 On a donc pu observer, dès le départ, qu’il existait une tension entre l’exigence essentielle posée par les premières nations voulant qu’elles demeurent libres de vivre de la terre autant après qu’avant la signature du traité et le désir de la Couronne d’augmenter le nombre de non autochtones s’établissant dans le territoire cédé. Comme les commissaires l’ont reconnu au début des négociations du Traité no 8 au Petit lac des Esclaves en juin 1899, ces rapports sont apparus d’entrée de jeu comme des rapports permanents qu’il serait difficile de gérer :
[traduction] L’homme blanc viendra peupler cette partie du pays et nous venons avant lui pour vous expliquer comment les choses doivent se passer entre vous et pour éviter tout problème.
(C. Mair, Through the Mackenzie Basin : A Narrative of the Athabasca and Peace River Treaty Expedition of 1899, p. 61)
Comme le juge Cory l’a expliqué dans l’arrêt Badger, par. 57, « [l]es Indiens comprenaient que des terres seraient prises pour y établir des exploitations agricoles ou pour y faire de la prospection et de l’exploitation minières, et qu’ils ne seraient pas autorisés à y chasser ou à tirer sur les animaux de ferme et les bâtiments des colons. »
26 Les droits de chasse, de pêche et de piégeage ne servaient pas que les intérêts des peuples des premières nations. Comme l’ont reconnu les commissaires eux‑mêmes dans leur rapport sur le Traité no 8 en date du 22 septembre 1899, la Couronne avait intérêt à laisser les peuples autochtones vivre de la terre :
[page 403]
[traduction] Nous leur fîmes comprendre que le gouvernement ne pouvait entreprendre de faire vivre les sauvages dans l’oisiveté, qu’ils auraient après le traité les mêmes moyens qu’auparavant de gagner leur vie, et qu’on espérait que les sauvages s’en serviraient.
27 Aucune des parties signataires ne s’attendait donc en 1899 que le Traité no 8 constitue un plan définitif d’utilisation des terres. Ce traité marquait l’aube d’une période de transition. Il fallait, comme l’ont souligné les commissaires, [traduction] « expliquer comment les choses [devaient] se passer » à l’avenir [traduction] « pour éviter tout problème » (Mair, p. 61).
[82] Au paragraphe 34, le juge Binnie a déclaré que la Couronne sera toujours avisée de la teneur du traité; la question consiste à savoir quelle mesure déclenchera cette obligation et, une fois cette obligation déclenchée, quelle en sera l’étendue :
34 Dans le cas d’un traité, la Couronne, en tant que partie, a toujours connaissance de son contenu. La question dans chaque cas consiste donc à déterminer la mesure dans laquelle les dispositions envisagées par la Couronne auraient un effet préjudiciable sur ces droits de manière à rendre applicable l’obligation de consulter. Le critère retenu dans les arrêts Nation Haïda et Taku River est peu rigoureux. La souplesse ne réside pas tant dans le fait que l’obligation devient applicable (on envisage des mesures « susceptibles d’avoir un effet préjudiciable » sur un droit) que dans le contenu variable de l’obligation une fois que celle‑ci s’applique. Au minimum, « les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis » (Nation Haïda, par. 43). Les Mikisew affirment que l’on n’a pas respecté même le contenu minimum de l’obligation en l’espèce.
XII. L’OBLIGATION DE CONSULTATION EST-ELLE DÉCLENCHÉE DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE?
[83] Pour ce qui est du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Nation haïda, la Couronne a reconnu qu’elle avait connaissance des droits que conférait le Traité no 8 aux Mikisew.
[84] Je passe également au troisième volet en tenant pour acquis que les mesures que prennent les ministres du Cabinet lors du processus législatif qui précède le dépôt d’un projet de loi au Parlement constituent effectivement une mesure de la Couronne qui donne naissance à l’obligation de consultation.
[85] Pour ce qui est du troisième volet, je commence par une analyse du Traité no 8, lequel prévoit que Sa Majesté la Reine convient avec les Mikisew qu’ils ont le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse, de la chasse au piège et de la pêche dans toute l’étendue de pays cédée à la Couronne.
[86] Depuis la signature du Traité en 1899, des travaux d’aménagement, tels que la construction du barrage W.A.C. Bennett, et des travaux d’exploration pétrolière et d’extraction ont eu lieu. Ces travaux ont eu une incidence sur les « occupations ordinaires » des Mikisew. Il ressort de la preuve que le fait de surveiller les eaux navigable s’est révélé avantageux dans le cadre de processus visant à protéger l’environnement et à préserver les « occupations ordinaires » des Mikisew.
[87] Les Mikisew font valoir que les propositions contenues dans les projets de loi omnibus – aujourd’hui les Lois – amoindrissent la surveillance qu’exerce le gouvernement fédéral dans un grand nombre des voies navigables présentes dans l’« étendue » des terres visées par le Traité no 8 qui leur appartiennent, et que cet amoindrissement comporte le risque de voir disparaître la capacité de surveiller efficacement ces voies navigables.
[88] Plus précisément, le paragraphe 5(10) de la Loi sur la protection des eaux navigables, avant sa modification, interdisait de construire ou de mettre en place un ouvrage dans, sur, sous, au-dessus d’eaux navigables ou à travers celles-ci sans que le ministre ait approuvé au préalable l’ouvrage, son emplacement et les plans connexes. La définition de common law des eaux navigables englobait les voies navigables d’une taille aussi petite que celle d’un cours d’eau capable de supporter un canoë ((Quebec (Attorney General) c Fraser (1906), 37 RCS 577, au paragraphe 16). Par contraste, l’article 3 de la Loi sur la protection de la navigation interdit tout ouvrage présent dans des eaux navigables mentionnées à l’Annexe ou sur, sous, au-dessus ou à travers celles-ci, sauf si cela est fait en conformité avec la Loi ou toute autre loi fédérale. C’est donc dire que, si la Loi sur la protection des eaux navigables offrait une protection couvrant l’ensemble des eaux navigables au Canada, la Loi sur la protection de la navigation ne protège que les eaux navigables énumérées à l’Annexe, et ce, uniquement dans le but de protéger la navigation. Le demandeur a indiqué que l’Annexe englobait 97 lacs, 62 rivières et fleuves et trois océans. Un grand nombre d’eaux navigables qui jouissent de la protection de la Loi sur la protection des eaux navigables n’apparaissent pas dans l’Annexe de la Loi sur la protection de la navigation.
[89] De plus, la version antérieure du paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches prévoyait ce qui suit :
35. (1) Il est interdit d’exploiter un ouvrage ou une entreprise ou d’exercer une activité entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson.
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35. (1) No person shall carry on any work or undertaking that results in the harmful alteration, disruption or destruction of fish habitat.
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[90] Par contraste, voici la version modifiée de ce même paragraphe :
35. (1) Il est interdit d’exploiter un ouvrage ou une entreprise ou d’exercer une activité entraînant des dommages sérieux à tout poisson visé par une pêche commerciale, récréative ou autochtone, ou à tout poisson dont dépend une telle pêche.
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35. (1) No person shall carry on any work, undertaking or activity that results in serious harm to fish that are part of a commercial, recreational or Aboriginal fishery, or to fish that support such a fishery.
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[91] C’est donc dire que les modifications apportées à la Loi sur les pêches ont fait disparaître la notion de protection de l’habitat du poisson du paragraphe 35(1) de cette Loi. Le demandeur a fait valoir que, par suite de cette modification, on ne mettait plus l’accent sur la protection de l’habitat du poisson, mais plutôt sur la protection de la pêche, ce qui offre nettement moins de protection pour l’habitat du poisson, et les mots « dommages sérieux » autorisent à perturber et à altérer de façon non permanente l’habitat : [traduction] « Toute activité néfaste au poisson entrave l’exercice des droits ancestraux et issus de traités de pratiquer la pêche » (paragraphe 74 du mémoire modifié des faits et du droit du demandeur).
[92] De l’avis du défendeur, ces préoccupations sont de nature conjecturale, et il émet lui‑même l’hypothèse que, à certains égards, les Lois peuvent être avantageuses.
[93] Je conviens qu’aucun dommage réel n’a été démontré, mais là n’est pas la question. Comme l’a décrété la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation haïda, au paragraphe 35, l’« existence potentielle » d’un dommage (en l’occurrence, le droit potentiel, en tant que titre sur des terres, ici à la pêche et au piégeage) suffit pour déclencher l’obligation. Je conclus que, au vu de la preuve, l’existence d’un risque potentiel suffisant pour les droits de pêche et de piégeage a été démontrée, ce qui a pour effet de déclencher l’obligation de consultation.
[94] Enfin, la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) a pour effet de réduire le nombre de projets susceptibles de déclencher une évaluation environnementale, comparativement à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (1992). La nouvelle loi n’exige la tenue d’une évaluation environnementale que si un projet est inscrit sur une liste de projets désignés, appelée Règlement désignant les activités concrètes, DORS/2012-147. Le paragraphe 14(2) énumère les circonstances dans lesquelles le ministre peut ordonner la désignation d’une activité physique que le règlement ne prescrit pas déjà. Le demandeur a fait remarquer que la nouvelle liste exige souvent que les projets désignés soient d’une taille minimale. De ce fait, cette liste de projets désignés permet d’approuver des projets assortis d’une surveillance environnementale réduite. Ces projets, même s’ils sont habituellement d’une taille inférieure, pourraient avoir un effet cumulatif sur l’écosystème dont dépendent les Mikisew. Cela présente le risque d’avoir une incidence sur leurs droits de pêche, de chasse et de piégeage.
[95] Ce raisonnement ne s’applique pas à certaines dispositions de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et de la Loi sur les espèces en péril. Le demandeur a fait remarquer avec raison qu’aux termes du paragraphe 5(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), les évaluations environnementales ne peuvent porter que sur certains éléments environnementaux précisés tout en en excluant d’autres, ce qui mène à un examen réduit des effets environnementaux. Cependant, l’alinéa 5(1)c) comporte une disposition d’une portée plus large qui intéresse les peuples autochtones :
5. (1) Pour l’application de la présente loi, les effets environnementaux qui sont en cause à l’égard d’une mesure, d’une activité concrète, d’un projet désigné ou d’un projet sont les suivants : […] c) s’agissant des peuples autochtones, les répercussions au Canada des changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas : (i) en matière sanitaire et socio-économique, (ii) sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel, (iii) sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles, [non souligné dans l’original] (iv) sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural. |
5. (1) For the purposes of this Act, the environmental effects that are to be taken into account in relation to an act or thing, a physical activity, a designated project or a project are … (c) with respect to aboriginal peoples, an effect occurring in Canada of any change that may be caused to the environment on (i) health and socio-economic conditions, (ii) physical and cultural heritage, (iii) the current use of lands and resources for traditional purposes [emphasis added], or (iv) any structure, site or thing that is of historical, archaeological, paleontological or architectural significance. |
[96] Donc, bien que le paragraphe 5(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) limite bel et bien la portée des effets environnementaux qu’il faut prendre en considération, l’alinéa 5(1)c) est là pour garantir que cette limite ne touche pas les peuples autochtones et, en l’occurrence, les Mikisew.
[97] Pour ce qui est de la Loi sur les espèces en péril, le paragraphe 73(1) dispose (comme il le faisait dans le passé) :
73. (1) Le ministre compétent peut conclure avec une personne un accord l’autorisant à exercer une activité touchant une espèce sauvage inscrite, tout élément de son habitat essentiel ou la résidence de ses individus, ou lui délivrer un permis à cet effet.
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73. (1) The competent minister may enter into an agreement with a person, or issue a permit to a person, authorizing the person to engage in an activity affecting a listed wildlife species, any part of its critical habitat or the residences of its individuals.
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[98] Les projets de loi omnibus ont ajouté le paragraphe 73(6.1), qui prescrit que la date d’expiration de l’accord ou du permis doive y figurer. Le demandeur a fait valoir que le paragraphe 73(6.1) permet de se livrer à des activités qui touchent une espèce sauvage inscrite, tout élément de son habitat essentiel ou la résidence de ses individus. Je ne suis pas d’accord. Sans l’accord ou le permis, cette personne contreviendrait à la Loi si elle exerçait une activité quelconque que la Loi sur les espèces en péril interdisait et pour laquelle l’accord ou le permis accordait une dispense.
[99] Comme je le dis depuis le début, dans les circonstances de l’espèce, où il a été conclu qu’une obligation de consultation a été déclenchée, cette obligation peut avoir été déclenchée lorsque les projets de loi omnibus ont été déposés au Parlement.
XIII. QUELLE EST L’ÉTENDUE DE L’OBLIGATION DE CONSULTATION?
[100] Comme l’a écrit la Cour suprême dans l’arrêt Nation haïda, l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’accommodement varie selon les circonstances, et la nature de l’exercice de cette obligation doit être proportionnée à ces dernières.
[101] Dans la présente affaire, certains aspects des projets de loi omnibus visent manifestement les eaux navigables qui se trouvent au sein du territoire que le Traité no 8 confère aux Mikisew. À l’évidence, la Loi sur la protection de la navigation réduit le nombre des eaux navigables surveillées, mais le paragraphe 29(2) autorise le gouverneur en conseil à modifier par règlement l’annexe de la Loi sur la protection de la navigation, en vue de réinscrire certaines eaux navigables dans certaines circonstances. Une personne raisonnable s’attendrait à ce qu’une réduction du nombre des eaux navigables surveillées présente un risque potentiel de dommages. En outre, pour les raisons que le demandeur a énoncées plus tôt, le fait d’avoir modifié le paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches accroît manifestement le risque de dommages pour le poisson. Il s’agit là de questions pour lesquelles il aurait fallu signifier un avis aux Mikisew, de pair avec une possibilité raisonnable de présenter des observations.
[102] Cependant, comme il nous reste encore à voir comment ces dispositions s’appliqueront à des situations précises mettant en cause les Mikisew, pour moi, la présente situation ne correspond pas à l’extrémité supérieure du continuum qu’envisageait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation haïda. Elle se situe plutôt à l’extrémité inférieure.
[103] Je conclus qu’au moment du dépôt de chacun des projets de loi omnibus au Parlement, il aurait fallu donner un avis aux Mikisew au sujet des dispositions qui, censément, auraient pu avoir une incidence sur leurs « occupations ordinaires », de pair avec une possibilité de présenter des observations.
[104] En l’espèce, aucun avis n’a été donné et aucune possibilité de présenter des observations n’a été offerte. En fait, chaque projet de loi, structuré comme un projet de loi « assujetti à un vote de confiance », a été adopté par le Parlement à une vitesse remarquable.
XIV. QUELLE MESURE DE RÉPARATION, LE CAS ÉCHÉANT, LA COUR DEVRAIT‑ELLE ACCORDER?
[105] Le demandeur a sollicité diverses déclarations ainsi qu’une ordonnance assimilable à une injonction. Les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales prévoient une telle réparation, mais celle-ci est de nature discrétionnaire.
[106] Je ne vois pas l’utilité de rendre une injonction. La portée de ses dispositions serait quasi impossible à définir. Une telle ordonnance aurait pour effet d’entraver indûment les activités du gouvernement. Ainsi que l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Criminal Lawyers’ Association of Ontario, chacune des branches du gouvernement devrait respecter son rôle et les limites qui y sont imposées, sans imposer d’entraves indues aux autres. De plus, citant l’arrêt Canada (Premier ministre) c Khadr, [2010] 1 RCS 44, au paragraphe 37, la Cour suprême du Canada, au paragraphe 31 de l’arrêt Criminal Lawyers’ Association of Ontario, a décrété :
31 En effet, même le tribunal doté du pouvoir de connaître de questions qui relèvent constitutionnellement des autres composantes de l’État doit accorder suffisamment d’importance aux attributions constitutionnelles des pouvoirs législatif et exécutif car, dans certains cas, l’autre pouvoir « est mieux placé pour prendre ces décisions dans le cadre des choix constitutionnels possibles »
[107] Par conséquent, quoique la nature constitutionnelle de l’obligation de consultation confère à la Cour le pouvoir de réviser la mesure en litige qui a donné lieu au manquement à cette obligation, la Cour devrait s’en remettre aux responsabilités constitutionnelles de la branche législative. Comme dans l’arrêt Khadr, cela signifie ne prendre aucune mesure de réparation autre qu’une déclaration.
[108] Le juge Rennie, de la Cour, a donné de judicieux conseils quant au moment où il peut être approprié de rendre un jugement déclaratoire, dans la décision Mohawks of the Bay of Quinte c Canada (Affaires indiennes et Nord canadien), 2013 CF 669, 434 FTR 241. Une déclaration peut être donnée si elle est susceptible d’avoir pour effet concret de régler les questions en litige. Voici ce qu’il a écrit, aux paragraphes 61 à 64, et 67 :
61 Un jugement déclaratoire peut être approprié lorsqu’il existe un litige réel entre les parties et qu’il peut avoir un certain effet concret dans la résolution des questions en litige. En l’espèce, une ordonnance déclaratoire aurait un certain effet concret dans la clarification de la portée de la Politique. Il est dans l’intérêt des deux parties de clarifier les possibles éléments de tout règlement qui pourrait survenir, afin que des parties puissent examiner l’éventail complet des possibilités à leur disposition.
62 Comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Solosky c La Reine, [1980] 1 RCS 821, « [l]e jugement déclaratoire est un recours qui n’est pas restreint par la forme ni limité par le fond et qui appartient à des personnes ayant un lien juridique dont découle une “véritable question” à trancher concernant leurs intérêts respectifs ».
63 Bon nombre des facteurs qu’une cour doit examiner pour déterminer s’il convient de délivrer un jugement déclaratoire jouent en faveur des demandeurs. Tout d’abord, la question est réelle et non théorique. Les négociations sont toujours en cours. Deuxièmement, les demandeurs ont un intérêt manifeste au prononcé d’un redressement, et le ministre a un intérêt réel à s’y opposer.
64 Cela nous conduit donc au troisième facteur, soit celui de savoir si le redressement aura quelque utilité. À cet égard, les parties ont des opinions opposées. Le ministre ne voit pas d’utilité à un simple jugement déclaratoire, puisque la position de négociation qu’il adopte relève de son pouvoir discrétionnaire. Cet argument amalgame deux questions distinctes : i) la substance de la position de négociation du ministre et ii) le cadre juridique qui régit les négociations. La première question n’est pas en cause; cependant, la deuxième l’est. Il est ardu d’en quantifier l’effet concret, mais dans les circonstances, l’intérêt de clarifier le droit ainsi que l’instrument de politique en cause satisfait à l’exigence d’utilité.
[…]
67 Pour conclure, la question de savoir si les parties continueront à négocier aux termes de la Politique, alors qu’aucun des modes de règlement disponibles aux termes de la Politique n’est acceptable pour la partie opposée, est en suspens. Le jugement déclaratoire de la Cour pourrait peut‑être rapprocher les parties d’une solution qui serait à la fois dans leur intérêt et dans celui du public.
[109] Dans la présente affaire, comme les projets de loi omnibus ont maintenant été adoptés, une déclaration portant que les parties doivent maintenant procéder à des consultations serait inutile. Toutefois, une déclaration portant que la Couronne aurait dû donner avis aux Mikisew au moment où chacun des projets de loi a été déposé au Parlement, de pair avec une possibilité raisonnable de présenter des observations, pourrait avoir un effet dans l’avenir relativement aux obligations continues que prévoit le Traité no 8 envers les Mikisew.
XV. CONCLUSIONS ET DÉPENS
[110] En définitive, j’ai conclu que, conformément au principe de la séparation des pouvoirs, la Cour ne pouvait pas intervenir dans le processus législatif en vue d’imposer des contraintes procédurales aux ministres de la Couronne agissant en leur capacité législative. Une obligation de consultation a toutefois pris naissance dans les circonstances de l’espèce, et ce, au moment du dépôt de chacun des projets de loi omnibus au Parlement. Dans le cadre de cette obligation, il incombait à la Couronne de donner avis aux Mikisew, ainsi qu’une possibilité raisonnable de présenter des observations. Une déclaration à cet effet sera prononcée.
[111] Les parties ont informé la Cour qu’elles ont convenu que chacune devrait supporter ses propres frais.
JUGEMENT
POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT :
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
1. Il est déclaré que, dans les circonstances de l’espèce, la Couronne avait l’obligation de consulter les Mikisew à l’époque où chacun des projets de loi omnibus a été déposé au Parlement; cette obligation consistait à donner avis aux Mikisew des éléments de chacun de ces projets de loi qui étaient susceptibles d’avoir une incidence sur leurs occupations ordinaires, telles que définies dans le Traité no 8, ainsi qu’à leur donner une possibilité raisonnable de présenter des observations.
2. Chaque partie supportera ses propres frais.
« Roger T. Hughes »
Juge
Traduction certifiée conforme
C. Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-43-13
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INTITULÉ : |
LE CHEF STEVE COURTOREILLE, EN SON PROPRE
NOM ET EN CELUI DES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION CRIE MIKISEW c LE
GOUVERNEUR GÉNÉRAL EN CONSEIL,
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Edmonton (Alberta)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LES 8, 9 ET 10 DÉCEMBRE 2014
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE HUGHES
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS : |
LE 19 DÉCEMBRE 2014 |
COMPARUTIONS :
Robert Janes Karey Brooks |
POUR LE demandeur |
Dale Yurka Janelle Koch Jodi McFetridge |
POUR LES défendeurS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Janes Freedman Kyle Law Corporation Victoria (Colombie-Britannique)
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POUR LE demandeur |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada |
POUR LES défendeurS
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